GA31:20-26 – liberdade negativa, positiva e transcendental

Martineau

Jusqu’à maintenant, en éclaircissant la tâche, le thème et son mode de traitement, nous nous en sommes simplement tenus au concept négatif de la liberté. Et ce n’est point un hasard si nous sommes partis de cette « liberté négative ». En effet, partout où prend naissance un savoir de la liberté, la liberté est d’abord sue au sens négatif, comme indépendance vis-à-vis de… Et cette imposition de la liberté négative, et peut-être du négatif en général, présuppose que l’être-libre est expérimenté comme un devenir-libre d’une contrainte ou d’une liaison. Il faut que le dégagement, le rejet des chaînes, la répulsion des puissances menaçantes soit une expérience fondamentale de l’homme, par laquelle la liberté au sens négatif advient à la clarté du savoir. Face à cette détermination relativement claire, et même apparemment tout à fait univoque et sûre, de la liberté négative, la caractéristique de la liberté positive apparaît au contraire obscure et plurivoque. L’« expérience » de celle-ci est flottante, soumise à des variations particulières. Non seulement les conceptions singulières de la liberté positive sont diverses et plurivoques, mais encore le concept de la liberté positive en général est indéterminé, et cela surtout si nous entendons maintenant provisoirement par liberté positive la liberté non négative. Liberté non négative peut signifier deux choses : 1. liberté positive par opposition à la négative ; 2. une liberté qui n’est pas négative, mais pas non plus positive, qui n’est ni l’un, ni l’autre. Nous choisirons ici, pour la suite de nos analyses préparatoires, une conception bien déterminée de la liberté positive, sans justifier davantage pourquoi c’est précisément celle-là que nous retenons :

Liberté négative veut dire : liberté de… la contrainte, le fait d’être dégagé, d’être à l’écart de cette contrainte. La liberté au sens positif ne signifie pas un tel écart vis-à-vis de…, mais une conversion vers… ; la liberté positive consiste à être libre pour…, à se tenir ouvert pour…, donc à se tenir ouvert pour…, à se (21) laisser soi-même déterminer par…, à se déterminer, se destiner à… Ce qui implique l’idée de déterminer à partir de soi — soi-même — son agir propre, de donner soi-même sa loi à son agir. C’est dans ce sens d’autodétermination que Kant entend positivement la liberté, puis, plus profondément, comme « auto-activité (31) (spontanéité) absolue »1]. Il la définit comme le « pouvoir », en l’homme, de « se… déterminer de soi-même »2.

Que nous nommions justement Kant dans ce contexte, cela doit être bien compris : ce n’est nullement pour produire une quelconque preuve connue tirée des opinions des philosophes, mais uniquement parce que Kant, dans l’histoire du problème de la liberté, occupe une place privilégiée. Kant est celui qui, pour la première fois, établit expressément le problème de la liberté dans une relation radicale avec les problèmes fondamentaux de la métaphysique. Bien sûr, cette première émergence dans la dimension authentique du problème implique — comme toujours et nécessairement en de tels instants décisifs — un rétrécissement unilatéral, avec lequel nous aurons à débattre dans la suite.

Nous venons de le dire, la doctrine kantienne de la liberté occupe au sein des problèmes philosophiques une position éminente. Sans doute, bien avant Kant, en l’occurrence dans la théologie chrétienne depuis ses débuts, le problème de la liberté avait-il atteint déjà une profondeur propre, d’où avaient résulté en philosophie un certain nombre d’incitations tant négatives que positives, tout de même que l’interprétation théologique n’avait pu s’accomplir sans l’influence de l’interprétation philosophique (saint Paul, saint Augustin, Luther). Déjà la caractérisation de la liberté négative comme indépendante de Dieu suffirait à nous renvoyer à cette étroite liaison entre questionnement théologique et questionnement philosophique. Mais laissons cela : nous prenons ici la conception kantienne de la liberté — sans nous engager maintenant dans une interprétation — presque seulement comme un exemple, qui doit nous permettre d’éclaircir la liberté positive et son concept, et cela à nouveau afin que nous obtenions un clair aperçu sur la perspective plus éloignée du problème de la liberté et sur notre tâche.

