sens ontologique

La personne n’est pas une chose, n’est pas une substance, n’est pas un objet. On [48] souligne ainsi ce que Husserl [NA: Cf. dans Logos, I, loc. Cit.] suggère, lorsqu’il exige pour l’unité de la personne une constitution essentiellement autre que pour les choses naturelles. Ce que Scheler dit de la personne, il le formule également à propos des actes : « Mais jamais un acte n’est aussi objet ; car il appartient à l’essence de l’être des actes de n’être vécus que dans l’accomplissement lui-même et d’être donnés [seulement] dans la réflexion » [NA: M. SCHELER, op. cit., p. 246]. Les actes sont quelque chose de non-psychique. Il appartient à l’essence de la personne de n’exister que dans l’accomplissement des actes intentionnels, elle n’est donc essentiellement pas un objet. Toute objectivation psychique, donc toute saisie des actes comme quelque chose de psychique, est identique à une dépersonnalisation. La personne est toujours donnée comme ce qui accomplit des actes intentionnels qui sont liés par l’unité d’un sens. L’être psychique n’a donc rien à voir avec l’être-personne. Les actes sont accomplis, la personne est ce qui les accomplit. Mais quel est le sens ontologique de cet « accomplir », comment doit-on déterminer dans un sens ontologique positif le mode d’être de la personne ? En fait, l’interrogation critique ne peut en rester là. Car ce qui est en question, c’est l’être de l’homme tout entier, tel qu’on a coutume de le saisir comme unité à la fois corporelle, psychique et spirituelle. Le corps, l’âme, l’esprit, ces termes peuvent à nouveau désigner des domaines phénoménaux que l’on peut prendre pour thèmes séparés de recherches déterminées ; dans certaines limites, l’indétermination ontologique de ces domaines peut rester sans importance. Cependant, dans la question de l’être de l’homme, il est exclu d’obtenir celui-ci par la simple sommation des modes d’être – qui plus est encore en attente de détermination – du corps, de l’âme et de l’esprit. Même une tentative qui voudrait suivre une telle voie ontologique ne pourrait s’empêcher de présupposer une idée de l’être du tout. Ce qui cependant défigure et fourvoie la question fondamentale de l’être du Dasein, c’est l’orientation persistante sur l’anthropologie antico-chrétienne, dont même le personnalisme et la philosophie de la vie manquent d’apercevoir combien les fondements ontologiques en sont insuffisants. Cette anthropologie traditionnelle inclut : 1. La définition de l’homme : zoon logon echon interprétée comme : animal rationale, être vivant raisonnable. Mais le mode d’être du zoon est ici entendu au sens de l’être-sous-la-main et de la survenance. Quant au logos, il constitue un équipement de dignité supérieure, mais le mode d’être en demeure tout aussi obscur que celui de l’étant ainsi composé. 2. L’autre fil conducteur pour la détermination de l’être et de l’essence de l’homme est théologique : kai eipen ho theos : poesomen anthropon kat’ eikona hemeteran kai kath’ homoiosin [49], « faciamus hominem ad imaginem nostram et similitudinem » [NA: Genèse, I, 26.]. C’est à partir de ce texte que l’anthropologie théologique chrétienne, reprenant en même temps à son compte la définition antique, élabore une interprétation de l’étant que nous appelons homme. Mais tout comme l’être de Dieu, de même, c’est avec les moyens de l’ontologie antique que l’être de l’ens finitum est interprété ontologiquement. Au cours des temps modernes, la définition chrétienne a été déthéologisée. Cependant l’idée de la « transcendance », selon laquelle l’homme est quelque chose qui tend à se dépasser soi-même, jette ses racines dans la dogmatique chrétienne, dont nul ne dira qu’elle se soit jamais fait un problème ontologique de l’être de l’homme. Cette idée de transcendance, d’après laquelle l’homme est plus qu’un être intelligent, a exercé son influence à travers diverses métamorphoses. On peut en illustrer la provenance par les citations suivantes : « His praeclaris dotibus excelluit prima hominis conditio, ut ratio, intelligentia, prudentia, judicium non modo ad terrenae vitae gubernationem suppeterent, sed quibus transcenderet usque ad Deum et aeternam felicitatem » [NA: CALVIN, Institutio, I, 15, §8 [EtreTemps8].; (NT: Cf. le Handbuch, p 457-458. « Par ces dons admirables, le premier état de l’homme fut rendu si excellent que sa raison, son intelligence, sa prudence, son jugement ne s’appliquaient point seulement à la conduite de la vie terrestre, mais encore l’élevaient jusqu’à Dieu et à la félicité éternelle. »)]. « Denn dass der Mensch sin ufsehen hat uf Gott und sin wort, zeigt er klarlich an, dass er nach siner natur etwas Gott näher anerborn, etwas mee nachschlägt, etwas zuzugs zu jm hat, das alles on zwyfel darus flüsst, dass er nach der bildnus Gottes geschaffen ist » [NA: ZWINGLI, Von der Klarheit des Wortes Gottes, dans Deusche Schriften, t. I, p. 56.; (NA: Cf., sur cette référence, le Handbuch, p. 488-490. BW traduisaient ainsi la citation : « Mais par cela que l’homme regarde vers le haut, vers Dieu et son Verbe, il manifeste clairement qu’il est par sa nature né fort proche de Dieu, qu’il lui ressemble, qu’il a quelque rapport à lui, toutes choses qui sans doute viennent de ceci qu’il a été créé à l’image de Dieu. »)]. EtreTemps10

