eidos

εἶδος: «aspecto», «forma»; «especie», «clase». [GA59, p. 109; NB, p. 35 (articulación de λόγος [logos], εἶδος, οὐσία [ousia]), 41; GA17, p. 24; GA19, pp. 44-47, 285-288 (dicotomía y diaíresis como modos del δηλοῦν), 263, 463-487, 522-524, 547, 556, 572, 584, 609; GA20, pp. 201 (pregunta por el ser), 236; GA22, pp. 44, 96-97 (Platón), 142, 211.] [LHDF]


Souvenons-nous que chez les Grecs, il n’y a pas de distinction entre artisan et artiste – sinon par la σοφία ! La σοφία est ce savoir d’une telle excellence qu’il dépasse de tous côtés le simple fait d’avoir devant soi l’εἶδος. C’est dire que la ποίησιc de l’artiste est plus qu’une ποίησις. Plus en quel sens? Au sens où elle vise un autre mode d’être que celui d’une chose en usage, elle vise un être-en-œuvre, au sens d’un apparaître – un apparaître du divin. La statue est le lieu de manifestation du divin, la table est le lieu où l’être-table disparaît dans un étant-table. Ne croyons surtout pas que la statue du Dieu était pour les Grecs le Dieu présent lui-même sous forme d’un étant-Dieu ! On ne peut comprendre que si l’on ne confond pas l’idole avec la divinité. La statue d’Athéna appelle Athéna. C’est l’appelant d’Athéna, qu’aucun Grec n’identifie jamais à Athéna.

Celui qui travaille (quand c’est un menuisier par exemple) vise l’être de ce qu’il est en train de produire. Par exemple le menuisier qui fait une table vise l’être-table. Cet être s’appelle depuis Platon εἶδος. Pour bien menuiser une table, le menuisier a l’œil fixé sur l’εἶδος-table : il sait ce qu’est une table et tout ce qu’elle demande pour être une table qui remplisse son office de table.

Il ne faut surtout pas saisir cela de façon abstraite, car c’est au contraire tout à fait terre à terre. Ce qui fait qu’une table est une table est simple : d’abord, c’est solide et à une certaine distance du sol, de plus une table habituelle n’est pas une table basse (mais pour un Japonais qui est habitué à manger agenouillé, c’est une table haute qui n’a pas de sens). εἶδος est un mot dans la mouvance du verbe εἰδέναι, lui-même venu à partir du verbe ἰδειν et de l’augment e qui indique le passé. [FHQ:57]


L’εἶδος, c’est par exemple l’idéal d’un verre, ou d’un gobelet. Pour faire un gobelet, il faut l’εἶδος. Un bon moyen de ne pas partir de travers avec Platon est ainsi de penser à un idéal comme celui de la table. C’est ce que Max Weber appelle l’Ideal Type : quand on veut faire une sociologie, on construit un Type comme l’idéal de la démocratie, à partir duquel on va pouvoir étalonner. L’idéal ne plane pas au-dessus, mais il n’est jamais non plus réalisé dans le réel (dans la table par exemple). L’idéal est toujours d’une certaine manière «plus». Si je regarde mon bureau, je vois qu’il est abîmé ici et là. Mais l’εἶδος-table ne peut avoir quelque chose qui la rend un peu moins que ce qu’elle est, ou pas aussi parfaite. Ce qui est étrange est que les Grecs et Platon sont tellement émerveillés par ce qu’ils découvrent qu’ils l’étendent à ce qui est vivant : on voit le chat à travers l’εἶδος-chat.

Mais quand c’est un sculpteur, celui qui travaille ne peut pas viser un tel εἶδος – car il n’y a pas d’εἶδος de la statue au même titre qu’il y a un εἶδος de la table.

Cela, c’est étonnant. C’est ce que va retrouver Kant : l’œuvre d’art est un travail du «jugement réfléchissant» et non du «jugement déterminant » où je sais d’avance ce que je cherche. La raison immédiate en est que la statue ne fait pas partie des choses qui servent à quelque chose. Une table sert à manger, à écrire, à poser des choses. Mais une statue ? L’εἶδος de la statue se découvre en faisant la statue, alors que l’εἶδος de la table précède la table. (« Cela sert à » est un rapport fondamental aux choses – mais le nuage sert-il à porter la pluie ?) [FHQ:58-59]