In-Sein [SZ]
ser-em [SZ] being-in [BT] ser-en [SerTiempo]
Que veut-il dire être à… ? Immédiatement, nous ajoutons à cette expression son complément : être « au-monde », et nous inclinons à comprendre cet être-à… comme un « être dans… » [NT: L’être-au-monde [In-der-Welt-sein], c’est en effet en allemand « das In-der-Welt-sein », c’est-à-dire littéralement l’être-dans-le-monde. H. distingue ici du sens verbal d’être dans (Sein in) le sens proprement ontologique d’être-à… (In-Sein).]. Ce dernier terme nomme le mode d’être d’un étant qui est « dans » un autre comme [54] l’eau « dans » le verre, le vêtement « dans » l’armoire. Par le mot in, nous comprenons d’abord le rapport de deux étants étendus « dans » l’espace du point de vue de leur lieu dans cet espace. Eau et verre, vêtement et armoire sont tous deux de la même façon « dans » l’espace, « en » un lieu. De plus, cette relation d’être peut être prolongée ; par exemple : le banc est dans la salle de cours, la salle dans l’Université, l’Université dans la ville, etc., bref, le banc est « dans l’espace mondial ». Ces divers étants dont on peut ainsi déterminer l’être-l’un-« dans »-l’autre ont tous le même et unique mode d’être de l’être-sous-la-main, en tant que choses survenant « à l’intérieur » du monde. L’être-sous-la-main « dans » un étant sous-la-main, l’être-ensemble-sous-la-main-avec quelque chose ayant le même mode d’être au sens d’un rapport déterminé de lieu, ce sont là des caractères que nous qualifiions de catégoriaux, qui appartiennent à l’étant n’ayant pas le mode d’être du Dasein. EtreTemps12
Mais, demandera-t-on, la détermination jusqu’ici proposée de cette constitution d’être ne s’enferme-t-elle pas exclusivement dans des énoncés négatifs ? Nous ne cessons d’apprendre ce que cet être-à… présumé si fondamental n’est pas. Assurément. Cependant, cette prépondérance de la caractérisation négative n’est point fortuite. Elle annonce bien plutôt elle-même la spécificité du phénomène, et par là elle est positive en un sens authentique, adéquat au phénomène lui-même. Si la mise en lumière phénoménologique de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] a le caractère d’un rejet des dissimulations et des recouvrements, c’est parce que ce phénomène est toujours déjà « vu » en quelque manière lui-même en tout Dasein. Et s’il en est ainsi, c’est parce qu’il est une constitution fondamentale du Dasein, parce qu’il est toujours déjà ouvert avec son être pour sa compréhension d’être. Néanmoins, le phénomène, la plupart du temps, est toujours déjà aussi radicalement mésinterprété, ou interprété de manière ontologiquement insuffisante. Et pourtant cette modalité même : « voir d’une certaine façon et quand même mésinterpréter le plus souvent » ne se fonde elle-même en rien d’autre qu’en cette constitution d’être même du Dasein conformément à laquelle il se comprend de prime abord lui-même – donc aussi son être-au-monde [In-der-Welt-sein] – à partir de l’étant et de l’être de l’étant qu’il n’est pas lui-même, mais qui lui fait encontre « à l’intérieur » de son monde. EtreTemps12
Lorsque nous attribuons au Dasein lui-même une spatialité, un tel « être dans l’espace » doit manifestement être compris à partir du mode d’être de cet étant. La spatialité du Dasein – lequel n’a essentiellement rien à voir avec l’être-sous-la-main – ne peut signifier ni quelque chose comme la survenance dans un emplacement de l’« espace du monde », ni l’être-à-portée-de-la-main à une place. Car l’une et l’autre sont des modes d’être de l’étant rencontré à l’intérieur du monde. Le Dasein, lui, est « au » monde au sens de l’usage préoccupé et familier de l’étant qui fait encontre de manière intramondaine. Si donc de la spatialité lui échoit en quelque façon, cela n’est possible que sur le fondement de cet être-à. [105] Or la spatialité de celui-ci manifeste les caractères de l’é-loignement [Entfernung] et de l’orientation. EtreTemps23
En tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein], le Dasein a à chaque fois déjà découvert un « monde ». Cette découverte fondée dans la mondanéité [Weltlichkeit] du monde a été caractérisée comme libération de l’étant vers une totalité de tournure [Bewandtnis]. Ce laisser-retourner qui libère s’accomplit sur le mode du se-renvoyer circon-spect, lequel se fonde dans une compréhension préalable de la significativité [Bedeutsamkeit]. Or, comme on l’a montré désormais, l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] circon-spect est spatial, et c’est seulement parce que le Dasein est spatial selon la guise de l’é-loignement [Entfernung] et de l’orientation que l’à-portée-de-la-main intramondain peut faire encontre [begegnen] en sa spatialité. La libération d’une totalité de tournure [Bewandtnis] est cooriginairement le laisser-retourner é-loignant-orientant d’une contrée, autrement dit la libération de la destination spatiale de l’à-portée-de-la-main. La significativité [Bedeutsamkeit] avec laquelle le Dasein est familier comme être-à préoccupé implique conjointement l’ouverture essentielle de l’espace. EtreTemps24
Plus encore, même lorsque le Dasein s’interpelle lui-même expressément comme « Moi-ici », cette détermination locale de la personne doit encore être comprise à partir de la spatialité existentiale du Dasein. En interprétant celle-ci (§23 [EtreTemps23]), nous suggérions déjà que ce Moi-ici ne désignait pas un point privilégié occupé par la chose-Moi, mais se comprenait comme être-à à partir du là-bas du monde à-portée-de-la-main auprès duquel le Dasein se tient en tant que préoccupation [Besorgen]. EtreTemps26
Le monde ne libère pas seulement l’à-portée-de-la-main comme étant rencontré à l’intérieur du monde, mais aussi le Dasein, les autres dans leur être-Là-avec [Mitdasein]. Mais cet étant libéré dans le monde ambiant est, conformément à son sens d’être le plus propre, un être-à dans le même monde où, faisant encontre à d’autres, il est Là avec… La mondanéité [Weltlichkeit] a été interprétée (§18 [EtreTemps18]) comme la totalité de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit]. Dans la familiarité immédiatement compréhensive avec cette mondanéité [Weltlichkeit], le Dasein laisse de l’à-portée-de-la-main faire encontre [begegnen] comme découvert en sa tournure [Bewandtnis]. Le complexe de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit] trouve son point d’ancrage dans l’être du Dasein pour son être le plus propre – être avec lequel il ne peut plus retourner de rien puisqu’il est bien plutôt l’être en-vue-de-quoi le Dasein est lui-même comme il est [NT: Cf. supra, p. [84].]. EtreTemps26
S’il est vrai que le parler est constitutif de l’être du Là, c’est-à-dire de l’affection et du comprendre, et aussi que Dasein veut dire : être-au-monde [In-der-Welt-sein], le Dasein comme être-à parlant s’est toujours déjà ex-primé. Le Dasein a la parole. Est-ce un hasard si les Grecs, dont l’exister quotidien [alltäglich] s’était transporté de manière prépondérante dans le parler-l’un-avec-l’autre, et qui n’en avaient pas moins « des yeux pour voir », déterminèrent l’essence de l’homme, dans leur interprétation tant pré-philosophique que philosophique du Dasein, comme zoon logon echon ? L’interprétation postérieure de cette définition de l’homme au sens de l’animal rationale, de l’« être vivant raisonnable », n’est certes point « fausse », mais elle recouvre le sol phénoménal où cette définition du Dasein avait été puisée. L’homme se montre comme un étant qui parle. Cela ne signifie pas qu’il a en propre la possibilité de l’ébruitement vocal, mais que cet étant est selon la guise de la découverte du monde et du Dasein lui-même. Les Grecs n’ont pas de mot pour la Sprache (parole, langue), ils comprirent « de prime abord » ce phénomène au sens du parler. Toutefois, comme c’est le logos, lui-même interprété surtout comme énoncé, qui vint sous le regard pour la méditation philosophique, l’élaboration des structures fondamentales des formes et des éléments du parler s’accomplit au fil conducteur de ce logos. La grammaire chercha ses fondements