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Sein und Zeit

Être et temps : § 62. Le pouvoir-être-tout existentiellement authentique du Dasein comme résolution devançante.

Ser e Tempo

quinta-feira 17 de julho de 2014, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

Dans quelle mesure la résolution, si elle est « pensée jusqu’au bout » conformément à sa tendance d’être la plus propre, conduit-elle à l’être pour la mort authentique ? Comment la connexion entre le vouloir-avoir-conscience et le pouvoir-être-tout authentique existentialement projeté du Dasein   doit-elle être conçue ? La compénétration des deux produit-elle un nouveau phénomène ? Ou bien nous maintient-elle auprès de la résolution attestée en sa possibilité existentielle, de telle manière toutefois qu’elle puisse éprouver de la part de l’être pour la mort une modalisation existentielle ? Mais qu’est-ce que cela veut dire « penser jusqu’au bout » existentialement le phénomène de la résolution ?

La résolution a été caractérisée comme un se-projeter ré-ticent et prêt à l’angoisse vers l’être-en-dette le plus propre. Celui-ci appartient à l’être du Dasein et signifie : être-fondement nul d’une nullité. Le « en-dette » qui appartient à l’être du Dasein ne tolère ni accroissement ni diminution. Il est antérieur à toute quantification, si tant est que celle-ci ait un sens. De même, le Dasein, étant essentiellement en-dette, ne l’est pas de temps en temps, pour ensuite ne l’être à nouveau plus. Le vouloir-avoir-conscience se décide pour cet être-en-dette. Le sens propre de la résolution implique de se projeter vers cet être-en-dette comme lequel le Dasein est aussi longtemps qu’il est. Par suite, l’assomption existentielle de cette « dette » dans la résolution n’est authentiquement accomplie que lorsque la résolution, dans son ouvrir du Dasein, s’est rendue assez translucide pour comprendre l’être-en-dette comme constant. Mais cette compréhension ne devient possible que pour autant que le Dasein s’ouvre le pouvoir-être « jusqu’à sa fin ». Toutefois, l’être-à-la-fin du Dasein signifie existentialement : être pour la fin. La résolution devient authentiquement ce qu’elle peut être en tant qu’être compréhensif pour la fin, c’est-à-dire que devancement dans la mort. La résolution n’« a » pas simplement du rapport avec le devancement comme avec un autre d’elle-même.

Elle abrite en elle l’être authentique pour la mort comme la modalité existentielle possible de sa propre authenticité. Cette « connexion », voilà ce qu’il convient de préciser phénoménalement.

Résolution veut dire : se-laisser-pro-voquer à l’être-en-dette le plus propre. L’être-en-dette appartient à l’être du Dasein lui-même, que nous avons primairement déterminé comme [306] pouvoir-être. Le Dasein « est » constamment en-dette, cela ne peut signifier que ceci : il se tient à chaque fois dans cet être en tant qu’exister authentique ou inauthentique. L’être-en-dette n’est pas seulement une propriété permanente d’un sous-la-main constant, mais la possibilité existentielle d’être authentiquement ou inauthentiquement en-dette. Le « en-dette » n’est jamais que dans un pouvoir-être factice déterminé. Par suite, l’être-en-dette, parce qu’il appartient à l’être du Dasein, doit être conçu comme pouvoir-être-en-dette. La résolution se projette vers ce pouvoir-être, c’est-à-dire se comprend en lui. Ce comprendre, par suite, se tient dans une possibilité originaire du Dasein, et il se tient authentiquement en elle si la résolution est originairement ce qu’elle tend à être. Or nous avons dévoilé l’être originaire du Dasein pour son pouvoir-être comme être pour la mort, c’est-à-dire pour la possibilité insigne du Dasein qui a été caractérisée. Le devancement ouvre cette possibilité comme possibilité. La résolution, par conséquent, ne devient un être originaire pour le pouvoir-être le plus propre du Dasein qu’en tant que devançante. Le « pouvoir » du pouvoir-être-en-dette, la résolution ne le comprend que si elle se « qualifie » comme être pour la mort.

