être pour la mort

Sein zum Tode [SZ] Tode (Sein zum) : être pour la mort. – Cf. §§ 46 sq. [EtreTemps46] [ETEM] Tode (Sein zum) (das) : ‘être-ayant (ou avec)-sa-mort-en-perspective’. [ETJA]

Ainsi donc prend naissance la tâche de porter à la pré-acquisition le Dasein comme un tout. Ce qui signifie cependant : déployer en général pour la première fois la question du pouvoir-être-tout de cet étant. Dans le Dasein, aussi longtemps qu’il est, quelque chose qu’il peut être et qu’il sera est à chaque fois encore en excédent (NT: Excédent (Ausstand) : ce concept sera thématiquement analysé – et sa traduction justifiée – au §48 [EtreTemps48]). Or à cet excédent appartient la [234] « fin » elle-même. La « fin » de l’être-au-monde est la mort. Cette fin appartenant au pouvoir-être, c’est-à-dire à l’existence, délimite et détermine la totalité à chaque fois possible du Dasein. Cependant, l’être-en-fin du Dasein dans la mort et, avec lui, l’être-tout de cet étant ne pourra être inclus de manière phénoménalement adéquate dans l’élucidation de son être-tout possible que si est conquis un concept ontologiquement suffisant, c’est-à-dire existential, de la mort. Mais la mort n’est selon la mesure du Dasein que dans un être pour la mort existentiel. La structure existentiale de cet être se révèle comme la constitution ontologique du pouvoir-être-tout du Dasein. Ainsi, tout le Dasein existant se laisse porter à la pré-acquisition. Oui, mais le Dasein peut-il aussi exister totalement de manière authentique ? Comment l’authenticité de l’existence doit-elle en général être déterminée sinon par rapport à un exister authentique ? D’où en tirerons-nous le critère ? Manifestement, c’est le Dasein lui-même qui, en son être, doit pré-donner la possibilité et la guise de son existence authentique, si tant est que celle-ci ne puisse ni lui être ontiquement imposée, ni être ontologiquement inventée. Or l’attestation d’un pouvoir-être authentique, c’est la conscience qui la donne. Comme la mort, ce phénomène du Dasein exige une interprétation existentiale adéquate. Celle-ci conduit à l’aperçu suivant lequel un pouvoir-être authentique du Dasein réside dans le vouloir-avoir-conscience. Mais cette possibilité existentielle, de par son sens d’être, tend vers la déterminité existentielle par l’être pour la mort. EtreTemps45

La recherche exposée dans la présente section parcourra donc les étapes suivantes l’être-tout possible du Dasein et l’être pour la mort (chapitre I) ; l’attestation par le Dasein d’un pouvoir-être authentique et la résolution (chapitre II) ; le pouvoir-être-tout authentique du Dasein et la temporalité comme sens ontologique du souci (chapitre III) ; temporalité et quotidienneté (chapitre IV) ; temporalité et historialité (chapitre V) ; la temporalité et l’intratemporalité comme origine du concept vulgaire du temps (chapitre VI) (NA: Au XIXème siècle, S. Kierkegaard s’est emparé expressément du problème de l’existence comme problème existentiel, et il l’a médité de façon pénétrante. Néanmoins, la problématique existentiale lui est si étrangère qu’il se tient, du point de vue ontologique, entièrement dans la mouvance de Hegel et de la philosophie antique telle que dévoilée par lui. Par suite, il y a plus à apprendre philosophiquement de ses écrits « édifiants » que de ses écrits théoriques – exception faite pour son essai sur Le concept d’angoisse.). EtreTemps45

Il s’impose de répondre à ces questions avant de déclarer nul et non avenu, et de mettre comme tel hors circuit le problème de la totalité du Dasein. La question de la totalité du Dasein, aussi bien celle, existentielle, d’un pouvoir-être-tout possible que celle, existentiale, de la constitution d’être de la « fin » et de la « totalité » implique la tâche d’une analyse positive de phénomènes de l’existence qui ont été jusqu’ici tenus à l’écart. Au centre de telles considérations se tient la caractérisation ontologique de l’être-à-la-fin propre au Dasein et l’obtention d’un concept existential de la mort. Les recherches relatives à ce sujet se distribueront de la manière suivante : l’expérimentabilité de la mort des autres et la possibilité de saisie d’un Dasein en son tout (§47 [EtreTemps47]) ; excédent, fin et totalité (§48 [EtreTemps48]) ; la délimitation de l’analyse existentiale de la mort par rapport à des interprétations possibles du phénomène (§49 [EtreTemps49]) ; la pré-esquisse de la structure ontologico-existentiale de la mort (§50 [EtreTemps50]) ; l’être pour la mort et la quotidienneté du Dasein (§51 [EtreTemps51]) ; l’être pour la mort quotidien et le concept existential plein de la mort (§52 [EtreTemps52]) ; projet existential d’un être pour la mort authentique (§53 [EtreTemps53]). EtreTemps46

D’un autre côté, l’analyse ne peut s’en tenir à une idée de la mort fortuitement et arbitrairement forgée. Un tel arbitraire, du reste, ne peut être réfréné que par la caractérisation ontologique préalable du mode d’être où la « fin » s’engage dans la quotidienneté médiocre du Dasein. Pour cela, il est besoin d’une évocation complète des structures, plus haut dégagées, de la quotidienneté. Que dans une analyse existentiale de la mort des possibilités existentielles de l’être pour la mort soient du même coup suggérées, cela est inhérent à l’essence de toute recherche ontologique. La nécessité n’en devient que plus forte que la détermination conceptuelle existentiale s’accompagne d’une absence d’obligation existentielle, et cela est spécialement vrai dans le cas de la mort, où le caractère de possibilité [249] du Dasein se laisse dévoiler avec la plus grande acuité. Tout ce à quoi vise la problématique existentiale, c’est à dégager la structure ontologique de l’être pour la fin du Dasein [NA: L’anthropologie élaborée dans la théologie chrétienne a toujours déjà – depuis PAUL jusqu’à la meditatio futurae vitae de CALVIN – coaperçu la mort dans l’interprétation de la « vie ». – W. DILTHEY, dont les tendances philosophiques propres étaient dirigées vers une ontologie de la « vie », ne pouvait manquer de discerner sa liaison avec la mort. « Le rapport qui détermine le plus profondément et universellement le sentiment de notre Dasein est celui de la vie à la mort ; car la limitation de notre existence par la mort est toujours décisive pour notre compréhension et notre appréciation de la vie. » Das Erlebnis und die Dichtung [Vécu et poésie], 5ème éd., p. 230. Récemment, G. SIMMEL, a lui aussi fait expressément entrer le phénomène de la mort dans la détermination de la « vie », mais bien entendu sans clairement dissocier problématique biologico-ontique et problématique ontologico-existentiale. Cf. Lebensanschauung, Vier metaphysische Kapitel [L’intuition de la vie, Quatre chapitres métaphysiques], 1918, p. 99-153. – Pour la présente enquête, il convient avant tout de comparer K. Jaspers, Psychologie der Weltanschauungen [Psychologie des conceptions du monde], 3ème éd., 1925, p. 229 sq., notamment p. 259-270. Jaspers saisit la mort au fil conducteur du phénomène – par lui dégagé – de la « situation-limite », dont la signification fondamentale dépasse toute typologie des « dispositions » et des « conceptions du monde ». EtreTemps49

