Man-selbst [SZ]
Le Soi-même du Dasein quotidien [alltäglich] est le On [das Man]-même, que nous distinguons du Soi-même authentique, c’est-à-dire proprement saisi. En tant que On-même, chaque Dasein est dispersé dans le On [das Man], et il doit commencer par se retrouver. Cette dispersion caractérise le « sujet » de ce mode d’être que nous connaissons sous le nom d’identification préoccupée avec le monde de prime abord rencontré. Mais que le Dasein soit familier de lui-même comme On-même, cela signifie en même temps que le On [das Man] pré-dessine l’explicitation prochaine du monde et de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le On-même, en-vue-de quoi le Dasein est quotidienne [alltäglich]ment, articule le complexe de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit]. Le monde du Dasein libère l’étant qui fait encontre vers une totalité de tournure [Bewandtnis] qui est familière au On, et cela dans les limites qui sont fixées avec la médiocrité du On. De prime abord, le Dasein factice est dans le monde commun [Mitwelt] médiocrement découvert. De prime abord, « je » ne « suis » pas au sens du Soi-même propre, mais je suis les autres selon la guise du On. C’est à partir de celui-ci et comme celui-ci que, de prime abord, je suis « donné » à moi-même ». Le Dasein est de prime abord On et le plus souvent il demeure tel. Lorsque le Dasein découvre et s’approche proprement le monde, lorsqu’il s’ouvre à lui-même son être authentique, alors cette découverte du « monde » et cette ouverture du Dasein s’accomplit toujours en tant qu’évacuation des recouvrements et des obscurcissements, et que rupture des dissimulations par lesquelles le Dasein se verrouille l’accès à lui-même. EtreTemps27
Le Dasein existe facticement. Le questionnement porte sur l’unité ontologique de l’existentialité et de la facticité, ou sur l’appartenance essentielle de celle-ci à celle-là. Le Dasein, sur la base de l’affection qui lui appartient essentiellement, a un mode d’être où il est placé devant lui-même et où son être-jeté lui est ouvert. Mais l’être-jeté est le mode d’être d’un étant qui est à chaque fois lui-même ses possibilités, de telle manière qu’il se comprend dans et partir d’elles (se projette vers elles). L’être-au-monde [In-der-Welt-sein], auquel l’être auprès de l’à-portée-de-la-main appartient tout aussi originairement que l’être-avec [Mitsein] avec autrui, est à chaque fois en-vue-de lui-même. Mais le Soi-même est de prime abord et le plus souvent inauthentique – le On [das Man]-même. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] est toujours déjà échu. La quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre du Dasein peut par conséquent être déterminée comme l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] échéant-ouvert, jeté-projetant, pour lequel il y va, en son être auprès du « monde » et en l’être-avec [Mitsein] avec autrui, du pouvoir-être le plus propre lui-même. EtreTemps39
L’être-en-avant-de-soi comme être pour le pouvoir-être le plus propre contient la condition ontologico-existentiale de possibilité de l’être-libre vers des possibilités existentielles authentiques. C’est en vue du pouvoir-être que le Dasein est à chaque fois comme il est facticement. Mais dans la mesure où cet être pour le pouvoir-être est lui-même déterminé par la liberté, le Dasein peut aussi se comporter velléitairement vis-à-vis de ses possibilités, il peut être inauthentique, et il est de prime abord et le plus souvent facticement selon cette guise. Le en-vue-de-quoi authentique reste non-saisi, le projet du pouvoir-être de soi-même est laissé à la disposition du On. Dans l’être-en-avant-de-soi, le « soi » désigne donc à chaque fois le Soi-même au sens du On-même. Même dans l’inauthenticité, le Dasein reste essentiellement en-avant-de-soi, tout de même que la fuite échéante du Dasein devant lui-même manifeste encore la constitution d’être selon laquelle, pour cet étant, il y va de son être. EtreTemps41
