Seinkönnen [SZ] Sein(-)können : pouvoir-être. – Cf. notamment 143 sq. [ETEM] Seinkönnen (das) : (le) ‘pouvoir-et-savoir-être’. [ETJA]
Le laisser-retourner préalable de… avec… se fonde dans un comprendre de quelque chose comme le laisser-retourner, le « de » de la tournure et le « avec » de la tournure. Ce dernier, et aussi ce qui est encore à son fondement – ainsi le pour-quoi dont il retourne, et le en-vue-de-quoi auquel tout pour-quoi reconduit à son tour en dernière instance -, tout cela doit préalablement être ouvert en une certaine compréhensibilité. Et qu’est-ce dont que cela «où» le Dasein comme être-au-monde se comprend préontologiquement ? Dans la compréhension du complexe de rapports cité, le Dasein, sur la base d’un pouvoir-être saisi expressément ou non, authentique ou non, en vue duquel il est lui-même, s’est assigné à un pour… Celui-ci pré-trace un pour-quoi en tant que « de » possible d’un laisser-retourner, lequel laisse également retourner, de par sa structure propre, « avec » quelque chose. À partir d’un en-vue-de-quoi, le Dasein se renvoie toujours déjà à l’« avec » d’une tournure, c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois déjà, pour autant qu’il est, de l’étant faire encontre comme à-portée-de-la-main. Ce dans quoi le Dasein se comprend préalablement sur le mode du se-renvoyer n’est pas autre chose que ce vers quoi il laisse préalablement de l’étant faire encontre. Le « où » du comprendre auto-renvoyant comme « vers » du faire-encontre de l’étant sur le mode de la tournure, tel est le phénomène du monde. Et la structure de ce vers quoi le Dasein se renvoie est ce qui constitue la mondanéité du monde. EtreTemps18
Le comprendre – phénomène que nous aurons à analyser de plus près dans la suite (cf. §31 [EtreTemps31]) – tient les rapports indiqués dans une ouverture préalable. Dans le séjour familier au sein du monde ambiant, il se pro-pose ces rapports comme ce dans quoi son renvoyer se meut. Le comprendre se laisse lui-même renvoyer dans et par ces rapports. Le caractère de rapport de ces rapports du renvoyer, nous le saisissons comme signifier. Dans la familiarité avec ses rapports, le Dasein se « signifie » à lui-même, il se donne originairement son être et son pouvoir-être à comprendre du point de vue de son être-au-monde. Le en-vue-de signifie (NT: Le verbe signifier étant ici à prendre au sens actif) un pour…, celui-ci un pour-quoi, celui-ci encore un « de » du laisser-retourner, celui-ci enfin un « avec » de la tournure. Ces rapports sont soudés entre eux en une totalité originaire – ils ne sont ce qu’ils sont que comme ce signifier où le Dasein se donne préalablement à lui-même son être-au-monde à comprendre. La totalité de rapports de ce signifier, nous la nommons la significativité. Elle est ce qui constitue la structure du monde – de ce où le Dasein comme tel est à chaque fois déjà. Le Dasein est, en sa familiarité avec la significativité, la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant qui fait encontre dans un monde sur le mode d’être de la tournure (être-à-portée-de-la-main) et peur ainsi s’annoncer en son être-en-soi. Le Dasein est, en tant que tel, toujours celui-ci ou celui-là ; avec son être est toujours déjà essentiellement découvert un contexte d’étant à-portée-de-la-main – le Dasein, pour autant qu’il est, s’est à chaque fois déjà assigné à un « monde » qui lui fasse encontre, à son être appartient essentiellement cette assignation. EtreTemps18
En face d’elle existe la possibilité d’une sollicitude qui ne se substitue pas tant à l’autre qu’elle ne le devance en son pouvoir-être existentiel, non point pour lui ôter le « souci », mais au contraire et proprement pour le lui restituer. Cette sollicitude, qui concerne essentiellement le souci authentique, c’est-à-dire l’existence de l’autre, et non pas quelque chose dont il se préoccupe, aide l’autre à se rendre transparent dans son souci et à devenir libre pour lui. EtreTemps26
Dans un langage ontique, nous prenons parfois l’expression « comprendre quelque chose » au sens de : « s’entendre à quelque chose », c’est-à-dire « pouvoir y faire face », « savoir se tirer d’affaire ». Or ce qui est ainsi « pu » ou « su » dans le comprendre en tant qu’existential, ce n’est pas un « quelque chose », c’est l’être comme exister. Le comprendre inclut existentialement le mode d’être du Dasein comme pouvoir-être. Le Dasein n’est pas un sous-la-main qui posséderait de surcroît le don de pouvoir quelque chose, mais il est primairement possibilité. Le Dasein est à chaque fois ce qu’il peut être et la manière même dont il est sa possibilité. L’être-possible essentiel du Dasein concerne les guises – plus haut caractérisées – de la préoccupation pour le « monde », de la sollicitude envers les autres, et, toujours déjà impliqué dans tout cela, le pouvoir-être pour lui-même, vers lui-même, en-vue-de lui-même. L’être-possible que le Dasein est à chaque fois existentialement se distingue aussi bien de la possibilité vide, logique que de la contingence d’un sous-la-main considéré selon que ceci ou cela peut lui « arriver ». En tant que catégorie modale de l’être-sous-la-main, la possibilité signifie ce qui n’est pas encore effectif et pas toujours nécessaire. Une telle possibilité caractérise le seulement possible. Ontologiquement, elle est inférieure à l’effectivité et à la nécessité. La possibilité comme existential, au contraire, est la déterminité [144] ontologique positive la plus originaire et ultime du Dasein. De prime abord, comme l’existentialité en général, elle ne peut qu’être préparée en tant que problème. Or justement, ce qui offre le sol phénoménal sur lequel il est en général possible de l’apercevoir, c’est le comprendre comme pouvoir-être ouvrant. EtreTemps31
La possibilité comme existential ne signifie pas le pouvoir-être flottant au sens de l’« indifférence de l’arbitre » (libertas indifferentiae). En tant qu’essentiellement affecté, le Dasein s’est à chaque fois déjà engagé dans des possibilités déterminées, en tant que le pouvoir-être qu’il est, il en a laissé passer, constamment il se déprend de possibilités de son être, il les prend et s’y mé-prend. Or cela signifie : le Dasein est un être-possible remis à lui-même, une possibilité de part en part jetée. Le Dasein est la possibilité de l’être-libre pour le pouvoir-être le plus propre. L’être-possible lui est à lui-même transparent selon diverses guises et divers degrés possibles. EtreTemps31
Le comprendre est l’être d’un pouvoir-être qui n’est jamais en « reste » à titre de pas-encore-sous-la-main, mais qui, n’étant au contraire essentiellement jamais sous-la-main, « est » selon l’être du Dasein au sens de l’existence. Le Dasein est en une guise telle qu’il s’est – ou ne s’est pas – à chaque fois entendu à être ainsi ou ainsi. En tant qu’il comprend ainsi, il « sait » à quoi s’en tenir, où il en est avec lui-même, c’est-à-dire avec son pouvoir-être. Ce « savoir » n’est pas d’abord né d’une auto-perception immanente, mais il appartient à l’être du Là, qui est essentiellement comprendre. Et c’est seulement parce que le Dasein, en comprenant, est son Là qu’il peut se fourvoyer et se méconnaître. Et dans la mesure où le comprendre est affecté et, comme tel, existentialement livré à l’être-jeté, le Dasein s’est à chaque fois déjà fourvoyé et méconnu. Dans son pouvoir-être, il est donc remis à la possibilité de se re-trouver dans ses possibilités. EtreTemps31
Le comprendre est l’être existential du pouvoir-être propre du Dasein lui-même, de telle sorte que cet être ouvre en lui-même « où » il en est avec lui-même. Essayons de saisir de manière plus aiguë la structure de cet existential. EtreTemps31