La mort, elle, est une possibilité d’être que le Dasein a lui-même à chaque fois à assumer. Avec la mort, le Dasein se pré-cède lui-même en son pouvoir-être le plus propre. Dans cette possibilité, il y va pour le Dasein purement et simplement de son être-au-monde. Sa mort est la possibilité du pouvoir-ne-plus-être-Là. Tandis qu’il se pré-cède comme cette possibilité de lui-même, le Dasein est complètement assigné à son pouvoir-être le plus propre. Par cette pré-cédence, tous les rapports à d’autres Dasein sont pour lui dissous. Cette possibilité la plus propre, absolue, est en même temps la possibilité extrême. En tant que pouvoir-être, le Dasein ne peut jamais dépasser la possibilité de la mort. La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du Dasein. Ainsi la mort se dévoile-t-elle comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable. Comme telle, elle est une pré-cédence [251] insigne. La possibilité existentiale de celle-ci se fonde dans le fait que le Dasein est essentiellement ouvert à lui-même, et cela selon la guise du en-avant-de-soi. Ce moment structurel du souci a dans l’être pour la mort sa concrétion la plus originaire. L’être pour la fin devient phénoménalement plus clair en tant qu’être pour la possibilité insigne du Dasein qui vient d’être caractérisée. EtreTemps50

L’être pour la fin ne naît pas seulement d’une – et en tant que – disposition temporaire, mais il appartient essentiellement à l’être-jeté du Dasein, lequel se dévoile tel ou tel dans l’affection (la tonalité). Le « savoir » – ou l’« ignorance » – factice qui règne à chaque fois dans le Dasein au sujet de son être le plus propre pour la fin est seulement l’expression de la possibilité existentielle de se tenir selon diverses modalités dans cet être. Que beaucoup d’hommes, de facto, n’aient de prime abord et le plus souvent pas de savoir de la mort ne saurait valoir comme preuve en faveur de l’idée que l’être pour la mort n’appartiendrait pas « universellement » au Dasein, mais uniquement à l’appui du fait que le Dasein, de prime abord et le plus souvent, se recouvre, en fuyant devant lui, l’être le plus propre pour la mort. Le Dasein meurt facticement aussi longtemps qu’il existe, mais de prime [252] abord et le plus souvent selon la guise de l’échéance. Car l’exister factice n’est pas seulement en général et indifféremment un pouvoir-être-au-monde jeté, mais il s’est aussi toujours déjà identifié au « monde » de sa préoccupation. Dans cet être-auprès… échéant s’annonce la fuite hors de l’étrang(èr)eté, c’est-à-dire maintenant devant l’être le plus propre pour la mort. Existence, facticité, échéance caractérisent l’être pour la fin et sont par conséquent constitutives du concept existential de la mort. Le mourir se fonde, quant à sa possibilité ontologique, dans le souci. EtreTemps50

Mais si l’être pour la mort appartient originairement et essentiellement à l’être du Dasein, alors il doit nécessairement aussi – bien que de prime abord inauthentiquement – pouvoir être mis en lumière dans la quotidienneté. Et si l’être pour la fin devait même offrir la possibilité existentiale pour un être-tout existentiel du Dasein, il en résulterait une confirmation phénoménale de cette thèse : le souci est le titre ontologique de la totalité du tout structurel du Dasein. Toutefois, une pré-esquisse de la connexion entre être pour la mort et souci ne suffit pas à la justification phénoménale complète de cette proposition. Cette connexion, c’est avant tout dans la concrétion prochaine du Dasein, dans sa quotidienneté, qu’elle doit devenir visible. EtreTemps50

§51 [EtreTemps51]-. L’être pour la mort et la quotidienneté du Dasein. EtreTemps51

Le dégagement de l’être quotidien moyen pour la mort s’orientera sur les structures, plus haut conquises, de la quotidienneté. Dans l’être pour la mort, le Dasein se rapporte à lui-même comme à un pouvoir-être insigne. Mais le Soi-même de la quotidienneté est le On [NA: Cf. supra, §27 [EtreTemps27], p. [126] sq.], lequel se constitue dans l’être-explicité public qui s’ex-prime dans le bavardage. Celui-ci, par suite, doit manifester en quelle guise le Dasein quotidien s’explicite son être pour la mort. Le fondement de l’explicitation est toujours formé par un comprendre, lequel est toujours aussi affecté, c’est-à-dire intoné. Il convient donc de demander : comment le comprendre affecté qui se trouve dans le bavardage du On a-t-il ouvert l’être pour la mort ? Comment le On se rapporte-t-il compréhensivement à la possibilité la plus propre, absolue et indépassable du Dasein ? Quelle affection ouvre-t-elle au On la remise à la mort, et en quelle guise ? EtreTemps51

Or la tentation, le rassurement et l’aliénation caractérisent le mode d’être de l’échéance. L’être quotidien pour la mort, en tant qu’échéant, est une constante fuite devant elle. L’être pour la fin a le mode de l’esquive devant elle, esquive qui la ré-interprète, la comprend inauthentiquement et la voile. Que le Dasein propre, facticement, meure à chaque fois toujours déjà, autrement dit qu’il soit dans un être pour sa fin, ce fait, il se l’occulte à lui-même en transformant la mort en « cas » survenant quotidiennement chez les autres, et qui nous est encore plus clairement garanti par le fait que le « On-même », à n’en point douter, « vit » toujours. Mais, avec cette fuite échéante devant la mort, la quotidienneté du Dasein ne laisse pas de témoigner que le On même est lui aussi à chaque fois déjà déterminé comme être pour la mort, et cela même lorsqu’il ne se meut pas expressément dans une « pensée de la mort ». Pour le Dasein, il y va, même dans la quotidienneté médiocre, constamment de ce [255] pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable, serait-ce même selon le mode de la préoccupation pour une indifférence quiète À L’ÉGARD DE la possibilité extrême de son existence. EtreTemps51

