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Sein und Zeit

Être et temps : § 32. Comprendre et explicitation.

Ser e Tempo

segunda-feira 11 de julho de 2011, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

En tant que comprendre, le Dasein   projette son être vers des possibilités. Cet être compréhensif pour des possibilités est lui-même, par le rejaillissement de celle-ci en tant qu’ouvertes vers le Dasein, un pouvoir-être. Le projeter du comprendre a la possibilité propre de se configurer. Cette configuration du comprendre, nous la nommons l’explicitation. En elle, le comprendre s’approprie compréhensivement ce qu’il comprend. Dans l’explicitation, le comprendre ne devient pas quelque chose d’autre, mais lui-même. L’explicitation se fonde existentialement dans le comprendre, celui-ci ne naît pas de celle-là. L’explicitation n’est pas la prise de connaissance du compris, mais l’élaboration des possibilités projetées dans le comprendre. Conformément à l’orientation de ces analyses préparatoires du Dasein quotidien, nous examinerons le phénomène de l’explicitation d’après le comprendre du monde, c’est-à-dire d’après le comprendre inauthentique, mais envisagé sur le mode de sa véridicité.

À partir de la significativité ouverte dans la compréhension du monde, l’être préoccupé auprès de l’à-portée-de-la-main se donne à comprendre ce dont il peut à chaque fois retourner avec ce qui lui fait encontre. La circon-spection découvre, ce qui veut dire que le « monde » déjà compris est explicité. L’à-portée-de-la-main vient expressément à la vue compréhensive. [149] Accommoder, préparer, réparer, améliorer, compléter, tout cela s’accomplit en ex-plicitant en son pour… l’à-portée-de-la-main découvert par la circon-spection, et en s’en préoccupant conformément à cet être-ex-plicité devenu visible. L’étant ex-plicité comme tel par la circon-spection en son pour…, expressément compris, a la structure du quelque chose comme quelque chose. À la question circon-specte : qu’est cet à-portée-de-la-main déterminé ?, la réponse explicitante correspondante est : il est pour… L’indication du pour… n’est pas simplement la nomination de quelque chose, mais le nommé est compris comme ce comme quoi ce qui est en question doit être pris. Ce qui est ouvert dans le comprendre, ce qui est compris est toujours déjà accessible de telle manière qu’en lui son « comme quoi » puisse être expressément dégagé. Le « comme » constitue la structure de l’expressivité de ce qui est compris ; il constitue l’explicitation. L’usage circon-spect-explicitatif de l’à-portée-de-la-main intramondain, qui « voit » celui-ci comme table, porte, voiture, pont, n’a pas nécessairement besoin d’ex-pliciter déjà dans un énoncé déterminant l’étant ainsi explicité par la circon-spection. Tout voir pur et simple anté-prédicatif de l’à-portée-de-la-main est déjà en lui-même compréhensif-explicitatif. Mais, dira-t-on, n’est-ce pas le défaut de ce « comme » qui constitue la « pureté » d’un pur accueil de quelque chose ? En réalité, le voir de cette vue est à chaque fois déjà compréhensif-explicitatif. Il abrite en soi l’expressivité des rapports de renvoi (du pour…) qui appartiennent à la totalité de tournure à partir de laquelle l’étant purement et simplement rencontré est compris. L’articulation du compris dans l’approchement explicitatif de l’étant au fil conducteur du « quelque chose comme quelque chose » est antérieure à l’énoncé thématique sur lui. Bien loin de ne surgit qu’en celui-ci, le « comme » est seulement pour la première fois ex-primé, ce qui n’est possible que pour autant qu’il est déjà là en tant qu’ex-primable. Que l’expressivité d’un énoncé puisse faire défaut dans l’avisement pur et simple, cela n’autorise pas à dénier à ce pur et simple voir toute explicitation articulante, donc la structure du « comme ». Le voir pur et simple des choses les plus proches dans l’avoir affaire avec… inclut si originairement la structure d’explicitation que la saisie de quelque chose comme-libre, pour ainsi dire, a justement besoin d’une certaine inversion de sens. Dans le pur regard qui fixe, l’avoir-devant-soi-sans-plus-quelque-chose est présent, en tant que ne-plus-comprendre [1]. Cette saisie-comme-libre est une privation du voir purement et simplement compréhensif, elle n’est pas plus originaire que lui, mais en dérive. Le fait ontique que le « comme » ne soit pas exprimé ne doit pas conduire à le méconnaître en tant que constitution existentiale apriorique du comprendre.

