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L’entrée en métaphysique

Gaboriau: A la recherche du « Point de départ»

Florent Gaboriau

domingo 20 de dezembro de 2009

L’entrée en métaphysique, Florent Gaboriau  .

A la recherche du « Point de départ» (le « Cogito   » cartésien)

A Paul Valéry, qui admire la « fameuse proposition : je pense, donc je suis, « vérité inébranlable, qu’il faut prendre pour premier principe, et qui lui révèle en outre qu’il est une substance dont toute l’essence est de penser », il est arrivé de proposer — parmi tant d’exégèses, — une interprétation originale. Le Cogito ergo sum a pour lui « une très grande valeur » parce qu’il « n’a aucun sens. Car ce petit mot sum n’a aucun sens. Personne n’a, ni ne peut avoir l’idée ou le besoin de dire; Je suis, à moins d’être pris pour un mort et de protester qu’on ne l’est pas : encore dirait-on Je suis vivant ». (Paul Valéry, Les pages immortelles de Descartes, Corréa, 1941, p. 35.)

De fait, Valéry explique ainsi une chose que nous croyons vraie et qui rejoint le commentaire de J. Chevalier.« Descartes lui-même revenant sur ces mots, dix ans après les avoir tirés de soi et fixés dans le Discours de la Méthode, les redit avec quelque embarras, nie qu’ils procèdent d’un syllogisme; mais affirme qu’ils énoncent une chose connue par elle-même simplici mentis intuitu (Entretien avec Burman). Mais il touche par là au point même de soudure du langage avec ce qui se passe, sans doute, en deçà de lui… Ni syllogisme, ni même signification selon la lettre, mais un acte réflexe de l’homme, ou plus exactement l’éclat d’un acte, d’un coup de force. Il y a dans un penseur de cette puissance une politique intérieure et une extérieure de la pensée, et il se fait une sorte de raison d’État contre laquelle rien ne prévaut, et finit toujours par débarrasser énergiquement le Moi de toutes les difficultés ou notions parasites dont il est grevé sans les avoir trouvées en soi-même… Si le Cogito revient si souvent dans son œuvre, se trouve et se retrouve dans le Discours, dans les Méditations, dans les Principes, c’est qu’il sonne   pour lui un appel à son essence d’égotisme. Il le reprend comme le thème de son Moi lucide, le réveil crié à l’orgueil et aux ressources de son être. Jamais jusqu’à lui, philosophe ne s’était si délibérément exposé sur le théâtre de sa pensée, payant de sa personne, osant le Je pendant des pages entières » (P. Valéry, ib., 36-37).

On ne saurait mieux reconnaître — dans l’admiration du reste — qu’il s’agit bien d’un coup de force. La prise de pouvoir, par une pensée qui balaye les op-positions de l’ob-jet, et s’impose. «Je pense, donc je suis », c’est-à-dire « je suis-pensant », ma pensée suffit, constitue mon essence. Ce « moi » qui prend la direction des affaires est assurément le plus pur, le moins personnel, le plus démocratique, puisqu’il est le même en tous et l’universel en chacun. D’où le bienveillant accueil que l’on fait d’ordinaire à ce moi :

« On nous reproche…de murer l’homme dans sa subjectivité individuelle. Là encore on nous comprend fort mal. Notre point de départ est en effet la subjectivité de l’individu, et ceci pour des raisons strictement philosophiques. Non pas parce que nous sommes bourgeois, mais parce que nous voulons une doctrine basée sur la vérité, et non un ensemble de belles théories, pleines d’espoir mais sans fondements réels. Il ne peut y avoir de vérité autre, au point de départ, que celle-ci : je pense, donc je suis, c’est là la vérité absolue de la conscience s’atteignant elle-même. Toute théorie qui prend l’homme en dehors de ce moment où il s’atteint lui-même est d’abord une théorie qui supprime la vérité, car, en dehors de ce cogito cartesien, tous les objets sont seulement probables, et une doctrine de probabilités, qui n’est pas suspendue à une vérité, s’effondre dans le néant; pour définir le probable, il faut posséder le vrai…

» Mais la subjectivité que nous atteignons là à titre de vérité n’est pas une subjectivité rigoureusement individuelle, car nous avons démontré que dans le cogito on ne se découvrait pas seulement soi-même, mais aussi les autres. Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes, contrairement à la philosophie de Kant  , nous nous atteignons nous-mêmes en face de l’autre, et l’autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes. » [12]

Reste à savoir si, tout en maintenant son point de départ rivé, fixé au « Cogito » l’existentialisme réussit à le sauver d’un danger que Husserl   a eu la lucidité de reconnaître :

« Il semblerait que mon moi… qui est le premier objet de cette science, en soit aussi nécessairement l’objet unique… Ladite science… semble nous condamner au solipsime » (Méditations cartésiennes, p. 27).

Tel est bien, semble-t-il, l’inéluctable perspective d’une science qui « avoue se donner pour objet le « moi », « la considération de mon être » : ce qui est le principe, sera bientôt le centre, sera finalement le point où tout demeure, bref l’enclos infranchissable, d’où l’on tente vainement d’effectuer la sortie.

De fait, la pensée post-cartésienne illustrera deux orientations. Ou bien l’on ramène le « cogito » à ce qu’il est, au plan de l’expérience naturelle, c’est-à-dire au fond à un phénomène, interprété dans un sens tantôt matérialiste et tantôt subjectiviste. Et le contenu reste celui de la conscience empirique dont on est parti. Ou bien l’on estimera cette « attitude… grossière », avec Husserl précisément, « à cause de l’ignorance totale de l’époché cartésienne ». Mais cette « épochè   » — le mot l’indique — va plus loin probablement que le « doute » cartésien, et l’on y aboutit comme de force à partir et dans le prolongement du « Cogito » :

« Nous demandons : quel est ce moi qui a le droit de poser de telles questions transcendantales? Puis-je le faire en tant qu’homme naturel? En m’appréhendant moi-même comme homme naturel"" je me suis saisi moi-même comme me trouvant dans l’espace où je possède déjà un monde qui m’est extérieur » (Médiations cartésiennes, op. cit., p. 70).

Bref, par une opération que ses inventeurs qualifieront d’analyse v réflexive, ou de réduction transcendantale, ils estiment indispensable de parvenir à un plan qui dépasse l’empirisme du moi, et d’en rejoindre ainsi la source, — une conscience, une pensée, un sujet qualifié à son tour de « transcendantal ». Mais qu’en est-il de ce « Moi », — de son Être, de sa Vérité? Principe d’intelligibilité assurément, puisque requis à ce titre; mais dans quelle mesure, principe aussi de réalité? principe d’existence?


Ver online : Heidegger et ses références


[12J.-P. Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Nagel, 1946, p. 63-66.