La publicité de l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] quotidien [alltäglich] « connaît » la mort comme un accident [253] survenant constamment, comme décès [Ableben] [Ableben] annoncé. Tel ou tel, proche ou éloigné, « meurt ». Des inconnus « meurent » chaque jour, à chaque heure. « La mort » fait encontre comme un événement bien connu, survenant à l’intérieur du monde. Comme telle, elle demeure dans la non-imposition [NA: Cf. supra, §16 [EtreTemps16], p. [72] sq.] caractéristique de tout ce qui fait quotidienne [alltäglich]ment encontre. Et le On [das Man] s’est toujours déjà assuré d’une explicitation de cet événement. Ce que veut dire à ce sujet le discours « passager », qu’il soit explicite, ou, comme le plus souvent, retenu, c’est : on finit toujours par mourir un jour, mais de prime abord, le On [das Man]-même demeure hors d’atteinte. EtreTemps51
L’analyse du « on meurt » dévoile sans équivoque le mode d’être de l’être quotidien [alltäglich] pour la mort. Celle-ci, en un tel parler, est comprise comme un quelque chose indéterminé, qui doit tout d’abord survenir depuis on ne sait où, mais qui, pour nous-mêmes, n’est pas encore sous-la-main, donc n’est pas menaçant. Le « on meurt » propage l’opinion que la mort frapperait pour ainsi dire le On [das Man]. L’explicitation publique du Dasein dit : « on meurt », parce que tout autre, et d’abord le On [das Man]-même, peut alors se dire : à chaque fois, ce n’est justement pas moi – car ce On est le Personne. Le « mourir » est nivelé en un événement survenant qui certes atteint le Dasein, mais n’appartient pourtant proprement à personne. Si jamais l’équivoque caractérise en propre le bavardage [Gerede], c’est bien lorsqu’il prend la forme de ce parler de la mort. Le mourir, qui est essentiellement et ir-représentablement mien, est perverti en un événement publiquement survenant, qui fait encontre au On. Le discours caractéristique parle alors de la mort comme d’un « cas » survenant constamment. Il la donne comme toujours déjà « effective », donc il en voile le caractère de possibilité, et, avec lui, les moments essentiels de l’absoluité et de l’indépassabilité. Avec une pareille équivoque, le Dasein se met en position de se perdre dans le On [das Man] du point de vue d’un pouvoir-être insigne, propre au Soi-même le plus propre. Le On lui donne raison, et il aggrave la tentation de se recouvrir l’être le plus propre pour la mort [NA: Cf. supra, §38 [EtreTemps38], p. [177] sq. Dans sa nouvelle La mort d’Ivan Ilitch, Léon Tolstoï a montré ce phénomène de l’ébranlement et de l’effondrement du « on meurt ».]. EtreTemps51
Or la tentation, le rassurement et l’aliénation caractérisent le mode d’être de l’échéance. L’être quotidien [alltäglich] pour la mort, en tant qu’échéant, est une constante fuite devant elle. L’être pour la fin a le mode de l’esquive devant elle, esquive qui la ré-interprète, la comprend inauthentiquement et la voile. Que le Dasein propre, facticement, meure à chaque fois toujours déjà, autrement dit qu’il soit dans un être pour sa fin, ce fait, il se l’occulte à lui-même en transformant la mort en « cas » survenant quotidienne [alltäglich]ment chez les autres, et qui nous est encore plus clairement garanti par le fait que le « On-même », à n’en point douter, « vit » toujours. Mais, avec cette fuite échéante devant la mort, la quotidienneté [Alltäglichkeit] du Dasein ne laisse pas de témoigner que le On [das Man] même est lui aussi à chaque fois déjà déterminé comme être pour la mort, et cela même lorsqu’il ne se meut pas expressément dans une « pensée de la mort ». Pour le Dasein, il y va, même dans la quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre, constamment de ce [255] pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable, serait-ce même selon le mode de la préoccupation [Besorgen] pour une indifférence quiète À L’ÉGARD DE la possibilité extrême de son existence. EtreTemps51
La mort est la possibilité la plus propre du Dasein. L’être pour celle-ci ouvre au Dasein son pouvoir-être le plus propre, où il y va purement et simplement de l’être du Dasein. En ce pouvoir-être, il peut devenir manifeste au Dasein que, dans la possibilité insigne de lui-même, il demeure arraché au On, autrement dit qu’il peut à chaque fois, en devançant, s’y arracher. Mais c’est le comprendre de ce « pouvoir » qui dévoile pour la première fois la perte factice dans la quotidienneté [Alltäglichkeit] du On-même. EtreTemps53
