Miteinandersein, Füreinander (SZ)
Miteinandersein
Mais, dira-t-on, l’expression « Dasein » montre pourtant clairement que cet étant est « de prime abord » sans aucune relation à autrui, et que c’est après coup qu’il peut en plus être « avec » d’autres. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que nous utilisons le terme d’être-Là-avec (Mitdasein) pour désigner l’être auquel les autres qui sont libérés au sein du monde. Si cet être-Là-avec (Mitdasein) des autres n’est ouvert que de manière intramondaine à un Dasein — et ainsi également pour ceux qui sont-Là-avec —, c’est seulement parce que le Dasein est en lui-même essentiellement être-avec (Mitsein). L’énoncé phénoménologique : le Dasein est essentiellement être-avec (Mitsein) a un sens ontologico-existential. Cet énoncé ne prétend pas constater ontiquement que je ne suis pas facticement seul sous-la-main, et qu’au contraire surviennent d’autres étants de mon espèce. Si la proposition : l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) du Dasein est essentiellement constitué par l’être-avec (Mitsein), avait ce sens, l’être-avec (Mitsein) ne serait pas une détermination existentiale caractérisant le Dasein à partir de soi-même et selon son mode d’être, mais simplement une propriété s’imposant à chaque fois sur la base de la survenance d’autrui. L’être-avec (Mitsein) détermine existentialement le Dasein même lorsqu’un autre n’est ni sous-la-main ni perçu facticement. Même l’être-seul du Dasein est être-avec (Mitsein) dans le monde. L’autre ne peut manquer que dans et pour un être-avec (Mitsein). L’être-seul est un mode déficient de l’être-avec (Mitsein), sa possibilité est la preuve de celui-ci. D’autre part, l’être-seul factice n’est pas supprimé par le simple fait qu’un deuxième exemplaire « homme », voire même dix, surviennent « à côté » de moi. Même si ceux-ci, et plus encore, sont sous-la-main, le Dasein peut être seul. L’être-avec (Mitsein) et la facticité de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) ne se fonde donc pas dans une survenance de plusieurs « sujets » (121) ensemble. Plus encore, même l’être-seul « parmi » beaucoup ne signifie pas, au sujet de l’être de ces « beaucoup », qu’ils soient alors simplement sous-la-main. Même pour l’être « parmi eux », ils sont là-avec ; leur être-Là-avec (Mitdasein) fait encontre selon le mode de l’indifférence et de l’étrangèreté. Le manque, le « départ » sont des modes de l’être-Là-avec (Mitdasein), ils ne sont possibles que parce que le Dasein comme être-avec (Mitsein) laisse le Dasein d’autrui faire encontre (begegnen) en son monde. L’être-avec (Mitsein) est une déterminité (Bestimmtheit) du Dasein à chaque fois propre ; l’être-Là-avec (Mitdasein) caractérise le Dasein d’autrui pour autant que celui-ci est libéré pour un être-avec (Mitsein) par le monde de celui-ci. Quant au Dasein propre, ce n’est que pour autant qu’il a la structure d’essence de l’être-avec (Mitsein) qu’il est lui-même être-Là-avec (Mitdasein) faisant encontre à d’autres.
Si l’être-Là-avec (Mitdasein) demeure existentialement constitutif de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), il doit alors, tout comme l’usage circon-spect de l’à-portée-de-la-main intramondain, que nous caractérisions anticipativement comme préoccupation (Besorgen), être interprété à partir du phénomène du souci, par lequel l’être du Dasein est en général déterminé (cf. le chapitre VI de cette section). Le caractère d’être de la préoccupation (Besorgen) ne peut échoir (verfallen) à l’être-avec (Mitsein), quand bien même ce mode d’être est, comme la préoccupation (Besorgen), un être pour l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Cependant, l’étant « pour » (envers) lequel le Dasein se comporte en tant qu’être-avec (Mitsein) n’a pas le mode d’être de l’outil (Zeug) à-portée-de-la-main, il est lui-même Dasein. Cet étant n’appelle pas la préoccupation (Besorgen), mais la sollicitude (Fürsorge) {NT: BW traduisaient « assistance ». Mais quoique ce mot Fürsorge soit en effet utilisé couramment en allemand quand on parle d’assistance publique ou sociale, on va voir qu’il n’a pas ici ce sens, étroitement « transitif ». De plus, souci et sollicitude (Fürsorge), ayant même étymologie, reflètent mieux la parenté entre Sorge et Fürsorge. Cette parenté, malheureusement, le français ne nous permettait pas de l’exprimer aussi bien entre souci et préoccupation (Besorgen) (Besorgen).}.
La « préoccupation (Besorgen) » pour la nourriture et le vêtement, les soins donnés au corps malade sont eux aussi sollicitude (Fürsorge). Toutefois, nous comprenons cette expression, comme c’était le cas pour notre usage terminologique de la « préoccupation (Besorgen) », comme un existential. La sollicitude (Fürsorge) sous la forme factice et sociale de l’« assistance », par exemple, se fonde dans la constitution d’être du Dasein comme être-avec (Mitsein). Son urgence factice est motivée par le fait que le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans les modes déficients de la sollicitude (Fürsorge). Être pour, contre, sans… les uns les autres, passer indifféremment les uns à côté des autres, ce sont là des guises possibles de la sollicitude (Fürsorge). Et précisément, les modes cités en dernier lieu de la déficience et de l’indifférence caractérisent l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich) et moyen. Ces modes d’être manifestent derechef le caractère de non-imposition et d’« évidence » qui échoit tout aussi bien à l’être-Là-avec (Mitdasein) quotidien (alltäglich) intramondain d’autrui qu’à l’être-à-portée-de-la-main de l’outil (Zeug) dont on se préoccupe chaque jour. Ces modes indifférents de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) peuvent aisément conduire l’interprétation ontologique à expliciter de prime abord cet être au sens du pur être-sous-la-main de plusieurs sujets. Apparemment, il ne s’agit que de variantes infimes de ce même mode d’être, et pourtant, entre la survenance ensemble « indifférente » de choses quelconques et l’indifférence propre à des étants qui sont l’un avec (122) l’autre, la différence est essentielle. (EtreTemps26)
Füreinander
Mais ce mode d’être de l’ouverture de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) ne régit pas moins l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) comme tel. L’autre est de prime abord « là » à partir de ce que l’on a entendu de lui, de ce qu’on dit et sait à son sujet. C’est devant l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) originaire que le (175) bavardage (Gerede) fait d’abord écran. Chacun observe d’abord l’autre pour savoir comment il se comportera, ce qu’il dira sur ceci ou cela. L’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) dans le On (das Man) n’est absolument pas une juxtaposition fermée, indifférente, mais une observation mutuelle tendue, équivoque, un secret espionnage réciproque. Sous le masque de l’être-l’un-envers-l’autre joue un être-l’un-contre-l’autre. (EtreTemps37)