Dans une pré-esquisse existentiale, l’être pour la mort a été déterminé comme l’être pour le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. L’être existant pour cette possibilité se transporte devant la pure et simple impossibilité de l’existence. Par-delà cette caractérisation apparemment vide de l’être pour la mort, s’est dévoilée la concrétion de cet être dans la modalité de la quotidienneté. Conformément à la tendance échéante essentielle à celle-ci, l’être pour la mort s’est signalé comme une esquive recouvrante devant elle. Mais si, auparavant, la recherche avait passé de la pré-esquisse formelle de la structure ontologique de la mort à l’analyse concrète de l’être quotidien pour la fin, il convient maintenant, en suivant la direction inverse, de conquérir le concept existential plein de la mort grâce à une interprétation plus complète de l’être quotidien pour la fin. EtreTemps52

Le plus souvent, le Dasein quotidien recouvre la possibilité la plus propre, absolue et indépassable de son être. Cette tendance factice au recouvrement confirme la thèse qui dit que le Dasein, en tant que factice, est dans la « non vérité » [NA: Cf. supra, §44 [EtreTemps44], p. [222].]. Du coup, la certitude qui appartient à [257] un tel recouvrir de l’être pour la mort doit nécessairement être un tenir-pour-vrai inadéquat, et non pas, par exemple, une incertitude au sens du doute. La certitude inadéquate tient ce dont elle est certaine dans l’être-recouvert. Si l’« on » comprend la mort comme un événement survenant dans le monde ambiant, la certitude relative à lui n’atteint pas l’être pour la fin. EtreTemps52

Dans cette détermination « critique » de la certitude de la mort et de sa pré-cédence se manifeste d’abord de nouveau la méconnaissance – caractéristique de la quotidienneté – du mode d’être du Dasein et de l’être pour la mort qui lui appartient. Que le décéder en tant qu’événement survenant ne soit « qu’ » empiriquement certain, cela ne décide rien sur la certitude de la mort. Il est possible que les cas de mort soient pour le Dasein une occasion factice de se rendre d’abord en général attentif à la mort. Cependant, tant qu’il demeure dans la certitude empirique qu’on a caractérisée, le Dasein est absolument incapable de devenir certain de la mort considérée en son mode d’« être ». Bien que le Dasein, dans la publicité du On, ne « parle » apparemment que de cette certitude « empirique » de la mort, il ne s’en tient pourtant pas, au fond, exclusivement et primairement aux cas de mort survenants. Esquivant sa mort, même l’être quotidien pour la fin est pourtant autrement certain de la mort que lui-[258] même, dans une considération purement théorique, ne voudrait le croire. Cet « autrement » se voile le plus souvent aux yeux de la quotidienneté, qui n’ose pas s’y rendre translucide. Avec son affection quotidienne plus haut caractérisée, à savoir la supériorité « anxieusement » préoccupée, apparemment sans angoisse vis-à-vis du « fait » certain de la mort, la quotidienneté concède une certitude « plus haute » que la certitude seulement empirique. On sait la mort certaine, et pourtant l’on n’est pas proprement certain d’elle. La quotidienneté échéante du Dasein connaît la certitude de la mort et esquive néanmoins l’être-certain. Mais cette esquive atteste phénoménalement par ce devant quoi elle recule que la mort doit être conçue comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine. EtreTemps52

On dit : la mort vient certainement, mais provisoirement pas encore. Avec ce « mais », le On dénie à la mort la certitude. Le « provisoirement pas encore » n’est pas un simple énoncé négatif, mais une auto-explicitation du On, par laquelle il se renvoie lui-même à ce qui de prime abord demeure encore accessible à la préoccupation du Dasein. La quotidienneté se presse vers le caractère pressant de la préoccupation et secoue les liens de la « pensée » fatigante, « oisive de la mort ». Celle-ci est renvoyée à « un jour, plus tard » et, cela sous l’invocation de l’« échelle commune ». Le On recouvre ainsi cette spécificité de la certitude de la mort: être possible à tout instant. Avec la certitude de la mort se concilie l’indétermination de son quand. C’est elle qu’esquive l’être pour la mort quotidien en lui prêtant de la déterminité. Mais un tel déterminer ne saurait signifier que l’on calculera le quand de l’intervention du décès. Devant une telle déterminité, le Dasein fuit au contraire. La préoccupation quotidienne se détermine l’indéterminité de la mort certaine de telle manière qu’elle interpose devant elle les urgences et les possibilités contrôlables du quotidien le plus proche. EtreTemps52

La question se pose néanmoins de savoir si ce problème a été jusqu’ici suffisamment élaboré. L’être pour la mort se fonde dans le souci. En tant qu’être-au-monde jeté, le Dasein est à chaque fois déjà remis à sa mort. Étant pour sa mort, il meurt facticement et même constamment aussi longtemps qu’il n’est pas venu à son décès. Le Dasein meurt facticement, cela veut dire en même temps qu’il s’est toujours déjà, en son être pour la mort, décidé de telle ou telle manière. Le recul quotidiennement échéant devant elle est un être inauthentique pour la mort. L’inauthenticité a une possible authenticité à son fondement [NA: De l’inauthenticité du Dasein, il a été traité supra, §9 [EtreTemps9], p. [42] sq., §27 [EtreTemps27], p. [130] et surtout, §38 [EtreTemps38], p. [175] sq.]. L’inauthenticité caractérise un mode d’être où le Dasein peut se placer et s’est aussi le plus souvent toujours déjà placé, mais où il ne doit pas nécessairement et constamment se placer. Parce que le Dasein existe, il se détermine à chaque fois en tant qu’étant comme il est à partir d’une possibilité qu’il est et comprend lui-même. EtreTemps52