La possibilité la plus propre est absolue. Le devancement fait comprendre au Dasein qu’il a à assumer uniquement à partir de lui-même le pouvoir-être où il y va purement et simplement de son être le plus propre. La mort n’« appartient » pas seulement indifféremment au Dasein propre, mais elle interpelle celui-ci en tant que singulier. L’absoluité de la mort comprise dans le devancement isole le Dasein vers lui-même. Cet isolement est une guise de l’ouvrir du « Là » pour l’existence. Il manifeste que tout être auprès de l’étant offert à la préoccupation [Besorgen] et tout être-avec [Mitsein] avec autrui cesse d’être pertinent à partir du moment où il y va du pouvoir-être le plus propre. Le Dasein ne peut être authentiquement lui-même que s’il s’y dispose à partir de lui-même. Néanmoins, la non-pertinence de la préoccupation [Besorgen] et de la sollicitude [Fürsorge] ne signifie nullement que ces guises du Dasein se trouvent détachées de l’être-Soi-même authentique. En tant que structures essentielles de la constitution du Dasein, elles appartiennent conjointement à la condition de possibilité de l’existence en général. Le Dasein n’est authentiquement lui-même que pour autant qu’il se projette primairement, en tant qu’être préoccupé auprès… et en tant qu’être-avec [Mitsein] éclairé par la sollicitude [Fürsorge], vers son pouvoir-être le plus propre, et non pas vers la possibilité du On-même. Le devancement dans la possibilité absolue force l’étant devançant à la possibilité d’assumer de lui-même et à partir de [264] lui-même son être le plus propre. EtreTemps53
Il est maintenant possible de résumer ainsi notre caractérisation de l’être pour la mort authentique existentialement projeté : le devancement dévoile au Dasein sa perte dans le On [das Man]-même et le transporte devant la possibilité, primairement dépourvue de la protection de la sollicitude [Fürsorge] préoccupée, d’être lui-même – mais lui-même dans la LIBERTÉ POUR LA MORT passionnée, déliée des illusions du On, factice, certaine d’elle-même et angoissée. EtreTemps53
L’attestation doit donner à comprendre un pouvoir-être-Soi-même authentique. L’expression « Soi-même » nous a permis de répondre à la question du qui du Dasein [NA: Cf. supra, §25 [EtreTemps25], p. [114] sq.]. L’ipséité du Dasein a été formellement déterminée comme une guise d’exister, et non pas, par conséquent, comme un étant sous-la-main. Le qui du Dasein, la plupart du temps je ne le suis pas moi-même, c’est le On [das Man]-même qui l’est. L’être-Soi-même authentique se détermine comme une modification existentielle du On qu’il convient de délimiter existentialement [NA: Cf. supra, §27 [EtreTemps27], p. [126] sq., notamment p. [130].]. Qu’implique cette modification, et quelles en sont les conditions ontologiques de possibilité ? EtreTemps54
[268] Avec la perte dans le On [das Man], il est toujours déjà décidé du pouvoir-être factice prochain du Dasein, autrement dit des tâches, des règles, des critères, de la profondeur et de l’étendue de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] dans sa préoccupation [Besorgen] et sa sollicitude [Fürsorge]. Le On a toujours déjà soustrait au Dasein la saisie de ces possibilités d’être. Davantage, le On [das Man] soustrait au regard [du Dasein] cette soustraction même, silencieusement opérée par lui, de tout choix exprès de ces possibilités. Qui « à proprement parler » choisit, c’est ce qui demeure indéterminé. Cette privation de choix, cet entraînement par « personne », où le Dasein s’empêtre dans l’inauthenticité, ne peut être inversé qu’à la condition que le Dasein se ramène proprement de sa perte dans le On [das Man] vers lui-même. Néanmoins, cette reprise doit nécessairement avoir le mode d’être par l’omission duquel le Dasein se perdait dans l’inauthenticité. La reprise de soi hors du On, autrement dit la modification existentielle du On-même en être-Soi-même authentique doit nécessairement s’accomplir comme re-saisie d’un choix. Mais ressaisir un choix signifie choisir ce choix, se décider pour un pouvoir-être puisé dans le Soi-même le plus propre. C’est dans le choix du choix que le Dasein se rend pour la première fois possible son pouvoir-être authentique. EtreTemps54Par l’ouverture, l’étant que nous appelons Dasein est dans la possibilité d’être son Là. Avec son monde, il est pour lui-même là, et cela de prime abord et le plus souvent en s’étant ouvert son pouvoir-être à partir du « monde » dont il est préoccupé. Le pouvoir-être en lequel le Dasein existe s’est abandonné à des possibilités à chaque fois déjà déterminées. Et cela parce qu’il est un étant jeté, cet être-jeté étant plus ou moins clairement et instamment ouvert pour l’être-intoné. À l’affection (tonalité) appartient cooriginairement le comprendre. Par