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Sein und Zeit

Être et temps : § 43. Dasein, mondanéité et réalité

Ser e Tempo

segunda-feira 5 de setembro de 2011, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

 B. La réalité comme problème ontologique.

Si le titre de réalité désigne l’être de l’étant sous-la-main à l’intérieur du monde (res) - et il n’est pas question d’y entendre autre chose -, cela signifie pour l’analyse de ce mode d’être que l’étant intramondain ne peut être ontologiquement conçu que si le phénomène de l’intramondanéité est clarifié. Or celle-ci se fonde dans le phénomène du monde, qui, quant à lui, appartient en tant que moment structurel essentiel de l’être-au-monde à la constitution fondamentale du Dasein. L’être-au-monde, à son tour, est ontologiquement solidaire de la totalité structurelle de l’être du Dasein, où nous avons reconnu le souci. Or ainsi sont caractérisés les fondements et les horizons dont la clarification rend seulement possible l’analyse de la réalité. Le caractère de l’en-soi, de même, ne peut devenir ontologiquement compréhensible que dans ce contexte. C’est en nous orientant sur ce contexte problématique que nos analyses antérieures ont interprété l’être de l’étant intramondain [9].

Sans doute il est possible dans certaines limites de donner d’ores et déjà, sans une base ontologico-existentiale expresse, une caractérisation phénoménologique de la réalité du réel, et c’est ce que Dilthey   a essayé de faire dans l’essai plus haut cité. Le réel, selon lui, est expérimenté dans l’impulsion et la volonté. La réalité est résistance, plus exactement résistivité. L’élaboration analytique du phénomène de la résistance constitue la partie positive   de cet essai et offre la meilleure illustration concrète de l’idée d’une « psychologie   descriptive et analytique ». Néanmoins, le déploiement adéquat de l’analyse du phénomène de la résistance est alors entravé par la problématique de la réalité propre à la théorie de la connaissance. Le « principe de phénoménalité » ne permet pas à Dilthey de parvenir à une interprétation ontologique de l’être de la conscience. « La volonté et son inhibition apparaissent à l’intérieur de la même conscience » [10]. Le mode d’être de cet « apparaître », le sens d’être du « à l’intérieur », le rapport d’être de la conscience au réel lui-même, tout cela attend sa détermination ontologique. Que celle-ci ne vienne pas, cela procède en dernière instance du fait que Dilthey laisse dans l’indifférence ontologique cette « vie », « en deçà » de laquelle il est bien sûr exclu de remonter. Toutefois, une interprétation ontologique du Dasein ne signifie pas la régression ontique vers un autre étant. Que Dilthey ait été réfuté en termes [210] de théorie de la connaissance ne doit pas nous décourager de faire fructifier l’apport positif de ses analyses, qui est précisément resté incompris des réfutations en question.

C’est ainsi que Scheler   a récemment repris l’interprétation diltheyenne de la réalité [11]. Il professe une « théorie volontative du Dasein ». Mais « Dasein » est ici entendu au sens kantien de l’être-sous-la-main. L’« être des objets », dit Scheler, « n’est donné immédiatement que dans la relation propre à l’impulsion et à la volonté ». Scheler ne se contente pas de souligner comme Dilthey que la réalité n’est jamais donnée primairement à la pensée et à la saisie, ce qu’il lui importe d’établir est que le connaître lui-même n’est pas non plus un juger et que le savoir est un « rapport d’être ».