Le Dasein peut-il aussi comprendre authentiquement sa possibilité la plus propre, absolue et indépassable, certaine et comme telle indéterminée, c’est-à-dire se tenir dans un [260] être authentique pour sa fin ? Aussi longtemps que cet être pour la mort authentique n’est pas dégagé et déterminé ontologiquement, une carence essentielle s’attache à l’interprétation existentiale de l’être pour la fin. EtreTemps52

L’être pour la mort authentique signifie une possibilité existentielle du Dasein. Ce pouvoir-être ontique doit de son côté être ontologiquement possible. Quelles sont les conditions existentiales de cette possibilité ? Comment doit-elle elle-même devenir accessible ? EtreTemps52

Facticement, le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans un être pour la mort inauthentique. Comment la possibilité ontologique d’un être authentique pour la mort doit-elle être « objectivement » caractérisée si le Dasein, en fin de compte, ne se rapporte jamais authentiquement à sa fin, ou bien si cet être authentique, de par son sens propre, doit demeurer retiré aux autres ? Le projet d’une possibilité existentiale d’un pouvoir-être existentiel aussi problématique ne constitue-t-il pas une entreprise fantastique ? De quoi est-il besoin pour qu’un tel projet dépasse une simple construction fictive, arbitraire ? Le Dasein donne-t-il lui-même à ce projet les indications nécessaires ? Est-il possible d’emprunter au Dasein lui-même des fondements de sa légitimité phénoménale ? Et la tâche ontologique que nous énonçons maintenant peut-elle recevoir de l’analyse antérieure du Dasein des prescriptions propres à placer son propos sur une voie sûre ? EtreTemps53

Le concept existential de la mort a été fixé, et, avec lui, ce à quoi un être pour la mort authentique doit pouvoir se rapporter. En outre, l’être pour la mort inauthentique a été caractérisé, ce qui revenait en même temps à pré-dessiner prohibitivement comment l’être pour la mort authentique ne peut pas être. Sur la base de ces indications positives et prohibitives, il doit être désormais possible de projeter l’édifice existential d’un être pour la mort authentique. EtreTemps53

Le Dasein est constitué par l’ouverture, c’est-à-dire par un comprendre affecté. Un être pour la mort authentique ne peut pas reculer devant la possibilité la plus propre, absolue, ni la recouvrir dans cette fuite, ni la ré-interpréter dans le sens de la compréhensivité du On. Par suite, le projet existential d’un être pour la mort authentique doit nécessairement dégager les moments d’un tel être qui le constituent en tant que comprendre de la mort au sens d’un être non-fuyant et non-recouvrant pour la possibilité qu’on a caractérisée. EtreTemps53

Il convient tout d’abord de caractériser l’être pour la mort comme un être pour une [261] possibilité, à savoir pour une possibilité insigne du Dasein lui-même. Être pour une possibilité, c’est-à-dire pour un possible, peut signifier : être ouvert à (NT: Aussein, mot auparavant traduit (p. [195] et [210]) par « exposition » ; ici, c’est l’être-ouvert, au sens d’intérêt pour…) un possible sous la forme d’une préoccupation pour sa réalisation. Dans le champ de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main, de telles possibilités font constamment encontre : l’accessible, le maîtrisable, le viable, etc. L’être-ouvert préoccupé à un possible a la tendance à anéantir la possibilité du possible en le rendant disponible. Cependant, la réalisation préoccupée d’un outil sous-la-main (en tant que produire, apprêter, remplacer, etc.) n’est jamais que relative, dans la mesure où même le réalisé, ou justement lui, a encore le caractère d’être de la tournure. Bien que réalisé, il reste en tant qu’effectif un possible pour…, caractérisé par un pour… La présente analyse doit simplement montrer comment l’être-ouvert préoccupé se rapporte au possible : non pas dans une considération thématico-théorique du possible comme possible, selon sa possibilité envisagée comme telle, mais de manière telle qu’elle s’écarte circon-spectivement du possible pour se tourner vers le possible-pour-quoi. EtreTemps53

Quant à l’être pour la mort qui est maintenant en question, il ne saurait de toute évidence avoir le caractère de l’être-ouvert préoccupé à sa réalisation. D’abord, la mort en tant que possible n’est pas un à-portée-de-la-main ou un sous-la-main possible, mais une possibilité d’être du DASEIN. Par suite, la préoccupation pour la réalisation de ce possible devrait signifier une provocation du décès. Mais par là, le Dasein s’ôterait justement le sol nécessaire à un être existant pour la mort. EtreTemps53

Si ce n’est donc pas une « réalisation » de l’être pour la mort qui est visée sous ce nom, l’être pour la mort ne peut pas signifier : séjourner auprès de la fin en sa possibilité. Une telle conduite consisterait dans la « pensée de la mort ». Cette attitude est celle qui médite la possibilité, le moment et la manière dont elle pourrait bien se réaliser. Certes, cette rumination de la mort ne lui ôte point totalement son caractère de possibilité, la mort y est encore et toujours ruminée en tant qu’elle vient ; néanmoins elle affaiblit la mort par une volonté calculatrice de disposer d’elle. La mort, comme possible, doit alors manifester aussi peu que possible de sa possibilité. Dans l’être pour la mort, au contraire, si tant est qu’il a à ouvrir la possibilité citée en la comprenant comme telle, la possibilité doit être comprise sans aucune atténuation en tant que possibilité, être configurée en tant que possibilité, être soutenue, dans le comportement face à elle, en tant que possibilité. EtreTemps53

Mais l’être pour la possibilité en tant qu’être pour la mort doit se rapporter à elle de telle manière qu’elle se dévoile dans cet être et pour lui comme possibilité. Un tel être pour la possibilité, nous le saisissons terminologiquement en tant que devancement dans la possibilité. Mais est-ce que ce comportement ne contient pas en lui un approchement vers le possible ? Avec la proximité du possible, est-ce que ce n’est pas en même temps sa réalisation qui surgit ? Réponse : cet approchement ne tend point à rendre un effectif disponible à la préoccupation, mais, dans cette approche compréhensive, la possibilité du possible devient seulement « plus grande ». La proximité la plus proche de l’être pour la mort comme possibilité est aussi éloignée que possible d’un effectif. Plus cette possibilité est comprise sans aucun voile, et d’autant plus purement le comprendre pénètre dans la possibilité comme possibilité de l’impossibilité de l’existence en général. La mort comme possibilité ne donne au Dasein rien à « réaliser », et rien non plus qu’il pourrait être lui-même en tant qu’effectif. Elle est la possibilité de l’impossibilité de tout comportement par rapport à…, de tout exister. Dans le devancement dans cette possibilité, celle-ci devient « toujours plus grande », c’est-à-dire qu’elle se dévoile comme une possibilité qui ne connaît absolument aucune mesure, aucun plus ou moins, mais signifie la possibilité de l’impossibilité sans mesure de l’existence. De par son essence propre, cette possibilité n’offre aucun point d’appui pour être tendu vers quelque chose, pour « se figurer » l’effectif possible et, par le fait même, oublier la possibilité. EtreTemps53