Mais si tout percevoir d’un outil à-portée-de-la-main est déjà compréhensif-explicitatif, s’il laisse de manière circon-specte quelque chose faire encontre comme quelque chose, cela ne veut-il pas dire justement qu’est d’abord expérimenté un pur sous-la-main, qui n’est [150] appréhendé qu’ensuite comme porte ou comme maison ? Mais voir les choses ainsi serait prendre à contresens la fonction spécifique d’ouverture de l’explicitation. Car elle ne jette pas, pour ainsi dire, une « signification » sur la nudité du sous-la-main, elle n’y accole pas une valeur : au contraire, avec l’étant rencontré à l’intérieur du monde comme tel, il retourne à chaque fois de…, et c’est cette tournure, ouverte dans la compréhension du monde, qui est ex-plicitée par l’explicitation.

De l’à-portée-de-la-main est toujours déjà compris à partir de la totalité de tournure. Celle-ci n’a pas besoin d’être saisie par une explicitation thématique. Même lorsqu’elle a traversé une telle explicitation, elle s’en retourne vers la compréhension non expresse. Et c’est justement dans cette modalité qu’elle est le fondement essentiel de l’explicitation quotidienne, circon-specte. Celle-ci se fonde à chaque fois dans une pré-acquisition. En tant qu’appropriation compréhensive, elle se meut dans l’être compréhensif pour une totalité de tournure déjà comprise. L’appropriation de l’étant compris, mais encore enveloppé, accomplit toujours le dévoilement sous la direction d’une visée qui fixe ce par rapport à quoi le compris doit être explicité. L’explicitation se fonde toujours dans une pré-vision, qui « prépare » à une explicitabilité déterminée ce qui a été pré-acquis. Et ce qui est tenu dans une pré-acquisition et avisé avec « pré-voyance » devient concevable par l’explicitation. L’explicitation peut puiser dans l’étant à expliciter lui-même la conceptualité qui lui appartient, ou au contraire le plier à des concepts auquel cet étant répugne en son mode d’être. Mais quoi qu’il en soit, l’explicitation s’est à chaque fois déjà décidée, définitivement ou avec réserve, pour une conceptualité déterminée ; elle se fonde dans une anti-cipation.

L’explicitation de quelque chose comme quelque chose est essentiellement fondée par la pré-acquisition, la pré-vision et l’anti-cipation. L’explicitation n’est jamais une saisie sans présupposé de quelque chose de prédonné. Même si cette concrétion particulière de l’explicitation qu’est l’interprétation exacte des textes invoque volontiers ce qu’elle a « sous les yeux », la véritable « donnée première » n’est en réalité rien d’autre que l’opinion   pré-conçue « évidente » et non discutée de l’interprète, opinion nécessairement présente au point de départ de toute interprétation comme ce qui est préalablement « posé », autrement dit prédonné dans une pré-acquisition, une pré-vision et une anti-cipation, dès lors qu’on entreprend en général d’interpréter.

Mais comment faut-il concevoir le caractère de ce « préalable » ? Suffit-il de parler formellement d’« a priori   » ? Pourquoi cette structure s’attache-t-elle au comprendre que nous [151] avons manifesté comme un existential fondamental du Dasein ? Et comment la structure de « comme », qui échoit à l’explicité comme tel, se rapporte-t-elle à elle ? De toute évidence, il est exclu de dissoudre le phénomène en « parcelles ». Mais cela revient-il à en exclure aussi toute analytique originaire ? Devons-nous nous borner à accueillir de tels phénomènes en les considérant comme des « faits derniers » ? Mais même dans ce cas, la question demeurerait de savoir : pourquoi ? Ou bien la structure de préalable du comprendre et la structure de « comme » de l’explicitation manifestent-elles une connexion ontologico-existentiale avec le phénomène du projet ? Et celui-ci même renvoie-t-il à une constitution originaire d’être du Dasein ?