En tant qu’ouvrir, le comprendre concerne toujours la constitution fondamentale totale de l’être-au-monde. En tant que pouvoir-être, l’être-à est à chaque fois pouvoir-être-au-monde. Celui-ci n’est pas seulement ouvert, en tant que monde, comme significativité possible, mais encore la libération de l’étant intramondain lui-même libère cet étant vers ses possibilités. L’à-portée-de-la-main est comme tel découvert dans son utilité, son employabilité, son importunité. La totalité de tournure se dévoile comme le tout catégorial d’une possibilité de complexion d’étant à-portée-de-la-main. Même l’« unité » du [145] sous-la-main en sa diversité, la nature, ne devient découvrable que sur la base de l’ouverture d’une possibilité à elle propre. Est-ce un hasard si la question de l’être de la nature vise les « conditions de sa possibilité » ? Or où un tel questionnement se fonde-t-il ? Face à lui, une autre question ne peut pas ne pas s’élever : pour-quoi, en-vue-de-quoi l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein est-il compris en son être lorsqu’il est ouvert vers ses conditions de possibilité ? Cette compréhension, Kant la présuppose peut-être à bon droit. Cependant, ce présupposé même ne saurait, à tout le moins, rester sans légitimation. EtreTemps31
Pourquoi le comprendre, selon toutes les dimensions essentielles de ce qui peut être ouvert en lui, perce-t-il toujours jusqu’aux possibilités ? Parce que le comprendre a en lui-même la structure existentiale que nous appelons le projet. Il projette l’être du Dasein vers son en-vue-de-quoi tout aussi originairement que vers la significativité en tant que mondanéité de ce qui lui est à chaque fois monde. Le caractère de projet du comprendre constitue l’être-au-monde du point de vue de l’ouverture de son Là comme Là d’un pouvoir-être. Le projet est la constitution existentiale d’être de l’espace de jeu du pouvoir-être factice. Et en tant que jeté, le Dasein est jeté dans le mode d’être du projeter. Le projeter n’a rien à voir avec l’observation d’un plan conçu conformément auquel le Dasein aménagerait son être : au contraire, en tant que Dasein, il s’est à chaque fois déjà projeté et, aussi longtemps qu’il est, il est projetant. Le Dasein se comprend toujours déjà et toujours encore, aussi longtemps qu’il est, à partir de possibilités. EtreTemps31
Sur le fondement du mode d’être qui est constitué par l’existential du projet, le Dasein est constamment « plus » qu’il n’est factuellement, à supposer que l’on veuille et que l’on puisse l’enregistrer en sa réalité en tant qu’étant sous-la-main. En revanche, il n’est jamais plus qu’il n’est facticement, parce que le pouvoir-être appartient essentiellement à sa facticité. Mais le Dasein, en tant qu’être-possible, n’est jamais non plus moins, s’il est vrai qu’il est existentialement ce qu’il n’est pas encore en son pouvoir-être. Et c’est seulement parce que l’être du Là reçoit sa constitution du comprendre et de son caractère de projet, parce qu’il est ce qu’il sera ou ne sera pas, qu’il peut se dire à lui-même compréhensivement : « Deviens ce que tu es ! » EtreTemps31
[146] Le projet concerne toujours la pleine ouverture de l’être-au-monde ; le comprendre, en tant que pouvoir-être, a lui-même des possibilités qui sont pré-dessinées par l’orbe de ce qui est essentiellement ouvrable en lui. Le comprendre peut se placer primairement dans l’ouverture du monde, c’est-à-dire que le Dasein peut de prime abord et le plus souvent se comprendre à partir de son monde. À moins que le comprendre ne se jette primairement dans le en-vue-de-quoi, autrement dit que le Dasein n’existe en tant que lui-même. Le comprendre est soit authentique – jaillissant du Soi-même propre comme tel – soit inauthentique. Le préfixe « in-» ne signifie pas que le Dasein se détache de son Soi-même et comprenne « seulement » le monde. Le monde appartient à son être-Soi-même en tant qu’être-au-monde. EtreTemps31D’autre part, le comprendre authentique aussi bien qu’inauthentique peuvent derechef être véridiques ou fallacieux. Le comprendre, en tant que pouvoir-être, est radicalement transi de possibilité. Mais se transporter dans l’une de ces possibilités fondamentales du comprendre ne signifie pas dépouiller l’autre. Comme le comprendre concerne bien plutôt à chaque fois la pleine ouverture du Dasein comme être-au-monde, le fait de se transporter, pour le comprendre, est une modification existentiale du projet en son tout. Dans le comprendre du monde, l’être-à est toujours co-compris, et le comprendre de l’existence comme telle est toujours un comprendre du monde. EtreTemps31
Le Dasein, en tant que factice, a à chaque fois déjà transporté son pouvoir-être dans une possibilité du comprendre. EtreTemps31
L’ouverture du Là dans le comprendre est elle-même une guise du pouvoir-être du Dasein. Dans l’être-projeté de son être vers le en-vue-de-quoi et, indissociablement, vers la significativité (monde), est incluse une ouverture de l’être en général. Dans le projeter vers des possibilités, la compréhension de l’être est déjà anticipée. L’être est compris dans le projet, non pas conçu ontologiquement. L’étant qui a le mode d’être du projet essentiel de l’être-au-monde a pour constituant de son être la compréhension d’être. Ce qui avait auparavant [NA: Cf. supra, §4 [EtreTemps4], p. [117] sq.] été établi dogmatiquement reçoit maintenant sa mise en lumière à partir de la constitution de l’être où le Dasein comme comprendre est son Là. Un éclaircissement satisfaisant, et conforme aux limites de toute la présente recherche, du sens existential de cette compréhension d’être ne pourra être atteint que sur la base de l’interprétation temporale de l’être. EtreTemps31
[148] Affection et comprendre caractérisent, en tant qu’existentiaux, l’ouverture originaire de l’être-au-monde. Selon la guise de l’être-intoné, le Dasein « voit » des possibilités à partir desquelles il est. C’est dans l’ouvrir projetant de telles possibilités qu’il est à chaque fois déjà intoné. Le projet du pouvoir-être le plus propre est remis au fait de l’être-jeté dans le Là. Une telle explication de la constitution existentiale de l’être du Là au sens du projet jeté ne contribue-t-elle pas à rendre l’être du Dasein énigmatique ? Assurément. Mais nous sommes tenus de laisser ressortir en sa plénitude le caractère énigmatique de cet être, ne serait-ce que pour pouvoir échouer comme il faut à le « résoudre », et réussir à poser à neuf la question de l’être de l’être-au-monde jeté-projetant. EtreTemps31En tant que comprendre, le Dasein projette son être vers des possibilités. Cet être compréhensif pour des possibilités est lui-même, par le rejaillissement de celle-ci en tant qu’ouvertes vers le Dasein, un pouvoir-être. Le projeter du comprendre a la possibilité propre de se configurer. Cette configuration du comprendre, nous la nommons l’explicitation. En elle, le comprendre s’approprie compréhensivement ce qu’il comprend. Dans l’explicitation, le comprendre ne devient pas quelque chose d’autre, mais lui-même. L’explicitation se fonde existentialement dans le comprendre, celui-ci ne naît pas de celle-là. L’explicitation n’est pas la prise de connaissance du compris, mais l’élaboration des possibilités projetées dans le comprendre. Conformément à l’orientation de ces analyses préparatoires du Dasein quotidien, nous examinerons le phénomène de l’explicitation d’après le comprendre du monde, c’est-à-dire d’après le comprendre inauthentique, mais envisagé sur le mode de sa véridicité. EtreTemps32