L’être pour la mort comme devancement dans la possibilité possibilise pour la première fois cette possibilité et la libère en tant que telle. EtreTemps53

L’être pour la mort est devancement dans un pouvoir-être de l’étant dont le mode d’être est le devancement même. Dans le dévoilement devançant de ce pouvoir-être, le Dasein s’ouvre à lui-même quant à sa possibilité extrême. Mais se projeter vers son pouvoir-être le plus propre veut dire : pouvoir se comprendre soi-même dans l’être de l’étant ainsi dévoilé : [263] exister. Le devancement se manifeste comme possibilité du comprendre du pouvoir-être extrême le plus propre, c’est-à-dire comme possibilité d’existence authentique. La constitution ontologique de celle-ci doit être rendue visible grâce au dégagement de la structure concrète du devancement dans la mort. Comment s’accomplit la délimitation phénoménale de cette structure ? Manifestement, en déterminant les caractères de l’ouvrir devançant qui doivent nécessairement lui appartenir pour qu’il puisse devenir le pur comprendre de la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine et comme telle indéterminée. Mais il reste ici à considérer que le comprendre ne signifie pas primairement : fixer du regard un sens, mais se comprendre dans le pouvoir-être qui se dévoile dans le projet [NA: Cf. supra, §31 [EtreTemps31], p. [142] sq.]. EtreTemps53

La possibilité la plus propre, absolue, est indépassable. L’être pour elle fait comprendre au Dasein que le précède, à titre de possibilité extrême de l’existence, [la nécessité] de se sacrifier. Mais le devancement n’esquive pas l’indépassabilité comme l’être pour la mort inauthentique, mais il se rend libre pour elle. Le devenir-libre devançant pour la mort propre libère de la perte dans les possibilités qui ne se pressent que de manière contingente, et cela en faisant comprendre et choisir pour la première fois authentiquement les possibilités factices qui sont en deçà de la possibilité indépassable. Le devancement ouvre à l’existence, à titre de possibilité extrême, le sacrifice de soi et brise ainsi tout raidissement sur l’existence à chaque fois atteinte. En devançant, le Dasein se préserve de retomber derrière soi et son pouvoir-être compris, et de « devenir trop vieux pour ses victoires » (Nietzsche). Libre pour les possibilités les plus propres, déterminées à partir de la fin, c’est-à-dire comprises comme finies, le Dasein expulse le danger de méconnaître à partir de sa compréhension finie de l’existence les possibilités d’existence d’autrui qui le dépassent, ou bien, en les mésinterprétant, de les rabattre sur les siennes propres afin de se délivrer ainsi lui-même de son existence factice la plus propre. Mais la mort, en tant que possibilité absolue, n’isole que pour rendre, indépassable qu’elle est, le Dasein comme être-avec compréhensif pour le pouvoir-être des autres. Parce que le devancement dans la possibilité indépassable ouvre conjointement toutes les possibilités antérieures à elle, il inclut la possibilité d’une anticipation existentielle de tout le Dasein, c’est-à-dire la possibilité d’exister comme pouvoir-être total. EtreTemps53

La possibilité la plus propre, absolue, indépassable et certaine est indéterminée en sa certitude. Comment le devancement ouvre-t-il ce caractère de la possibilité insigne du Dasein ? Comment le comprendre devançant se projette-t-il vers un pouvoir-être certain qui est constamment possible, mais de telle manière que le quand où devient possible la pure et simple impossibilité de l’existence demeure constamment indéterminé ? Dans le devancement vers la mort indéterminément certaine, le Dasein s’ouvre à une menace jaillissant de son Là lui-même, constante. L’être pour la fin doit se tenir en elle, et il peut si peu l’aveugler qu’il doit au contraire nécessairement configurer l’indéterminité de la certitude. Comment l’ouvrir natif de cette menace constante est-il existentialement possible ? Tout comprendre est affecté. La tonalité transporte le Dasein devant l’être-jeté de son « qu’il-est-Là » [NA: Cf. supra, §29 [EtreTemps29], p. [134] sq.]. Mais l’affection qui est en mesure de tenir ouverte la menace constante et pure et simple qui monte de l’être isolé le plus propre du Dasein, c’est l’angoisse [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [184] sq.]. C’est en elle que le Dasein se trouve devant le rien [266] de la possible impossibilité de son existence. L’angoisse s’angoisse pour le pouvoir-être de l’étant ainsi déterminé, et elle ouvre ainsi la possibilité extrême. Comme le devancement isole purement et simplement le Dasein et, dans cet isolement de lui-même, le fait devenir certain de la totalité de son pouvoir-être, à cette auto-compréhension du Dasein à partir de son fond appartient l’affection fondamentale de l’angoisse. L’être pour la mort est essentiellement angoisse. L’attestation univoque, quoique « seulement » indirecte en est donnée par l’être pour la mort qu’on a caractérisé, lorsqu’il pervertît l’angoisse en peur lâche et annonce, avec le surmontement de celle-ci, la lâcheté devant l’angoisse. EtreTemps53

Il est maintenant possible de résumer ainsi notre caractérisation de l’être pour la mort authentique existentialement projeté : le devancement dévoile au Dasein sa perte dans le On-même et le transporte devant la possibilité, primairement dépourvue de la protection de la sollicitude préoccupée, d’être lui-même – mais lui-même dans la LIBERTÉ POUR LA MORT passionnée, déliée des illusions du On, factice, certaine d’elle-même et angoissée. EtreTemps53