Dans le Dasein lui-même, au Dasein lui-même cette constitution d’être est toujours déjà en quelque manière « bien connue ». Or à partir du moment où elle doit être effectivement [59] connue, la connaissance expresse – en tant que connaissance du monde – se prend justement elle-même pour relation exemplaire de l’« âme » au monde [NT: Phrase « lourde » dans l’original, et en même temps trop expressive pour qu’on ait cru devoir la « refaire ». Heidegger parle du phénomène de la « connaissance du monde » presque comme d’une personne qui se fait passer pour ou « pose à » (sich nehmen zu… ) – en l’occurrence au « modèle » de tout être-au-monde [In-der-Welt-sein] possible. Comme c’est ici – comme toujours – de la modalité propre du phénomène qu’il s’agit, il est impossible d’affaiblir ce genre d’énoncés dans un sens métaphorique, et, par conséquent, de les traduire de manière autre que littérale.]. La connaissance du monde (noein) ou l’advocation et la discussion du « monde » (logos) fonctionne par conséquent comme le mode primaire de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] sans que celui-ci soit conçu comme tel. Or comme cette structure d’être demeure ontologiquement inaccessible, mais qu’elle est expérimentée ontiquement comme « relation » entre un étant (monde) et un autre étant (âme), comme enfin l’être est de prime abord compris grâce au point d’appui ontologique de l’étant en tant qu’intramondain, l’on tentera de concevoir cette relation entre les étants cités sur la base de ces étants et conformément au sens de leur être, bref comme être-sous-la-main. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein], bien qu’expérimenté et connu préphénoménologiquement, est rendu invisible par une interprétation ontologiquement inadéquate. On ne connaît plus maintenant cette constitution d’être – non sans la considérer comme quelque chose d’« évident » – que sous l’empreinte à elle imposée par l’interprétation inadéquate. Dès lors, elle deviendra ensuite le point de départ « évident » pour les problèmes de théorie de la connaissance ou de « métaphysique de la connaissance ». Car quoi de plus « évident » qu’un tel rapport d’un « sujet » à un « objet », et inversement ? Ce « rapport sujet-objet » doit nécessairement être présupposé. Néanmoins il demeure une présupposition parfaitement fatale, bien que, ou parce qu’inattaquable en sa facticité tant que sa nécessité ontologique et avant tout son sens ontologique sont laissés dans l’ombre. EtreTemps12

Décrire phénoménologiquement le « monde », cela signifiera par conséquent : mettre en lumière et fixer conceptuellement et catégorialement l’être de l’étant sous-la-main à l’intérieur du monde. L’étant à l’intérieur du monde, ce sont les choses, les choses naturelles et les choses « douées de valeur ». Leur choséité [Dinglichkeit] devient problème ; et comme la choséité [Dinglichkeit] des dernières s’édifie sur la choséité [Dinglichkeit] des premières, c’est l’être des choses naturelles, la nature comme telle, qui formera le thème principal. Le caractère d’être primordial des choses naturelles, des substances, est la substantialité. Qu’est-ce qui en constitue le sens ontologique ? Avec cette question, la recherche est engagée sur une voie claire et univoque. EtreTemps14

La « mondanéité [Weltlichkeit] » est un concept ontologique, qui désigne la structure d’un moment constitutif de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Or nous connaissons l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme une détermination existentiale du Dasein. La mondanéité [Weltlichkeit], par conséquent, est elle-même un existential. En nous enquérant ontologiquement du « monde », nous ne quittons donc en aucune manière le champ thématique de l’analytique du Dasein. Le « monde », au sens ontologique, n’est pas une détermination de l’étant que le Dasein n’est essentiellement pas, mais un caractère du Dasein lui-même. Ce qui n’exclut pas que le chemin de la recherche du phénomène du « monde » doive passer par l’étant intramondain et l’être de cet étant. La tâche d’une « description » phénoménologique du monde est si peu claire que sa seule détermination suffisante exige déjà des clarifications ontologiques essentielles. EtreTemps14

L’ouvrage produit ne renvoie pas seulement au pour… de son employabilité et à ce dont il est constitué : dans les conditions les plus simples de sa fabrication, il contient en même temps un renvoi à celui qui le portera et l’utilisera. L’ouvrage est taillé à sa mesure, il « est » [71] co-présent dans la naissance de l’ouvrage. Même dans la production en série, ce renvoi constitutif n’est nullement absent ; il est seulement indéterminé, il est dirigé vers n’importe qui, vers la moyenne. Dans l’ouvrage, par conséquent, ne vient pas seulement à notre rencontre de l’étant qui est à-portée-de-la-main, mais aussi de l’étant ayant le mode d’être du Dasein, pour qui le produit vient à-portée-de-la-main au sein de sa préoccupation [Besorgen] ; et du même coup fait encontre le monde où vivent les usagers – notre monde. L’ouvrage à chaque fois produit par la préoccupation [Besorgen] n’est pas seulement à-portée-de-la-main dans le monde domestique – celui de l’atelier, par exemple -, mais dans le monde public. Avec celui-ci est découverte et accessible à tous la nature du monde ambiant. Dans les voies, les routes, les points, les édifices, la nature est découverte d’une certaine manière grâce à la préoccupation [Besorgen]. Un quai de gare couvert témoigne du mauvais temps, les éclairages publics de l’obscurité, c’est-à-dire du change spécifique de la présence et de l’absence du jour – de la « position du soleil ». Dans les horloges, il est à chaque fois tenu compte d’une certaine constellation dans le système du monde. Lorsque nous regardons l’heure, nous faisons tacitement usage de la « position du soleil » d’après laquelle est établie la régulation astronomique officielle de la mesure du temps. Dans l’emploi de l’horloge, de cet étant tout d’abord à-portée-de-la-main sans s’imposer à l’attention, la nature du monde ambiant est conjointement à-portée-de-la-main. À chaque fois, la préoccupation [Besorgen] s’identifie à son monde d’ouvrage prochain, et il est essentiel à la fonction découvrante de cette identification que, suivant la modalité que celle-ci revêt à chaque fois, l’étant intramondain engagé dans le travail – c’est-à-dire dans les renvois qui le constituent – demeure découvrable selon divers degrés d’explicitation et conformément à la profondeur avec laquelle la circon-spection le pénètre. Le mode d’être de cet étant est l’être-à-portée-de-la-main. Celui-ci, toutefois, ne doit pas être compris comme un simple caractère d’appréhensibilité, comme si un « étant » rencontré de prime abord se chargeait après coup d’« aspects », ou comme si une matière du monde de prime abord sous-la-main recevait une « coloration subjective ». Une interprétation ainsi orientée perd de vue que, pour être exacte, il faudrait que l’étant fût d’abord entendu et découvert comme du pur sous-la-main qui, ensuite, devrait garder la primauté et le commandement au fur et à mesure que l’usage découvrirait et s’approprierait le « monde ». Mais pareille conception répugne déjà au sens ontologique du connaître qui, comme nous l’avons mis en évidence, est un mode fondé de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. C’est seulement en passant par l’étant à-portée-de-la-main dans l’usage et en le dépassant que le connaître peut aller jusqu’à dégager l’étant en tant que sans plus sous-la-main. L’être-à-portée-de-la-main est la détermination ontologico-catégoriale de l’étant tel qu’il est, « en soi ». Et pourtant, dira-t-on, de l’à-portée-de-la-main, il « n’y en a » que sur la base du sous-la-main. Mais s’ensuit-il – si l’on concède la thèse – que l’être-à-portée-de-la-main soit ontologiquement fondé dans l’être-sous-la-main ? EtreTemps15

