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Aristote et la question du monde

Brague (1988:479-481) – historicidade da vida

54 - L’expérience de la vie

sexta-feira 23 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

Ser/estar em vida, é levar certa vida, e não simplesmente se achar em vida. "Ser" não significa, neste caso, "se achar", à maneira de uma coisa que "aí se encontra", mas implica um processo interno. A vida, porque é uma energeia  , participa da característica da energeia mencionada acima: ela não é um simples hyparchein  , mas um gignesthai, não um simples "aí se encontrar", mas um "advir".

Par là, le phénomène du bonheur permet de constater un trait fondamental de la vie humaine, le caractère historique de celle-ci. Je prends cet adjectif en son sens le plus banal, peut-être le plus profond : vivre, c’est être le sujet de sa propre histoire. Ce n’est pas seulement ressortir à la biologie  , c’est avoir une biographie [1]. Être en vie, c’est mener une certaine vie, et pas simplement se trouver en vie. « Être » ne signifie pas, dans ce cas, « se trouver », à la façon dont une chose « se trouve là », mais implique un processus   interne. La vie, parce qu’elle est une energeia  , participe de la caractéristique de l’energeia rappelée plus haut : elle n’est pas un simple hyparchein  , mais un gignesthai, pas un simple « se trouver là », mais un « advenir ». Ce devenir, ce processus, n’est pas tant la façon dont je conduis ma vie en choisissant [480] à chaque instant ce que sera mon avenir que, déjà, un advenir intérieur à mon présent. Je ne puis être en vie actuellement sans être l’aboutissement d’un passé que je possède comme le mien. Ce passé, parce que ma vie présente en est le résultat, n’est pas révolu. Il fait partie de ma vie présente. Je vis, et tout ensemble j’ai vécu. Mais en même temps, précisément parce que l’« avoir vécu » est intégré à mon présent, il participe des caractères de celui-ci. En particulier, il est aussi peu esquivable que ne l’est mon présent. Il me suit, non comme un élément étranger que je pourrais éventuellement semer, mais comme une traînée dont je ne puis me défaire. Ce sillage inévitable est même si vivement (et, le cas échéant, si pesamment) présent, que le moi sur lequel il projette son ombre, il va jusqu’à le constituer. J’ai parlé de l’historicité de la vie. Or, ce qui mérite ce nom n’est pas d’abord le déroulement d’événements ; c’est avant tout le fait que ces événements m’arrivent, à moi et à personne d’autre à ma place — ce qui n’a rien d’étonnant, car ils m’arrivent pour ainsi dire de l’intérieur de moi-même, puisqu’ils font de moi celui que je suis. La problématique classique de la permanence du sujet s’approfondit ici en remontant à ce qui contraint de poser un tel problème : l’existence même du sujet. Tous les événements qui m’arrivent se placent pour ainsi dire dans le fil de l’événement premier par lequel je me suis arrivé à moi-même. La concomitance (hama) du « je vis » et du « j’ai vécu » prend de ce point de vue l’aspect d’un lien nécessaire : dès que l’on a « je vis », on ne peut pas ne pas avoir, sans qu’on puisse les séparer, « j’ai vécu ». Le lien des deux est ce qui fait de la vie un destin. Non pas, évidemment, un destin qui me surviendrait et qui pèserait du dehors sur un moi déjà constitué, mais celui qui me fait survenir moi-même (cf. Iliade, 6, 488 s.). Il n’est de vie que renvoyant à une donne première, à un destin qui la rend historique.

L’historicité est ainsi un caractère essentiel de la vie. Il faut maintenant demander pourquoi il faut qu’il en soit ainsi, en demandant ce que c’est que la vie. Si nous interrogeons Aristote  , nous ne trouvons qu’une réponse qui peut paraître fort naïve, formulée dès le stade (époque ou niveau stylistique) de la philosophie   « populaire », pour laquelle « le fait de vivre se distingue de celui de ne pas vivre [481] par celui de percevoir (aisthanesthai  ) » (Protr., § 74 d, cf. § 80 d). Et, plus tard, au détour d’une réflexion sur la nécessité d’amis pour une vie heureuse, Aristote se donne la même définition : vivre, c’est, au sens propre, tel que le définit l’être en acte, « percevoir » (aisthanesthai) ou « penser » (noein  ) [2]. Nous reconnaissons les premiers exemples sur lesquels travaillait Aristote dans le texte de Met., Θ, 6. Nous avons de la sorte parcouru un cercle : partis de la perception, l’exemple médian du bonheur a acheminé à celui, terminal, de la vie. Celle-ci nous renvoie à son tour au point de départ. Mais nous n’y retournons pas sans avoir profité du parcours : nous sommes à même de saisir à présent la perception comme phénomène de la vie. C’est dans cette optique qu’il va falloir l’aborder.


Ver online : Rémi Brague


[1On peut noter à ce propos que le genre littéraire de la biographie s’est développé, à l’époque hellénistique, sur un schéma de concepts aristotéliciens (cf. Misch (1931), 172-176). Si la doctrine de l’acte fournit tout naturellement le cadre qui permet une saisie de l’individualité humaine dans son développement et son extériorisation, on peut suivre aussi le chemin inverse et se demander si une des racines de la métaphysique aristotélicienne ne serait pas justement une conception déterminée de la vie humaine.

[2EN, IX, 9, 1170 a 19. Il n’est peut-être pas indifférent que le vivre (zen) apparaisse sur le fond d’un « vivre avec » (suzen), comme si la vie impliquait un « — avec » qui lui donnait sa plénitude, la vie, tout court, n’apparaissant que par réduction.