GA15:362-365 – es gibt

Beaufret

La distinction entre nichten et verneinen — entre néantir et nier. Recoupe-t-elle la distinction de οὐκ et de μὴ en grec ? Si Nichten est du côté du οὐκ grec, alors nicht veut (451) dire le vide total (nihil negativum) ; l’étant est tout simplement nié : il n’y a pas d’étant. Si au contraire on entendait le nicht de Nichten au sens de μὴ, il voudrait dire un certain manque du côté de l’être. Mais si l’être et le rien sont le même, le rien en question ne peut signifier une privation. Il ne saurait donc être question de comprendre Nichten de façon privative-négative. Il s’agit de quelque chose d’autre, de tout à fait propre et particulier.

Gardons toujours en vue la thèse:

Être: Rien: Même

Rien est la caractéristique de l’être. Ce n’est pas l’étant — mais en un sens tout à fait différent de la proposition: l’étant n’est pas (qui serait une proposition ontique). Dire au contraire: le rien caractérise l’être, est un énoncé ontologique. Vu à partir de l’horizon ontique, l’être ce n’est justement pas de l’étant; vu à partir des catégories, cela n’est pas. Autrement dit: dans la mesure où le rien et son néantir ne sont pas compris négativement, l’être est quelque chose de tout à fait autre que l’étant. L’important dans la formule participiale néantissant, c’est que le participe indique une certaine « activité » de l’être, par laquelle seulement l’étant est. On peut parler de provenance, à condition d’écarter toute nuance ontique-causale : il y a survenue de l’être, comme condition de l’avènement de l’étant: l’être laisse être l’étant.

Comprendre ici que le sens le plus profond de être, c’est laisser (lassen). Laisser être l’étant. C’est cela le sens non causal, celui du « lassen » de Temps et Être . Ce « laisser » est quelque chose de fondamentalement différent de « faire ». La tendance du texte Temps et Être serait d’entreprendre de penser ce « laisser » plus originellement encore comme « donner ».

Ce donner est le geben de l’expression: es gibt (traduite (452) habituellement par « il y a » — à propos de quoi Heidegger précise que « il y a » est trop ontique, en tant que faisant signe vers une présence d’étants).

« Es gibt »:

Es gibt, c’est en latin: habet. Construit avec l’accusatif, cela exprime une relation ontique.

Il s’agit ici de travailler à lever les possibilités de confusion. Car ainsi qu’on vient de le voir, la locution Es gibt n’est pas à l’abri d’une entente ontique. Remarquons donc:

1° On est tenté d’entendre es gibt au sens de « cela laisse entrer en présence ». Et le donner du « es gibt » est compris ontiquement dans l’accentuation du entrer-en-présence (Anwesen-lassen). Ainsi, quand je dis en français : il y a des truites dans ce ruisseau, le « il y a » est entendu en direction de la présence des étants, de leur approche dans la présence — et « laisser entrer en présence » est entendu à la limite comme « faire entrer en présence ». Ainsi entendu, le es gibt se comprend ontiquement, en sorte que l’accent porte sur le fait d’être.

2° Mais si le « es gibt » est pensé en direction d’une interprétation du lassen lui-même, alors l’accentuation change.

Ce n’est plus l’entrée en présence qui est soulignée, mais le laisser lui-même. Es gibt signifie alors strictement: « laisser l’entrer en présence. » Alors ce n’est plus du tout la présence de l’étant qui appelle le regard, mais cela sur le fond de quoi elle se détache en le masquant — le laisser lui-même, la donation du « donner qui ne donne que sa donation, mais qui, se donnant ainsi, pourtant se retient et se soustrait » (Temps et Être, dans ce volume, p. 203).

La possibilité s’offre alors peut-être de sortir de l’inextricable difficulté qu’on a à dire « l’impossible »: « l’être est ». Peut-être peut-on dire plutôt: « es gibt Sein » — « cela donne être », au sens de: « cela laisse être. »

(453) Disons, pour résumer (cf. le Protocole, ibid., p. 243) que ce « laisser être » admet trois acceptions.

La première qui fait signe vers cela qui est (vers l’étant). A cette première acception s’opposerait celle où l’attention est attirée moins vers ce qu’il y a que vers Ventrée en présence elle-même. Il s’agit alors d’une interprétation de l’être telle que la donne la métaphysique.

Mais, au cœur de cette seconde accentuation, prend place la troisième, où l’accent est cette fois décidément mis sur le laisser lui-même, qui laisse l’entrer en présence. Laissant (délaissant?) l’entrée en présence, c’est-à-dire laissant l’être, cette troisième accentuation fait signe vers l’ἐποχή de l’être. Dans cette troisième acception, on est placé devant l’être en tant qu’être, et non plus devant l’une des figures de sa destination.

Quand l’accentuation est: Anwesen lassen (traduction forcée: « l’entrer dans la présence, le laisser »), le nom même de l’être n’a plus lieu d’être. Le laisser est alors le pur donner, qui lui-même renvoie au Es (au Cela) qui donne, ce qui est compris comme l’Ereignis.

Mitchell & Raffoul

Original

  1. Zeit und Sein, in: Zur Sache des Denkens, 1969, S. 8.[↩]
  2. Vgl. Zur Sache des Denkens a.a.O. S. 40.[↩]
Excertos de

Heidegger – Fenomenologia e Hermenêutica

Responsáveis: João e Murilo Cardoso de Castro

Twenty Twenty-Five

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