Ainsi les bases ontologiques de la détermination du « monde » comme res extensa sont devenues claires : elles consistent dans l’idée non seulement non-clarifiée, mais encore déclarée non-clarifiable en son sens d’être, de la substantialité, exposée moyennant le détour par la propriété substantielle prééminente de chaque substance. D’autre part, la détermination de la substance par un étant substantiel nous livre également la raison de l’équivoque du terme. C’est la substantialité qui est visée, et pourtant elle est conquise à partir d’une constitution étante de la substance. L’ontique étant substitué à l’ontologique, l’expression substantia fonctionne tantôt au sens ontologique, tantôt au sens ontique, mais le plus souvent dans un sens ontico-ontologique confus. Mais ce qui s’abrite derrière cette imperceptible différence de signification, c’est l’impuissance à maîtriser le problème fondamental de l’être. Son élaboration exige de se mettre convenablement « sur la trace » des équivoques ; qui fait cette tentative ne « s’occupe » pas « de simples significations verbales », mais doit se risquer, [95] pour clarifier de telles « nuances », dans la problématique la plus originaire des « choses mêmes ». EtreTemps20

Comme nous l’avons déjà suggéré (§14 [EtreTemps14]), la méconnaissance du monde et de l’étant de prime abord rencontré n’est point fortuite, elle n’est pas une simple bévue qu’il faudrait ensuite rattraper mais elle se fonde dans un mode d’être essentiel du Dasein. C’est lorsque l’analytique du Dasein aura rendu transparentes les principales structures du Dasein qui ont le plus d’importance dans le cadre de cette problématique, lorsque l’horizon de sa possible compréhensibilité aura été assigné au concept de l’être en général et, du même coup, lorsque l’être-à-portée-de-la-main et l’être-sous-la-main seront devenus originairement intelligibles en leur sens ontologique qu’il sera seulement possible d’établir dans son droit philosophique notre actuelle critique de l’ontologie cartésienne du monde qui, au fond, demeure aujourd’hui encore dominante. EtreTemps21

Le phénomène de la communication doit, ainsi qu’il a déjà été indiqué dans l’analyse [de l’énoncé], être compris en un sens ontologiquement large. Une « communication » énonciative, un « communiqué » par exemple, est un cas particulier de la communication saisie existentialement de manière fondamentale. C’est en celle-ci que se constitue l’articulation de l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] compréhensif. C’est elle qui accomplit le « partage » de la co-affection et de la compréhension de l’être-avec [Mitsein]. La communication n’est jamais quelque chose de tel qu’un transport de vécus, d’opinions et de souhaits, par exemple, de l’intériorité d’un sujet à celle d’un autre. L’être-Là-avec [Mitdasein] est essentiellement déjà manifeste dans la co-affection et dans la co-compréhension. L’être-avec [Mitsein], dans le parler, est « expressément » partagé, c’est-à-dire qu’il est déjà, alors même que, non partagé, il n’est point saisi ni approprié. EtreTemps34

Notre analyse part du concept traditionnel de la vérité et tente d’en libérer les fondements ontologiques (a). À partir de ces fondements, le phénomène originaire de la vérité deviendra visible, ce qui doit nous permettre de mettre au jour le caractère dérivé du concept traditionnel (b). Après quoi la recherche mettra en évidence qu’à la question de l’« essence » de la vérité appartient nécessairement la question du mode d’être de la vérité. Conjointement sera tiré au clair le sens ontologique de l’expression : « Il y a de la vérité », et le mode de la nécessité avec laquelle « nous devons présupposer » qu’« il y a » de la vérité (c). EtreTemps44

Ou bien n’est-il pas permis de s’enquérir du sens ontologique de la relation entre réel et idéal (de la methexis) ? La relation doit subsister – mais que veut dire ontologiquement cette subsistance ? EtreTemps44