Résolu, le Dasein assume authentiquement dans son existence le fait qu’il est le rien nul de sa nullité. Nous avons conçu existentialement la mort comme la possibilité - plus haut caractérisée - de l’impossibilité de l’existence, c’est-à-dire comme pure et simple nullité du Dasein. La mort n’est pas surajoutée au Dasein lors de sa « fin », mais, en tant que souci, le Dasein est le fondement jeté (c’est-à-dire nul) de sa mort. La nullité qui transit originairement l’être du Dasein se dévoile à lui-même dans l’être pour la mort authentique. C’est le devancement qui rend pour la première fois l’être-en-dette manifeste à partir du fondement de l’être total du Dasein. Le souci abrite cooriginairement en soi la mort et la dette. La résolution devançante comprend pour la première fois le pouvoir-être-en-dette authentiquement et totalement, c’est-à-dire originairement [NA: L’être-en-dette appartenant originairement à la constitution d’être du Dasein doit être soigneusement distingué du status corruptionis au sens théologique. Certes, la théologie peut trouver dans l’être-en-dette existentialement déterminé une condition ontologique de sa possibilité factice. Cependant, la dette contenue dans l’idée de ce status est un endettement factice absolument spécifique. Il a son attestation propre, qui demeure fondamentalement fermée à toute expérience philosophique. L’analyse existentiale de l’être-en-dette ne prouve rien, ni pour, ni contre la possibilité du péché. En toute rigueur, on ne peut même pas dire que l’ontologie   du Dasein laisse par elle-même cette possibilité en général ouverte, dans la mesure où, en tant que questionner philosophique, elle ne « sait » fondamentalement rien du péché.].

Le comprendre de l’appel de la conscience dévoile la perte dans le On. La résolution [307] ramène le Dasein vers son pouvoir-être-Soi-même le plus propre. Le pouvoir-être propre devient authentiquement et totalement translucide dans l’être compréhensif pour la mort comme possibilité la plus propre.

Dans son ad-vocation, l’appel de la conscience passe toute considération et tout pouvoir « mondains » du Dasein. Sans égards, il isole le Dasein sur son pouvoir-être-en-dette, qu’il lui intime d’être authentiquement. L’acuité intacte de l’isolement essentiel sur le pouvoir-être le plus propre ouvre le devancement vers la mort comme possibilité absolue. La résolution devançante prend totalement conscience du pouvoir-être-en-dette en tant qu’absolu et le plus propre.

Le vouloir-avoir-conscience signifie la disponibilité à être ad-voqué à l’être-en-dette le plus propre qui déterminait à chaque fois déjà le Dasein factice avant tout endettement factice et après sa liquidation. Cet être-en-dette préalable et constant ne se manifeste à découvert en sa priorité que lorsque celle-ci même est engagée dans la possibilité qui est pour le Dasein purement et simplement indépassable. Lorsque la résolution, en devançant, a repris la possibilité de la mort dans son pouvoir-être, l’existence authentique du Dasein ne peut plus être dépassée par rien.