Et pourtant, voir dans ce cercle un cercle vicieux et chercher les moyens de l’éviter, ou [153] même simplement l’« éprouver » comme une imperfection inévitable, cela signifie mécomprendre radicalement le comprendre. Ce dont il y va, ce n’est point d’ajuster le comprendre et l’explicitation à un idéal de connaissance qui n’est lui-même qu’une forme déchue du comprendre – celle qui préside à la tâche légitime de saisir le sous-la-main dans l’incompréhensibilité qui lui est essentielle. Le remplissement des conditions fondamentales d’un expliciter possible consiste bien plutôt à ne pas méconnaître celui-ci en ses conditions essentielles d’accomplissement. Ce qui est décisif, ce n’est pas de sortir du cercle, c’est de s’y engager convenablement. Ce cercle du comprendre n’est point un cercle où se meut un mode quelconque de connaissance, mais il est l’expression de la structure existentiale de préalable du Dasein lui-même. Rien ne justifie de ravaler le cercle au rang de cercle vicieux, serait-il même toléré comme tel. En lui s’abrite une possibilité positive du connaître le plus originaire, qui bien entendu n’est saisie comme il faut qu’à condition que l’explicitation ait compris que sa tâche première, constante et ultime reste non pas de se laisser pré-donner la pré-acquisition, la prévision et l’anti-cipation par des « intuitions » ou des concepts populaires, mais, en les élaborant, d’assurer toujours son thème scientifique à partir des choses mêmes. Parce que le comprendre, en son sens existential, est le pouvoir-être du Dasein lui-même, les présuppositions ontologiques de la connaissance historique excèdent fondamentalement l’idée de rigueur des sciences les plus exactes. La mathématique n’est pas plus rigoureuse que l’histoire, elle est seulement plus étroite quant à la sphère des fondements existentiaux dont elle relève. EtreTemps32
Rien ne manifeste mieux la connexion du parler avec le comprendre et la compréhensivité que cette possibilité existentiale qui appartient au parler lui-même : l’entendre. Il n’est nullement fortuit que nous disions, lorsque nous n’avons pas « bien » entendu, que nous n’avons pas « compris ». L’entendre est constitutif du parler, et, de même que l’ébruitement linguistique se fonde dans le parler, la perception acoustique se fonde dans l’entendre. Le fait de prêter l’oreille à…, d’avoir des oreilles pour…, est l’être-ouvert existential du Dasein en tant qu’être-avec envers les autres. L’entendre constitue même l’être-ouvert primaire et authentique du Dasein pour son pouvoir-être le plus propre, en tant qu’entente de la voix de l’ami que tout Dasein porte avec soi. Le Dasein entend parce qu’il comprend. En tant qu’être-au-monde compréhensif avec autrui, il est « obédient » à l’être-Là-avec et à lui-même, et c’est en cette obédience que se fonde pour lui toute appartenance. Cette entente mutuelle où se configure l’être-avec présente les guises possibles de l’obéissance (« écouter »), de l’accompagnement, ou les modes privatifs du « refus d’entendre », de la résistance, du défi, de l’aversion. EtreTemps34
Si le comprendre doit être primairement conçu comme le pouvoir-être du Dasein, une analyse du comprendre et de l’expliciter propres au On devra nous apprendre quelles possibilités de son être le Dasein comme On a ouvertes et s’est appropriées. Ensuite, ces possibilités elles-mêmes manifesteront une tendance d’être essentielle de la quotidienneté. Quant à celle-ci, enfin, elle doit dévoiler, à supposer qu’elle soit ontologiquement expliquée de manière satisfaisante, un mode originaire d’être du Dasein, de telle manière qu’à partir de lui le phénomène cité de l’être-jeté puisse être mis en lumière en sa concrétion existentiale. EtreTemps34
Tout a l’air d’être véritablement compris, saisi, dit, et au fond ne l’est pas – à moins qu’il n’ait l’air de ne pas l’être et qu’au fond il le soit. L’équivoque ne concerne pas seulement le mode ontique sur lequel nous disposons de l’étant accessible dans l’usage et la jouissance, mais elle s’est déjà établie dans le comprendre comme pouvoir-être, dans le mode du projet et la prédonation de possibilités du Dasein. Non seulement chacun connaît et discute ce qui est là et survient, mais encore chacun s’entend d’ores et déjà à parler de ce qui doit seulement arriver, de ce qui n’est pas là mais devrait « évidemment » être fait. D’avance, chacun a toujours déjà pressenti et senti ce que d’autres ont aussi pressenti et flairé. Cet être-sur-la-trace, et encore par ouï-dire – celui qui est « sur la trace » de quelque chose de manière authentique n’en parle pas -, est la guise la plus insidieuse en laquelle l’équivoque prédonne des possibilités du Dasein, non sans en même temps les étouffer dans l’oeuf. EtreTemps37
Cependant, ce rassurement dans l’être inauthentique ne conduit pas à l’inertie et à l’oisiveté, mais pousse à la frénésie de l’« affairement ». L’être-échu sur le « monde » ne peut [178] plus désormais trouver le repos. Le rassurement tentateur accentue l’échéance. Du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, l’opinion peut désormais se faire jour selon laquelle la compréhension des cultures les plus étrangères et la « synthèse » de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein sur lui-même. Une curiosité multiplie, une infatigable connaissance de tout organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein. Mais au fond la question de savoir ce qu’il s’agit à proprement parler de comprendre demeure indécise, et même elle n’est pas posée ; pas davantage ne comprend-on que le comprendre lui-même est un pouvoir-être qui ne doit être libéré que dans le Dasein le plus propre. Dans cette comparaison rassurée et universellement « intelligente » de soi-même avec tout, le Dasein oeuvre à une extranéation où son pouvoir-être le plus propre se retire à ses yeux. Tentateur et rassurant, l’être-au-monde échéant est en même temps aliénant. EtreTemps38
Toutefois, cette mise en lumière de l’échéance ne dégage-t-elle pas un phénomène contraire à la détermination qui nous a servi à indiquer l’idée formelle d’existence ? Le Dasein peut-il être conçu comme l’étant dans l’être duquel il y va du pouvoir-être si cet étant, en sa quotidienneté, s’est précisément perdu, et si, dans l’échéance, il « vit » écarté de soi ? Réponse : l’échéance sur le monde ne peut devenir une « preuve » phénoménale contre l’existentialité du Dasein que si celui-ci est posé comme Moi-sujet isolé, comme un point d’identité dont il s’écarterait. Car le monde devient alors un objet ; alors, l’échéance sur lui est ontologiquement mésinterprétée en être-sous-la-main selon la guise propre à un étant intramondain. Si au contraire nous maintenons l’être du Dasein dans sa constitution d’être-au-monde, il devient manifeste que l’échéance, comme mode d’être de cet être-à, apporte bien plutôt la preuve la plus élémentaire à l’appui de l’existentialité du Dasein. Dans l’échéance, il n’y va de rien d’autre que du pouvoir-être-au-monde, même si c’est sur le mode de l’inauthenticité. Le Dasein ne peut échoir que parce qu’il y va pour lui de l’être-au-monde compréhensif et affecté. Inversement, l’existence authentique n’est pas quelque chose qui flotte au-dessus de la quotidienneté échéante : existentialement, elle n’est qu’une saisie modifiée de celle-ci. EtreTemps38