Supposons que quelqu’un, le dos tourné à un mur, prononce cet énoncé vrai : « Le tableau accroché au mur est penché. » Cet énoncé se légitimera si celui qui l’a prononcé se retourne et perçoit le tableau mal accroché au mur. Mais qu’est-ce qui est proprement légitimé dans cette légitimation ? Quel est le sens de la confirmation de l’énoncé ? Serait-ce par exemple l’accord de la « connaissance », ou du « connu », avec la chose sur le mur, qui est constaté ? Oui et non – suivant que l’on interprète de manière phénoménalement adéquate ce que signifie l’expression « le connu ». À quoi l’auteur de l’énoncé, lorsque – ne percevant pas le tableau, mais « se le représentant seulement » – il juge, est-il rapporté ? À des « représentations » ? Sûrement pas, si du moins la représentation doit signifier ici le représenter comme procès psychique. Pas davantage n’est-il référé à des représentations au sens du représenté, si ce mot désigne une « image » de la chose réelle au mur. Bien plutôt l’énoncer « simplement représentant », suivant son sens le plus propre, est-il référé au tableau réel accroché au mur. Lui seul, et rien d’autre, est visé. Toute interprétation qui voudrait [218] insérer ici un nouvel élément censément visé dans l’énoncer seulement représentant falsifierait la réalité phénoménale de ce sur quoi l’énoncé est porté. L’énoncer est un être pour la chose étante elle-même. Et qu’est-ce qui est légitimé par la perception ? Rien d’autre que ceci que c’est l’étant lui-même qui était visé dans l’énoncé. Ce qui vient à confirmation, c’est que l’être énonçant pour la chose énoncée est une mise au jour de l’étant, c’est qu’il découvre l’étant auquel il se rapporte. Ce qui est confirmé, c’est l’être-découvrant de l’énoncé. Le connaître, en cet accomplissement de légitimation, demeure alors uniquement rapporté à l’étant lui-même. C’est en celui-ci même que se joue, pour ainsi dire, la confirmation. L’étant visé lui-même se montre tel qu’il est en lui-même, autrement dit il est découvert identiquement tel qu’il est mis au jour comme étant dans l’énoncé. Il ne s’agit point de comparer des représentations, ni entre elles, ni en relation à la chose réelle. Ce qui se trouve légitimé n’est point un accord entre le connaître et l’objet ou même entre du psychique et du physique – et pas non plus entre des « contenus de conscience [Gewissen] » – mais, uniquement, l’être-découvert de l’étant lui-même, lui dans le comment de son être-découvert. Celui-ci se confirme en ceci que la chose énoncée, c’est-à-dire l’étant lui-même, se montre comme le même. Confirmation signifie : le se montrer de l’étant en son identité [NA: Pour l’idée de légitimation comme « identification », cf. HUSSERL, Recherches logiques, t. II-2, Recherche VI ; sur « évidence et vérité », id., §36 [EtreTemps36]-39, p. 115 sq. (NT: trad. citée, p. 143 sq.) Les exposés courants de la théorie phénoménologique de la vérité se restreignent à ce que Husserl en dit dans les Prolégomènes (t. I), dont la fonction est critique, et notent le rapport de cette théorie avec la doctrine de la proposition de Bolzano ; en revanche, ils laissent de côté les interprétations phénoménologiques positives qui, quant à elles, sont radicalement différentes de celle de Bolzano. Le seul à avoir positivement reçu – bien qu’il se situât en dehors de la recherche phénoménologique – les analyses citées fut E. Lask, dont la Logik der Philosophie de 1911 est aussi fortement marquée par la VIème Recherche (« Intuitions sensible et catégoriale », p. 128 sq.) que sa Lehre vom Urteil [Doctrine du jugement] l’est par les chapitres cités sur l’évidence et la vérité.]. La confirmation s’accomplit sur la base d’un se-montrer de l’étant. Mais cela n’est possible que dans la mesure où ce connaître qui énonce et se confirme est lui-même, quant à son sens ontologique, un être découvrant pour l’étant réel. EtreTemps44

Cependant, il a été montré par notre analyse antérieure de la mondanéité [Weltlichkeit] et de l’étant intramondain que la découverte de l’étant intramondain se fonde dans l’ouverture du monde. Or l’ouverture est le mode fondamental du Dasein conformément auquel il est son Là. L’ouverture est constituée par l’affection, le comprendre et le parler, et elle concerne cooriginairement le monde, l’être-à et le Soi-même. La structure du souci comme être-déjà-en-avant-de-soi-dans-un-monde-comme-être-auprès-de-l’étant-intramondain abrite en soi l’ouverture du Dasein. C’est avec et par elle qu’il y a de l’être-découvert, et par conséquent [221] c’est seulement avec l’ouverture du Dasein que le phénomène le plus originaire de la vérité est atteint. Ce qui a été plus haut mis au jour à propos de la constitution existentiale du Là [NA: Cf. supra, p. [134] sq.] et par rapport à l’être quotidien [alltäglich] du Là [NA: Cf. supra, p. [166] sq.] ne concernait rien d’autre que le phénomène le plus originaire de la vérité. Pour autant que le Dasein est essentiellement son ouverture, qu’en tant qu’ouvert il ouvre et découvre, il est essentiellement « vrai ». Le Dasein est « dans la vérité ». Cet énoncé a un sens ontologique. Il ne veut pas dire que le Dasein, ontiquement, est toujours ou même seulement à chaque fois expert « en toute vérité », mais qu’à sa constitution existentiale appartient l’ouverture de son être le plus propre. EtreTemps44

La recherche exposée dans la présente section parcourra donc les étapes suivantes l’être-tout possible du Dasein et l’être pour la mort (chapitre I) ; l’attestation par le Dasein d’un pouvoir-être authentique et la résolution (chapitre II) ; le pouvoir-être-tout authentique du Dasein et la temporalité comme sens ontologique du souci (chapitre III) ; temporalité et quotidienneté [Alltäglichkeit] (chapitre IV) ; temporalité et historialité (chapitre V) ; la temporalité et l’intratemporalité comme origine du concept vulgaire du temps (chapitre VI) (NA: Au XIXème siècle, S. Kierkegaard s’est emparé expressément du problème de l’existence comme problème existentiel, et il l’a médité de façon pénétrante. Néanmoins, la problématique existentiale lui est si étrangère qu’il se tient, du point de vue ontologique, entièrement dans la mouvance de Hegel et de la philosophie antique telle que dévoilée par lui. Par suite, il y a plus à apprendre philosophiquement de ses écrits « édifiants » que de ses écrits théoriques – exception faite pour son essai sur Le concept d’angoisse.). EtreTemps45

Au souci, tel qu’il forme la totalité du tout structurel du Dasein, répugne manifestement, conformément à son sens ontologique, un être-tout possible de cet étant. Car le moment primaire du souci, le « en-avant-de-soi », signifie bel et bien que le Dasein existe à chaque fois en-vue-de-soi-même. « Aussi longtemps qu’il est », jusqu’à sa fin, le Dasein se rapporte à son pouvoir-être. Même lorsque, existant encore, il n’a plus rien « devant soi », qu’il a « soldé son compte », son être est encore déterminé par le « en-avant-de-soi ». Le désespoir, par exemple, n’arrache pas le Dasein à ses possibilités, et l’attitude sans illusions de celui qui est « prêt à tout » n’abrite pas moins en elle le « en-avant-de-soi ». Ainsi, ce moment structurel du souci indique sans équivoque qu’il y a encore dans le Dasein un excédent, quelque chose qui, en tant que pouvoir-être de lui-même, n’est pas encore devenu « effectif ». Dans l’essence de la constitution fondamentale du Dasein, il y a donc un constant inachèvement. La non-totalité signifie un excédent du pouvoir-être. EtreTemps46

