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Beaufret (1973:50-52) – ser-aí x ser-o-aí

quarta-feira 21 de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

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O que nunca deixou de surpreender os gregos, pelo menos até Aristóteles  , não foi o fato de ser/estar aí, mas o fato de ser/estar o aí, a própria presença de todas as coisas, de tal modo que os deuses, diz um fragmento de Hesíodo  , "os encaravam em todo o seu brilho". Ler a filosofia grega de qualquer outra forma é fecharmo-nos antecipadamente ao que ela nos dá a entender. Um idiota como Hípias não podia ouvir uma palavra do que Platão   dizia. "Entre: o que é belo (τί έστι καλόν  ;), e: o que é o belo (τί έστι τὸ καλόν;) não vês nenhuma diferença?", perguntou Sócrates  . "Nem a menor", respondeu Hípias. Heidegger pergunta-nos hoje: "Entre ser/estar-aí e ser-o-aí, não sentes diferença?" Ούδέν γὰρ διαφέρει [Hípias maior, 288 d], continua a responder o eterno Hípias.

original

Le Da-sein  , être-le-là, qui est le point de départ de Sein und Zeit  , nous apparaît ainsi beaucoup plus proche de la ψυχή   des Grecs que du cogito   cartésien, si du moins ψυχή, comme nous le donne à entendre Aristote, est électivement le sujet du verbe ἀληθε  ύειν : se tenir au sein   de l’Ouvert où tout se présente à découvert. Non sans doute pour s’y exhiber sans réserves, car ce qui est pensé jusqu’à son être et à partir de lui n’est pas tout uniment ἀληθές, mais bel et bien ἀληθές ή ψεῦδoς, à découvert ou en retrait, ce retrait projetant phénoménologique-ment en avant de lui-même un autre visage de la chose que celui qui s’abrite en lui. Mais alors la ψυχή des Grecs serait aux antipodes de tout psychique au sens moderne ? Assurément. Beaucoup plus rapport qu’elle n’est chose, la ψυχή apparaît telle à Aristote qu’elle « est à sa façon tous les étants autant qu’ils sont » [1]. Cela ne veut pas dire que, voyant un arbre, par là je m’arborise, mais que je lui réponds au plus proche au sens où j’en suis le là, autrement dit la présenteté, au point que lui et moi ne sommes séparés l’un de l’autre que par l’entre-deux qui nous établit l’un pour l’autre. Ainsi la ψυχή est le là de tous les étants par où ils sont. C’est ainsi que Heidegger interprète le πώς d’Aristote, qui ne nous livre encore qu’une énigme. Et c’est pourquoi aussi il est essentiel de traduire Da-sein par être le là et non par être là comme on le fait communément.

Si le trait fondamental de la philosophie   grecque est, comme nous le dit Platon, « s’étonner », une question en effet se pose : de quoi les Grecs s’étonnaient-ils en s’en émerveillant ? D’exister ? Certes, mais au sens grec du mot et de la chose. Les Grecs n’étaient nullement ceux qui n’en revenaient pas d’être là. Un tel étonnement n’a rien de grec. Il sera bien plutôt celui de Cébès au début de Tête d’Or :

Me voici,
Imbécile, ignorant,
Homme nouveau devant les choses inconnues…

[51] Ce dont les Grecs ne cessèrent de s’étonner, au moins jusqu’à Aristote, n’était nullement d’être là, mais bien d’être le là, la présenteté même de toutes choses, au point que les dieux, dit un fragment d’Hésiode, « leur ont fait face dans tout leur éclat ». Lire autrement la philosophie grecque, c’est se fermer d’avance à ce qu’elle nous donne à entendre. Un lourdaud comme Hippias n’entendait goutte à la parole de Platon. « Entre : qu’est-ce qui est beau (τί έστι καλόν;), et : qu’est-ce que le beau (τί έστι τὸ καλόν;) ne vois-tu pas de différence ? » demandait Socrate. « Pas la moindre », répondait Hippias. Heidegger nous demande aujourd’hui : « Entre être là et être le là, ne sentez-vous pas la différence ? » Ούδέν γὰρ διαφέρει [2], continue à répondre l’éternel Hippias.

Si, cependant, la ψυχή au sens grec n’a rigoureusement rien à voir, pas plus, malgré sa traduction par âme, avec l’âme chrétienne qu’avec le cogito de Descartes   qui en est la fenêtre ouverte sur la chose comme objet, l’inverse pourtant n’est nullement vrai. L’âme chrétienne et le cogito ont au contraire beaucoup à voir et beaucoup plus qu’ils ne le pensent avec la ψυχή des penseurs grecs, il est clair en effet que mainte proposition de la Méditation quatrième sort tout droit du De Anima. Comment cependant entendre ce rapport ? Comment, sinon par une méditation de l’histoire autre que celle qu’autorise aujourd’hui la croyance naïve au progrès ? Il se pourrait en effet que l’ego   cogito de Descartes ne soit nullement la promotion enfin de ce qu’Héraclite  , Platon et Aristote avaient nommé ψυχή, mais l’oubli radical de ce qu’ils entendaient par là, bien qu’ils n’aient jamais clairement précisé ce que leur était la ψυχή. Platon cependant écrit à la fin de Phédon que μὴ καλώς λέγειν   « n’est pas seulement commettre une faute de langage », mais, traduit-on à l’ordinaire, « fait du mal aux âmes ». Mais en quoi ? Et que viennent faire ici les âmes ? Platon ne dit-il pas bien plutôt que μὴ καλώς λέγειν détraque le là qu’est en chacun de nous la ψυχή, en faisant de nous autant de déserteurs du monde ? Quand Marx   dit par exemple que la philosophie de Platon n’est pas autre chose en son fond que « l’idéalisation athénienne du système égyptien des castes », sa proposition parle μὴ καλώς au sens de Platon. C’est dès lors le là comme tel qui lui échappe au profit d’entreprises certes plus excitantes. Aussi bien les « âmes » que l’« être-là » sont hors de question. Il s’agit bien plutôt d’une évacuation du là lui-même en celui dont l’être est d’ « être-le-là ». Ainsi la nomination du Dasein revient du cogito cartésien à la pensée grecque dont le cogito est l’éclipse. C’est bien pourquoi aux yeux [52] de Sartre   Heidegger « évite » le cogito. Autant dire qu’il l’esquive et qu’il s’en détourne. Il ne l’« évite » à vrai dire nullement, mais il remonte à ce qui est übersprungen, franchi d’un saut, par le cogito de Descartes. D’où l’entreprise de ce que Heidegger nomme la « destruction phénoménologique » du cogito, entendant « destruction » au sens où René Char nous dit : « Enfin si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux. »


Ver online : Jean Beaufret


BEAUFRET, Jean. Dialogue avec Heidegger II. Philosophie moderne. Paris: Editions de Minuit, 1973


[1ή ψυχή τὰ ὄντα πὡς ἐστι πάντα (De Anima, III, 8, 431 b 21).

[2Hippias majeur, 288 d.