là, le Dasein « sait » ce qu’il en est de lui-même pour autant qu’il s’est projeté vers des possibilités de lui-même à moins que, s’identifiant au On, il ne se les soit laissé prédonner par l’explicitation publique de celui-ci. Mais ce qui rend existentialement cette prédonation [271] possible, c’est que le Dasein, en tant qu’être-avec [Mitsein] compréhensif, peut entendre autrui. En se perdant dans la publicité du On et son bavardage [Gerede], il més-entend, n’entendant que le On [das Man]-même, son Soi-même propre. Si le Dasein doit pouvoir être ramené – et certes par lui-même – hors de cette perte de la més-entente de soi, alors il faut qu’il puisse d’abord se trouver, lui-même qui s’est més-entendu et més-entendu dans l’écoute du On. Cette écoute doit être brisée, autrement dit il faut que lui soit donnée par le Dasein même la possibilité d’un entendre qui l’interrompe. La possibilité d’une telle rupture se trouve dans l’être-ad-voqué im-médiat. L’appel brise l’écoute prêtée au On par un Dasein qui se més-entend, lorsque, conformément à son caractère d’appel, il éveille un entendre qui est en tous points caractérisé de manière opposée à l’entendre perdu. Si celui-ci est pris par le « vacarme » de la multiple équivoque d’un bavardage [Gerede] chaque jour « nouveau », il faut que l’appel appelle sans vacarme, sans équivoque, sans point d’appui pour la curiosité. Ce qui donne à comprendre en appelant ainsi, c’est la conscience [Gewissen]. EtreTemps55
Or qu’est-ce donc qui, dans l’appel de la conscience [Gewissen], est le discuté, c’est-à-dire l’ad-voqué ? Manifestement, le Dasein lui-même. Cette réponse, cependant, est aussi indéterminée qu’incontestable. Car si l’appel avait un but aussi vague, il ne demeurerait tout au plus pour le Dasein qu’une incitation à prêter attention à soi. Seulement, il appartient essentiellement au Dasein d’être ouvert à lui-même avec l’ouverture de son monde, de telle manière qu’il se comprend toujours déjà. L’appel atteint le Dasein dans ce se-comprendre-toujours-déjà quotidienne [alltäglich]ment et médiocrement préoccupé. C’est le On [das Man]-même de l’être-avec [Mitsein] préoccupé avec autrui qui est atteint par l’appel. EtreTemps56
Et vers quoi est-il ad-voqué ? Vers le Soi-même propre, autrement dit : non pas vers ce [273] que le Dasein, dans l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] public, vaut, peut, pourvoit, ni même vers ce qu’il a saisi, ce à quoi il s’est engagé, ce par quoi il s’est laissé prendre. Dans une telle ad-vocation [An-ruf], le Dasein tel qu’il est mondainement compris pour les autres et pour soi-même est passé (NT: Au double sens d’« omis » et « dépassé » : laissé sur place.). L’appel au Soi-même ne prend pas de tout cela la moindre connaissance. Comme c’est seulement le Soi-même du On-même qui est ad-voqué et porté à l’entendre, le On [das Man] sombre. Cependant, que l’appel passe le On [das Man] et l’être-explicité public du Dasein, cela ne signifie nullement qu’il ne l’atteigne pas conjointement. En tant même qu’il le passe, il précipite un On avide de la considération publique dans l’insignifiance. Le Soi-même, au contraire, privé dans l’ad-vocation [An-ruf] de ce refuge et de ce masque, est porté par l’appel à lui-même. EtreTemps56
C’est vers le Soi-même que le On [das Man]-même est ad-voqué – non pas cependant vers ce Soi-même qui peut devenir pour soi « objet » d’appréciation, non pas vers ce Soi-même qui, excité par la curiosité, se livre à la dissection indiscrète de sa « vie intérieure », non pas vers ce Soi-même qui regarde « analytiquement » des états psychiques et leurs arrière-fonds. L’ad-vocation [An-ruf] du Soi-même dans le On [das Man]-même ne le presse pas vers soi-même [comme] dans une intériorité qui lui permette de se refermer au « monde extérieur ». L’appel saute par-dessus tout cela, il le disperse, pour ad-voquer uniquement le Soi-même, qui, cependant, n’est jamais que selon la guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps56