Le Dasein existe facticement. Le questionnement porte sur l’unité ontologique de l’existentialité et de la facticité, ou sur l’appartenance essentielle de celle-ci à celle-là. Le Dasein, sur la base de l’affection qui lui appartient essentiellement, a un mode d’être où il est placé devant lui-même et où son être-jeté lui est ouvert. Mais l’être-jeté est le mode d’être d’un étant qui est à chaque fois lui-même ses possibilités, de telle manière qu’il se comprend dans et partir d’elles (se projette vers elles). L’être-au-monde, auquel l’être auprès de l’à-portée-de-la-main appartient tout aussi originairement que l’être-avec avec autrui, est à chaque fois en-vue-de lui-même. Mais le Soi-même est de prime abord et le plus souvent inauthentique – le On-même. L’être-au-monde est toujours déjà échu. La quotidienneté médiocre du Dasein peut par conséquent être déterminée comme l’être-au-monde échéant-ouvert, jeté-projetant, pour lequel il y va, en son être auprès du « monde » et en l’être-avec avec autrui, du pouvoir-être le plus propre lui-même. EtreTemps39
Pour comprendre cette idée de la fuite échéante du Dasein devant lui-même, il faut se rappeler l’être-au-monde comme constitution fondamentale de cet étant. Le devant-quoi de l’angoisse est l’être-au-monde comme tel. Comment ce devant quoi l’angoisse s’angoisse se distingue-t-il de ce devant quoi la peur prend peur ? Réponse : le devant-quoi de l’angoisse n’est pas un étant intramondain. Dès lors, ce n’est plus de celui-ci qu’il peut retourner. La menace n’a pas le caractère d’une importunité déterminée qui frapperait l’étant, menace du point de vue déterminé d’un pouvoir-être factice particulier. Le devant-quoi de l’angoisse est complètement indéterminé. Non seulement cette indéterminité laisse factuellement indécis quel étant intramondain menace, mais elle signifie qu’en général ce n’est pas l’étant intramondain qui est « pertinent ». Rien de ce qui est à-portée-de-la-main et sous-la-main à l’intérieur du monde ne fonctionne comme ce devant-quoi l’angoisse s’angoisse. La totalité de tournure de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main découverte de manière intramondaine est comme telle absolument sans importance. Elle s’effondre. Dans l’angoisse ne fait encontre ni ceci ni cela dont il pourrait retourner en tant que menaçant. EtreTemps40
L’angoisse n’est pas seulement angoisse devant…, mais, en tant qu’affection, angoisse en-vue-de [NT: Angst um… Sur la préposition um, même remarque que supra, p. [141] et N.d.T.]… Ce en-vue-de, ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse n’est pas un mode d’être déterminé, une possibilité déterminée du Dasein. Car la menace, étant elle-même indéterminée, ne peut donc pas percer – en le menaçant – jusqu’à tel ou tel pouvoir-être facticement concret. Ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse est l’être-au-monde lui-même. Dans l’angoisse, l’à-portée-de-la-main intramondain, et en général l’étant intramondain, sombre. Le « monde » ne peut plus rien offrir, et tout aussi peu l’être-Là-avec d’autrui. L’angoisse ôte ainsi au Dasein la possibilité de se comprendre de manière échéante à partir du « monde » et de l’être-explicité public. Elle rejette le Dasein vers ce pour-quoi il s’angoisse, vers son pouvoir-être-au-monde authentique. L’angoisse isole le Dasein vers son être-au-monde le plus propre, qui, en tant que compréhensif, se projette essentiellement vers des possibilités. Par [188] suite, avec le pour-quoi [en-vue-de-quoi] du s’angoisser, l’angoisse ouvre le Dasein comme être-possible, plus précisément comme ce qu’il ne peut être qu’à partir de lui-même, seul, dans l’isolement. EtreTemps40
L’angoisse manifeste dans le Dasein l’être-pour le pouvoir-être le plus propre, c’est-à-dire l’être-libre pour la liberté du se-choisir-et-se-saisir-soi-même. L’angoisse place le Dasein devant son être-libre-pour (propensio in…) l’authenticité de son être en tant que possibilité qu’il est toujours déjà. Or c’est en même temps à cet être que le Dasein comme être-au-monde est remis. EtreTemps40
Ce pour-quoi [en-vue-de-quoi] l’angoisse s’angoisse se dévoile comme ce devant-quoi elle s’angoisse : l’être-au-monde. L’identité du devant-quoi de l’angoisse et de son pour-quoi s’étend même jusqu’au s’angoisser lui-même. Car celui-ci est en tant qu’affection un mode fondamental de l’être-au-monde. L’identité existentiale de l’ouvrir avec l’ouvert, identité telle qu’en cet ouvert le monde est ouvert comme monde, l’être-à comme pouvoir-être isolé, pur, jeté, atteste qu’avec le phénomène de l’angoisse c’est une affection insigne qui est devenue le thème de l’interprétation. L’angoisse isole et ouvre ainsi le Dasein comme « solus ipse ». Ce « solipsisme » existential, pourtant, transporte si peu une chose-sujet isolée dans le vide indifférent d’une survenance sans-monde qu’il place au contraire le Dasein, en un sens extrême, devant son monde comme monde, et, du même coup, lui-même devant soi-même comme être-au-monde. EtreTemps40
Le Dasein est un étant pour lequel, en son être, il y va de cet être même. Le « aller de… » s’est clarifié dans la constitution d’être du comprendre comme être qui se projette vers le pouvoir-être le plus propre. C’est en-vue-de celui-ci que le Dasein est à chaque fois comme il est. Le Dasein, en son être, s’est à chaque fois déjà confronté avec une possibilité de lui-même. L’être-libre vers le pouvoir-être le plus propre et, du même coup, vers la possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité se manifeste dans l’angoisse en une concrétion originaire, élémentaire. Or l’être pour le pouvoir-être le plus propre veut dire ontologiquement : le Dasein est, en son être, à chaque fois déjà en avant de lui-même. Le Dasein est toujours déjà [192] « au-delà de soi », non pas en tant que comportement vis-à-vis d’un autre étant qu’il n’est pas, mais en tant qu’être pour le pouvoir-être qu’il est lui-même. Cette structure d’être du « y aller de… » essentiel, nous la saisissons comme l’être-en-avant-de-soi du Dasein. EtreTemps41
L’être-en-avant-de-soi comme être pour le pouvoir-être le plus propre contient la condition ontologico-existentiale de possibilité de l’être-libre vers des possibilités existentielles authentiques. C’est en vue du pouvoir-être que le Dasein est à chaque fois comme il est facticement. Mais dans la mesure où cet être pour le pouvoir-être est lui-même déterminé par la liberté, le Dasein peut aussi se comporter velléitairement vis-à-vis de ses possibilités, il peut être inauthentique, et il est de prime abord et le plus souvent facticement selon cette guise. Le en-vue-de-quoi authentique reste non-saisi, le projet du pouvoir-être de soi-même est laissé à la disposition du On. Dans l’être-en-avant-de-soi, le « soi » désigne donc à chaque fois le Soi-même au sens du On-même. Même dans l’inauthenticité, le Dasein reste essentiellement en-avant-de-soi, tout de même que la fuite échéante du Dasein devant lui-même manifeste encore la constitution d’être selon laquelle, pour cet étant, il y va de son être. EtreTemps41
Le pouvoir-être en-vue duquel le Dasein est a lui-même le mode d’être de l’être-au-monde. Il implique donc ontologiquement le rapport à de l’étant intramondain. Le souci est toujours, même s’il n’est que privativement, préoccupation et sollicitude. Dans le vouloir, un étant compris, c’est-à-dire projeté vers sa possibilité, est saisi concrètement comme quelque chose dont il faut se préoccuper ou qu’il faut porter à son être par la sollicitude. C’est pourquoi au vouloir appartient à chaque fois un voulu, qui s’est déjà déterminé à partir d’un en-vue-de-quoi. La possibilité ontologique du vouloir a donc pour constituants : l’ouverture préalable de l’en-vue-de-quoi en général (être-en-avant-de-soi), l’ouverture de l’objet possible de préoccupation (le monde comme le « où » de l’être-déjà) et le se-projeter compréhensif du Dasein vers un pouvoir-être pour une possibilité de l’étant « voulu ». Dans le phénomène du vouloir perce la totalité sous-jacente du souci. EtreTemps41