Du reste, même s’il était possible et loisible de se représenter « psychologiquement » le mourir des autres en les y assistant, la guise d’être en question à savoir la venue-à-la-fin n’en serait pas davantage saisie. La question, en effet, concerne le sens ontologique du mourir de celui qui meurt en tant que possibilité d’être de son être, et non pas le mode d’être-Là-avec [Mitdasein] et d’être-Là-encore du défunt avec les survivants. La consigne de prendre la mort expérimentée chez autrui comme thème pour l’analyse de la fin et de la totalité du Dasein ne peut donc donner ni ontiquement ni ontologiquement ce qu’elle prétend pouvoir donner. EtreTemps47

Finir signifie d’abord cesser, et cela derechef dans des sens ontologiquement divers. La pluie cesse. Elle n’est plus sous-la-main. Le chemin cesse. Ce finir ne fait pas disparaître le chemin, mais cette cessation détermine au contraire le chemin comme ce chemin sous-la-main. Le finir comme cessation peut donc signifier : passer dans le non-être-sous-la-main, ou [245] bien, au contraire, ne commencer à être sous-la-main qu’en finissant. Lequel dernier mode du finir, à son tour, peut soit déterminer un sous-la-main inachevé – un chemin en construction s’interrompt – soit constituer au contraire l’« achèvement » d’un sous-la-main, au sens où c’est avec le dernier coup de pinceau que le tableau est achevé. EtreTemps48

Et pourtant, le sens ontologique de la néantité [Nichtheit] de cette nullité [Nichtigkeit] existentiale ne laisse pas de rester obscur, et cela ne vaut pas moins de l’essence ontologique du ne-pas en général. EtreTemps58

Avec l’élaboration de la résolution comme un se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette le plus propre, notre recherche est devenue capable de délimiter le sens ontologique de ce pouvoir-être-tout authentique du Dasein dont elle était en quête. Désormais, l’authenticité du Dasein n’est ni un titre vide, ni une idée fictive. Néanmoins, l’être pour la mort authentique que nous avons existentialement déduit en le manifestant comme pouvoir-être-tout authentique demeure encore un projet purement existential, auquel l’attestation propre du Dasein fait défaut. C’est seulement si celle-ci est trouvée que la recherche peut satisfaire à la tâche exigée par sa problématique, d’une mise en lumière d’un pouvoir-être-tout du Dasein existentialement confirmé et clarifié ; comme c’est seulement si cet étant est devenu phénoménalement accessible en son authenticité et totalité que la question du sens de l’être de cet étant à l’existence duquel appartient la compréhension de l’être en général aura atteint un sol ferme. EtreTemps60

Toute méthode véritable se fonde dans un regard-préalable adéquat sur la constitution fondamentale de l’« objet », ou du domaine d’objets à ouvrir. Par suite ; toute méditation méthodique véritable – qu’il convient de bien distinguer de vides explications techniques – apporte en même temps une révélation sur le mode d’être de l’étant thématique. La clarification des possibilités, des requêtes et des limites méthodiques de l’analytique existentiale en général peut seule assurer à son étape fondative – le dévoilement du sens d’être du souci – la transparence qui lui est nécessaire. L’interprétation du sens ontologique du souci doit nécessairement s’accomplir sur la base de la pleine et constante re-présentation phénoménologique de la constitution existentiale du Dasein telle qu’elle a été jusqu’ici dégagée. EtreTemps61

Le phénomène du souci ainsi clarifié pour la première fois de manière satisfaisante, c’est lui que nous questionnerons ensuite quant à son sens ontologique. La détermination de ce sens deviendra libération de la temporalité. Cette mise en lumière ne conduit point dans des [304] régions éloignées, particulières du Dasein, elle com-prend seulement la réalité phénoménale totale de la constitution existentiale fondamentale du Dasein dans les fondements derniers de son intelligibilité ontologique propre. La temporalité est expérimentée de manière phénoménalement originaire dans l’être-tout originaire du Dasein – dans le phénomène de la résolution devançante. Si la temporalité s’annonce originairement en celle-ci, alors, selon toute présomption, la temporalité de la résolution devançante est un mode insigne de temporalité. La temporalité peut se temporaliser en diverses possibilités et selon diverses guises. Les possibilités fondamentales de l’existence, authenticité et inauthenticité, se fondent ontologiquement dans des temporalisations possibles de la temporalité. EtreTemps61

Nous assurerons le phénomène originaire de la temporalité en montrant que toutes les structures fondamentales du Dasein jusqu’ici établies sont au fond « temporelles » du point de vue de leur totalité, de leur unité et de leur déploiement possibles, et qu’elles doivent être conçues comme modes de temporalisation de la temporalité. Ainsi s’imposera pour l’analytique existentiale, à partir de la libération de la temporalité, la tâche de répéter l’analyse déjà accomplie du Dasein en interprétant ses structures essentielles en direction de leur temporalité. Quelles sont les directions fondamentales des analyses ainsi exigées ? C’est la temporalité elle-même qui les pré-dessine. Par suite, ce chapitre présentera la division suivante : le pouvoir-être-tout existentiellement authentique du Dasein comme résolution devançante (§62 [EtreTemps62]) ; la situation herméneutique conquise pour une interprétation du sens d’être du souci et le caractère méthodique de l’analytique existentiale en général (§63 [EtreTemps63]) ; souci et [305] ipséité (§64 [EtreTemps64]) ; la temporalité comme sens ontologique du souci (§65 [EtreTemps65]) ; la temporalité du Dasein et les tâches d’une répétition originaire de l’analyse existentiale suscitées par elle (§66 [EtreTemps66]). EtreTemps61