Mais ce que l’appel ouvre n’en est pas moins univoque, même si le Dasein singulier, conformément à ses possibilités de compréhension, peut en prendre une interprétation diverse. Par-delà l’indétermination apparente de la teneur de l’appel, il est impossible de méconnaître la sûre direction d’impact de l’appel. L’appel n’a nul besoin de chercher d’abord à tâtons celui qu’il va ad-voquer, ni de signes pour reconnaître que c’est bien lui ou non. S’il se produit dans la conscience [Gewissen] des « illusions », ce n’est point que l’appel s’est fourvoyé (et ainsi ré-voqué), mais c’est uniquement à partir du mode en lequel l’appel est entendu : c’est que l’appel, au lieu d’être authentiquement compris, est entraîné par le On [das Man]-même dans la transaction d’un colloque avec soi et ainsi perverti en sa tendance ouvrante. EtreTemps56
Il faut le maintenir : l’appel qui nous a servi à caractériser la conscience [Gewissen] est ad-vocation [An-ruf] du On-même en son Soi-même ; en tant que tel, il est la con-vocation [Aufruf] du Soi-même à son pouvoir-être-Soi-même, et, du même coup une pro-vocation du Dasein vers ses possibilités. EtreTemps56
Qu’il soit facticement, cela peut bien être retiré en son pourquoi, mais le « Que » luimême n’est pas moins ouvert au Dasein. L’être-jeté de l’étant appartient à l’ouverture du « Là » et se dévoile constamment dans ce qui est à chaque fois son affection. Celle-ci transporte le Dasein plus ou moins expressément et authentiquement devant son « qu’il est et, en tant que l’étant qu’il est, il a à être en pouvant-être ». Toutefois, le plus souvent, la tonalité referme l’être-jeté. Le Dasein fuit devant celui-ci dans la facilité de la prétendue liberté du On-même. Cette fuite a été caractérisée comme fuite devant l’étrang(èr)eté qui détermine fondamentalement l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] en son isolement. L’étrang(èr)eté se dévoile proprement dans l’affection fondamentale de l’angoisse, et, en tant que l’ouverture la plus élémentaire du Dasein jeté, elle place son être-au-monde [In-der-Welt-sein] devant le rien du monde, rien devant lequel il s’angoisse dans l’angoisse pour le pouvoir-être le plus propre. Qu’en serait-il donc, si le Dasein tel qu’il se trouve (est affecté) au fond de son étrang(èr)eté était l’appelant de l’appel de la conscience [Gewissen] ? EtreTemps57
L’appelant n’est « mondainement » déterminable par rien en son qui. Il est le Dasein en son étrang(èr)eté, il est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] originellement jeté en tant qu’hors-de-chez-lui, il est [277] le « que » nu dans le rien du monde. L’appelant est non-familier au On-même quotidien [alltäglich] – quelque chose comme une voix étrangère. Et qu’est-ce qui pourrait être plus étranger au On, perdu qu’il est dans la diversité du « monde » de sa préoccupation [Besorgen], que le Soi-même isolé sur soi dans l’étrang(èr)eté, jeté dans le rien ? « Ça » appelle, et pourtant cela ne donne rien à entendre à l’oreille préoccupée et curieuse qui puisse après coup être répété et publiquement commenté. Et en effet, que pourrait bien relater le Dasein à partir de l’étrang(èr)eté de son être jeté ? Que lui reste-t-il d’autre que le pouvoir-être de lui-même, dévoilé dans l’angoisse ? Comment pourrait-il appeler autrement qu’en une con-vocation [Aufruf] à ce pouvoir-être dont il y va uniquement pour lui ? EtreTemps57
Avec l’interprétation précédente de l’appelant, qui se conforme purement au caractère phénoménal de l’appeler, la « puissance » de la conscience [Gewissen] n’est pas plus diminuée que rendue « purement subjective », au contraire : c’est ainsi seulement que l’inexorabilité, l’univocité de l’appel est libérée. L’« objectivité » de l’ad-vocation [An-ruf] ne peut obtenir son droit qu’à condition que l’interprétation lui laisse sa « subjectivité », laquelle bien entendu refuse la souveraineté au On-même. EtreTemps57
Pour saisir phénoménalement ce qui est entendu dans la compréhension de l’ad-vocation [An-ruf], il convient d’en revenir une fois de plus à celle-ci. L’ad-voquer du On-même signifie une con-vocation [Aufruf] du Soi-même le plus propre à son pouvoir-être, et cela en tant que Dasein, c’est-à-dire en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé et être-avec [Mitsein] avec les autres. L’interprétation existentiale de ce à quoi l’appel con-voque ne peut donc, pour autant qu’elle se comprenne bien dans ses possibilités et ses tâches méthodiques, entreprendre de délimiter telle ou telle possibilité concrète singulière d’existence. Ce qui peut et demande à être fixé, ce n’est pas ce qui, à chaque fois et existentiellement, est « crié » dans chaque Dasein et vers celui-ci, mais ce qui appartient à la condition existentiale de possibilité du pouvoir-être à chaque fois factice-existentiel. EtreTemps58
