quotidienneté du Dasein

Une analytique du Dasein doit donc demeurer la première requête dans la question de l’être. Seulement, c’est alors que le problème d’une conquête et d’une confirmation du mode directeur d’accès au Dasein devient précisément un problème brûlant. Négativement : il n’est pas question d’appliquer à cet étant, dans une construction dogmatique, une quelconque idée de l’être et de l’effectivité, si « évidente » soit-elle, et il est tout aussi peu question d’imposer au Dasein, sans précautions ontologiques, les « catégories » préesquissées par une telle idée. Bien plutôt le mode d’accès et d’explicitation doit-il être choisi de telle manière que cet étant puisse se montrer en lui-même à partir de lui-même. Or ce mode doit bel et bien montrer cet étant en ce qu’il est de prime abord et le plus souvent, dans sa quotidienneté (Alltäglichkeit) moyenne. Et sur la base de celle-ci, ce ne sont pas des structures arbitraires et fortuites qui doivent être dégagées, mais des structures essentielles, qui se maintiennent, à titre de déterminations de (17) son être, dans tout mode d’être du Dasein factice. C’est donc dans la perspective de la constitution fondamentale de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein qu’il convient d’entreprendre la mise en relief préparatoire de l’être de cet étant. EtreTemps5

Le Dasein se détermine à chaque fois en tant qu’étant à partir d’une possibilité qu’il est et qu’en son être il comprend d’une manière ou d’une autre. Tel est le sens formel de la constitution d’existence du Dasein. Or il en résulte, pour l’interprétation ontologique de cet étant, la consigne de développer la problématique de son être à partir de l’existentialité de son existence. Ce qui toutefois ne peut pas signifier une construction du Dasein à partir d’une idée concrète possible de l’existence. Le Dasein ne doit justement pas, au départ de l’analyse, être interprété selon la différenciation caractéristique d’un exister déterminé, mais mis à découvert dans l’indifférence de son de-prime-abord-et-le-plus-souvent. Cette indifférence de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein n’est pas rien, mais un caractère phénoménal positif de cet étant. C’est en provenance de ce mode d’être et en retournant à lui que tout exister est comme il est. Cette indifférence quotidienne (alltäglich) du Dasein, nous l’appelons médiocrité. EtreTemps9

L’é-loigner n’implique pas nécessairement une évaluation explicite du lointain d’un à-portée-de-la-main par rapport au Dasein. Surtout, l’être-éloigné n’est jamais saisi comme écart. Si le lointain doit être évalué, cela ne se produit jamais que relativement à des é-loignement (Entfernung)s où le Dasein quotidien (alltäglich) se tient. Du point de vue de leur calcul, ces évaluations peuvent être imprécises et flottantes, elles n’en ont pas moins dans la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein leur déterminité (Bestimmtheit) propre et de part en part compréhensible. Nous disons par exemple : jusque là-bas, il y a l’espace d’une promenade, un « saut de puce », un « jet de pierre ». Ce que ces mesures indiquent, c’est non seulement qu’elles ne prétendent pas « métrer », mais encore que (106) l’être-éloigné ainsi évalué, appartient en propre à un étant que l’on aborde avec la circon-spection propre à la préoccupation (Besorgen). Même lorsque nous nous servons d’une mesure précise, en disant : « il y a une demi-heure d’ici à la maison », cette mesure doit encore être considérée comme une évaluation. Une « demi-heure », cela ne veut pas dire trente minutes, mais une durée qui n’a absolument aucune « longueur » au sens d’une extension quantitative. Cette durée est à chaque fois explicitée à partir des « préoccupation (Besorgen)s » quotidiennes (alltäglich) habituelles. De prime abord, et même lorsque sont en usage des mesures « officiellement » fixées, les éloignements sont évalués par une circon-spection. L’é-loigné, étant à-portée-de-la-main dans de telles évaluations, conserve son caractère spécifiquement intramondain. Et cela implique même que les chemins praticables conduisant à l’étant éloigné présentent chaque jour une longueur différente. L’à-portée-de-la-main du monde ambiant n’est nullement sous-la-main pour un observateur intemporel, dégagé du Dasein, mais il vient à l’encontre de la quotidienneté (Alltäglichkeit) préoccupée et circon-specte du Dasein. Sur ses chemins propres, le Dasein ne prend pas la mesure d’une portion d’espace comme d’une chose corporelle sous-la-main, il ne « dévore » pas « des kilomètres », au contraire son approchement et son é-loignement (Entfernung) est toujours un être préoccupé vis-à-vis de l’approché et de l’é-loigné. Un chemin « objectivement » long peut être plus court qu’un chemin « objectivement » très court, lequel est peut-être un « calvaire » qui paraîtra infiniment long à qui l’emprunte. Mais c’est en un tel « paraître », justement, que le monde est à chaque fois et pour la première fois proprement à-portée-de-la-main. Les distances objectives de choses sous-la-main ne coïncident pas avec l’éloignement et la proximité propres à l’a-portée-de-la-main intramondain. Celles-là peuvent bien être sues avec exactitude, un tel savoir cependant demeure aveugle, il n’a pas la fonction de l’approchement qui découvre le monde ambiant avec circon-spection ; de ce savoir, il peut sans doute être fait usage, mais il est alors au service d’un être préoccupé du monde le « concernant », qui ne se soucie point de mesurer des écarts. EtreTemps23

