problème du monde

Pourtant, répliquera-t-on, même si en effet le problème du monde ainsi que l’être de l’étant qui fait de prime abord encontre dans le monde ambiant lui demeurent recouverts, Descartes n’en a pas moins posé les fondements de la caractérisation ontologique de l’étant intramondain qui fonde en son être tout autre étant, à savoir la nature matérielle. C’est sur celle-ci, considérée comme la couche fondamentale, que s’édifient les autres couches de la réalité intramondaine ; c’est dans la chose étendue comme telle que se fondent tout d’abord les déterminité [Bestimmtheit]s ; qui certes se manifestent comme qualités, mais n’en sont pas moins « au fond » des modifications quantitatives des modes de l’extensio. Puis, sur ces qualités encore [99] réductibles, s’appuient ensuite les qualités spécifiques comme « beau », « laid », « adéquat », « inadéquat », « convenable », « non convenable » ; ces qualités, si on les envisage selon une orientation primaire sur la choséité [Dinglichkeit], doivent être saisies comme des prédicats axiologiques non quantifiables, qui confèrent à la chose d’abord seulement matérielle le caractère d’un objet de valeur. Avec cette stratification, la réflexion accède même à l’étant que nous avions caractérisé ontologiquement comme l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main. Il semble bien, par conséquent, que l’analyse cartésienne du « monde » procure des fondations solides à la structure de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main, et qu’elle requière tout au plus que l’on complète – comme il est aisé de le faire – la chose naturelle en chose d’usage au plein sens du terme. EtreTemps21

Dans la série des questions relatives à la réalité que l’on vient d’énumérer, la question ontologique, celle de savoir ce que la réalité signifie en général, est la question première. Néanmoins, aussi longtemps que faisaient défaut une problématique et une méthode ontologiques pures, cette question, à supposer qu’elle fût en général expressément posée, était condamnée à s’enchevêtrer avec l’élucidation du « problème du monde extérieur » ; car l’analyse de la réalité n’est possible que sur la base de l’accès adéquat au réel. Or depuis toujours, c’est la connaissance intuitive qui valait comme mode propre de saisie du réel. Cette connaissance « est » en tant que comportement de l’âme, de la conscience [Gewissen]. Dans la mesure où à la réalité appartient le caractère de l’en-soi et de l’indépendance, la question du sens de la réalité se trouve donc associée à celle de la possible indépendance du réel « par rapport à la conscience [Gewissen] », ou de la possible transcendance de la conscience [Gewissen] vers la « sphère » du réel. [Mais] la possibilité d’une analyse ontologique satisfaisante de la réalité dépend de la mesure en laquelle ce par rapport à quoi il doit y avoir indépendance, ce qui doit être transcendé est lui-même clarifié quant à son être. C’est ainsi seulement que le mode d’être du transcender devient lui aussi saisissable. Et enfin le mode primaire d’accès au réel doit être assuré, au sens d’une décision de la question de savoir si le connaître peut en général assumer cette fonction. EtreTemps43

La question de savoir si en général un monde est et si son être peut être prouvé est, en tant que question que le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] pose lui-même – et qui d’autre pourrait-il la poser ? – dépourvue de sens. De surcroît, elle demeure entachée d’une équivoque : car le monde en tant que « où » de l’être-à et le « monde » en tant qu’étant [203] intramondain, en tant qu’auprès-de-quoi de l’identification préoccupée y sont confondus, plus exactement ils n’y sont même pas distingués. Mais le monde est essentiellement ouvert avec l’être du Dasein, tandis que le « monde » est à chaque fois lui aussi déjà découvert avec l’ouverture du monde. D’ailleurs, il se peut justement que l’étant intramondain au sens du réel, du sans plus sous-la-main demeure encore recouvert. Cependant, même du réel n’est découvrable que sur la base d’un monde déjà ouvert, et c’est seulement sur cette base qu’il peut également rester encore retiré. On pose la question de la « réalité » du « monde extérieur » sans clarifier préalablement le phénomène du monde comme tel. Facticement, le « problème du monde extérieur » s’oriente constamment sur l’étant intramondain (les choses et les objets). Ainsi, ces élucidations se perdent dans une problématique ontologiquement presque impossible à démêler. EtreTemps43