possibilité existentiale

Les moments constitutifs du phénomène plein de la peur peuvent varier. De là résultent des possibilités d’être diverses de l’avoir-peur. À la structure d’encontre du menaçant appartient le faire-approche au sein de la proximité. Tandis qu’un menaçant s’engage lui-même soudainement en son « certes pas encore, et pourtant à tout instant » dans l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) préoccupé, la peur devient de l’effroi. Dans le menaçant, il faut par conséquent distinguer : le faire-approche prochain du menaçant et le mode d’encontre de l’approchement lui-même, la soudaineté. Le devant-quoi de l’effroi est de prime abord quelque chose de bien connu et de familier. Si en revanche le menaçant a le caractère de l’absolument non-familier, la peur devient horreur. Et lorsqu’enfin un menaçant fait encontre selon le caractère de l’horrible et a en même temps le caractère d’encontre de l’effrayant, la soudaineté, la peur devient épouvante. Nous connaissons encore d’autres modifications de la peur sous les noms de timidité, de réserve, d’anxiété, de surprise. En tant que possibilités du se-trouver (affection), toutes ces modifications renvoient au fait que le Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) est « intimidé ». Mais cette « intimidation » fondamentale doit être comprise non dans le sens ontique d’une disposition factice, « rare », mais comme une possibilité existentiale de l’affection essentielle du Dasein en général, qui naturellement n’en est pas la possibilité unique. EtreTemps30

Rien ne manifeste mieux la connexion du parler avec le comprendre et la compréhensivité que cette possibilité existentiale qui appartient au parler lui-même : l’entendre. Il n’est nullement fortuit que nous disions, lorsque nous n’avons pas « bien » entendu, que nous n’avons pas « compris ». L’entendre est constitutif du parler, et, de même que l’ébruitement linguistique se fonde dans le parler, la perception acoustique se fonde dans l’entendre. Le fait de prêter l’oreille à…, d’avoir des oreilles pour…, est l’être-ouvert existential du Dasein en tant qu’être-avec (Mitsein) envers les autres. L’entendre constitue même l’être-ouvert primaire et authentique du Dasein pour son pouvoir-être le plus propre, en tant qu’entente de la voix de l’ami que tout Dasein porte avec soi. Le Dasein entend parce qu’il comprend. En tant qu’être-au-monde (In-der-Welt-sein) compréhensif avec autrui, il est « obédient » à l’être-Là-avec (Mitdasein) et à lui-même, et c’est en cette obédience que se fonde pour lui toute appartenance. Cette entente mutuelle où se configure l’être-avec (Mitsein) présente les guises possibles de l’obéissance (« écouter »), de l’accompagnement, ou les modes privatifs du « refus d’entendre », de la résistance, du défi, de l’aversion. EtreTemps34

C’est seulement lorsqu’est donnée la possibilité existentiale du parler et de l’entendre que quelqu’un peut écouter. Celui qui « ne peut pas entendre » et « doit sentir », celui-là est peut-être tout à fait capable – et par le fait même – d’écouter. L’entendre-sans-plus-alentour est une privation du comprendre qui entend. Parler et entendre se fondent dans le comprendre. Celui-ci ne provient ni d’une abondance de parler, ni de l’affairement de l’entendre-aux-alentours. Seul celui qui comprend déjà peut prêter écoute. EtreTemps34

La mort, elle, est une possibilité d’être que le Dasein a lui-même à chaque fois à assumer. Avec la mort, le Dasein se pré-cède lui-même en son pouvoir-être le plus propre. Dans cette possibilité, il y va pour le Dasein purement et simplement de son être-au-monde (In-der-Welt-sein). Sa mort est la possibilité du pouvoir-ne-plus-être-Là. Tandis qu’il se pré-cède comme cette possibilité de lui-même, le Dasein est complètement assigné à son pouvoir-être le plus propre. Par cette pré-cédence, tous les rapports à d’autres Dasein sont pour lui dissous. Cette possibilité la plus propre, absolue, est en même temps la possibilité extrême. En tant que pouvoir-être, le Dasein ne peut jamais dépasser la possibilité de la mort. La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du Dasein. Ainsi la mort se dévoile-t-elle comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable. Comme telle, elle est une pré-cédence (251) insigne. La possibilité existentiale de celle-ci se fonde dans le fait que le Dasein est essentiellement ouvert à lui-même, et cela selon la guise du en-avant-de-soi. Ce moment structurel du souci a dans l’être pour la mort sa concrétion la plus originaire. L’être pour la fin devient phénoménalement plus clair en tant qu’être pour la possibilité insigne du Dasein qui vient d’être caractérisée. EtreTemps50