Kant, nous l’avons dit, conçoit la liberté comme un pouvoir de (22) se déterminer soi-même, comme « auto-activité absolue ». Dans l’une et l’autre définitions, rien de négatif. Certes, et pourtant elles ne signifient pas la même chose, et c’est pourquoi Kant distingue lui-même entre liberté « au sens cosmologique » et liberté « au sens pratique »3. Mais cette distinction kantienne ne coïncide (32) nullement avec la différence entre libertés négative et positive, bien plutôt tombe-t-elle à son tour du côté de la liberté positive — mieux : non négative.

Demandons d’abord : qu’entend Kant par liberté cosmologique et liberté pratique ? « J’entends par liberté au sens cosmologique le pouvoir de commencer par soi-même un état, (une liberté) dont (deren) la causalité n’est pas subordonnée à son tour, suivant la loi de la nature, à une autre cause qui la détermine quant au temps. La liberté est, dans ce sens, une idée transcendantale pure »4. Liberté signifie donc : pouvoir d’autocommencement d’un état. Ce qui nous explique le concept kantien de la liberté plus haut cité, « auto-activité absolue » : commencer de soi-même, spontanément, sua sponte, -spons, spondeo, -spond, -ΣΠΕΝΔ, σπένδω 5 : spenden, donner de soi-même librement, dispenser, spontané, spontanéité, auto-activité absolue. La liberté comme spontanéité absolue est la liberté au sens cosmologique — une idée transcendantale. Ce que signifient ces dernières déterminations sera élucidé par la suite. Tout d’abord, posons la seconde question : que veut dire liberté « au sens pratique » ? « La liberté au sens pratique est l’indépendance de la volonté vis-à-vis de la contrainte des penchants de la sensibilité »2. La liberté au sens pratique est indépendance, donc justement ce que nous avions allégué comme caractéristique du concept négatif de la liberté. Mais n’avons-nous pas dit aussi que les deux concepts kantiens de la liberté — le transcendantal et le pratique — n’étaient pas négatifs ? Assurément, cependant la définition citée de la liberté pratique prend incontestablement celle-ci dans un sens négatif. Et si nous y regardons de plus près, nous voyons que Kant explique également la liberté au sens pratique en invoquant les moments que nous citions d’abord en nommant le concept kantien de la liberté : « La volonté humaine est … (libre), parce que la sensibilité ne rend pas ses actions nécessaires, mais qu’il y a dans l’homme un pouvoir de se déterminer de soi-même, indépendamment de la contrainte de penchants sensibles»6. « Volonté»7 (Willkür) ne veut pas dire ici absence de frein et de loi, mais pouvoir de la volonté. La (33) liberté négative est mentionnée ici, mais aussi quelque chose d’autre : le pouvoir de se déterminer soi-même. Mais n’est-ce pas tout un avec la spontanéité, donc avec le concept cosmologique de la liberté ? Dans ce cas, ce concept représenterait le concept positif, et le concept pratique, au contraire, l’indépendance vis-à-vis de la sensibilité, représenterait le concept négatif…