Ce que nous avons été obligés de dire de l’indéterminité ontologique des fondements chez Dilthey s’applique fondamentalement à cette théorie. L’analyse fondamentale de la « vie » ne saurait non plus être introduite subrepticement après coup à titre d’infrastructure. C’est elle qui porte et conditionne l’analyse de la réalité, l’explication pleine de la résistivité et de ses présupposés phénoménaux. La résistance fait encontre dans un ne-pas-pouvoir-passer, comme empêchement d’un vouloir-passer. Mais avec celui-ci est d’ores et déjà ouvert quelque chose vers quoi pulsion et volonté sont exposées. Or l’indétermination ontique de ce « vers-quoi » ne saurait ontologiquement passer inaperçue, ou même être saisie comme un rien. L’exposition vers… qui se heurte à la résistance et peut seule s’y « heurter » est elle-même déjà auprès d’une totalité de tournure. Mais la découverte de celle-ci se fonde dans l’ouverture du tout de renvois de la significativité. L’expérience de la résistance, autrement dit la découverte tendue de ce qui résiste, n’est ontologiquement possible que sur la base de l’ouverture du monde. La résistivité caractérise l’être de l’étant intramondain. Des expériences de résistance ne déterminent facticement que l’ampleur et la direction de la découverte de l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Leur sommation, bien loin de pouvoir produire seulement l’acte d’ouverture du monde, le présuppose au contraire. Le « contre » est porté en sa possibilité ontologique par l’être-au-monde ouvert.

[211] Aussi bien, la résistance n’est pas non plus expérimentée dans une pulsion ou une volonté « apparaissant » pour soi. L’une et l’autre se manifestent comme autant de modifications du souci. Seul un étant ayant ce mode d’être peut se heurter à du résistant en tant qu’intramondain. Lors donc que la réalité est déterminée par la résistivité, deux choses restent à considérer : d’une part, cette détermination n’atteint qu’un caractère de la réalité parmi d’autres ; ensuite, la résistivité présuppose nécessairement un monde déjà ouvert. La résistance caractérise le « monde extérieur » au sens de l’étant intramondain, mais jamais au sens de monde. La « conscience de la réalité » est elle-même une guise de l’être-au-monde. C’est à ce phénomène existential fondamental qu’est nécessairement ramenée toute « problématique du monde extérieur ».

Pour que le cogito   sum pût servir de point de départ à l’analytique existentiale, il serait besoin non seulement d’une inversion, mais encore d’une nouvelle confirmation ontologico-phénoménale de sa teneur. Le premier énoncé serait alors : « sum », à savoir au sens de : je-suis-à-un-monde. Étant ainsi, « je suis » dans la possibilité ontologique de diverses attitudes (cogitationes) comme guises de l’être auprès de l’étant intramondain. Descartes, au contraire, dit : des cogitationes sont sous-la-main et en elles est conjointement sous-la-main un ego   comme res cogitans   sans monde.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[9Récemment, Nicolai HARTMANN, à la suite de Scheler, a placé au fondement de sa théorie de la connaissance, qui est orientée ontologiquement, la thèse du connaître comme « relation d’être ». Cf. ses Grundzüge einer Metaphysik der Erkenntnis [Principes d’une métaphysique de la connaissance], 2ème éd. complétée, 1925. Mais Scheler comme Hartmann méconnaissent de la même manière, quelle que soit la différence séparant leurs bases de départ phénoménologiques, que l’ontologie en son orientation fondamentale traditionnelle achoppe sur le Dasein, et que la « relation d’être » (cf. supra, p. [59] sq.) renfermée dans le connaître contraint justement à sa révision fondamentale, et non pas simplement à son amélioration critique. La sous-estimation de l’influence silencieuse d’une position ontologiquement non clarifiée de la relation d’être entraîne Hartmann vers un « réalisme critique » qui, au fond, est totalement étranger au niveau même de la problématique exposée par lui. Sur la conception hartmanienne de l’ontologie, v. son étude « Wie ist kritische Ontologie überhaupt möglich ? » [« Comment l’ontologie critique est-elle en général possible ? »], dans la Festschrift Paul Natorp, 1924, p. 124 sq.

[10Cf. Beiträge cités, p. 134.

[11Cf. sa conférence de 1925, « Die Formen des Wissens und die Bildung » (NT: « Les formes du savoir et la culture »), notes 24 et 25. Note à la correction du présent ouvrage : SCHELER vient de publier, dans son recueil récent d’essais Die Wissensformen und die Gesellschaft (NT: Les formes du savoir et la société), 1926, sa recherche depuis longtemps annoncée sur « Connaissance et travail » (p. 233 sq.). La section VI de cet essai (p. 455) donne une exposition plus détaillé de la « théorie volontative du Dasein », assortie d’une appréciation et d’une critique de Dilthey.