Avant de répondre à ces questions - ce à quoi notre équipement actuel ne saurait suffire -, il convient de rechercher si ce que nous avons rendu visible comme structure de préalable du comprendre et comme structure de « comme » de l’explicitation ne représente pas déjà par soi-même un phénomène unitaire, dont il est certes fait copieusement usage dans la problématique philosophique, mais sans qu’une explicitation ontologique originaire corresponde jamais à cet outil si universel.

Dans le projet du comprendre, de l’étant est ouvert en sa possibilité. Le caractère de possibilité correspond à chaque fois au mode d’être de l’étant compris. L’étant intramondain en général est projeté vers le monde, c’est-à-dire vers un tout de significativité, dans les rapports de renvoi de laquelle la préoccupation comme être-au-monde s’est d’entrée de jeu fixée. Lorsque de l’étant intramondain est découvert avec l’être du Dasein, autrement dit lorsqu’il est venu à compréhension, nous disons qu’il a du sens. Cependant, ce qui est compris, ce n’est pas en toute rigueur le sens, mais l’étant - ou l’être. Le sens est ce en quoi la compréhensibilité de quelque chose se tient. Ce qui est articulable dans l’ouvrir compréhensif, nous l’appelons le sens. Le concept de sens embrasse la structure formelle de ce qui appartient nécessairement à ce que l’explicitation compréhensive articule. Le sens est le vers-quoi, tel que structuré par la pré-acquisition, la pré-vision et l’anti-cipation, du projet à partir duquel quelque chose devient compréhensible comme quelque chose. Dans la mesure où comprendre et explicitation forment la constitution existentiale de l’être du Là, le sens doit être conçu comme la structure formelle-existentiale de l’ouverture qui appartient au comprendre. Le sens est un existential du Dasein, non pas une propriété qui s’attache à l’étant, est « derrière » lui ou flotte quelque part comme « règne intermédiaire ». De sens, le Dasein n’en « a » que pour autant que l’ouverture de l’être-au-monde est « remplissable » par l’étant découvrable en elle. Seul le Dasein, par suite, peut être sensé ou in-sensé. Ce qui veut dire que son être propre et l’étant ouvert avec lui peut être approprié dans la compréhension ou rester interdit à l’in-compréhension.

[152] Si l’on maintient cette interprétation fondamentalement ontologico-existentiale du concept de « sens », alors il faut que tout étant qui n’a pas le mode d’être du Dasein soit conçu comme non-sensé, comme essentiellement exempt de sens. « Non-sensé », ce terme ne signifie pas ici une valorisation, il exprime une détermination ontologique. Et seul le non-sensé peut être à contre-sens (absurde). Le sous-la-main, en tant qu’il fait encontre dans le Dasein, peut pour ainsi dire courir sus à son être - ainsi par exemple d’événements naturels soudains et dévastateurs.

De même, lorsque nous nous enquérons du sens de l’être, cette recherche n’a rien d’abstrus, elle ne forge pas quelque chose qui se tiendrait derrière l’être, mais elle le questionne lui-même, pour autant qu’il se tient engagé dans la compréhensivité du Dasein. Le sens de l’être ne peut jamais être mis en opposition à l’étant ou à l’être comme « fond » portant de l’étant, car le « fond » n’est lui-même accessible que comme sens, celui-ci serait-il même l’abîme de l’absence de sens.