Mais il n’en est rien. L’on ne contestera pas, sans doute, que Kant, définissant la liberté au sens pratique, fasse état de l’indépendance vis-à-vis du penchant sensible. Non sans raison : toute son analyse se trouve dans la « Critique de la raison pure », c’est-à-dire dans l’œuvre qui a pour thème l’entendement pur, le pouvoir théorique de l’homme, et non pas l’entendement pratique, la πράξις au sens de l’action éthique. Par suite, avant de réduire à toute force la position kantienne à la définition citée de la liberté pratique comme indépendance vis-à-vis de la sensibilité, il convient que nous demandions : comment Kant détermine-t-il la liberté au sens pratique là où il traite thématiquement de la πράξις, de l’éthique, donc dans la « Critique de la raison pratique » ? Pour le dire de façon encore plus aiguë : comment Kant saisit-il la liberté pratique, éthique là où l’élément éthique devient pour lui un problème métaphysique, c’est-à-dire dans les « Fondements de la métaphysique des mœurs » ? En effet, au début de la troisième section de l’écrit ainsi intitulé, Kant écrit : « La volonté est une sorte de causalité des êtres vivants, en tant qu’ils sont raisonnables, et la liberté serait la propriété qu’aurait cette causalité de pouvoir (24) agir indépendamment de causes étrangères qui la déterminent ; de même que la nécessité naturelle est la propriété qu’a la causalité de tous les êtres dépourvus de raison d’être déterminée à agir par l’influence de causes étrangères »8. Dans ce texte réapparaît donc IV indépendance ». Toutefois, Kant s’exprime maintenant de façon plus claire, ajoutant : « La définition qui vient d’être donnée de la liberté est négative, et par conséquent, pour en saisir l’essence, inféconde ; mais il en découle un concept positif de la liberté, qui est d’autant plus riche et plus fécond »6. On le voit ici clairement : si un concept positif de la liberté doit maintenant être gagné, ce sera manifestement un concept pratique. En effet :

« En quoi donc peut bien consister la liberté de la volonté, sinon dans une autonomie, c’est-à-dire dans la propriété qu’a la volonté (34) d’être à elle-même sa loi ? »9. Le concept positif de la liberté signifie : autonomie de la volonté, autolégislation. La liberté au sens pratique n’est pas le négatif de la liberté au sens transcendantal, mais c’est la liberté au sens pratique elle-même qui se divise en liberté négative et en liberté positive.

Mais qu’en est-il alors de la liberté au sens transcendantal, de la spontanéité absolue, si elle n’est pas la liberté positivement pratique par opposition à la liberté négativement pratique ? Spontanéité absolue, n’est-ce pas là un équivalent de l’autonomie ? Dans l’une et l’autre, en effet, il y va du Soi, de l’ipséité, du sua sponte, de l’αύτός. L’une et l’autre, par conséquent, sont manifestement liées, et pourtant elles ne se confondent pas. Regardons-y de plus près.

Spontanéité absolue : le pouvoir de l’auto-commencement d’un état. Autonomie : l’auto-législation d’une volonté raisonnable. Dans la spontanéité absolue (liberté transcendantale) il n’est pas question de volonté et de loi de la volonté, mais de commencer par soi-même un état ; dans l’autonomie, au contraire, il est question d’un étant déterminé, à l’essence duquel appartiennent le vouloir et la πράξις. L’une et l’autre ne se confondent donc pas, et cependant il y a de l’ipséité des deux côtés : elles se coappartiennent. Mais comment ? Le se-déterminer-soi-même à l’agir comme auto-législation est un commencer-de-soi-même un état dans le domaine particulier de l’agir humain d’un être raisonnable en général. L’autonomie est un mode de spontanéité absolue, celle-ci délimite l’essence générale de celle-là. C’est sur la base de ce caractère essentiel de spontanéité absolue que l’autonomie est possible. S’il n’y avait absolument aucune spontanéité, il n’y aurait pas non plus d’autonomie. L’autonomie, en sa possibilité, se fonde dans la spontanéité absolue, la liberté pratique dans la liberté transcendantale. En ce sens, Kant dit lui-même explicitement dans la « Critique de la raison pure » : « Il est surtout remarquable que sur cette idée transcendantale de la liberté se fonde le concept pratique de cette liberté, et que c’est cette liberté (transcendantale) qui constitue, dans cette liberté (pratique), le point précis des difficultés qui ont environné jusqu’ici la question de sa possibilité »10.