Le vouloir « rassuré » sous la conduite du On ne signifie cependant pas une extinction de l’être pour le pouvoir-être, mais seulement une modification de cet être. L’être pour les possibilités se manifeste alors le plus souvent comme simple souhait. Dans le souhait, le Dasein projette son être vers des possibilités qui, dans la préoccupation, ne restent pas seulement non-saisies, mais encore dont le remplissement n’est même plus considéré et attendu, au contraire : la prépondérance de l’être-en-avant-de-soi selon le mode du simple souhait implique une incompréhension des possibilités factices. L’être-au-monde dont le monde est primairement projeté comme monde du souhait s’est perdu sans relâche dans le disponible, mais de telle sorte que celui-ci, désormais seul à-portée-de-la-main, ne suffit cependant pas à la lumière de ce qui est souhaité. Le souhait est une modification existentiale du se-projeter compréhensif qui, échu à l’être-jeté, ne fait plus qu’aspirer aux possibilités. Une telle aspiration referme les possibilités ; ce qui est « là » dans l’aspiration du souhait devient le « monde vrai ». Le souhait présuppose ontologiquement le souci. EtreTemps41
3. À la constitution d’être du Dasein appartient le projet : l’être ouvrant pour son pouvoir-être. Le Dasein peut, en tant que compréhensif, se comprendre à partir du « monde » et des autres ou à partir de son pouvoir-être le plus propre. Cette dernière possibilité signifie ceci : le Dasein s’ouvre à lui-même dans et comme son pouvoir-être le plus propre. Cette ouverture authentique manifeste le phénomène de la vérité la plus originaire dans le mode de l’authenticité. L’ouverture la plus originaire et aussi la plus authentique où puisse être le Dasein comme pouvoir-être est la vérité de l’existence. C’est seulement dans le contexte d’une analyse de l’authenticité du Dasein que cette vérité recevra sa déterminité ontologico-existentiale. EtreTemps44
Que veut dire « présupposer » ? Comprendre quelque chose comme le fondement de l’être d’un autre étant. Une telle compréhension de l’étant en ses connexions d’être n’est possible que sur la base de l’ouverture, c’est-à-dire de l’être-découvrant du Dasein. Présupposer de la « vérité » signifie alors la comprendre comme quelque chose en-vue-de quoi le Dasein est. Mais le Dasein – ceci est impliqué dans la constitution d’être comme souci – est à chaque fois en avant de soi. Il est l’étant pour lequel, en son être, il y va de son pouvoir-être le plus propre. À l’être et au pouvoir-être du Dasein comme être-au-monde appartient essentiellement l’ouverture et le découvrir. Pour le Dasein, il y va de son pouvoir-être-au-monde, et, conjointement, de la préoccupation circon-specte découvrante de l’étant intramondain. Dans la constitution d’être du Dasein comme souci, dans l’être-en-avant-de-soi, est inclus le « présupposer » le plus originaire. C’est parce qu’à l’être du Dasein appartient une telle auto-présupposition que « nous » devons nécessairement aussi « nous » présupposer, en tant que déterminés par l’ouverture. Ce « présupposer » inhérent à l’être du Dasein ne se rapporte pas à de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein, et qui est de surcroît, mais uniquement à lui-même. La vérité présupposée, ou le « il y a » par lequel son être doit être déterminé a le mode ou le sens d’être du Dasein lui-même. Si nous devons nécessairement « faire » la présupposition de la vérité, c’est parce qu’elle est déjà « faite » avec l’être du « nous ». EtreTemps44
Qu’est-ce qui a été conquis par l’analyse préparatoire du Dasein, et qu’est-ce qui est cherché ? Nous avons trouvé la constitution fondamentale de l’étant thématique, c’est-à-dire l’être-au-monde, dont les structures essentielles trouvent leur centre dans l’ouverture. La totalité de ce tout structurel s’est dévoilé comme souci. C’est dans le souci qu’est enclos l’être du Dasein. L’analyse de cet être a pris pour fil conducteur ce qui avait été déterminé anticipativement comme l’essence du Dasein – l’existence [NA: Cf. supra, §9 [EtreTemps9], p. [41] sq.]. Formellement, ce titre signifie ceci : le Dasein est en tant que ce pouvoir-être compréhensif pour lequel en son être il y va de cet être même. L’étant qui est ainsi, je le suis à chaque fois moi-même. L’élaboration du phénomène du souci nous a procuré un aperçu dans la constitution concrète de l’existence, c’est-à-dire dans le rapport qui l’unit cooriginairement avec la facticité et l’échéance du Dasein. EtreTemps45
Qu’en est-il donc de la pré-vision qui a guidé jusqu’ici la démarche ontologique ? Nous avons déterminé l’idée d’existence comme pouvoir-être compréhensif pour lequel il y va de son être même. Mais, en tant qu’à chaque fois mien, le pouvoir-être est libre pour l’authenticité ou l’inauthenticité ou l’indifférence modale des deux (NA: Cf. supra, §9 [EtreTemps9], p. [41] sq.). L’interprétation antérieure, qui prenait son point de départ dans la quotidienneté médiocre, s’en est tenue à l’analyse de l’exister indifférent ou inauthentique. Sans doute, sur ce chemin déjà, il a été possible et même nécessaire d’atteindre une détermination concrète de l’existentialité de [233] l’existence. Néanmoins la caractérisation ontologique de la constitution de l’existence demeurait grevée d’un défaut essentiel. Car existence signifie pouvoir-être – mais aussi pouvoir-être authentique. Tant que la structure existentiale du pouvoir-être authentique n’est pas reprise dans l’idée d’existence, la pré-vision guidant une interprétation existentiale manque encore et toujours d’originarité. EtreTemps45
Et qu’en est-il maintenant de la pré-acquisition de la situation herméneutique antérieure ? Quand et comment l’analyse existentiale s’est-elle assurée qu’en prenant son départ dans la quotidienneté, c’était tout le Dasein – cet étant depuis son « commencement » jusqu’à son « terme » – qu’elle pliait au regard phénoménologique thématisant ? Sans doute il a été affirmé que le souci est la totalité du tout structurel de la constitution du Dasein (NA: Cf. supra, §41 [EtreTemps41], p. [191] sq.). Mais l’amorçage de l’interprétation n’implique-t-il pas déjà le renoncement à la possibilité de porter au regard le Dasein en totalité ? La quotidienneté est bien justement l’être « entre » naissance et mort. Si l’existence détermine l’être du Dasein et si l’essence de l’existence est co-constituée par le pouvoir-être, alors il faut que le Dasein, aussi longtemps qu’il existe, en pouvant-être, à chaque fois ne soit pas encore quelque chose. L’étant dont l’existence constitue l’essence répugne essentiellement à sa saisie possible comme étant total. Non seulement la situation herméneutique ne s’est pas jusqu’ici assurée de l’« acquisition » de tout cet étant, mais la question se pose même de savoir si cette acquisition peut en général être atteinte, et si au contraire une interprétation ontologique originaire du Dasein n’est pas condamnée à échouer – sur le mode d’être de l’étant thématique lui-même. EtreTemps45
