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Entretiens

Beaufret (1992:7-9) – ser não é ente

ENTRETIEN I

domingo 18 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

Ahora bien, el ser no es nada de ente, no es ningún ente, y por eso se lo llamaba «nada» en la conferencia ¿Qué es la metafísica?

Delmont-Mauri

Y un día llego a Alemania y me encuentro con Heidegger. Ello ocurrió en septiembre de 1946 —ni él ni yo recordamos la fecha exacta, pero estamos de acuerdo en decir que debió ser alrededor del 10 de septiembre. Durante esa breve permanencia en Todtnauberg, donde él se hallaba en ese momento —sólo estuve medio día y luego dos días más (porque el viaje me llevó hasta Austria, pasando por Friburgo, y de regreso volví a pasar por Friburgo)—, durante esas conversaciones un poco limitadas, tuve por primera vez la impresión de comprender algo. Recuerdo que la luz empezó a surgir por una frase de Heidegger al explicarme que para decir, en ¿Qué es la metafísica?, lo que se había propuesto decir —a saber, que el ser no es un ente— terminó escribiendo que el ser no era nada, que era una «nadería», una insignificancia (en alemán, das Nichts  ), y que el famoso Néant, la Nada, como decía la traducción francesa, significaba simplemente, «nada que fuese un ente», nada que fuese un ente a la manera de un plato   sobre la mesa, de una mesa en el comedor, de una puerta que se puede abrir o cerrar… Y eso fue entonces lo que me permitió —repentinamente— entender algo en la conferencia ¿Qué es la metafísica?, que hasta entonces me había resultado completamente opaca.

Cuando conoció a Heidegger, después de haber leído algunos de sus libros, usted se había formado cierta idea   de la manera de proceder de su pensamiento. ¿En qué medida su encuentro con él le permitió situar mejor el camino de su pensamiento?

Cuando fui a ver a Heidegger, había ido a ver al hombre que era autor de un libro publicado en 1927 con el título de Sein und Zeit   (Ser y tiempo). Ahora bien, durante la primera conversación que tuve con él, y en las siguientes, no se habló nunca del tiempo sino del ente, del participio presente del verbo ser, en alemán das Seiende  , y el asunto era el de «ser» y «ente», y no el de «ser» y «tiempo». Para mí era algo sumamente sorprendente porque étant, «ente» era un término que en aquella época no formaba parte del lenguaje posible en francés; hasta el punto que la palabra alemana que corresponde a ese participio presente, das Seiende, siempre se traducía en francés por «existente». Y en las notas que yo tomaba cuando hablaba con Heidegger seguí incluso, hasta 1952, escribiendo a veces «existente» en vez de «ente», por lo extraño que resultaba la palabra étant en francés. Ahora estoy convencido que ha entrado en la lengua y que, en una clase de filosofía, si el profesor habla de Heidegger y habla de l’étant, «el ente», muy pocos serán los alumnos que escriban l’étang, «el estanque», mientras que al principio   casi todos lo hacían. Por consiguiente, la gran dificultad, lo que empieza a hacerse claro en ese momento es que el pensamiento de Heidegger se sitúa en la zona intermedia entre un infinitivo, ser, y un participio, ente. Por consiguiente, entre el ser y el ente. ¿Pero, entonces, dónde está el «tiempo» en todo eso?

Yo todavía no lo sabía. Son preguntas que le hice a Heidegger después, y era sumamente difícil hacerlo hablar sobre el asunto, porque todo su movimiento consistía en una superación de su obra inicial, Ser y tiempo. Me tocaba a mí tratar de entender algo que había ocurrido antes de la época en que lo conocí. Pero cuando nos vimos en 1946, fue precisamente esta dualidad ser-ente la que me llamó la atención. En un texto que él me mandó —creo incluso que me lo trajo usted de Alemania, antes de yo conocerlo a él—, que reproducía la conferencia de 1929, ¿Qué es la metafísica?, la conferencia estaba acompañada por un posfacio. En ese posfacio se puede leer   la frase siguiente: «Pertenece a la verdad del ser el que nunca jamás el ser despliegue su vigor sin el ente, y el que nunca jamás tampoco el ente sea posible sin el ser».

Ahora bien, el ser no es nada de ente, no es ningún ente, y por eso se lo llamaba «nada» en la conferencia ¿Qué es la metafísica? Cuando Heidegger me lo dijo fue para mí un rayo de luz. Por consiguiente, estamos frente a esta dificultad, el ente que resulta ser un cenicero, por ejemplo, unos lentes, por ejemplo, la puerta a la derecha y la ventana a la izquierda, por ejemplo, y el ser que no es ente en nada, que no es ningún ente. ¿Cómo puede ser la pregunta por el ser el vínculo entre «ente» y algo que no es ningún «ente» y cuya índole es tal que Heidegger puede decir: «Pertenece a la verdad del ser…» (esto es, de esa «nada» que es el ser)… «el que nunca despliegue su vigor sin el ente, y el que nunca tampoco sea posible el ente sin el ser»?

Este es el enigma al cual me enfrentó y que dejaba en segundo plano las primeras preguntas que yo le iba a hacer, a saber, preguntas sobre el ser y el tiempo.