Avec le phénomène de la résolution, nous avons été conduits devant la vérité originaire de l’existence. Résolu, le Dasein est dévoilé à lui-même dans ce qui lui est à chaque fois son pouvoir-être factice, et cela de telle sorte qu’il est lui-même ce dévoiler et cet être-dévoilé. À la vérité appartient un tenir-pour-vrai qui lui correspond à chaque fois. L’appropriation expresse de ce qui est ouvert ou découvert est l’être-certain. La vérité originaire de l’existence requiert un être-certain cooriginaire en tant que se-tenir dans ce que la résolution ouvre. Celle-ci se donne toute situation   factice et se transporte en elle. La situation ne peut être calculée d’avance et prénommée comme un sous-la-main en attente de sa saisie. Elle est seulement ouverte en une auto-décision libre, d’abord indéterminée, mais ouverte à la déterminabilité. Que signifie alors la certitude qui appartient à une telle résolution ? Elle doit se tenir dans ce qui est ouvert par la décision. Or cela revient à dire qu’elle ne peut justement se raidir sur la situation, mais doit nécessairement comprendre que la décision, suivant son sens d’ouverture propre, doit être tenue libre et ouverte pour toute possibilité factice. La certitude de la décision [308] signifie : se tenir libre pour sa re-prise possible et à chaque fois facticement nécessaire. Néanmoins, un tel tenir-pour-vrai de la résolution (en tant que vérité de l’existence) ne se laisse nullement retomber dans l’ir-résolution, au contraire : ce tenir-pour-vrai en tant que se-tenir-libre résolu pour la re-prise est la résolution authentique pour la répétition d’elle-même. Mais par là, la perte dans l’ir-résolution est précisément enterrée existentialement. Le tenir-pour-vrai qui appartient à la résolution tend, selon son sens propre, à se tenir constamment libre, à savoir pour le pouvoir-être total du Dasein. Cette certitude constante n’est garantie à la résolution qu’autant qu’elle se rapporte à la possibilité dont elle peut être purement et simplement certaine. Dans sa mort, le Dasein doit purement et simplement se « reprendre ». Constamment certaine d’elle, c’est-à-dire devançante, la révolution conquiert sa certitude authentique et totale.

Mais le Dasein est cooriginairement dans la non-vérité. La résolution devançante lui nomme en même temps la certitude originaire de sa fermeture. Résolu en devançant, le Dasein se tient ouvert pour la perte constante, possible sur la base de son propre être, dans l’ir-résolution du On. L’ir-résolution est co-certaine en tant que possibilité constante du Dasein. La résolution translucide à elle-même comprend que l’indéterminité du pouvoir-être ne se détermine jamais que dans la décision pour ce qui est situation. Elle sait l’indéterminité qui régit un étant qui existe. Mais ce savoir, s’il veut correspondre à la résolution authentique doit lui-même jaillir d’un décider authentique. Or l’indétermination du pouvoir-être propre - bien que devenu à chaque fois certain dans la décision - ne se manifeste totalement que dans l’être pour la mort. Le devancement transporte le Dasein devant une possibilité qui est constamment certaine et qui pourtant demeure à tout instant indéterminée quant au moment où la possibilité devient impossibilité. Elle manifeste que cet étant est jeté dans l’indétermination de sa « situation-limite », en se résolvant à laquelle le Dasein conquiert son pouvoir-être-tout authentique. L’indétermination de la mort s’ouvre originairement dans l’angoisse. Mais cette angoisse originaire aspire à s’intimer la résolution. Elle débarrasse tout recouvrement de l’abandon du Dasein à lui-même. Le rien devant lequel l’angoisse transporte dévoile la nullité qui détermine le Dasein en son fondement, lequel est lui-même en tant qu’être-jeté dans la mort.

[309] Notre analyse a successivement dévoilé les moments - issus de l’être pour la mort authentique en tant que possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine et pourtant indéterminée - de la modalisation à laquelle la résolution tend à partir d’elle-même. Elle n’est authentiquement et totalement ce qu’elle peut être que comme résolution devançante.

Mais à l’inverse, c’est seulement l’interprétation de la « connexion » entre résolution et devancement qui a pu atteindre la pleine compréhension existentiale du devancement lui-même. Jusqu’alors, celui-ci ne pouvait valoir que comme projet ontologique. Maintenant, il est apparu au contraire que le devancement n’est pas une possibilité inventée et imposée au Dasein, mais le mode d’un pouvoir-être existentiel attesté dans le Dasein, mode qu’il s’intime pour autant que, en tant que résolu, il se comprend authentiquement. Le devancement n’« est » pas en tant que comportement flottant en l’air, mais il doit nécessairement être conçu comme la possibilité, abritée dans la résolution existentiellement attestée, et ainsi co-attestée, de son authenticité. L’authentique « pensée de la mort » est le vouloir-avoir-conscience qui s’est rendu existentiellement translucide.