Le comprendre, comme ouverture du Là, concerne toujours le tout de l’être-au-monde. En tout comprendre du monde, l’existence est co-comprise, et inversement. En outre, toute explicitation se tient dans la structure de préalable qu’on a caractérisée. Toute explicitation qui doit contribuer à de la compréhension doit avoir déjà compris ce qui est à expliciter. On n’a jamais manqué de remarquer ce fait, ne serait-ce que dans le domaine des guises dérivées du comprendre et de l’explicitation, c’est-à-dire de l’interprétation philologique. Celle-ci appartient à la sphère de la connaissance scientifique. Une telle connaissance exige la rigueur de la légitimation fondatrice. La preuve scientifique n’a pas le droit de présupposer déjà ce que sa tâche est de fonder. Mais si l’explicitation doit à chaque fois déjà nécessairement se mouvoir dans le compris et se nourrir de lui, comment pourrait-elle produire des résultats scientifiques sans se mouvoir en cercle, surtout si la compréhension présupposée se meut de surcroît au sein   de la connaissance commune des hommes et du monde ? Or le cercle, suivant les règles les plus élémentaires de la logique, est circulus vitiosus. Du coup, le travail de l’explicitation historique se trouvera a priori proscrit du domaine de la connaissance rigoureuse. Comme on n’arrive pas à se débarrasser de ce fait du cercle dans le comprendre, force est à la science historique de se contenter de possibilités de connaissance moins rigoureuses. On lui permet sans doute, dans une certaine mesure, de compenser ce défaut en invoquant la « signification spirituelle » de ses « objets ». Mais l’idéal serait naturellement, de l’avis même de l’historien, que le cercle pût être évité et que naquît l’espoir de créer une bonne fois une histoire aussi indépendante du point de vue de l’observateur que l’est - soi-disant - la connaissance de la nature.

Et pourtant, voir dans ce cercle un cercle vicieux et chercher les moyens de l’éviter, ou [153] même simplement l’« éprouver » comme une imperfection inévitable, cela signifie mécomprendre radicalement le comprendre. Ce dont il y va, ce n’est point d’ajuster le comprendre et l’explicitation à un idéal de connaissance qui n’est lui-même qu’une forme déchue du comprendre - celle qui préside à la tâche légitime de saisir le sous-la-main dans l’incompréhensibilité qui lui est essentielle. Le remplissement des conditions fondamentales d’un expliciter possible consiste bien plutôt à ne pas méconnaître celui-ci en ses conditions essentielles d’accomplissement. Ce qui est décisif, ce n’est pas de sortir du cercle, c’est de s’y engager convenablement. Ce cercle du comprendre n’est point un cercle où se meut un mode quelconque de connaissance, mais il est l’expression de la structure existentiale de préalable du Dasein lui-même. Rien ne justifie de ravaler le cercle au rang de cercle vicieux, serait-il même toléré comme tel. En lui s’abrite une possibilité positive   du connaître le plus originaire, qui bien entendu n’est saisie comme il faut qu’à condition que l’explicitation ait compris que sa tâche première, constante et ultime reste non pas de se laisser pré-donner la pré-acquisition, la prévision et l’anti-cipation par des « intuitions » ou des concepts populaires, mais, en les élaborant, d’assurer toujours son thème scientifique à partir des choses mêmes. Parce que le comprendre, en son sens existential, est le pouvoir-être du Dasein lui-même, les présuppositions ontologiques de la connaissance historique excèdent fondamentalement l’idée de rigueur des sciences les plus exactes. La mathématique n’est pas plus rigoureuse que l’histoire, elle est seulement plus étroite quant à la sphère des fondements existentiaux dont elle relève.

Le « cercle » dans le comprendre appartient à la structure du sens, phénomène qui est enraciné dans la constitution existentiale du Dasein, dans le comprendre explicitatif. L’étant pour lequel, en tant qu’être-au-monde, il y va de son être même, a une structure ontologique circulaire. Toutefois, si l’on songe que le « cercle » appartient ontologiquement à un mode d’être de l’être-sous-la-main (à la réalité subsistante), on devra en général éviter de caractériser ontologiquement par un tel phénomène quelque chose comme le Dasein.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1NT: Autrement dit : pour avoir simplement quelque chose devant soi, et ainsi pouvoir le fixer uniquement du regard, il faut ne plus le comprendre, ce qui veut dire que le comprendre est antérieur à la saisie de quelque chose comme « libre ».