Avec ce choix, le Dasein se rend possible son être-en-dette le plus propre, qui demeure [288] refermé au On-même. L’entente du On ne connaît que la suffisance ou l’insuffisance par rapport à la règle courante et à la norme publique. Le On décompte des infractions contre elles, et il cherche des compromis. Il s’est dérobé à l’être-en-dette le plus propre, afin de commenter d’autant plus bruyamment les fautes commises. Mais dans l’ad-vocation [An-ruf], le On [das Man]-même est ad-voqué à l’être-en-dette le plus propre du Soi-même. La compréhension de l’appel est le choisir – non pas cependant de la conscience [Gewissen] qui, comme telle, ne peut être choisie. Ce qui est choisi, c’est l’avoir-conscience [Gewissen] en tant qu’être-libre pour l’être-en-dette le plus propre. Comprendre l’ad-vocation [An-ruf] signifie : vouloir-avoir-conscience [Gewissen]. EtreTemps58
Le pour-quoi de la résolution est ontologiquement pré-dessiné dans l’existentialité du Dasein en général comme pouvoir-être selon la guise de la sollicitude [Fürsorge] préoccupée. Mais en tant que souci, le Dasein est déterminé par la facticité et par l’échéance. Ouvert en son « Là », il se tient cooriginairement dans la vérité et la non-vérité [NA: Cf. supra, §44 [EtreTemps44], p. [222].]. Or autant vaut justement « à [299] proprement parler » de la résolution comme vérité authentique. Elle s’approprie authentiquement la non-vérité. Le Dasein est à chaque fois déjà, et par suite il est peut-être de nouveau dans l’ir-résolution. Ce dernier titre exprime seulement le phénomène qui a été auparavant interprété comme être-livré à l’explicitation régnante du On. Le Dasein en tant que On-même est « porté » par l’équivoque d’entendement de la publicité, où personne ne se résout, et qui pourtant a toujours déjà tranché. La résolution veut dire : se-laisser-con-voquer hors de la perte dans le On [das Man]. L’ir-résolution du On, néanmoins, demeure souveraine – à ceci près qu’elle ne peut plus entamer l’existence résolue. L’ir-résolution, en tant que contre-concept de la résolution comprise existentialement, ne désigne pas une propriété ontico-psychique, une charge d’inhibitions par exemple. Même la décision demeure assignée au On et à son monde. Comprendre cela appartient également à ce qu’elle ouvre, dans la mesure où la résolution est ce qui donne pour la première fois au Dasein sa translucidité authentique. Dans la résolution, il y va pour le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, lequel, en tant que jeté, ne peut se projeter que vers des possibilités factices déterminées. La décision ne se soustrait pas à l’« effectivité », mais découvre pour la première fois le possible factice, et cela en s’en emparant de la manière dont elle le peut en tant que pouvoir-être le plus propre dans le On [das Man]. La déterminité [Bestimmtheit] existentiale du Dasein résolu à chaque fois possible embrasse les moments constitutifs de ce phénomène existential – omis jusqu’ici – que nous appelons la situation. EtreTemps60
Ontologiquement, le Dasein est fondamentalement différent de tout étant sous-la-main ou réel. Sa « réalité » ne se fonde pas dans la substantialité d’une substance, mais dans l’« autonomie » du Soi-même existant, dont l’être a été conçu comme souci. Le phénomène du Soi-même, conjointement inclus dans le souci, a besoin d’une délimitation existentiale originaire et authentique par rapport à la mise en lumière préparatoire du On-même inauthentique. Ce qui implique en même temps une fixation des questions ontologiques possibles qui doivent en général être posées au « Soi-même », si celui-ci n’est ni substance ni sujet. EtreTemps61
Non seulement la mise en lumière des structures les plus élémentaires de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], la délimitation du concept de monde, la clarification du qui prochain et médiocre de cet étant – le On [das Man]-même -, l’interprétation du « Là », mais aussi et avant tout les analyses du souci, de la mort, de la conscience [Gewissen] et de la dette montrent comment, dans le Dasein lui-même, l’entendement préoccupé s’est emparé du pouvoir-être et de son ouverture, en l’occurrence de sa fermeture. EtreTemps63
