Gedanc

memória

Qu’est-ce qui est désigné sous ces paroles : (la) pensée, le pensé, (une) pensée? Quel espace de jeu pour ce qui accède en elles au langage indiquent-elles ? Le pensé (Gedachtes), où est il, où demeure-t-il ? Il y faut la Mémoire (Gedächtnis). Au pensé et à ses pensées – au « Gedanc » – appartient la reconnaissance (Dank). Mais peut être que ces résonances du mot « pensée » dans « Mémoire » et « Reconnaissance » relèvent d’une fabulation tout extérieure et artificielle ? Ce n’est pas encore de cette façon que ce qui est désigné sous le mot « pensée » apparaît si peu que ce soit.
La pensée est-elle une reconnaissance ? Mais que veut dire ici « reconnaissance » ? Ou bien la reconnaissance repose-t-elle dans la pensée ? Mais que veut dire ici « pensée » ? La mémoire n’est elle qu’un réservoir pour ce qu’a pensé la pensée, ou bien la pensée repose-t-elle elle même dans la mémoire ? Quel est le rapport entre reconnaissance et mémoire ? En posant ces questions nous nous mouvons dans l’espace de jeu de ce qui accède au langage dans le verbe « penser » et qui affleure en lui. Mais nous laissons ouvertes toutes les relations entre les mots que nous avons évoqués – la pensée, le pensé, une pensée, la reconnaissance, la mémoire et nous nous informons maintenant auprès de l’histoire des mots. Celle-ci nous donne une indication, bien que la présentation historique de cette histoire soit encore imparfaite, et doive le rester probablement toujours. L’indication qu’elle nous donne est que, dans ce qui est formulé par les mots que nous avons évoqués, celui qui donne la mesure et qui est originellement parlant, c’est le « Gedanc ». Mais « Gedanc » ne signifie pas ce qui, au bout du compte, en est resté et qui constitue le sens courant, dans l’usage actuel, du mot « Gedanke » (une pensée). Une pensée veut dire d’habitude : une idée, une représentation, une opinion, une idée soudaine. Le mot initial « Gedanc » veut dire autant que : garder un souvenir recueilli en qui tout se recueille. Le « Gedanc » équivaut à peu près à « âme » (Gemüt), « muot » – le coeur. Penser, dans le sens du mot initialement parlant, celui du « Gedanc », est presque encore plus originel que cette pensée du coeur que Pascal, en des siècles postérieurs, et déjà comme contrecoup de la pensée mathématique, cherche à reconquérir.
(…)
Mais le mot « Gedanc » ne signifie pas seulement ce que nous désignons par « âme » (Gemüt) et par « coeur », et que nous mesurons à peine dans son être. Dans le « Gedanc » reposent et ont leur être aussi bien la mémoire que la reconnaissance. Initialement « mémoire » ne signifie pas du tout « faculté de souvenir ». Le mot désigne l’âme entière au sens d’un rassemblement intérieur constant auprès de ce qui s’adresse essentiellement à tout le sentiment. Mémoire est dans son origine l’équivalent du recueillement auprès… (An-dacht) : demeurer sans cesse comme ramassé auprès de… et cela non seulement auprès du passé, mais de la même façon du présent, et auprès de ce qui peut venir. Ce qui est passé, ce qui est présent (das Gegenwärtige) et ce qui est venant, apparaissent dans l’unité d’une pré-sence (Anwesen), qui a pourtant chaque fois sa nature propre. (GA8 144)