Certes Kant montre, en se conformant rigoureusement à la réalité phénoménale donnée dans le dire-Je, que les thèses ontiques sur la substance psychique déduites des caractères cités sont illégitimes. Toutefois, cela ne revient qu’à récuser une fausse explication ontique du Moi. Par là, l’interprétation ontologique de l’ipséité n’est nullement gagnée, ni même assurée et positivement préparée. Quand bien même il s’efforce, plus rigoureusement que ses devanciers, de maintenir la teneur phénoménale du dire-Je, Kant glisse de nouveau dans la [319] même ontologie inadéquate du substantiel dont pourtant il avait dénié, du point de vue théorique, les fondements ontiques au Moi. C’est ce qu’il nous faut montrer plus précisément, afin de fixer par là le sens ontologique de l’amorçage de l’analyse de l’ipséité dans le dire-Je. Bien sûr, nous n’aurons à citer, à titre d’illustration, l’analyse kantienne du « Je pense » qu’autant que le requiert la clarification de la problématique citée [NA: Pour l’analyse de l’aperception transcendantale, v. maintenant M. HEIDEGGER, Kant et le problème de la métaphysique, 2ème éd. inchangée, 1951, IIIème section.]. EtreTemps64

Double est l’apport positif de l’analyse kantienne : d’une part, Kant aperçoit bien l’impossibilité de reconduire ontiquement le Moi à une substance ; d’autre part, il maintient le [320] Je comme « Je pense ». Néanmoins, il saisit à nouveau ce Je comme sujet, donc dans un sens ontologiquement inadéquat. Car le concept ontologique de substance ne caractérise point l’ipséité du Moi en tant que Soi-même, mais l’identité et la constance d’un étant toujours déjà sous-la-main. Déterminer ontologiquement le Je comme sujet, cela veut dire le poser comme un toujours déjà sous-la-main. L’être du Je est compris comme réalité de la res cogitans [NA: Que Kant, au fond, ait persisté à saisir le caractère ontologique du Soi-même de la personne dans l’horizon de l’ontologie inadéquate du sous-la-main intramondain, en tant que « substantiel », c’est ce qui devient plus clair à la lumière du matériel élaboré par H. HEIMSOETH dans son essai « Persönlichkeitsbewusstsein und Ding an sich in der Kantischen Philosophie » [« Conscience de la personnalité et chose en soi dans la philosophie kantienne »] dans le collectif I. Kant, pour le bicentenaire de sa naissance, 1924. La tendance de cet essai dépasse le simple exposé historique et vise le problème « catégorial » de la personnalité. L’auteur dit : « Encore et toujours, on ne prend pas suffisamment garde à l’étroite collaboration, pratiquée et planifiée par Kant, entre raisons théorique et pratique ; on manque d’apercevoir qu’ici, les catégories (par opposition à ce qui se produit avec leur remplissement naturaliste dans les « Principes »), tout en maintenant expressément leur validité, doivent trouver une application nouvelle dégagée du rationalisme naturaliste (la substance, par exemple est « personne » et durée immortelle personnelle, la causalité est « causalité par liberté », l’action réciproque se produit dans « la communauté des êtres raisonnables », etc.). Si elles servent alors à un nouvel accès à l’inconditionné c’est en tant que moyens intellectuels de fixation et sans pour autant vouloir apporter une connaissance rationalisante d’objets » (p. 31 sq.) – Ici, cependant, Heimsoeth passe par dessus le problème ontologique authentique, dans la mesure où l’on ne peut pas ne pas se poser la question suivante : est-ce que ces « catégories », tout en pouvant conserver leur validité originaire, n’ont besoin que d’être autrement employées, ou bien est-ce qu’elles ne pervertissent pas fondamentalement la problématique ontologique du Dasein ? En effet, même dans l’hypothèse où la raison théorique se trouve insérée dans la raison pratique, le problème ontologico-existential du Soi-même demeure non seulement irrésolu, mais encore non posé. Sur quel sol ontologique la « collaboration » entre raisons théorique et pratique doit-elle donc s’accomplir ? Est-ce le comportement théorique qui détermine le mode d’être de la personne ? Ou le comportement pratique ? Ou aucun des deux ? Ou alors, quoi ? Et les paralogismes, en dépit de leur signification fondamentale, ne manifestent-ils pas l’absence de sol ontologique de la problématique du Soi-même depuis la res cogitans de Descartes jusqu’au concept hegélien de l’esprit ? Il n’est à vrai dire nul besoin de penser de manière « naturaliste » ou « rationaliste » pour se tenir dans une sujétion seulement plus fatale – parce qu’allant apparemment de soi – vis-à-vis de l’ontologie du « substantiel ». – En complément essentiel de l’essai cité, v., du même auteur, l’article « Die metaphysischen Motive in der Ausbildung des kritischen Idealismus » [« Les motifs métaphysiques dans la formation de l’idéalisme critique »], dans Kantstudien, XXXIX, 1924, p. 121 sq., et aussi, pour une critique du concept kantien du Moi, M. SCHELER, Le formalisme (op. cit.), p. 246 sq., sur la « personne » et le « Moi » de l’aperception transcendantale.]. EtreTemps64

§65 [EtreTemps65]-. La temporalité comme sens ontologique du souci. EtreTemps65

La caractérisation de la « connexion » entre souci et ipséité n’avait pas seulement pour but la clarification du problème particulier de l’égoité, mais devait servir d’ultime préparation à la saisie phénoménale de la totalité du tout structurel du Dasein. Il est besoin de la discipline immuable du questionnement existential si nous voulons empêcher que le mode d’être du Dasein ne se pervertisse finalement, pour le regard ontologique, en un mode, fût-il tout à fait indifférent, de l’être-sous-la-main. Le Dasein devient « essentiel » dans l’existence authentique, laquelle se constitue comme résolution devançante. Ce mode de l’authenticité du souci contient le maintien de Soi-même et la totalité originaires du Dasein. C’est en un regard non dispersé, existentialement compréhensif sur elle que doit s’accomplir la libération du sens ontologique de l’être du Dasein. EtreTemps65