Tous ces rapports, propres à l’être pour la mort, à la teneur pleine de la possibilité extrême du Dasein qui a été caractérisée trouvent leur convergence dans le fait qu’ils dévoilent, déploient et maintiennent le devancement constitué par eux en tant que possibilisation de cette possibilité. La délimitation existentialement projetante du devancement a rendu visible la possibilité ontologique d’un être existentiel authentique pour la mort. Mais du même coup, ce qui surgit, c’est la possibilité d’un pouvoir-être-tout authentique du Dasein – néanmoins seulement à titre de possibilité ontologique. Certes, notre projet existential du devancement s’en est tenu aux structures du Dasein auparavant conquises, et il a laissé, pour ainsi dire, le Dasein se projeter lui-même vers cette possibilité, sans lui représenter ou lui imposer « de l’extérieur » un idéal « concret » d’existence. Et pourtant, cet être existentialement « possible » pour la mort demeure existentiellement une suggestion fantastique. La possibilité ontologique d’un pouvoir-être-tout authentique du Dasein ne signifie rien tant que le pouvoir-être ontique correspondant n’a pas été assigné à partir du Dasein lui-même. Le Dasein se jette-t-il à chaque fois facticement dans un tel être pour la mort ? Exige-t-il, ne serait-ce que sur la base de son être le plus propre, un pouvoir-être authentique qui soit déterminé par le devancement ? EtreTemps53

Avec l’élaboration de la résolution comme un se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette le plus propre, notre recherche est devenue capable de délimiter le sens ontologique de ce pouvoir-être-tout authentique du Dasein dont elle était en quête. Désormais, l’authenticité du Dasein n’est ni un titre vide, ni une idée fictive. Néanmoins, l’être pour la mort authentique que nous avons existentialement déduit en le manifestant comme pouvoir-être-tout authentique demeure encore un projet purement existential, auquel l’attestation propre du Dasein fait défaut. C’est seulement si celle-ci est trouvée que la recherche peut satisfaire à la tâche exigée par sa problématique, d’une mise en lumière d’un pouvoir-être-tout du Dasein existentialement confirmé et clarifié ; comme c’est seulement si cet étant est devenu phénoménalement accessible en son authenticité et totalité que la question du sens de l’être de cet étant à l’existence duquel appartient la compréhension de l’être en général aura atteint un sol ferme. EtreTemps60

Dans quelle mesure la résolution, si elle est « pensée jusqu’au bout » conformément à sa tendance d’être la plus propre, conduit-elle à l’être pour la mort authentique ? Comment la connexion entre le vouloir-avoir-conscience et le pouvoir-être-tout authentique existentialement projeté du Dasein doit-elle être conçue ? La compénétration des deux produit-elle un nouveau phénomène ? Ou bien nous maintient-elle auprès de la résolution attestée en sa possibilité existentielle, de telle manière toutefois qu’elle puisse éprouver de la part de l’être pour la mort une modalisation existentielle ? Mais qu’est-ce que cela veut dire « penser jusqu’au bout » existentialement le phénomène de la résolution ? EtreTemps62

Résolution veut dire : se-laisser-pro-voquer à l’être-en-dette le plus propre. L’être-en-dette appartient à l’être du Dasein lui-même, que nous avons primairement déterminé comme [306] pouvoir-être. Le Dasein « est » constamment en-dette, cela ne peut signifier que ceci : il se tient à chaque fois dans cet être en tant qu’exister authentique ou inauthentique. L’être-en-dette n’est pas seulement une propriété permanente d’un sous-la-main constant, mais la possibilité existentielle d’être authentiquement ou inauthentiquement en-dette. Le « en-dette » n’est jamais que dans un pouvoir-être factice déterminé. Par suite, l’être-en-dette, parce qu’il appartient à l’être du Dasein, doit être conçu comme pouvoir-être-en-dette. La résolution se projette vers ce pouvoir-être, c’est-à-dire se comprend en lui. Ce comprendre, par suite, se tient dans une possibilité originaire du Dasein, et il se tient authentiquement en elle si la résolution est originairement ce qu’elle tend à être. Or nous avons dévoilé l’être originaire du Dasein pour son pouvoir-être comme être pour la mort, c’est-à-dire pour la possibilité insigne du Dasein qui a été caractérisée. Le devancement ouvre cette possibilité comme possibilité. La résolution, par conséquent, ne devient un être originaire pour le pouvoir-être le plus propre du Dasein qu’en tant que devançante. Le « pouvoir » du pouvoir-être-en-dette, la résolution ne le comprend que si elle se « qualifie » comme être pour la mort. EtreTemps62

Résolu, le Dasein assume authentiquement dans son existence le fait qu’il est le rien nul de sa nullité. Nous avons conçu existentialement la mort comme la possibilité – plus haut caractérisée – de l’impossibilité de l’existence, c’est-à-dire comme pure et simple nullité du Dasein. La mort n’est pas surajoutée au Dasein lors de sa « fin », mais, en tant que souci, le Dasein est le fondement jeté (c’est-à-dire nul) de sa mort. La nullité qui transit originairement l’être du Dasein se dévoile à lui-même dans l’être pour la mort authentique. C’est le devancement qui rend pour la première fois l’être-en-dette manifeste à partir du fondement de l’être total du Dasein. Le souci abrite cooriginairement en soi la mort et la dette. La résolution devançante comprend pour la première fois le pouvoir-être-en-dette authentiquement et totalement, c’est-à-dire originairement [NA: L’être-en-dette appartenant originairement à la constitution d’être du Dasein doit être soigneusement distingué du status corruptionis au sens théologique. Certes, la théologie peut trouver dans l’être-en-dette existentialement déterminé une condition ontologique de sa possibilité factice. Cependant, la dette contenue dans l’idée de ce status est un endettement factice absolument spécifique. Il a son attestation propre, qui demeure fondamentalement fermée à toute expérience philosophique. L’analyse existentiale de l’être-en-dette ne prouve rien, ni pour, ni contre la possibilité du péché. En toute rigueur, on ne peut même pas dire que l’ontologie du Dasein laisse par elle-même cette possibilité en général ouverte, dans la mesure où, en tant que questionner philosophique, elle ne « sait » fondamentalement rien du péché.]. EtreTemps62