Comme l’on s’oriente d’ordinaire primairement sur la « nature », et les distances « objectivement » mesurées entre les choses, on cède volontiers à la tentation de considérer comme « subjectives » cette explicitation et cette évaluation caractéristiques de l’éloignement. Cependant, si c’est ici d’une « subjectivité » qu’il s’agit, celle-ci découvre peut être dans le monde une « réalité » si réelle qu’elle n’a plus rien à voir avec un arbitraire « subjectif », et avec des « interprétations » subjectives d’un étant qui « en soi » serait autrement constitué. L’é-loignement (Entfernung) circon-spect de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein découvre l’être-en-soi du « vrai monde », de l’étant auprès duquel le Dasein, en tant qu’existant, est à chaque fois déjà. EtreTemps23

Si l’analyse de la mondanéité (Weltlichkeit) du monde n’a cessé de porter sous le regard le phénomène total de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), il s’en faut que tous ses moments constitutifs se soient alors dégagés avec la même netteté phénoménale que le phénomène du monde lui-même. Il convenait cependant de commencer, comme on l’a fait, par interpréter ontologiquement le monde en traversant d’abord l’à-portée-de-la-main intramondain. En effet, le Dasein considéré en sa quotidienneté (Alltäglichkeit) – et c’est en tant que tel qu’il constitue notre thème constant – n’est pas seulement en général en un monde, mais il se rapporte au monde selon une modalité prépondérante : de prime abord et le plus souvent, il est capté par son monde. Ce mode d’être de l’identification au monde et l’être-à en général qui lui est radical, voilà ce qui détermine (114) essentiellement le phénomène auquel nous nous attacherons désormais en posant cette question : qui le Dasein, dans la quotidienneté (Alltäglichkeit), est-il donc ? Toutes les structures d’être du Dasein, donc également le phénomène qui répond à cette question « qui » ? sont des guises de son être. Leur caractéristique ontologique est existentiale. Par suite, il est besoin de poser convenablement la question, et de pré-tracer le chemin par lequel puisse être pris en vue un domaine phénoménal plus vaste de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein. Ces recherches dans la direction du phénomène susceptible de répondre à la question du qui ? conduisent à des structures du Dasein qui sont cooriginaires de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) : l’être-avec (Mitsein) et l’être-Là-avec (Mitdasein). C’est dans ce mode d’être que se fonde le mode de l’être-Soi-même quotidien (alltäglich) dont l’explication rend visible ce que nous sommes en droit d’appeler le « sujet » de la quotidienneté (Alltäglichkeit) : le On (das Man). Le présent chapitre sur le « qui » du Dasein médiocre s’articulera donc comme suit : 1. l’amorçage de la question existentiale du qui du Dasein (§25 (EtreTemps25)) ; 2. l’être-Là-avec (Mitdasein) des autres et l’être-avec (Mitsein) quotidien (alltäglich) (§26 (EtreTemps26)) ; 3. l’être-Soi-même quotidien (alltäglich) et le On (das Man) (§27 (EtreTemps27)). ETMartineau: CHAPITRE IV

Le On est partout là, mais de telle manière aussi qu’il s’est toujours déjà dérobé là où le Dasein se presse vers une décision. Néanmoins, comme le On (das Man) pré-donne tout jugement et toute décision, il ôte à chaque fois au Dasein la responsabilité. Le On ne court pour ainsi dire aucun risque à ce qu’« on » l’invoque constamment. S’il peut le plus aisément répondre de tout, c’est parce qu’il n’est personne qui ait besoin de répondre de quoi que ce soit. C’« était » toujours le On (das Man), et pourtant, on peut dire que « nul » n’était là. Dans la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein, la plupart des choses adviennent par le fait de quelque chose dont on est obligé de dire que ce n’était personne. EtreTemps27

La présente interprétation de la parole s’assignait simplement pour tâche de mettre en évidence le « lieu » ontologique de ce phénomène à l’intérieur de la constitution d’être du Dasein, et, avant tout, de préparer l’analyse suivante qui, au fil conducteur (d’une détermination) du mode d’être fondamental du parler dans sa connexion avec d’autres phénomènes, tentera de porter ontologiquement la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein sous un regard plus originaire. EtreTemps34