Cette unité, comment devons-nous la concevoir ? Comment le Dasein peut-il exister unitairement selon les guises et les possibilités citées de son être ? De toute évidence, seulement pour autant qu’il est lui-même cet être en ses possibilités essentielles, seulement pour autant que je suis à chaque fois cet étant. C’est le « Moi » qui paraît tenir ensemble la totalité du tout structurel. Depuis toujours, le « Moi » et le « Soi » ont été conçus par l’ontologie de cet étant comme le fond portant (substance ou sujet). La présente analytique, quant à elle, s’est heurtée dès sa caractérisation préparatoire de la quotidienneté [Alltäglichkeit] à la question du qui du Dasein. De prime abord et le plus souvent, est-il apparu, le Dasein n’est pas lui-même, mais il est perdu dans le On [das Man]-même. Celui-ci est une modification existentielle du Soi-même authentique. Néanmoins, la question de la constitution ontologique de l’ipséité est [318] demeurée sans réponse. Certes, le fil conducteur du problème a déjà été fondamentalement fixé [NA: Cf. supra, §25 [EtreTemps25], p. [114] sq.] : si le Soi-même appartient aux déterminations essentielles du Dasein, et si cependant l’« essence » de celui-ci réside dans l’existence, alors égoité et ipséité doivent être conçues existentialement. Mais par ailleurs, il est apparu négativement que la caractérisation ontologique du On interdisait tout emploi de catégories de l’être-sous-la-main (substance). C’est devenu fondamentalement clair : le souci ne saurait être ontologiquement dérivé de la réalité ou reconstruit à l’aide des catégories de la réalité [NA: Cf. supra, §43 [EtreTemps43], c, p. [211].]. Le souci abrite déjà en soi le phénomène du Soi-même, si tant est que demeure la thèse selon laquelle l’expression de « souci de soi », formée sur le modèle de la sollicitude [Fürsorge] comme souci pour autrui, est une tautologie [NA: Cf. supra, §41 [EtreTemps41], p. [193].]. Mais du coup, le problème de la détermination ontologique de l’ipséité du Dasein s’aiguise en question de la « connexion » existentiale entre souci et ipséité. EtreTemps64
Par quoi ce dire-Je « fugace » est-il motivé ? Par l’échéance du Dasein, où il fuit devant [322] lui-même dans le On [das Man]. Le dire-Je « naturel » accomplit le On [das Man]-même. Dans le « Je » s’exprime le Soi-même que, de prime abord et le plus souvent, je ne suis pas authentiquement. Pour l’identification à la diversité quotidienne [alltäglich] et la chasse à l’étant offert à la préoccupation [Besorgen], le Soi-même du Je-me-préoccupe oublieux de soi se montre comme le simple constamment même, mais indéterminé et vide. On est bel et bien ce dont on se préoccupe. Que le dire-Je ontique « naturel » manque la teneur phénoménale du Dasein visé dans le Je, cela ne donne à l’interprétation ontologique aucun droit d’accompagner ce manquement et d’imposer à la problématique du Soi-même un horizon « catégorial » inadéquat. EtreTemps64
Du reste, l’interprétation ontologique du « Je » ne saurait obtenir la solution du problème en se bornant à refuser de suivre le dire-Je quotidien [alltäglich] : bien plutôt doit-elle pré-dessiner tout d’abord la direction dans laquelle le questionnement doit se poursuivre. Le Je désigne l’étant que l’on est en « étant-au-monde ». Mais l’être-déjà-dans-un-monde en tant qu’être-auprès-de-l’à-portée-de-la-main intramondain signifie cooriginairement un en-avant-de-soi. « Je » désigne l’étant pour lequel il y va de l’être de l’étant qu’il est. Avec le « Je », c’est le souci qui s’exprime – de prime abord et le plus souvent dans le dire-Je « fugace » de la préoccupation [Besorgen]. Si le On [das Man]-même dit le plus bruyamment et le plus fréquemment Je-Je, c’est parce que fondamentalement il n’est pas authentiquement lui-même, et qu’il se dérobe au pouvoir-être authentique. Cependant, si la constitution ontologique du Soi-même ne se laisse reconduire ni à un Moi-substance, ni à un « sujet », et si c’est à l’inverse le dire-Je-Je quotidien [alltäglich]-fugace qui doit être compris à partir du pouvoir-être authentique, de là ne suit pas encore la thèse selon laquelle le Soi-même serait le fondement constamment sous-la-main du souci. L’ipséité ne peut être déchiffrée existentialement que sur le pouvoir-être-Soi-même authentique, c’est-à-dire sur l’authenticité de l’être du Dasein comme souci. C’est de celle-ci que la constance propre au Soi-même, en tant que prétendue permanence du sujet, reçoit son éclaircissement. Mais en même temps le phénomène du pouvoir-être authentique ouvre le regard au maintien du Soi-même au sens de l’avoir-conquis-sa-tenue. Le maintien du Soi-même au double sens de la solidité et de la « constance » est la contre-possibilité authentique de l’absence de maintien de l’échéance ir-résolue. Le maintien du Soi-même [autonomie] ne signifie existentialement rien d’autre que la résolution devançante. La structure ontologique de celle-ci dévoile l’existentialité de l’ipséité du Soi-même. EtreTemps64