Mais le Dasein est cooriginairement dans la non-vérité. La résolution devançante lui nomme en même temps la certitude originaire de sa fermeture. Résolu en devançant, le Dasein se tient ouvert pour la perte constante, possible sur la base de son propre être, dans l’ir-résolution du On. L’ir-résolution est co-certaine en tant que possibilité constante du Dasein. La résolution translucide à elle-même comprend que l’indéterminité du pouvoir-être ne se détermine jamais que dans la décision pour ce qui est situation. Elle sait l’indéterminité qui régit un étant qui existe. Mais ce savoir, s’il veut correspondre à la résolution authentique doit lui-même jaillir d’un décider authentique. Or l’indétermination du pouvoir-être propre – bien que devenu à chaque fois certain dans la décision – ne se manifeste totalement que dans l’être pour la mort. Le devancement transporte le Dasein devant une possibilité qui est constamment certaine et qui pourtant demeure à tout instant indéterminée quant au moment où la possibilité devient impossibilité. Elle manifeste que cet étant est jeté dans l’indétermination de sa « situation-limite », en se résolvant à laquelle le Dasein conquiert son pouvoir-être-tout authentique. L’indétermination de la mort s’ouvre originairement dans l’angoisse. Mais cette angoisse originaire aspire à s’intimer la résolution. Elle débarrasse tout recouvrement de l’abandon du Dasein à lui-même. Le rien devant lequel l’angoisse transporte dévoile la nullité qui détermine le Dasein en son fondement, lequel est lui-même en tant qu’être-jeté dans la mort. EtreTemps62

[309] Notre analyse a successivement dévoilé les moments – issus de l’être pour la mort authentique en tant que possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine et pourtant indéterminée – de la modalisation à laquelle la résolution tend à partir d’elle-même. Elle n’est authentiquement et totalement ce qu’elle peut être que comme résolution devançante. EtreTemps62

La résolution devançante n’est nullement un expédient, forgé pour « surmonter » la mort, elle est ce comprendre – consécutif à l’appel de la conscience – qui libère pour la mort la possibilité de s’emparer de l’existence et de dissiper radicalement tout auto-recouvrement fugace. Le vouloir-avoir-conscience déterminé comme être pour la mort ne signifie pas davantage une sécession qui fuirait le monde, mais il transporte, sans illusions, dans la résolution de l’« agir ». La résolution devançante, enfin, ne provient pas non plus d’un « idéalisme » qui survolerait l’existence et ses possibilités, mais elle jaillit de la compréhension dégrisée de possibilités fondamentales factices du Dasein. Avec l’angoisse dégrisée qui transporte devant le pouvoir-être isolé, s’accorde la joie vigoureuse de cette possibilité. En elle, le Dasein devient libre des « contingences » de cette assistance que la curiosité affairée demande avant tout aux événements du monde de lui procurer. Néanmoins, l’analyse de ces tonalités fondamentales excède les limites que son but fondamental-ontologique trace à la présente interprétation. EtreTemps62

Le souci est être pour la mort. Nous avons déterminé la résolution devançante comme l’être authentique pour la possibilité – plus haut caractérisée – de la pure et simple impossibilité du Dasein. Dans un tel être pour la mort, le Dasein existe authentiquement [et] totalement comme l’étant que, « eté dans la mort », il peut être. Il n’a pas une fin où il cesse simplement, mais il existe de manière finie. L’avenir authentique, qui temporalise [330] primairement la temporalité qui constitue le sens de la résolution devançante, se dévoile ainsi lui-même comme fini. Et pourtant, dira-t-on, est-ce que « le temps », malgré le ne-plus-être-Là de moi-même, « ne continue pas » ? Est-ce qu’une infinité de choses ne peut pas se trouver encore « dans l’avenir », advenir depuis l’avenir ? EtreTemps65

Comment dissocier maintenant de l’avenir authentique l’avenir inauthentique ? Tout comme celui-là ne peut se dévoiler que dans la résolution, ce mode ekstatique ne peut se dévoiler que dans un retour ontologique depuis le comprendre inauthentique, quotidiennement préoccupé, jusqu’à son sens temporalo-existential. En tant que souci, le Dasein est essentiellement en-avant-de-soi. De prime abord et le plus souvent, l’être-au-monde préoccupé se comprend à partir de ce dont il se préoccupe. Le comprendre inauthentique se projette vers ce qui, dans les affaires de l’activité quotidienne, est pourvoyable, faisable, urgent, indispensable. Mais ce dont on se préoccupe n’est comme il est qu’en-vue du pouvoir-être soucieux. Celui-ci laisse le Dasein, dans son être préoccupé auprès de ce dont il se préoccupe, ad-venir à soi. Le Dasein n’ad-vient pas primairement à soi dans son pouvoir-être le plus propre, absolu, mais, se préoccupant, il est attentif [NT: gewärtig (premier emploi) voir l’index s.v.] à soi à partir de ce qu’offre ou refuse ce dont il se préoccupe. C’est à partir de celui-ci que le Dasein ad-vient à soi. L’avenir inauthentique a le caractère du s’attendre [NT: Voir également l’index, s.v. Gewärtigen.]. C’est dans ce mode ekstatique de l’avenir que le se-comprendre préoccupé du On-même à partir de ce que l’on fait a le « fondement » de sa possibilité. Et c’est seulement parce que le Dasein factice est ainsi attentif à son pouvoir-être à partir de ce dont il se préoccupe, qu’il peut l’attendre et attendre ceci ou cela. Le s’attendre doit déjà à chaque fois avoir ouvert l’horizon et l’orbe à partir duquel quelque chose peut être attendu. L’attendre est un mode dérivé, fondé dans le s’attendre, de l’avenir, qui se temporalise authentiquement comme devancement. C’est pourquoi il y a dans le devancement un être pour la mort plus originaire que dans l’attente préoccupée de celle-ci. EtreTemps68

Cependant, l’une et l’autre tonalités, la peur et l’angoisse, ne « surviennent » jamais isolément dans un « courant de vécus », mais elles in-tonent, et ainsi déterminent, à chaque fois un comprendre – ou se déterminent à partir de lui. La peur a son occasion dans l’étant offert dans le monde ambiant à la préoccupation. L’angoisse, au contraire, jaillit du Dasein même. La peur assaille à partir de l’intramondain. L’angoisse s’élève à partir de l’être-au-monde comme être pour la mort jeté. Comprise temporellement, cette « montée » de l’angoisse signifie ceci : l’avenir et le présent de l’angoisse se temporalisent à partir d’un être-été originaire au sens du re-porter vers la répétabilité. Mais à proprement parler, l’angoisse ne peut monter que dans un Dasein résolu. Celui qui est résolu ne connaît aucune peur, mais il comprend justement la possibilité de l’angoisse comme de cette tonalité qui ne l’inhibe ni ne l’égare. Elle libère de possibilités « nulles » et laisse devenir libre pour des possibilités authentiques. EtreTemps68