dans la « logique » de ce logos. Mais celle-ci se fonde dans l’ontologie du sous-la-main. La donnée fondamentale, passée dans la linguistique postérieure, et encore absolument décisive aujourd’hui, des « catégories de significations » est orientée sur le parler comme énoncé. Si l’on prend en revanche ce phénomène dans toute l’originarité et l’ampleur fondamentales d’un existential, alors il résulte de là la nécessité d’un déplacement de la science du langage sur des fondements ontologiquement plus originaires. La tâche de libérer la grammaire de la logique requiert préalablement une compréhension positive des structures fondamentales [166] aprioriques du parler en général en tant qu’existential, elle ne saurait être exécutée après coup au moyen d’améliorations et de compléments apportés à la tradition. Dans cette perspective, il s’impose de s’enquérir des formes fondamentales d’une articulation significative possible du compréhensible en général, et non pas seulement de l’étant intramondain tel qu’il est connu dans une considération théorique et exprimé dans des propositions. La doctrine de la signification ne saurait résulter spontanément d’une comparaison, si vaste soit-elle, de langues aussi nombreuses et éloignées que possible ; et pas davantage ne suffit-il, pour la constituer, de faire sien par exemple l’horizon philosophique à l’intérieur duquel W.v. Humboldt a posé le problème de la langue. La doctrine de la signification est enracinée dans l’ontologie du Dasein. Sa promotion ou son dépérissement dépendent des destinées de celle-ci [NA: Sur la doctrine de la signification, cf. E. HUSSERL, Recherches logiques, éd citée, t. II, Recherches I et IV à VI, puis le traitement plus radical de cette problématique dans Ideen, t. I, §§12 [EtreTemps12]3 sq., p. 255 sq.]. EtreTemps34
Toutefois, cette mise en lumière de l’échéance ne dégage-t-elle pas un phénomène contraire à la détermination qui nous a servi à indiquer l’idée formelle d’existence ? Le Dasein peut-il être conçu comme l’étant dans l’être duquel il y va du pouvoir-être si cet étant, en sa quotidienneté [Alltäglichkeit], s’est précisément perdu, et si, dans l’échéance, il « vit » écarté de soi ? Réponse : l’échéance sur le monde ne peut devenir une « preuve » phénoménale contre l’existentialité du Dasein que si celui-ci est posé comme Moi-sujet isolé, comme un point d’identité dont il s’écarterait. Car le monde devient alors un objet ; alors, l’échéance sur lui est ontologiquement mésinterprétée en être-sous-la-main selon la guise propre à un étant intramondain. Si au contraire nous maintenons l’être du Dasein dans sa constitution d’être-au-monde [In-der-Welt-sein], il devient manifeste que l’échéance, comme mode d’être de cet être-à, apporte bien plutôt la preuve la plus élémentaire à l’appui de l’existentialité du Dasein. Dans l’échéance, il n’y va de rien d’autre que du pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein], même si c’est sur le mode de l’inauthenticité. Le Dasein ne peut échoir [verfallen] que parce qu’il y va pour lui de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] compréhensif et affecté. Inversement, l’existence authentique n’est pas quelque chose qui flotte au-dessus de la quotidienneté [Alltäglichkeit] échéante : existentialement, elle n’est qu’une saisie modifiée de celle-ci. EtreTemps38
Certes, il appartient à l’essence de toute affection d’ouvrir à chaque fois l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] plein selon tous ses moments constitutifs (monde, être-à, Soi-même). Néanmoins, s’il [191] y a dans l’angoisse la possibilité d’un ouvrir privilégié, c’est parce que l’angoisse isole. Cet isolement ramène le Dasein de son échéance et lui rend l’authenticité et l’inauthenticité manifestes en tant que possibilités de son être. Ces possibilités fondamentales du Dasein qui est à chaque fois mien se montrent dans l’angoisse comme en elles-mêmes – non dissimulées par l’étant intramondain auquel le Dasein s’attache de prime abord et le plus souvent. EtreTemps40