Mais si l’être pour la mort appartient originairement et essentiellement à l’être du Dasein, alors il doit nécessairement aussi – bien que de prime abord inauthentiquement – pouvoir être mis en lumière dans la quotidienneté (Alltäglichkeit). Et si l’être pour la fin devait même offrir la possibilité existentiale pour un être-tout existentiel du Dasein, il en résulterait une confirmation phénoménale de cette thèse : le souci est le titre ontologique de la totalité du tout structurel du Dasein. Toutefois, une pré-esquisse de la connexion entre être pour la mort et souci ne suffit pas à la justification phénoménale complète de cette proposition. Cette connexion, c’est avant tout dans la concrétion prochaine du Dasein, dans sa quotidienneté (Alltäglichkeit), qu’elle doit devenir visible. EtreTemps50

Facticement, le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans un être pour la mort inauthentique. Comment la possibilité ontologique d’un être authentique pour la mort doit-elle être « objectivement » caractérisée si le Dasein, en fin de compte, ne se rapporte jamais authentiquement à sa fin, ou bien si cet être authentique, de par son sens propre, doit demeurer retiré aux autres ? Le projet d’une possibilité existentiale d’un pouvoir-être existentiel aussi problématique ne constitue-t-il pas une entreprise fantastique ? De quoi est-il besoin pour qu’un tel projet dépasse une simple construction fictive, arbitraire ? Le Dasein donne-t-il lui-même à ce projet les indications nécessaires ? Est-il possible d’emprunter au Dasein lui-même des fondements de sa légitimité phénoménale ? Et la tâche ontologique que nous énonçons maintenant peut-elle recevoir de l’analyse antérieure du Dasein des prescriptions propres à placer son propos sur une voie sûre ? EtreTemps53

L’unité ekstatique de la temporalité, c’est-à-dire l’unité de l’« être-hors-de-soi » dans les échappées de l’avenir, de l’être-été et du présent, est la condition de possibilité requise pour qu’un étant qui existe comme son « Là » puisse être. L’étant qui porte le titre de Da-sein, est « éclairci » (NA: §28 (EtreTemps28)). La lumière qui constitue cet être-éclairci du Dasein n’est point la force et la source ontiquement sous-la-main d’une clarté irradiante qui surviendrait de temps à autre en cet étant. Ce qui éclaircit essentiellement cet étant, c’est-à-dire qui le rend « ouvert » à lui-même aussi bien que « lucide », a été déterminé, avant même toute interprétation « temporelle », comme souci. C’est en celui-ci que se fonde la pleine ouverture du Là. Cet (351) être-éclairci rend pour la première fois possible toute illumination et tout éclairement, tout accueil, tout « voir » et tout avoir de quelque chose. Nous ne pouvons comprendre la lumière de cet être-éclairci que si, au lieu de nous mettre en quête d’une force innée, sous-la-main, nous interrogeons la constitution d’être totale du Dasein, le souci, quant au fondement unitaire de sa possibilité existentiale. La temporalité ekstatique éclaircit le Là originairement. Elle est le régulateur primordial de l’unité possible de toutes les structures existentiales essentielles du Dasein. EtreTemps69

C’est seulement à partir de l’enracinement du Da-sein dans la temporalité que se laisse apercevoir la possibilité existentiale du phénomène que nous avions introduit au début de l’analytique du Dasein comme la constitution fondamentale de celui-ci : l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). L’essentiel, au départ, était d’assurer l’unité indéchirable, structurelle de ce phénomène. La question du fondement de l’unité possible de cette structure articulée demeurait à l’arrière-plan. Afin de protéger le phénomène de tendances « évidentes », mais d’autant plus fatales, à le faire éclater, c’est le mode quotidien (alltäglich) prochain de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), l’être préoccupé auprès de l’à-portée-de-la-main intramondain qui a été interprété de manière circonstanciée. Mais maintenant que le souci a été lui-même ontologiquement délimité et reconduit à son fondement existential, la temporalité, la préoccupation (Besorgen), de son côté, peut être expressément conçue à partir du souci, ou de la temporalité. EtreTemps69

L’analytique existentiale qui précède s’installe au contraire d’emblée dans la « concrétion » de l’existence facticement jetée, afin de dévoiler la temporalité comme sa (436) possibilisation originaire. L’« esprit » ne tombe pas tout d’abord dans le temps, mais il existe comme temporalisation originaire de la temporalité. Celle-ci temporalise le temps du monde, dans l’horizon duquel l’« histoire » peut « apparaître » comme provenir intratemporel. Loin que l’« esprit » tombe dans le temps, c’est l’existence factice qui, en temps qu’échéance, « choit » de la temporalité originaire, authentique. Mais ce « choir » a lui-même sa possibilité existentiale dans un mode de temporalisation de la temporalité inhérent à celle-ci. EtreTemps82