Original

Et un jour, j’arrive en Allemagne, je rencontre Heidegger. C’est en septembre 1946, ni lui ni moi n’avons gardé le souvenir de la date exacte, mais nous sommes d’accord pour dire que cela devait se passer aux environs du 10 septembre. Et c’est au cours du bref séjour que j’ai fait auprès de lui à Todtnauberg où il était à ce moment-là - mais cela n’a pas excédé une demi-journée et puis ultérieurement deux journées (car il y avait un voyage qui m’avait conduit jusqu’en Autriche, qui avait passé par Fribourg et puis qui au retour passait à nouveau par Fribourg) - et c’est au cours de ces entretiens un peu limités que j’ai eu pour la première fois l’impression de comprendre quelque chose. Je me rappelle que le début de la lumière est venu d’une phrase de Heidegger qui m’expliquait que, dans Qu’est-ce que la métaphysique ?, pour dire ce qu’il tenait à dire - à savoir que l’être n’était pas un étant - il avait fini par écrire que l’être était un « rien » (en allemand, das Nichts) et que le fameux Néant, comme on écrivait dans la traduction française, signifiait simplement « rien d’étant », rien d’étant, à la manière d’une assiette sur une table, d’une table dans la salle à manger, d’une porte qu’on peut ouvrir ou fermer… Et alors c’est cela qui m’a permis de comprendre - mais d’un seul coup - quelque chose à la conférence Qu’est-ce que la métaphysique ? qui, jusque-là, m’avait été décidément opaque.

— Lorsque vous avez rencontré Heidegger, après avoir lu un certain nombre de ses livres, vous vous étiez fait une certaine idée de sa démarche. En quoi votre rencontre avec lui vous a-t-elle permis de mieux situer son chemin de pensée ?

Lorsque je suis allé voir Heidegger, j’allais voir l’homme qui était l’auteur d’un livre paru en 1927 sous le titre de Sein   und Zeit   (Etre et Temps). Or, au cours du premier entretien que j’ai avec lui, et même dans les entretiens qui suivent, ce n’est pas du tout du « temps » qu’il a été question mais de l’étant, participe présent du verbe être, la question étant celle de « être » et « étant », et non pas celle de « être » et « temps ». Et c’était là, pour moi, très surprenant parce que « étant » c’est un terme qui, à l’époque, ne faisait pas du tout partie du langage possible en français ; à tel point que le mot allemand qui correspond à ce participe présent (das Seiende) était toujours traduit en français par « existant ». Et, sur des notes que je prenais en causant avec Heidegger, j’ai même continué, jusqu’en 1952, à écrire parfois « existant » au lieu de étant, tant le mot étant avait peine à entrer dans le français. Maintenant, je suis persuadé qu’il y est entré et que, dans une classe de philosophie  , si le professeur parle de Heidegger et s’il parle de l’étant, le nombre des élèves qui écrivent la chose « étang » est de plus en plus rare, alors qu’il était majoritaire au début. Par conséquent, la grande difficulté, ce qui commence plutôt à s’éclairer à ce moment-là, c’est que la pensée de Heidegger se situe dans l’entre-deux d’un infinitif, être, et d’un participe, étant. Par conséquent, dans l’entre-deux de l’être et de l’étant. Mais alors, où est le « temps » dans tout cela ?

Je n’en savais rien encore. Ce sont des questions que j’ai posées plus tard, et il était extrêmement difficile de faire parler Heidegger sur la question, parce que tout son mouvement était en dépassement de son ouvrage de percée, Etre et Temps. Et c’était à moi d’essayer de comprendre ce qui s’était passé antérieurement à l’époque où je l’avais rencontré. Mais alors, lorsque nous nous voyons en 1946, c’est bien cette dualité être-étant qui me frappe. Et dans un texte qu’il m’adresse - je crois même que c’est vous qui me l’avez apporté d’Allemagne, avant même que je le voie - qui reproduisait la conférence de 1929 Qu’est-ce que la métaphysique ?, cette conférence était accompagnée d’une postface. C’est dans cette postface qu’on peut lire la phrase suivante : « Il appartient à la vérité de l’être, qu’au grand jamais l’être ne déploie sa vigueur sans l’étant, qu’au grand jamais non plus l’étant n’est possible sans l’être» (cf. Questions, I, p. 77).

Or l’être n’est rien d’étant, et c’est pourquoi il était dit le « rien » dans la conférence Qu’est-ce que la métaphysique ? Cela avait été pour moi un trait de lumière quand Heidegger me le dit. Alors par conséquent, nous sommes aux prises avec cette difficulté, l’étant qui se trouve être, par exemple, un cendrier, par exemple une paire de lunettes, par exemple la porte à droite et la fenêtre à gauche - et l’être qui n’est rien d’étant. Comment se fait-il que la question de l’être soit la liaison entre « étant » et quelque chose qui n’est rien d’« étant » et tel que Heidegger puisse dire : « Il appartient à la vérité de l’être… » (c’est-à-dire de ce « rien » qu’est l’être)… « qu’il ne déploie jamais sa vigueur sans l’étant, qu’au grand jamais non plus l’étant n’est possible sans l’être ».

Voilà l’énigme avec laquelle je suis aux prises et qui renvoyait à l’arrière-plan les premières questions que j’allais lui poser, à savoir sur l’être et le temps.


Ver online : Jean Beaufret