Les temps (« grammaticaux »), tout comme les autres phénomènes temporels de la parole, « modes d’action » et « degrés temporels » ne proviennent pas du fait que le parler s’ex-prime « aussi » sur des processus « temporels », c’est-à-dire rencontrés « dans le temps ». Pas davantage n’ont-il pour fondement le fait que le parler effectif se déroule « dans un temps psychique ». Le parler est en lui-même temporel, pour autant que tout parler sur…, de…, et à… se fonde dans l’unité ekstatique de la temporalité. Les modes d’action sont enracinés dans la temporalité originaire de la préoccupation [Besorgen], que celle-ci se rapporte ou non à de l’intratemporel. À l’aide du concept vulgaire et traditionnel du temps, auquel la linguistique est bien forcée d’avoir recours, il n’est même pas possible de poser le problème de la structure temporalo-existentiale des modes d’action (NA: Cf. entre autres Jakob WACKERNAGEL, Vorlesungen über Syntax [Leçons sur la syntaxe], t. I, 1920, p. 15, et notamment p. 149-210. Et aussi G. HERBIG, « Aktionsart und Zeitstufe » [« Mode d’action et degré temporel »] dans Indogermanische Forschung, t. VI, 1896, p. 167 sq.). Mais comme le parler est à chaque fois discussion d’un étant, même si ce n’est pas de manière primaire et prépondérante au sens de l’énoncer théorique, l’analyse de la constitution temporelle du parler et l’explication des caractères temporels des configurations linguistiques ne peut être entreprise que si le problème de la connexion fondamentale entre être et vérité est déployé à partir de la problématique de la temporalité. C’est alors qu’il devient également possible de délimiter le sens ontologique du « est » qu’une théorie extérieure de la proposition et du jugement a défiguré en « copule ». C’est seulement à partir de la temporalité du parler, c’est-à-dire du Dasein en général que la « formation » de la « signification » peut être éclaircie et la possibilité d’une formation de concept rendue ontologiquement intelligible. EtreTemps68

Le présentifier s’attendant-conservant constitue la familiarité conformément à laquelle le Dasein comme être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] s’y « reconnaît » dans le monde ambiant public. Nous comprenons existentialement le laisser-retourner comme un laisser-« être ». C’est sur sa base que l’à-portée-de-la-main peut faire encontre [begegnen] à la circon-spection comme l’étant qu’il est. Par suite, nous pouvons éclairer encore plus avant la temporalité de la préoccupation [Besorgen] si nous prenons garde à ces modes du laisser-faire-encontre circon-spect qui ont été caractérisés auparavant (NA: Cf. supra, §16 [EtreTemps16], p. [72] sq.) comme imposition, insistance et saturation. L’outil [Zeug] à-portée-de-la-main, considéré en son « en-soi véritable », ne fait justement pas encontre à un percevoir thématique de choses, mais dans la non-imposition de ce qui se laisse trouver dans l’« évidence » de son « objectivité ». Mais lorsque dans le tout de cet étant quelque chose s’impose alors apparaît du même coup la possibilité que la totalité d’outils s’impose comme telle. Comment le laisser-retourner doit-il être existentialement structuré pour pouvoir laisser faire encontre [begegnen] quelque chose qui s’impose ? La question ne vise plus maintenant des incitations factices infléchissant l’attention vers quelque chose de prédonné, mais le sens ontologique de cette possibilité d’inflexion comme telle. EtreTemps69

Nous avons déterminé l’être du Dasein comme souci. Le sens ontologique du souci est la temporalité. Que et comment celle-ci constitue l’ouverture du Là, cela a été montré. Dans [365] l’ouverture du Là, le monde est co-ouvert. L’unité de la significativité [Bedeutsamkeit], c’est-à-dire la constitution ontologique du monde, doit donc également se fonder dans la temporalité. La condition temporalo-existentiale de possibilité du monde consiste en ce que la temporalité comme unité ekstatique a quelque chose comme un horizon. Les ekstases ne sont pas simplement des échappées vers… Bien plutôt un « vers-où » de l’échappée appartient-il à l’ekstase. Ce vers-où de l’ekstase, nous l’appelons le schème horizontal. L’horizon ekstatique est différent dans chacune des trois ekstases. Le schème où le Dasein, authentiquement ou inauthentiquement, advient à soi de manière avenante est le en-vue-de lui-même. Le schème où le Dasein est ouvert à lui-même en tant que jeté au sein de l’affection, nous le saisissons comme le devant-quoi de l’être-jeté ou le à-quoi de l’abandon. Il caractérise la structure horizontale de l’être-été. Existant en-vue-de lui-même dans l’abandon à lui-même en tant que jeté, le Dasein, en tant qu’être auprès,.., est en même temps présentifiant. Le schème horizontal du présent est déterminé par le pour… EtreTemps69

Plus encore : le fait que, tout en passant son temps, il tienne au jour le jour compte du « temps » et qu’il règle un tel « calcul » grâce à l’astronomie et au calendrier, n’appartient-il pas tout aussi essentiellement au Dasein existant ? C’est seulement si nous parvenons à intégrer à notre interprétation de la temporalité du Dasein son « provenir » quotidien [alltäglich], ainsi que le compte du « temps » dont il se préoccupe en un tel provenir, que notre orientation sera assez ample pour nous permettre d’élever le sens ontologique de la quotidienneté [Alltäglichkeit] comme telle au rang de problème. Toutefois, comme ce n’est rien d’autre, sous le titre de la quotidienneté [Alltäglichkeit], [372] qui est visé que la temporalité elle-même, et que c’est celle-ci qui possibilise l’être du Dasein, la délimitation conceptuelle suffisante de la quotidienneté [Alltäglichkeit] ne pourra s’accomplir que dans le cadre de l’élucidation fondamentale du sens de l’être en général et de ses possibles modifications. EtreTemps71