(35) Ainsi la liberté transcendantale n’est pas co-ordonnée à la liberté pratique comme à la liberté négative, mais elle est pré-ordonnée à la liberté pratique en tant que condition de sa possibilité. Et c’est pourquoi la troisième section des « Fondements » s’ouvre par ce titre : « Le concept de liberté est la clé de l’explication de l’autonomie de la volonté»11. La détermination de la liberté (26) positive comme « autonomie » contient un problème propre, lié à une difficulté qui lui est depuis toujours inhérente. (p. 30-35)

Casanova

Original

  1. Kant, Kr.d.r.V., éd. R. Schmidt, Leipzig, 1926, A 418, B 446 (p. 333). [Pour la référence des trad. fr. citées de Kant, v. ci-dessus notre avertissement (N.d.T.).[↩]
  2. Id., A 534, B 562 (p. 395).[↩][↩]
  3. Id., A 533 sq., B 561 sq. (pp. 394 sq.).[↩]
  4. ld., A 533, B 561 (p. 394, corrigée).[↩]
  5. « Etymologie populaire » mentionnée, mais non pas suivie par A. Ernout et A. Meillet, Dict. étymologique de la langue latine, ss. w. « spondeo » et « spons ». Ce dernier mot reste, semble-t-il, inexpliqué (N.d.T.).[↩]
  6. Ibid.[↩][↩]
  7. Ou « libre arbitre » (N.d.T.).[↩]
  8. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, éd. K. Vorländer, 6e éd., Leipzig, 1925, p. 74 = Akademieausgabe, t. IV, p. 446 (trad. V. Delbos, 1973, p. 179).[↩]
  9. Id., pp. 74 sq. = Akademieausgabe, t. IV, pp. 446 sq. (trad. citée, p. 180).[↩]
  10. Kant, Kr.d.r.V., A 533, B 561 (p. 395).[↩]
  11. Kant, Fondements…, éd. citée, p. 74 = Akademieausgabe, t. IV, p. 446 (trad. citée, p. 179).[↩]
  12. Kant, Crítica da razão pura (R. Schmidt). Leipzig (F. Meiner) 1926. A 418, B 446.[↩]
  13. Op. cit., A 534, B 562.[↩][↩]
  14. Op. cit., A 533eseg., B 561eseg.[↩]
  15. Op. cit., A 533, B 561.[↩]
  16. Idem.[↩][↩]
  17. Kant, Fundamentação da metafísica dos costumes (Vorländer). 6a edição, Leipzig (F. Meiner) 1925, p. 74 (IV, 446).[↩]
  18. Op. cit., p. 74eseg. (IV, 446eseg.).[↩]
  19. Kant, Crítica da razão pura, A 533, B 561.[↩]
  20. Kant, Fundamentação da metafísica dos costumes, p. 74 (IV, 446).[↩]
  21. Kant, Kr. d. r. V. (R. Schmidt). Leipzig (F. Meiner) 1926. A 418, B 446.[↩]
  22. a.a.O., A. 534, B 562.[↩]
  23. a.a.O., A 533 f., B 561 f.[↩]
  24. a.a.O., A 533, B 561.[↩]
  25. a.a.O., A 534, B 562.[↩]
  26. Ebd.[↩][↩]
  27. Kant, Grundlegung zur Metaphysik der Sitten (Vorländer). 6. Aufl., Leipzig (F. Meiner) 1925, S. 74 (IV, 446).[↩]
  28. a.a.O., S. 74 f. (IV, 446 f.).[↩]
  29. Kant, Kr. d. r. V., A 533, B 561.[↩]
  30. Kant, Grundlegung zur Metaphysik der Sitten. S. 74 (IV, 446).[↩]
Excertos de

Heidegger – Fenomenologia e Hermenêutica

Responsáveis: João e Murilo Cardoso de Castro

Twenty Twenty-Five

Designed with WordPress