Ainsi donc prend naissance la tâche de porter à la pré-acquisition le Dasein comme un tout. Ce qui signifie cependant : déployer en général pour la première fois la question du pouvoir-être-tout de cet étant. Dans le Dasein, aussi longtemps qu’il est, quelque chose qu’il peut être et qu’il sera est à chaque fois encore en excédent (NT: Excédent (Ausstand) : ce concept sera thématiquement analysé – et sa traduction justifiée – au §48 [EtreTemps48]). Or à cet excédent appartient la [234] « fin » elle-même. La « fin » de l’être-au-monde est la mort. Cette fin appartenant au pouvoir-être, c’est-à-dire à l’existence, délimite et détermine la totalité à chaque fois possible du Dasein. Cependant, l’être-en-fin du Dasein dans la mort et, avec lui, l’être-tout de cet étant ne pourra être inclus de manière phénoménalement adéquate dans l’élucidation de son être-tout possible que si est conquis un concept ontologiquement suffisant, c’est-à-dire existential, de la mort. Mais la mort n’est selon la mesure du Dasein que dans un être pour la mort existentiel. La structure existentiale de cet être se révèle comme la constitution ontologique du pouvoir-être-tout du Dasein. Ainsi, tout le Dasein existant se laisse porter à la pré-acquisition. Oui, mais le Dasein peut-il aussi exister totalement de manière authentique ? Comment l’authenticité de l’existence doit-elle en général être déterminée sinon par rapport à un exister authentique ? D’où en tirerons-nous le critère ? Manifestement, c’est le Dasein lui-même qui, en son être, doit pré-donner la possibilité et la guise de son existence authentique, si tant est que celle-ci ne puisse ni lui être ontiquement imposée, ni être ontologiquement inventée. Or l’attestation d’un pouvoir-être authentique, c’est la conscience qui la donne. Comme la mort, ce phénomène du Dasein exige une interprétation existentiale adéquate. Celle-ci conduit à l’aperçu suivant lequel un pouvoir-être authentique du Dasein réside dans le vouloir-avoir-conscience. Mais cette possibilité existentielle, de par son sens d’être, tend vers la déterminité existentielle par l’être pour la mort. EtreTemps45
La recherche exposée dans la présente section parcourra donc les étapes suivantes l’être-tout possible du Dasein et l’être pour la mort (chapitre I) ; l’attestation par le Dasein d’un pouvoir-être authentique et la résolution (chapitre II) ; le pouvoir-être-tout authentique du Dasein et la temporalité comme sens ontologique du souci (chapitre III) ; temporalité et quotidienneté (chapitre IV) ; temporalité et historialité (chapitre V) ; la temporalité et l’intratemporalité comme origine du concept vulgaire du temps (chapitre VI) (NA: Au XIXème siècle, S. Kierkegaard s’est emparé expressément du problème de l’existence comme problème existentiel, et il l’a médité de façon pénétrante. Néanmoins, la problématique existentiale lui est si étrangère qu’il se tient, du point de vue ontologique, entièrement dans la mouvance de Hegel et de la philosophie antique telle que dévoilée par lui. Par suite, il y a plus à apprendre philosophiquement de ses écrits « édifiants » que de ses écrits théoriques – exception faite pour son essai sur Le concept d’angoisse.). EtreTemps45
Au souci, tel qu’il forme la totalité du tout structurel du Dasein, répugne manifestement, conformément à son sens ontologique, un être-tout possible de cet étant. Car le moment primaire du souci, le « en-avant-de-soi », signifie bel et bien que le Dasein existe à chaque fois en-vue-de-soi-même. « Aussi longtemps qu’il est », jusqu’à sa fin, le Dasein se rapporte à son pouvoir-être. Même lorsque, existant encore, il n’a plus rien « devant soi », qu’il a « soldé son compte », son être est encore déterminé par le « en-avant-de-soi ». Le désespoir, par exemple, n’arrache pas le Dasein à ses possibilités, et l’attitude sans illusions de celui qui est « prêt à tout » n’abrite pas moins en elle le « en-avant-de-soi ». Ainsi, ce moment structurel du souci indique sans équivoque qu’il y a encore dans le Dasein un excédent, quelque chose qui, en tant que pouvoir-être de lui-même, n’est pas encore devenu « effectif ». Dans l’essence de la constitution fondamentale du Dasein, il y a donc un constant inachèvement. La non-totalité signifie un excédent du pouvoir-être. EtreTemps46
La mort, elle, est une possibilité d’être que le Dasein a lui-même à chaque fois à assumer. Avec la mort, le Dasein se pré-cède lui-même en son pouvoir-être le plus propre. Dans cette possibilité, il y va pour le Dasein purement et simplement de son être-au-monde. Sa mort est la possibilité du pouvoir-ne-plus-être-Là. Tandis qu’il se pré-cède comme cette possibilité de lui-même, le Dasein est complètement assigné à son pouvoir-être le plus propre. Par cette pré-cédence, tous les rapports à d’autres Dasein sont pour lui dissous. Cette possibilité la plus propre, absolue, est en même temps la possibilité extrême. En tant que pouvoir-être, le Dasein ne peut jamais dépasser la possibilité de la mort. La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du Dasein. Ainsi la mort se dévoile-t-elle comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable. Comme telle, elle est une pré-cédence [251] insigne. La possibilité existentiale de celle-ci se fonde dans le fait que le Dasein est essentiellement ouvert à lui-même, et cela selon la guise du en-avant-de-soi. Ce moment structurel du souci a dans l’être pour la mort sa concrétion la plus originaire. L’être pour la fin devient phénoménalement plus clair en tant qu’être pour la possibilité insigne du Dasein qui vient d’être caractérisée. EtreTemps50
Sa possibilité la plus propre, absolue et indépassable, le Dasein ne se la procure cependant pas après coup et occasionnellement au cours de son être. Au contraire, si le Dasein existe, il est aussi et déjà jeté dans cette possibilité. Qu’il soit remis à sa mort, que celle-ci appartienne donc à l’être-au-monde, c’est là quelque chose dont le Dasein, de prime abord et le plus souvent, n’a nul savoir exprès, ni même théorique. L’être-jeté dans la mort se dévoile à lui plus originellement et instamment dans l’affection de l’angoisse [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [184] sq.]. L’angoisse de la mort est angoisse « devant » le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. Le devant-quoi de cette angoisse est l’être-au-monde lui-même. Le pour-quoi [en-vue-de-quoi] de cette angoisse est le pouvoir-être du Dasein en tant que tel. Il est exclu de confondre l’angoisse de la mort avec une peur de décéder. Elle n’est nullement une tonalité « faible » quelconque et contingente de l’individu, mais, en tant qu’affection fondamentale du Dasein, l’ouverture révélant que le Dasein existe comme être jeté pour sa fin. Ainsi se précise le concept existential du mourir comme être jeté pour le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. La délimitation d’un tel mourir par rapport à une pure disparition, et aussi par rapport à un simple périr, et encore par rapport à un « vécu » du décéder, a gagné en acuité. EtreTemps50
Le dégagement de l’être quotidien moyen pour la mort s’orientera sur les structures, plus haut conquises, de la quotidienneté. Dans l’être pour la mort, le Dasein se rapporte à lui-même comme à un pouvoir-être insigne. Mais le Soi-même de la quotidienneté est le On [NA: Cf. supra, §27 [EtreTemps27], p. [126] sq.], lequel se constitue dans l’être-explicité public qui s’ex-prime dans le bavardage. Celui-ci, par suite, doit manifester en quelle guise le Dasein quotidien s’explicite son être pour la mort. Le fondement de l’explicitation est toujours formé par un comprendre, lequel est toujours aussi affecté, c’est-à-dire intoné. Il convient donc de demander : comment le comprendre affecté qui se trouve dans le bavardage du On a-t-il ouvert l’être pour la mort ? Comment le On se rapporte-t-il compréhensivement à la possibilité la plus propre, absolue et indépassable du Dasein ? Quelle affection ouvre-t-elle au On la remise à la mort, et en quelle guise ? EtreTemps51