En revenant jusqu’aux structures existentiales de l’ouverture de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), notre interprétation a d’une certaine manière perdu des yeux la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein. Cet horizon phénoménal qu’elle s’était donnée pour thème, l’analyse doit maintenant le (167) reconquérir. La question est donc maintenant celle-ci : quels sont les caractères existentiaux de l’ouverture de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) pour autant que celui-ci se tient, en tant que quotidien (alltäglich), dans le mode d’être du On ? Est-ce qu’une affection spécifique, un comprendre, un parler, un expliciter particuliers appartiennent à celui-ci ? La solution de ces questions devient d’autant plus urgente si nous rappelons que le Dasein, de prime abord et le plus souvent, s’identifie au On et en subit la domination. Le Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) jeté n’est-il pas justement d’abord jeté dans la publicité du On ? Et qu’est-ce que cette publicité signifie d’autre que l’ouverture spécifique du On ? EtreTemps34

Peut-on réussir à saisir ce tout structurel de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein en sa totalité ? L’être du Dasein se laisse-t-il dégager de manière telle qu’à partir de lui la cooriginarité essentielle des structures mises en évidence devienne intelligible conjointement aux possibilités existentiales de modification qui leur appartiennent ? Y a-t-il une voie pour conquérir phénoménalement cet être sur le sol de l’amorçage actuel de l’analytique existentiale ? EtreTemps39

Il s’impose de répondre à ces questions avant de déclarer nul et non avenu, et de mettre comme tel hors circuit le problème de la totalité du Dasein. La question de la totalité du Dasein, aussi bien celle, existentielle, d’un pouvoir-être-tout possible que celle, existentiale, de la constitution d’être de la « fin » et de la « totalité » implique la tâche d’une analyse positive de phénomènes de l’existence qui ont été jusqu’ici tenus à l’écart. Au centre de telles considérations se tient la caractérisation ontologique de l’être-à-la-fin propre au Dasein et l’obtention d’un concept existential de la mort. Les recherches relatives à ce sujet se distribueront de la manière suivante : l’expérimentabilité de la mort des autres et la possibilité de saisie d’un Dasein en son tout (§47 (EtreTemps47)) ; excédent, fin et totalité (§48 (EtreTemps48)) ; la délimitation de l’analyse existentiale de la mort par rapport à des interprétations possibles du phénomène (§49 (EtreTemps49)) ; la pré-esquisse de la structure ontologico-existentiale de la mort (§50 (EtreTemps50)) ; l’être pour la mort et la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein (§51 (EtreTemps51)) ; l’être pour la mort quotidien (alltäglich) et le concept existential plein de la mort (§52 (EtreTemps52)) ; projet existential d’un être pour la mort authentique (§53 (EtreTemps53)). EtreTemps46

§51 (EtreTemps51)-. L’être pour la mort et la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein. EtreTemps51

Or la tentation, le rassurement et l’aliénation caractérisent le mode d’être de l’échéance. L’être quotidien (alltäglich) pour la mort, en tant qu’échéant, est une constante fuite devant elle. L’être pour la fin a le mode de l’esquive devant elle, esquive qui la ré-interprète, la comprend inauthentiquement et la voile. Que le Dasein propre, facticement, meure à chaque fois toujours déjà, autrement dit qu’il soit dans un être pour sa fin, ce fait, il se l’occulte à lui-même en transformant la mort en « cas » survenant quotidienne (alltäglich)ment chez les autres, et qui nous est encore plus clairement garanti par le fait que le « On-même », à n’en point douter, « vit » toujours. Mais, avec cette fuite échéante devant la mort, la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein ne laisse pas de témoigner que le On (das Man) même est lui aussi à chaque fois déjà déterminé comme être pour la mort, et cela même lorsqu’il ne se meut pas expressément dans une « pensée de la mort ». Pour le Dasein, il y va, même dans la quotidienneté (Alltäglichkeit) médiocre, constamment de ce (255) pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable, serait-ce même selon le mode de la préoccupation (Besorgen) pour une indifférence quiète À L’ÉGARD DE la possibilité extrême de son existence. EtreTemps51

Le présent chapitre s’articulera donc comme suit : la temporalité de l’ouverture en général (§68 (EtreTemps68)) ; la temporalité de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) et le problème de la transcendance (§69 (EtreTemps69)) ; temporalité de la spatialité propre au Dasein (§70 (EtreTemps70)) ; le sens temporel de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein (§71 (EtreTemps71)). EtreTemps67

(370) §71 (EtreTemps71)-. Le sens temporel de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein. EtreTemps71