Comment dissocier maintenant de l’avenir authentique l’avenir inauthentique ? Tout comme celui-là ne peut se dévoiler que dans la résolution, ce mode ekstatique ne peut se dévoiler que dans un retour ontologique depuis le comprendre inauthentique, quotidienne [alltäglich]ment préoccupé, jusqu’à son sens temporalo-existential. En tant que souci, le Dasein est essentiellement en-avant-de-soi. De prime abord et le plus souvent, l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé se comprend à partir de ce dont il se préoccupe. Le comprendre inauthentique se projette vers ce qui, dans les affaires de l’activité quotidienne [alltäglich], est pourvoyable, faisable, urgent, indispensable. Mais ce dont on se préoccupe n’est comme il est qu’en-vue du pouvoir-être soucieux. Celui-ci laisse le Dasein, dans son être préoccupé auprès de ce dont il se préoccupe, ad-venir à soi. Le Dasein n’ad-vient pas primairement à soi dans son pouvoir-être le plus propre, absolu, mais, se préoccupant, il est attentif [NT: gewärtig (premier emploi) voir l’index s.v.] à soi à partir de ce qu’offre ou refuse ce dont il se préoccupe. C’est à partir de celui-ci que le Dasein ad-vient à soi. L’avenir inauthentique a le caractère du s’attendre [NT: Voir également l’index, s.v. Gewärtigen.]. C’est dans ce mode ekstatique de l’avenir que le se-comprendre préoccupé du On-même à partir de ce que l’on fait a le « fondement » de sa possibilité. Et c’est seulement parce que le Dasein factice est ainsi attentif à son pouvoir-être à partir de ce dont il se préoccupe, qu’il peut l’attendre et attendre ceci ou cela. Le s’attendre doit déjà à chaque fois avoir ouvert l’horizon et l’orbe à partir duquel quelque chose peut être attendu. L’attendre est un mode dérivé, fondé dans le s’attendre, de l’avenir, qui se temporalise authentiquement comme devancement. C’est pourquoi il y a dans le devancement un être pour la mort plus originaire que dans l’attente préoccupée de celle-ci. EtreTemps68
La tonalité ouvre selon la guise d’une conversion et d’un détournement du Dasein propre. Transporter devant le « que » de l’être-jeté propre – en le dévoilant authentiquement ou en le recouvrant inauthentiquement -, cela n’est possible existentialement que si l’être du Dasein, de par son sens propre, est constamment été. Ce n’est pas le transport devant l’étant jeté que l’on est en tant que On-même qui crée l’être-été, mais l’ekstase de celui-ci qui rend possible de se trouver selon la guise du se-trouver. Le comprendre se fonde primairement dans l’avenir, l’affection, au contraire, se temporalise primairement dans l’être-été. La tonalité se temporalise, autrement dit son ekstase spécifique appartient à un avenir et à un présent, mais de telle manière que c’est l’être-été qui modifie les ekstases cooriginaires. EtreTemps68
Dans l’historialité inauthentique, en revanche, l’être-é-tendu du destin est retiré. C’est in-stablement que, en tant que On-même, le Dasein présentifie son « aujourd’hui ». Attentif à la prochaine nouveauté, il a aussi et déjà oublié l’ancien. Le On se dérobe au choix. Aveugle aux possibilités, il est incapable de répéter de l’étant-été, mais il le conserve seulement, n’obtenant par là que ce qui reste en fait d’« effectivité » du mondo-historial passé – les résidus et la relation sous-la-main les concernant. Perdu dans la présentification de l’aujourd’hui, il comprend le « passé » à partir du « présent ». La temporalité de l’historialité authentique, au contraire, est en tant qu’instant devançant-répétant une dé-présentification de l’aujourd’hui et une désaccoutumance de l’ordinaire du On. L’existence inauthentiquement historiale, à l’inverse, chargée qu’elle est des séquelles – devenues pour elle-même méconnaissables – du « passé », cherche le moderne. L’historialité authentique comprend [392] l’histoire comme le « retour » du possible, et elle sait que la possibilité ne revient que si l’existence est ouverte à elle en tant que destinale-instantanée dans la répétition résolue. EtreTemps75