L’analyse du « on meurt » dévoile sans équivoque le mode d’être de l’être quotidien pour la mort. Celle-ci, en un tel parler, est comprise comme un quelque chose indéterminé, qui doit tout d’abord survenir depuis on ne sait où, mais qui, pour nous-mêmes, n’est pas encore sous-la-main, donc n’est pas menaçant. Le « on meurt » propage l’opinion que la mort frapperait pour ainsi dire le On. L’explicitation publique du Dasein dit : « on meurt », parce que tout autre, et d’abord le On-même, peut alors se dire : à chaque fois, ce n’est justement pas moi – car ce On est le Personne. Le « mourir » est nivelé en un événement survenant qui certes atteint le Dasein, mais n’appartient pourtant proprement à personne. Si jamais l’équivoque caractérise en propre le bavardage, c’est bien lorsqu’il prend la forme de ce parler de la mort. Le mourir, qui est essentiellement et ir-représentablement mien, est perverti en un événement publiquement survenant, qui fait encontre au On. Le discours caractéristique parle alors de la mort comme d’un « cas » survenant constamment. Il la donne comme toujours déjà « effective », donc il en voile le caractère de possibilité, et, avec lui, les moments essentiels de l’absoluité et de l’indépassabilité. Avec une pareille équivoque, le Dasein se met en position de se perdre dans le On du point de vue d’un pouvoir-être insigne, propre au Soi-même le plus propre. Le On lui donne raison, et il aggrave la tentation de se recouvrir l’être le plus propre pour la mort [NA: Cf. supra, §38 [EtreTemps38], p. [177] sq. Dans sa nouvelle La mort d’Ivan Ilitch, Léon Tolstoï a montré ce phénomène de l’ébranlement et de l’effondrement du « on meurt ».]. EtreTemps51
Mais en même temps qu’il procure ce rassurement propre à repousser le Dasein loin de sa mort, le On obtient légitimité et considération grâce à la régulation silencieuse de la manière dont on doit se comporter en général par rapport à la mort. Déjà la « pensée de la mort » vaut publiquement comme une peur lâche, un manque d’assurance du Dasein, une obscure fuite du monde. Le On interdit au courage de l’angoisse de la mort de se faire jour. Aussi bien, la souveraineté de l’être-explicité public du On a déjà décidé de l’affection à partir de laquelle la position vis-à-vis de la mort doit se déterminer. Dans l’angoisse de la mort, le Dasein est transporté devant lui-même en tant que remis à la possibilité indépassable. Or le On prend soin d’inverser cette angoisse en une peur d’un événement qui arrive. L’angoisse rendue équivoque comme peur, de surcroît, passera pour une faiblesse qu’un Dasein sûr de lui-même ne saurait connaître. Ce qui « sied », conformément au décret tacite du On, c’est le calme indifférent face au « fait » que l’on meurt. La formation d’une telle indifférence « supérieure » aliène le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, absolu. EtreTemps51
Or la tentation, le rassurement et l’aliénation caractérisent le mode d’être de l’échéance. L’être quotidien pour la mort, en tant qu’échéant, est une constante fuite devant elle. L’être pour la fin a le mode de l’esquive devant elle, esquive qui la ré-interprète, la comprend inauthentiquement et la voile. Que le Dasein propre, facticement, meure à chaque fois toujours déjà, autrement dit qu’il soit dans un être pour sa fin, ce fait, il se l’occulte à lui-même en transformant la mort en « cas » survenant quotidiennement chez les autres, et qui nous est encore plus clairement garanti par le fait que le « On-même », à n’en point douter, « vit » toujours. Mais, avec cette fuite échéante devant la mort, la quotidienneté du Dasein ne laisse pas de témoigner que le On même est lui aussi à chaque fois déjà déterminé comme être pour la mort, et cela même lorsqu’il ne se meut pas expressément dans une « pensée de la mort ». Pour le Dasein, il y va, même dans la quotidienneté médiocre, constamment de ce [255] pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable, serait-ce même selon le mode de la préoccupation pour une indifférence quiète À L’ÉGARD DE la possibilité extrême de son existence. EtreTemps51
Dans une pré-esquisse existentiale, l’être pour la mort a été déterminé comme l’être pour le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. L’être existant pour cette possibilité se transporte devant la pure et simple impossibilité de l’existence. Par-delà cette caractérisation apparemment vide de l’être pour la mort, s’est dévoilée la concrétion de cet être dans la modalité de la quotidienneté. Conformément à la tendance échéante essentielle à celle-ci, l’être pour la mort s’est signalé comme une esquive recouvrante devant elle. Mais si, auparavant, la recherche avait passé de la pré-esquisse formelle de la structure ontologique de la mort à l’analyse concrète de l’être quotidien pour la fin, il convient maintenant, en suivant la direction inverse, de conquérir le concept existential plein de la mort grâce à une interprétation plus complète de l’être quotidien pour la fin. EtreTemps52
On dit : il est certain que « la » mort vient. On le dit, et le On ne voit pas que, pour pouvoir être certain de la mort, il faut à chaque fois que le Dasein propre soit lui-même certain de son pouvoir-être le plus propre et absolu. On dit que la mort est certaine, et l’on transplante alors dans le Dasein l’apparence qu’il serait lui-même certain de sa mort. Mais où se trouve le fondement de l’être-certain quotidien ? Manifestement pas dans une simple persuasion mutuelle. Et pourtant, l’on expérimente chaque jour le « mourir » d’autrui. La mort est un indéniable « fait d’expérience ». EtreTemps52
L’être pour la mort authentique signifie une possibilité existentielle du Dasein. Ce pouvoir-être ontique doit de son côté être ontologiquement possible. Quelles sont les conditions existentiales de cette possibilité ? Comment doit-elle elle-même devenir accessible ? EtreTemps52
Facticement, le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans un être pour la mort inauthentique. Comment la possibilité ontologique d’un être authentique pour la mort doit-elle être « objectivement » caractérisée si le Dasein, en fin de compte, ne se rapporte jamais authentiquement à sa fin, ou bien si cet être authentique, de par son sens propre, doit demeurer retiré aux autres ? Le projet d’une possibilité existentiale d’un pouvoir-être existentiel aussi problématique ne constitue-t-il pas une entreprise fantastique ? De quoi est-il besoin pour qu’un tel projet dépasse une simple construction fictive, arbitraire ? Le Dasein donne-t-il lui-même à ce projet les indications nécessaires ? Est-il possible d’emprunter au Dasein lui-même des fondements de sa légitimité phénoménale ? Et la tâche ontologique que nous énonçons maintenant peut-elle recevoir de l’analyse antérieure du Dasein des prescriptions propres à placer son propos sur une voie sûre ? EtreTemps53
L’être pour la mort est devancement dans un pouvoir-être de l’étant dont le mode d’être est le devancement même. Dans le dévoilement devançant de ce pouvoir-être, le Dasein s’ouvre à lui-même quant à sa possibilité extrême. Mais se projeter vers son pouvoir-être le plus propre veut dire : pouvoir se comprendre soi-même dans l’être de l’étant ainsi dévoilé : [263] exister. Le devancement se manifeste comme possibilité du comprendre du pouvoir-être extrême le plus propre, c’est-à-dire comme possibilité d’existence authentique. La constitution ontologique de celle-ci doit être rendue visible grâce au dégagement de la structure concrète du devancement dans la mort. Comment s’accomplit la délimitation phénoménale de cette structure ? Manifestement, en déterminant les caractères de l’ouvrir devançant qui doivent nécessairement lui appartenir pour qu’il puisse devenir le pur comprendre de la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine et comme telle indéterminée. Mais il reste ici à considérer que le comprendre ne signifie pas primairement : fixer du regard un sens, mais se comprendre dans le pouvoir-être qui se dévoile dans le projet [NA: Cf. supra, §31 [EtreTemps31], p. [142] sq.]. EtreTemps53
