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Jonas (Arendt:89-91) – natalidade e mortalidade

quinta-feira 16 de maio de 2024, por Cardoso de Castro

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O nascimento (Gebürtlichkeit) é, juntamente com a morte (Sterblichkeit), a categoria que define a existência humana para Hannah Arendt   ou, em suas palavras, a "natalidade" (Natalität) que contrabalança a "mortalidade" (Mortalität). Sejamos claros. Com "natalidade", Hannah Arendt não está apenas cunhando uma nova palavra, ela está, na verdade, introduzindo uma nova categoria na doutrina filosófica do homem. Até agora, a morte tem estado no centro da reflexão, e a meditatio mortis, a meditação sobre a morte, nunca esteve muito longe do centro da reflexão religiosa e filosófica. Mas sua contrapartida, o fato de que cada um de nós nasce e aparece como um recém-chegado ao mundo, tem sido estranhamente negligenciada na reflexão sobre nosso ser. (Por exemplo, tudo o que Descartes   conseguiu extrair desse fato infeliz foi a observação sombria de que, quando crianças, ou seja, antes de desenvolvermos um julgamento crítico, nossos educadores nos alimentavam com falsas opiniões: Discurso sobre o Método, Parte II). Portanto, Hannah Arendt está intencionalmente propondo algo novo quando diz: "a ação está ligada à condição fundamental da natalidade" (p. 43).

Courtine-Denamy

La naissance (Gebürtlichkeit) est avec la mort (Sterblichkeit) la catégorie déterminante de l’existence humaine pour Hannah Arendt, ou pour reprendre ses termes, la «natalité» (Natalitât) qui fait contrepoids à la «mortalité» (Mortalität). Entendons bien. Par «natalité», Hannah Arendt ne se contente pas de forger un mot nouveau, mais elle introduit bel et bien une nouvelle catégorie dans la doctrine philosophique de l’homme. Jusqu’à présent, c’est la mort qui a été au centre de la réflexion et la meditatio mortis, la méditation sur la mort n’a jamais été très éloignée du centre de la réflexion religieuse et philosophique. Mais sa contrepartie, le fait que chacun d’entre nous soit né et soit apparu comme un nouveau venu au monde, a été étrangement négligée dans la réflexion sur notre être. (Par exemple, tout ce que Descartes a su tirer de ce fait fâcheux, tenait dans l’observation morose qu’enfants, c’est-à-dire avant que ne se développe le jugement critique, nos éducateurs nous ont gavé de fausses opinions : Discours de la méthode, IIe partie). Ainsi Hannah Arendt avance-t-elle intentionnellement quelque chose de nouveau lorsqu’elle affirme : «l’action est liée à la condition fondamentale de la natalité» (p. 43).

Le nouveau commencement qui advient avec chaque naissance ne peut être mis en valeur dans le monde que parce que le nouveau venu possède la faculté d’amorcer lui-même un nouveau commencement, c’est-à-dire d’agir […] De plus, l’action étant l’activité politique par excellence, il se pourrait fort bien que la natalité représentât un fait tout aussi décisif pour la pensée politique, que la mortalité, pour la pensée métaphysique et philosophique, et en Occident   depuis Platon  . (p. 43)

L’idée centrale est la suivante : le fait que chacun ait commencé à être, fait de lui-même un commencement potentiel, c’est-à-dire quelqu’un qui peut commencer quelque chose de nouveau dans le monde grâce à l’action :

C’est parce que chaque homme, en vertu de sa naissance est un initium, un commencement et un nouveau-venu au monde, que les hommes peuvent prendre des initiatives et mettre quelque chose de nouveau en mouvement […] ce que l’homme crée n’est pas le début de quelque chose qui a déjà été créé et qui est là dans son essence […] mais c’est le commencement d’un être qui possède par lui-même la capacité de commencer : c’est le commencement du commencement ou le principe même du commencement. C’est avec la création de l’homme que le principe du commencement est venu au monde […] ce qui n’est évidemment qu’une façon de dire qu’avec la création de l’homme en tant que quelqu’un, fut créée la liberté. (pp. 233-234)

Le fait que l’homme soit capable d’action au sens de commencer quelque chose de nouveau, ne signifie rien d’autre […] en ce cas si ce n’est que l’improbable lui-même est encore probable et que ce à quoi on ne peut tout simplement pas s’attendre […] peut pourtant être espéré. Et cette disposition pour ce qui est tout simplement imprévisible présuppose finalement la singularité de chaque homme qui est différent de tous ceux qui ont été, sont et seront, cette singularité ne consistant pas tant dans un état de fait de qualités déterminées, que bien plutôt dans le fait de la natalité qui fonde la communauté des hommes et en vertu de laquelle chaque homme est apparu au monde comme quelqu’un de nouveau. Compte tenu de cette singularité que révèle le fait de la naissance, tout se passe comme si l’acte divin de la création se répétait et se vérifiait en chaque homme […] L’action en tant que nouveau commencement, correspond au fait de la naissance de quelqu’un, elle accomplit en chaque individu le fait de la natalité. (p. 234)

Ce privilège est manifestement à double tranchant puisqu’il constitue la cause non seulement de la splendeur mais également du péril des affaires humaines :

La fragilité des institutions et des lois, avec lesquelles nous cherchons inlassablement à stabiliser quelque peu le domaine des affaires humaines n’a rien à voir avec la faiblesse ou la culpabilité de la nature humaine ; elle est exclusivement imputable au fait que sans cesse des hommes nouveaux affluent en ce monde et doivent apporter leurs contributions nouvelles grâce à l’action et à la parole. (p. 249)

Comme en réplique à la sagesse mélancolique de l’Ecclésiaste, elle dit :

“Il n’y a rien de nouveau sous le soleil”, ce seraient donc les hommes qui constituent la nouveauté qui surgit dans le monde lorsqu’ils naissent et lorsque en agissant, ils mettent en jeu un nouveau commencement dans le monde ; “on n’évoque plus la manière dont cela se passait avant”, et tout se passerait donc comme si ce qui fut s’était déjà transformé et matérialisé dans le langage des hommes, pour qu’on puisse s’en souvenir (etc.). (p. 265)

Hannah Arendt était profondément pénétrée de l’espoir que représente la natalité. Lorsqu’il lui arrivait, en société, de rencontrer un jeune homme (il s’agit à nouveau d’un souvenir personnel) dans le discours duquel il lui semblait voir étinceler un tel commencement nouveau de l’éternel humanum, elle me lançait alors un regard éloquent et chuchotait ensuite une de ses citations préférées de Goethe   (Faust, II, 3e acte, après la mort d’Euphorion) : «Car du sol ils jaillissent à nouveau, Comme de toute éternité il les a enfantés» [1]. Et je suis sûr qu’aucun de ses étudiants ne se vexera si je raconte maintenant qu’elle faisait toujours allusion à eux entre nous comme «aux enfants» (sans jamais pourtant dire «mes enfants»), car il n’y avait là nulle condescendance de sa part.


Ver online : Hans Jonas


JONAS, Hans. Entre le néant et l’éternité. Tr. Sylvie Courtine-Denamy. Paris: Belin, 1996


[1Paris, Aubier Montaigne, Traduit et préfacé par Henri Lichtenberger.