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Sein und Zeit

Être et temps : § 2. La structure formelle de la question de l’être.

Ser e Tempo

sábado 2 de julho de 2011, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

La question du sens de l’être doit être posée. Si elle est une, ou plutôt la question-fondamentale, alors un tel questionner requiert une transparence appropriée. Par suite, il nous faut brièvement élucider ce qui appartient en général à une question, afin de rendre visible à partir de là la question de l’être comme question insigne.

Tout questionner est un chercher. Tout chercher reçoit son orientation préalable de ce qui est cherché. Le questionner est un chercher connaissant de l’étant en son « être-que » et son « être-ainsi ». Le chercher connaissant peut devenir « recherche », en tant que détermination qui libère ce qui est en question. Le questionner a, en tant que tel, quelque chose dont il s’enquiert : son questionné. Mais s’enquérir de… est d’une certaine manière s’enquérir auprès de… Au questionner, outre le questionné, appartient donc un interrogé. Enfin, lorsqu’une question est recherche, c’est-à-dire spécifiquement théorique, il faut que le questionné soit déterminé et porté au concept. Le questionné inclut donc, à titre de proprement intentionné, le demandé : ce auprès de quoi le questionnement touche au but. Le questionnement lui-même, en tant que comportement d’un étant, celui qui questionne, a un caractère d’être propre. Un questionnement peut être accompli en tant que « simple information   », ou bien en tant que position de question explicite. La spécificité de cette dernière consiste en ce que le questionnement devient préalablement transparent pour lui-même du point de vue de tous les caractères constitutifs cités de la question même.

La question qui s’enquiert du sens de l’être doit être posée. Ainsi nous trouvons-nous devant la nécessité d’élucider la question de l’être par rapport aux moments structurels cités.

En tant que chercher, le questionner a besoin d’une orientation préalable à partir du cherché. Par suite, le sens de l’être doit nécessairement nous être déjà disponible d’une certaine manière. On l’a suggéré : nous nous mouvons toujours déjà dans une compréhension de l’être. C’est de celle-ci que prend naissance la question expresse du sens de l’être et la tendance vers son concept. Nous ne savons pas ce qu’« être » signifie. Mais pour peu que nous demandions : « Qu’est-ce que l’“être” ? », nous nous tenons dans une compréhension du « est », sans que nous puissions fixer conceptuellement ce que le « est » signifie. Nous ne connaissons même pas l’horizon   à partir duquel nous devrions saisir et fixer le sens. Cette compréhension moyenne et vague de l’être est un fait.

Cette compréhension de l’être a beau être flottante, confuse, toute proche d’une simple connaissance verbale, cette indétermination de la compréhension toujours déjà disponible de l’être n’en est pas moins elle-même un phénomène positif, qui requiert un éclaircissement. Néanmoins, une recherche sur le sens de l’être ne prétendra pas apporter celui-ci dès le commencement. L’interprétation de la compréhension moyenne de l’être ne peut recevoir son fil conducteur nécessaire que du concept élaboré de l’être. C’est à partir de la clarté du concept et des modes de compréhension explicite qui lui appartiennent qu’il faudra établir ce que vise la compréhension obscurcie — ou non encore éclairée — de l’être, et quels types d’obscurcissement, ou d’empêchement d’un éclairage explicite du sens de l’être, sont possibles et nécessaires.

En outre, la compréhension moyenne, vague de l’être peut être contaminée par des théories ou des opinions traditionnelles sur l’être, ces théories demeurant cependant inapparentes en tant que sources de la compréhension dominante. — Le cherché dans le questionnement de l’être n’est pas quelque chose de totalement inconnu, même si c’est d’abord quelque chose d’absolument insaisissable.

Le questionné de la question à élaborer est l’être : ce qui détermine l’étant comme étant, ce par rapport à quoi l’étant, de quelque manière qu’il soit élucidé, est toujours déjà compris. L’être de l’étant n’« est » pas lui-même un étant. Le premier pas philosophique dans la compréhension du problème de l’être consiste à ne pas mython tina diegeisthai [1], « raconter d’histoire », c’est-à-dire à ne pas déterminer l’étant comme étant en sa provenance par le recours à un autre étant, comme si l’être avait le caractère d’un étant possible. L’être comme questionné requiert donc un mode propre de mise en lumière, qui se distingue essentiellement de la découverte de l’étant. Par suite le demandé, le sens de l’être, requerra lui aussi une conceptualité propre, qui se dissocie à nouveau essentiellement des concepts où l’étant atteint sa déterminité significative.