Si la résolution en tant qu’authentique tend au mode délimité par le devancement, et si le devancement constitue le pouvoir-être-tout authentique du Dasein, alors, dans la résolution existentiellement attestée, un pouvoir-être-tout authentique du Dasein est co-attesté. La question du pouvoir-être-tout est une question factice-existentielle. Le Dasein y répond en tant que résolu. La question du pouvoir-être-tout du Dasein a désormais totalement dépouillé l’apparence - que nous avions mise en évidence au début [1] - selon laquelle elle serait simplement une question théorique, méthodique de l’analytique du Dasein, née d’un effort pour accéder à une « donation » exhaustive du Dasein en son tout. La question de la totalité du Dasein telle que nous ne l’élucidions d’abord que de manière ontologico-méthodique, possédait certes une légitimité, mais uniquement parce que son fondement remontait à une possibilité ontique du Dasein.

La mise au jour de la « connexion » entre devancement et résolution prise au sens de la possible modalisation de celle-ci par celui-là est devenue une mise en lumière phénoménale d’un pouvoir-être-tout authentique du Dasein. Or si, avec ce phénomène, est atteinte une guise d’être où le Dasein se transporte vers et devant lui-même, alors, nécessairement, il doit demeurer ontiquement et ontologiquement inintelligible à l’explicitation quotidienne, à l’entente du On. Ce serait un contresens que de vouloir récuser cette possibilité existentielle [310] comme « non prouvée », ou, inversement, de vouloir la « prouver » théoriquement. Et pourtant, le phénomène demande à être préservé des perversions les plus grossières.

La résolution devançante n’est nullement un expédient, forgé pour « surmonter » la mort, elle est ce comprendre - consécutif à l’appel de la conscience - qui libère pour la mort la possibilité de s’emparer de l’existence et de dissiper radicalement tout auto-recouvrement fugace. Le vouloir-avoir-conscience déterminé comme être pour la mort ne signifie pas davantage une sécession qui fuirait le monde, mais il transporte, sans illusions, dans la résolution de l’« agir ». La résolution devançante, enfin, ne provient pas non plus d’un « idéalisme » qui survolerait l’existence et ses possibilités, mais elle jaillit de la compréhension dégrisée de possibilités fondamentales factices du Dasein. Avec l’angoisse dégrisée qui transporte devant le pouvoir-être isolé, s’accorde la joie vigoureuse de cette possibilité. En elle, le Dasein devient libre des « contingences » de cette assistance que la curiosité affairée demande avant tout aux événements du monde de lui procurer. Néanmoins, l’analyse de ces tonalités fondamentales excède les limites que son but fondamental-ontologique trace à la présente interprétation.

Et pourtant, dira-t-on, l’interprétation ontologique de l’existence du Dasein que nous venons de conduire ne repose-t-elle point sur une conception ontique déterminée de l’existence authentique, sur un idéal factice du Dasein ? Réponse : effectivement. Seulement, ce fait n’attend pas simplement que nous le reconnaissions et en fassions l’aveu sous la contrainte : il doit être conçu en sa nécessité positive   à partir de l’objet thématique de la recherche. La philosophie   ne contestera jamais ses « présupposés », mais jamais non plus elle n’aura le droit de se borner à les reconnaître. Les présuppositions, elle les porte au concept, et, du même coup, à un déploiement plus radical ce pour quoi elles sont présuppositions. Et cette fonction, c’est celle que s’assigne la méditation méthodique qui est maintenant requise.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1Cf. supra, §45, p. [231] sq.