Ce que nous allons invoquer dans l’interprétation suivante au titre d’une telle attestation est bien connu de l’auto-explicitation quotidienne [alltäglich] du Dasein comme voix de la conscience [Gewissen] [NA: Les considérations qui précédent et qui suivent ont été communiquées sous forme de thèses à l’occasion d’une conférence prononcée à Marboug, en juillet 1924, sous le titre Le concept de temps. [Cette conférence a été traduite en français par M. Haar et M.B. de Launay, dans le collectif Martin Heidegger, Cahiers de l’Herne, 1983. (N.d.T.).]]. Que le « fait » de la conscience [Gewissen] soit controversé, que sa fonction d’instance pour l’existence du Dasein soit diversement appréciée et ce qu’« elle dit » multiplement interprété, ce sont là des circonstances qui n’autoriseraient à sacrifier ce phénomène que si le caractère « douteux » du fait en question – ou de son interprétation – ne prouvait pas justement que l’on a ici affaire à un phénomène originaire du Dasein. L’analyse qui suit se propose de faire entrer la conscience [Gewissen] dans la pré-acquisition d’une recherche purement existentiale, guidée par une intention fondamental-ontologique. EtreTemps54
Il n’est pas question de mésinterpréter cette donnée phénoménale. Car c’est elle qui a été également prise pour point de départ pour l’interprétation de la voix de la conscience [Gewissen] comme une puissance étrangère qui pénétrerait le Dasein. En suivant cette direction interprétative, on assigne même à cette puissance ainsi fixée un possesseur, à moins que l’on ne la prenne elle-même pour une personne (Dieu) qui annonce sa présence. Parfois, inversement, on tente de récuser cette interprétation de l’appelant comme manifestation étrangère de puissance, et de régler en même temps le compte de la conscience [Gewissen] en général à l’aide d’une explication « biologique ». Mais l’une et l’autre interprétations ont déjà enjambé précipitamment la donnée phénoménale, et elles n’y ont été que trop encouragées par cette thèse tacitement directrice, mais ontologiquement dogmatique : ce qui est, c’est-à-dire ce qui est aussi factuel que l’appel, doit nécessairement être sous-la-main ; ce qui ne se laisse pas exhiber en tant qu’objectif au sens de sous-la-main n’est absolument pas. EtreTemps57
Commençons notre élucidation par la dernière des réserves citées. Dans toutes les explicitations de la conscience [Gewissen], c’est la « mauvaise » conscience [Gewissen] qui a la primauté. La conscience [Gewissen] est primairement « mauvaise ». Ce qui s’annonce ici, c’est que toute expérience de la conscience [Gewissen] commence par expérimenter quelque chose comme un « en-dette ». Mais comment, suivant cette idée de la mauvaise conscience [Gewissen], l’attestation de l’être-méchant est-elle comprise ? Le « vécu de conscience [Gewissen] » surgit après l’acte – ou l’omission – qui a été commis. La voix de la conscience [Gewissen] fait suite à l’exécution et elle renvoie à l’événement survenu par lequel le Dasein s’est chargé d’une dette. Si la conscience [Gewissen] annonce une « dette », alors elle ne peut accomplir cela en tant que con-vocation [Aufruf] à…, mais en tant que renvoi qui rappelle la dette contractée. EtreTemps59
Tout ce que révèle le fait que l’expression « bonne conscience [Gewissen] » provienne de l’expérience de la conscience [Gewissen] du Dasein quotidien [alltäglich], c’est que celui-ci, même lorsqu’il parle de « mauvaise » conscience [Gewissen], manque fondamentalement le phénomène. Car facticement, l’idée de « mauvaise » conscience [Gewissen] s’oriente sur celle de « bonne » conscience [Gewissen]. L’explicitation quotidienne [alltäglich] se tient dans la dimension du calcul et du compromis préoccupé de la « faute » et de l’« innocence », et c’est dans cet horizon que la voix de la conscience [Gewissen] est alors « vécue ». EtreTemps59
Quant à la troisième des objections citées, elle se fonde sur le fait que l’expérience quotidienne [alltäglich] de la conscience [Gewissen] ne connaît rien de tel qu’un être-ad-voqué à l’être-en-dette. Ce que nous devons concéder. Seulement, l’expérience quotidienne [alltäglich] de la conscience [Gewissen] nous garantit-elle par là que la pleine teneur possible de l’appel de la voix de la conscience [Gewissen] est entendue en elle ? De ce qu’elle invoque, suit-il que les théories de la conscience [Gewissen] fondées sur elle se soient assurées de l’horizon ontologique adéquat requis par l’analyse du phénomène ? [293] Et ce mode d’être essentiel du Dasein qu’est l’échéance ne montre-t-il pas bien plutôt que cet étant, de prime abord et le plus souvent, se comprend à partir de l’horizon de la préoccupation [Besorgen], mais qu’il détermine ontologiquement l’être au sens de l’être-sous-la-main ? Or il résulte de là un double recouvrement du phénomène : d’une part la théorie prétend discerner une séquence [Abfolge] de vécus ou de « processus psychiques » pourtant le plus souvent totalement indéterminée en son mode d’être ; d’autre part, la conscience [Gewissen] s’offre alors à l’expérience comme un juge et un moniteur, avec lequel le Dasein débat sous la forme d’une transaction. EtreTemps59
Mais si, dans l’appel, la relativité à une dette facticement « sous-la-main » ou à un acte « endettant » factuellement voulu n’a rien de primaire, et si par conséquent la conscience [Gewissen] [294] « réprimandante » et « admonitrice » n’expriment point une fonction originaire de l’appel, cela revient également à soustraire tout fondement à la première objection, celle qui prétend que l’interprétation existentiale méconnaît la fonction « essentiellement » critique de la conscience [Gewissen]. Cette première instance, comme les autres, procède elle aussi, dans une certaine mesure, d’une vue authentique sur le phénomène. En effet, rien, dans la teneur de l’appel, ne peut être mis en lumière à titre de recommandation ou d’interdiction « positive » de la voix de la conscience [Gewissen]. Mais comment cette positivité absente de la fonction de la conscience [Gewissen] sera-t-elle comprise ? Suit-il de là que le caractère de la conscience [Gewissen] soit au contraire « négatif » ? EtreTemps59