La mort est la possibilité la plus propre du Dasein. L’être pour celle-ci ouvre au Dasein son pouvoir-être le plus propre, où il y va purement et simplement de l’être du Dasein. En ce pouvoir-être, il peut devenir manifeste au Dasein que, dans la possibilité insigne de lui-même, il demeure arraché au On, autrement dit qu’il peut à chaque fois, en devançant, s’y arracher. Mais c’est le comprendre de ce « pouvoir » qui dévoile pour la première fois la perte factice dans la quotidienneté du On-même. EtreTemps53
La possibilité la plus propre est absolue. Le devancement fait comprendre au Dasein qu’il a à assumer uniquement à partir de lui-même le pouvoir-être où il y va purement et simplement de son être le plus propre. La mort n’« appartient » pas seulement indifféremment au Dasein propre, mais elle interpelle celui-ci en tant que singulier. L’absoluité de la mort comprise dans le devancement isole le Dasein vers lui-même. Cet isolement est une guise de l’ouvrir du « Là » pour l’existence. Il manifeste que tout être auprès de l’étant offert à la préoccupation et tout être-avec avec autrui cesse d’être pertinent à partir du moment où il y va du pouvoir-être le plus propre. Le Dasein ne peut être authentiquement lui-même que s’il s’y dispose à partir de lui-même. Néanmoins, la non-pertinence de la préoccupation et de la sollicitude ne signifie nullement que ces guises du Dasein se trouvent détachées de l’être-Soi-même authentique. En tant que structures essentielles de la constitution du Dasein, elles appartiennent conjointement à la condition de possibilité de l’existence en général. Le Dasein n’est authentiquement lui-même que pour autant qu’il se projette primairement, en tant qu’être préoccupé auprès… et en tant qu’être-avec éclairé par la sollicitude, vers son pouvoir-être le plus propre, et non pas vers la possibilité du On-même. Le devancement dans la possibilité absolue force l’étant devançant à la possibilité d’assumer de lui-même et à partir de [264] lui-même son être le plus propre. EtreTemps53
La possibilité la plus propre, absolue, est indépassable. L’être pour elle fait comprendre au Dasein que le précède, à titre de possibilité extrême de l’existence, [la nécessité] de se sacrifier. Mais le devancement n’esquive pas l’indépassabilité comme l’être pour la mort inauthentique, mais il se rend libre pour elle. Le devenir-libre devançant pour la mort propre libère de la perte dans les possibilités qui ne se pressent que de manière contingente, et cela en faisant comprendre et choisir pour la première fois authentiquement les possibilités factices qui sont en deçà de la possibilité indépassable. Le devancement ouvre à l’existence, à titre de possibilité extrême, le sacrifice de soi et brise ainsi tout raidissement sur l’existence à chaque fois atteinte. En devançant, le Dasein se préserve de retomber derrière soi et son pouvoir-être compris, et de « devenir trop vieux pour ses victoires » (Nietzsche). Libre pour les possibilités les plus propres, déterminées à partir de la fin, c’est-à-dire comprises comme finies, le Dasein expulse le danger de méconnaître à partir de sa compréhension finie de l’existence les possibilités d’existence d’autrui qui le dépassent, ou bien, en les mésinterprétant, de les rabattre sur les siennes propres afin de se délivrer ainsi lui-même de son existence factice la plus propre. Mais la mort, en tant que possibilité absolue, n’isole que pour rendre, indépassable qu’elle est, le Dasein comme être-avec compréhensif pour le pouvoir-être des autres. Parce que le devancement dans la possibilité indépassable ouvre conjointement toutes les possibilités antérieures à elle, il inclut la possibilité d’une anticipation existentielle de tout le Dasein, c’est-à-dire la possibilité d’exister comme pouvoir-être total. EtreTemps53
La possibilité la plus propre, absolue et indépassable est certaine. Le mode d’être certain d’elle se détermine à partir de la vérité (ouverture) qui lui correspond. Mais la possibilité certaine de la mort n’ouvre le Dasein comme possibilité qu’en tant que celui-ci, devançant vers elle, possibilise pour soi cette possibilité comme pouvoir-être le plus propre. EtreTemps53
Le tenir-pour-vrai de la mort – la mort n’est à chaque fois que comme propre – manifeste une autre modalité et est plus originaire que toute certitude concernant un étant rencontré à l’intérieur du monde ou les objets formels ; car il est certain de l’être-au-monde. En tant que tel, il ne sollicite pas seulement une conduite déterminée du Dasein, mais celui-ci même dans la pleine authenticité de son existence [NA: Cf. supra, §62 [EtreTemps62], p. [305] sq.]. C’est seulement dans le devancement que le Dasein peut s’assurer de son être le plus propre dans sa totalité indépassable. Par suite, l’évidence d’une donation immédiate des vécus, du Moi et de la conscience doit nécessairement rester en deçà de la certitude qui est renfermée dans le devancement. Et cela non pas parce que le mode concerné de saisie ne serait pas rigoureux, mais parce qu’il ne peut fondamentalement pas tenir pour vrai (ouvert) ce qu’il veut au fond « avoir-là » en tant que vrai : le Dasein que je suis moi-même et que, en tant que pouvoir-être, je ne puis être authentiquement qu’en devançant. EtreTemps53
La possibilité la plus propre, absolue, indépassable et certaine est indéterminée en sa certitude. Comment le devancement ouvre-t-il ce caractère de la possibilité insigne du Dasein ? Comment le comprendre devançant se projette-t-il vers un pouvoir-être certain qui est constamment possible, mais de telle manière que le quand où devient possible la pure et simple impossibilité de l’existence demeure constamment indéterminé ? Dans le devancement vers la mort indéterminément certaine, le Dasein s’ouvre à une menace jaillissant de son Là lui-même, constante. L’être pour la fin doit se tenir en elle, et il peut si peu l’aveugler qu’il doit au contraire nécessairement configurer l’indéterminité de la certitude. Comment l’ouvrir natif de cette menace constante est-il existentialement possible ? Tout comprendre est affecté. La tonalité transporte le Dasein devant l’être-jeté de son « qu’il-est-Là » [NA: Cf. supra, §29 [EtreTemps29], p. [134] sq.]. Mais l’affection qui est en mesure de tenir ouverte la menace constante et pure et simple qui monte de l’être isolé le plus propre du Dasein, c’est l’angoisse [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [184] sq.]. C’est en elle que le Dasein se trouve devant le rien [266] de la possible impossibilité de son existence. L’angoisse s’angoisse pour le pouvoir-être de l’étant ainsi déterminé, et elle ouvre ainsi la possibilité extrême. Comme le devancement isole purement et simplement le Dasein et, dans cet isolement de lui-même, le fait devenir certain de la totalité de son pouvoir-être, à cette auto-compréhension du Dasein à partir de son fond appartient l’affection fondamentale de l’angoisse. L’être pour la mort est essentiellement angoisse. L’attestation univoque, quoique « seulement » indirecte en est donnée par l’être pour la mort qu’on a caractérisé, lorsqu’il pervertît l’angoisse en peur lâche et annonce, avec le surmontement de celle-ci, la lâcheté devant l’angoisse. EtreTemps53
Tous ces rapports, propres à l’être pour la mort, à la teneur pleine de la possibilité extrême du Dasein qui a été caractérisée trouvent leur convergence dans le fait qu’ils dévoilent, déploient et maintiennent le devancement constitué par eux en tant que possibilisation de cette possibilité. La délimitation existentialement projetante du devancement a rendu visible la possibilité ontologique d’un être existentiel authentique pour la mort. Mais du mê