Bien que nous n’apercevions jusqu’ici aucune possibilité d’amorçage plus radical de l’analytique existentiale, néanmoins, si nous nous référons justement à l’élucidation antérieure du sens ontologique de la quotidienneté [Alltäglichkeit], un grave scrupule nous étreint : le tout du Dasein s’est-il vraiment laissé porter, au point de vue de son être-tout authentique, à la pré-acquisition de l’analyse existentiale ? Il est possible sans doute que le questionnement antérieur relatif à la totalité du Dasein possède son univocité ontologique véritable ; et il est non moins possible, d’autre part, que la question elle-même ait trouvé, pour ce qui concerne [373] l’être pour la fin, la réponse qu’elle réclamait. Seulement, la mort n’est pourtant que la « fin » du Dasein ; ou, pour le dire formellement, elle est seulement l’une des fins qui circonscrivent la totalité du Dasein. Or l’autre « fin », c’est le « commencement », la « naissance ». Seul l’étant qui se trouve « entre » naissance et mort représente le tout cherché. Ainsi, l’orientation antérieure de l’analytique, malgré toute son insistance sur le Dasein existant, et en dépit d’une explication appropriée de l’être pour la mort authentique et inauthentique, demeurait-elle « unilatérale ». Le Dasein n’était jamais pris pour thème que tel qu’il existe pour ainsi dire « vers l’avant » et laisse « derrière lui » tout ce qu’il a été. Non seulement l’être pour le commencement est resté sans examen, mais encore et avant tout l’extension du Dasein entre naissance et mort. C’est donc précisément l’« enchaînement de la vie », enchaînement où pourtant le Dasein se tient constamment d’une manière ou d’une autre, qui est passé inaperçu dans l’analyse de l’être-tout. EtreTemps72

Le caractère historial des antiquités encore conservées se fonde donc dans le « passé » du Dasein au monde duquel elles appartenaient. Dès lors, ce serait seulement le Dasein « passé » qui serait historial, non pas le Dasein « présent ». Mais le Dasein peut-il en général être passé, si nous déterminons ce mot « passé » au sens de « maintenant plus sous-la-main ou à-portée-de-la-main » ? Manifestement, le Dasein ne peut jamais être passé, non point parce qu’il est impérissable, mais parce qu’il ne peut essentiellement jamais être sous-la-main, mais, s’il est, existe. Or justement, un Dasein n’existant plus, au sens ontologique strict, n’est point passé, mais ayant été-Là. Les antiquités encore sous-la-main ont un caractère de « passé » et d’histoire sur la base de leur appartenance outil [Zeug]itaire à, et de leur provenance depuis un [381] monde ayant-été d’un Dasein ayant-été-Là. C’est celui-ci qui est le primairement historial. Mais est-ce à dire que le Dasein ne devienne historial que du fait qu’il n’est plus Là ? Ou bien n’est-il pas justement historial en tant que facticement existant ? Le Dasein est-il seulement ayant-été au sens de l’ayant-été-LÀ, ou bien n’est-il pas « été » en tant que présentifiant-à-venir, c’est-à-dire dans la temporalisation de sa temporalité ? EtreTemps73

En fait, l’histoire n’est ni le complexe dynamique des modifications des objets, ni la séquence [Abfolge] arbitraire des vécus des « sujets ». Le provenir de l’histoire concerne-t-il donc alors l’« enchaînement » du sujet et de l’objet ? Mais voudrait-on rapporter ce provenir à la relation sujet-objet qu’il n’en faudrait pas moins s’enquérir du mode d’être de cet enchaînement comme tel, si c’est bien lui qui fondamentalement « provient ». La thèse de l’historialité du Dasein ne dit pas que c’est le sujet sans-monde qui est historial, mais bien l’étant qui existe comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le provenir de l’histoire est provenir de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’historialité du Dasein est essentiellement historialité du monde qui, sur la base de la temporalité ekstatico-horizontale, appartient à la temporalisation de celle-ci. Pour autant que le Dasein existe facticement, de l’étant intramondain découvert lui fait aussi et déjà encontre. Avec l’existence de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] historial, de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main est à chaque fois déjà inclus dans l’histoire du monde. L’outil [Zeug] et l’ouvrage, des livres par exemple, ont leurs « destins », des monuments et des institutions ont leur histoire. Mais la nature elle aussi est historiale. Certes, elle ne l’est précisément pas lorsque nous parlons d’« histoire naturelle » [NA: Quant à la question de la délimitation ontologique du « devenir naturel » par opposition à la mobilité propre à l’histoire, cf. les réflexions de F. GOTTL, sur Die Grenzen der Geschichte [Les limites de l’histoire], 1904, qui, depuis longtemps, attendent d’être estimées à leur juste valeur.], mais elle l’est bel et bien en tant que paysage, que domaine d’installation et d’exploitation, comme champ de bataille ou comme lieu de culte. Cet étant [389] intramondain est comme tel historial, et son histoire ne représente pas un cadre « extérieur » qui accompagnerait purement et simplement l’histoire « intérieure » de l’« âme ». Nous nommons cet étant le mondo-historial. Cependant, il faut ici prendre garde à l’équivoque de cette expression que nous venons de choisir, en lui donnant ici un sens ontologique : « histoire du monde ». Elle signifie d’une part le provenir du monde en son unité essentielle, existante avec le Dasein. Mais d’autre part, dans la mesure où avec le monde existant facticement de l’étant intramondain est à chaque fois découvert, elle désigne le « provenir » intramondain de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main. Le monde historial n’est facticement que comme monde de l’étant intramondain. Ce qui « provient » avec l’outil [Zeug] et l’ouvrage comme tel a un caractère propre de mobilité, qui jusqu’à maintenant est resté dans une obscurité totale. Un anneau, par exemple, qui est transmis et porté, ne subit pas simplement, dans un tel être, des changements de lieu. La mobilité du provenir où quelque chose « advient de lui » ne saurait être saisie à partir du mouvement comme transport local. Et autant vaut de tous les « processus » et événements mondo-historaux, mais aussi, en un sens, de « catastrophes naturelles ». Cependant, indépendamment même des limites de notre thème, nous pouvons d’autant moins poursuivre ici ce problème de la structure ontologique du provenir mondo-historial que l’intention de notre exposé est précisément de conduire devant l’énigme ontologique de la mobilité du provenir en général. EtreTemps75