Le mode de temporalisation du « ré-sulter » du présent se fonde dans l’essence de la temporalité, qui est finie. Jeté dans l’être pour la mort, le Dasein fuit de prime abord et le plus souvent devant cet être-jeté dévoilé de manière plus ou moins expresse. Le présent ré-sulte de son avenir et de son être-été authentiques, pour ne faire advenir le Dasein à l’existence authentique qu’au prix d’un détour par soi. L’origine du « ré-sulter » du présent, c’est-à-dire de l’échéance dans la perte, est la temporalité originaire, authentique elle-même, qui rend possible l’être jeté pour la mort. EtreTemps68

De prime abord, le jet de l’être-jeté dans le monde n’est pas ressaisi par le Dasein ; la « mobilité » qui lui est propre ne vient pas à la « stabilité » du simple fait que le Dasein « est » désormais « là ». Le Dasein est lui-même entraîné dans l’être-jeté, autrement dit, en tant que jeté dans le monde, il se perd dans le « monde » conformément à son assignation factice à ce dont il a à se préoccuper. Le présent, qui constitue le sens existential de l’être-entraîné, ne conquiert jamais par lui-même un autre horizon ekstatique, à moins qu’il ne soit [349] ramené de sa perte par la décision, afin d’ouvrir, en tant qu’instant tenu, chaque situation, et, conjointement, la « situation limite » originaire de l’être pour la mort. EtreTemps68

Bien que nous n’apercevions jusqu’ici aucune possibilité d’amorçage plus radical de l’analytique existentiale, néanmoins, si nous nous référons justement à l’élucidation antérieure du sens ontologique de la quotidienneté, un grave scrupule nous étreint : le tout du Dasein s’est-il vraiment laissé porter, au point de vue de son être-tout authentique, à la pré-acquisition de l’analyse existentiale ? Il est possible sans doute que le questionnement antérieur relatif à la totalité du Dasein possède son univocité ontologique véritable ; et il est non moins possible, d’autre part, que la question elle-même ait trouvé, pour ce qui concerne [373] l’être pour la fin, la réponse qu’elle réclamait. Seulement, la mort n’est pourtant que la « fin » du Dasein ; ou, pour le dire formellement, elle est seulement l’une des fins qui circonscrivent la totalité du Dasein. Or l’autre « fin », c’est le « commencement », la « naissance ». Seul l’étant qui se trouve « entre » naissance et mort représente le tout cherché. Ainsi, l’orientation antérieure de l’analytique, malgré toute son insistance sur le Dasein existant, et en dépit d’une explication appropriée de l’être pour la mort authentique et inauthentique, demeurait-elle « unilatérale ». Le Dasein n’était jamais pris pour thème que tel qu’il existe pour ainsi dire « vers l’avant » et laisse « derrière lui » tout ce qu’il a été. Non seulement l’être pour le commencement est resté sans examen, mais encore et avant tout l’extension du Dasein entre naissance et mort. C’est donc précisément l’« enchaînement de la vie », enchaînement où pourtant le Dasein se tient constamment d’une manière ou d’une autre, qui est passé inaperçu dans l’analyse de l’être-tout. EtreTemps72

Bien loin de remplir seulement, à travers les phases de ses effectivités momentanées, un cours et un chemin « de la vie » qui serait en quelque manière sous-la-main, le Dasein s’é-tend lui-même, et cela de telle manière que c’est son être propre qui est d’emblée constitué comme ex-tension. C’est dans l’être du Dasein que se trouve déjà le « entre » de la naissance et de la mort. En revanche, le Dasein n’« est » nullement effectif en un point temporel, ni, de surcroît, « entouré » par la non-effectivité de sa naissance et de sa mort. Entendue existentialement, la naissance n’est pas, n’est jamais du passé au sens d’un étant qui n’est plus sous-la-main, et pas davantage la mort n’a-t-elle le mode d’être d’un « reste » non encore sous-la-main et seulement à venir. Le Dasein factice existe nativement, et c’est nativement encore qu’il meurt au sens de l’être pour la mort. L’une et l’autre « fins », ainsi que leur « entre deux » sont aussi longtemps que le Dasein existe facticement, et elles sont comme il leur est seulement possible d’être sur la base de l’être du Dasein comme souci. Dans l’unité de l’être-jeté et de l’être pour la mort fugitif – ou devançant -, naissance et mort « s’enchaînent » à la mesure du Dasein. En tant que souci, le Dasein est l’« entre-deux ». EtreTemps72

La question, en effet, ne peut être : comment le Dasein obtient-il l’unité d’enchaînement permettant après coup de lier la séquence passée et actuelle des « vécus », mais : en quel mode d’être de lui-même le Dasein se perd-il de telle manière qu’il doive pour ainsi dire ne se reprendre qu’après coup à partir de la distraction et inventer pour l’ensemble ainsi réuni une unité englobante ? La perte dans le On et dans le mondo-historial s’est dévoilée antérieurement comme fuite devant la mort. Cette fuite devant… manifeste l’être pour la mort comme une déterminité fondamentale du souci. La résolution devançante porte cet être pour la mort à l’existence authentique. Or le provenir de cette résolution, autrement dit la répétition auto-délivrante de l’héritage des possibilités, a pu être interprété comme historialité authentique. Serait-ce que celle-ci contient l’être-é-tendu originaire, non perdu – et étranger à la nécessité d’un « enchaînement » – de l’existence totale ? La résolution du Soi-même contre l’in-stabilité de la distraction est en soi-même la continuité é-tendue où le Dasein en [391] tant que destin tient « inclus » dans son existence la naissance, la mort et leur « entre-deux », de telle manière qu’en une telle stabilité il est instantané pour le sens mondo-historial de ce qui lui est à chaque fois situation. Dans la répétition destinale de possibilités ayant été, le Dasein se re-porte « immédiatement », c’est-à-dire, en termes temporels, ekstatiquement, à ce qui a déjà été avant lui. Mais alors, avec cette auto-délivrance de l’héritage, la « naissance », dans le retour depuis la possibilité indépassable de la mort, est reprise dans l’existence, et cela, bien sûr, afin que celle-ci n’en accueille que plus lucidement l’être-jeté du Là propre. EtreTemps75