Dans la mesure où l’être constitue le questionné et où être veut dire être de l’étant, c’est l’étant lui-même qui apparaît comme l’interrogé de la question de l’être. C’est lui qui, pour ainsi dire, a à répondre de son être. Mais s’il doit pouvoir révéler sans falsification les caractères de son être, il faut alors que, de son côté, il soit d’abord devenu accessible tel qu’il est en lui-même. Du point de vue de son interrogé, la question de l’être exige l’obtention et la consolidation préalable du mode correct d’accès à l’étant. Seulement, nous appelons « étant » beaucoup de choses, et dans beaucoup de sens. Étant : tout ce dont nous parlons, tout ce que nous visons, tout ce par rapport à quoi nous nous comportons de telle ou telle manière — et encore ce que nous sommes nous-mêmes, et la manière dont nous le sommes. L’être se trouve dans le « que » et le « quid   », dans la réalité, dans l’être-sous-la-main, dans la subsistance, dans la validité, dans l’être-là [existence], dans le « il y a ». Sur quel étant le sens de l’être doit-il être déchiffré, dans quel étant la mise à découvert de l’être doit-elle prendre son départ ? Ce point de départ est-il arbitraire, ou bien un étant déterminé détient-il une primauté dans l’élaboration de la question de l’être ? Quel est cet étant exemplaire et en quel sens a-t-il une primauté ?

Si la question de l’être doit être posée expressément et être accomplie dans une pleine transparence d’elle-même, alors une élaboration de cette question, d’après les élucidations antérieures, exige l’explication du mode de visée de l’être, du comprendre et du saisir conceptuel du sens, la préparation de la possibilité du choix correct de l’étant exemplaire, l’élaboration du mode authentique d’accès à cet étant. Or viser, comprendre et concevoir, choisir, accéder sont des comportements constitutifs du questionner, et ainsi eux-mêmes des modes d’être d’un étant déterminé, de l’étant que nous, qui questionnons, nous sommes à chaque fois nous-mêmes. Élaboration de la question de l’être veut donc dire : rendre transparent un étant — celui qui questionne — en son être. En tant que mode d’être d’un étant, le questionner de cette question est lui-même essentiellement déterminé par ce qui est en question en lui — par l’être. Cet étant que nous sommes toujours nous-mêmes et qui a entre autres la possibilité essentielle du questionner, nous le saisissons terminologiquement comme DASEIN  . La position expresse et transparente de la question du sens de l’être exige une explication préalable adéquate d’un étant (le Dasein) au point de vue de son être.

Mais pareille entreprise ne se meut-elle point dans un cercle manifeste ? Devoir d’abord nécessairement déterminer un étant en son être, puis, sur cette base, vouloir poser seulement la question de l’être — qu’est-ce d’autre que tourner en rond ? N’est-ce pas déjà « présupposer » pour l’élaboration de la question ce que seule la réponse à cette question doit apporter ? Mais ces objections formelles — ainsi de l’argument cité sur le « cercle dans la démonstration », qu’il n’est toujours que trop aisé d’alléguer dans le domaine de la recherche des principes — sont toujours stériles lorsqu’il est question des chemins concrets d’une recherche. Loin d’apporter quoi que ce soit à la compréhension de la chose, elles empêchent de pénétrer dans le champ de la recherche.

Du reste, il n’y a en réalité dans la problématique qu’on vient de caractériser aucun cercle. L’étant peut très bien être déterminé en son être sans que pour cela le concept explicite du sens de l’être doive être déjà disponible. Autrement, aucune connaissance ontologique n’aurait jamais pu se constituer, et l’on ne saurait en nier l’existence de fait. L’« être » est assurément « présupposé » dans toutes les ontologies antérieures, mais non pas en tant que concept disponible — non pas comme ce comme quoi il est recherché. La « présupposition » de l’être a le caractère d’une prise préalable de perspective sur l’être, de telle manière qu’à partir de cette perspective l’étant prédonné soit provisoirement articulé en son être. Cette perspective directrice sur l’être jaillit de la compréhension moyenne de l’être où nous nous mouvons toujours déjà et qui finalement appartient à la constitution essentielle du Dasein. Un tel « présupposer » n’a rien à voir avec la postulation d’un principe d’où une suite de propositions serait déductivement dérivée. S’il ne peut y avoir en général de « cercle démonstratif » dans la problématique du sens de l’être, c’est parce que ce dont il y va avec la réponse à cette question n’est point une fondation déductive, mais la mise en lumière libérante d’un fond.

Mais si la question du sens de l’être ne commet aucun « cercle démonstratif », elle ne s’en caractérise pas moins par une « rétro-« et « pré-référence » du questionné (être) au questionner en tant que mode d’être d’un étant. Ce concernement essentiel du questionner par son questionné appartient au sens le plus propre de la question de l’être. Or cela signifie simplement que l’étant qui a le caractère du Dasein est lui-même en rapport — et peut-être même en un rapport insigne — à la question de l’être. Or à travers ce rapport un étant déterminé ne se trouve-t-il pas déjà assigné en sa primauté d’être ? L’étant exemplaire qui doit fonctionner comme l’interrogé premier de la question de l’être n’est-il pas déjà prédonné ? Mais il s’en faut que les élucidations précédentes suffisent à manifester la primauté du Dasein, ou à décider de sa fonction possible ou même nécessaire d’étant à interroger primairement. Au moins quelque chose comme une primauté du Dasein s’est-elle annoncée à nous.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1PLATON, Sophiste, 242 c.