L’unité ekstatique de la temporalité, c’est-à-dire l’unité de l’« être-hors-de-soi » dans les échappées de l’avenir, de l’être-été et du présent, est la condition de possibilité requise pour qu’un étant qui existe comme son « Là » puisse être. L’étant qui porte le titre de Da-sein, est « éclairci » (§28 (art35)). La lumière qui constitue cet être-éclairci du Dasein n’est point la force et la source ontiquement sous-la-main d’une clarté irradiante qui surviendrait de temps à autre en cet étant. Ce qui éclaircit essentiellement cet étant, c’est-à-dire qui le rend « ouvert » à lui-même aussi bien que « lucide », a été déterminé, avant même toute interprétation « temporelle », comme souci. C’est en celui-ci que se fonde la pleine ouverture du Là. Cet (351) être-éclairci rend pour la première fois possible toute illumination et tout éclairement, tout accueil, tout « voir » et tout avoir de quelque chose. Nous ne pouvons comprendre la lumière de cet être-éclairci que si, au lieu de nous mettre en quête d’une force innée, sous-la-main, nous interrogeons la constitution d’être totale du Dasein, le souci, quant au fondement unitaire de sa possibilité existentiale. La temporalité ekstatique éclaircit le Là originairement. Elle est le régulateur primordial de l’unité possible de toutes les structures existentiales essentielles du Dasein.
C’est seulement à partir de l’enracinement du Da-sein dans la temporalité que se laisse apercevoir la possibilité existentiale du phénomène que nous avions introduit au début de l’analytique du Dasein comme la constitution fondamentale de celui-ci : l’être-au-monde. L’essentiel, au départ, était d’assurer l’unité indéchirable, structurelle de ce phénomène. La question du fondement de l’unité possible de cette structure articulée demeurait à l’arrière-plan. Afin de protéger le phénomène de tendances « évidentes », mais d’autant plus fatales, à le faire éclater, c’est le mode quotidien prochain de l’être-au-monde, l’être préoccupé auprès de l’à-portée-de-la-main intramondain qui a été interprété de manière circonstanciée. Mais maintenant que le souci a été lui-même ontologiquement délimité et reconduit à son fondement existential, la temporalité, la préoccupation, de son côté, peut être expressément conçue à partir du souci, ou de la temporalité.
L’analyse de la temporalité de la préoccupation s’en tient de prime abord au mode de l’avoir-à-faire circon-spect avec l’à-portée-de-la-main. Par suite, elle s’attache à la possibilité temporalo-existentiale de la modification de la préoccupation circon-specte en découverte « sans plus » a-visante de l’étant intramondain au sens de certaines possibilités de la recherche scientifique. L’interprétation de la temporalité de l’être circon-spect, aussi bien que de l’être théoriquement préoccupé auprès de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main intramondain montre en même temps comment cette même temporalité est d’emblée déjà la condition de possibilité de l’être-au-monde où se fonde en général l’être-auprès de l’étant intramondain. L’analyse thématique de la constitution temporelle de l’être-au-monde conduit aux questions suivantes : de quelle manière quelque chose comme le monde est-il en général possible, en quel sens le monde est-il, qu’est-ce que le monde transcende, et comment, comment l’étant intramondain « indépendant » est-il « lié » au monde transcendant ? L’exposition ontologique de ces questions n’équivaut pas encore à leur solution. En revanche, elle apporte la clarification d’emblée nécessaire des structures par rapport auxquelles le problème de la (352) transcendance demande d’être posé. L’interprétation temporalo-existentiale de l’être-au-monde considère les trois points suivants : a) la temporalité de la préoccupation circon-specte ; b) le sens temporel de la modification de la préoccupation circon-specte en connaissance théorique du sous-la-main intramondain ; c) le problème temporel de la transcendance du monde.
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a) La temporalité de la préoccupation circon-specte.
[a<-]Comment obtenir l'orientation du regard requise par l'analyse de la temporalité de la préoccupation ? Nous avons appelé l’être préoccupé auprès du « monde » l’usage dans et avec le monde ambiant 1. Comme phénomènes exemplaires de l’être auprès…, nous avions choisi l’utilisation, le maniement, la production de l’à-portée-de-la-main et leurs modes déficients et indifférents, autrement dit l’être auprès de ce qui appartient au besoin quotidien 2. Même l’existence authentique du Dasein se tient en une telle préoccupation – et cela même lorsque celle-ci lui demeure « indifférente ». Ce n’est point l’à-portée-de-la-main dont le Dasein se préoccupe qui cause la préoccupation, de telle manière que celle-ci ne prendrait naissance que sous l’influence de l’étant intramondain. Il n’est pas plus possible d’expliquer ontiquement l’être-auprès de l’à-portée-de-la-main à partir de celui-ci que de dériver inversement celui-ci à partir de celui-là. Toutefois, la préoccupation en tant que mode d’être du Dasein et l’étant dont il se préoccupe en tant qu’à-portée-de-la-main intramondain ne sont pas non plus simplement ensemble sous-la-main, ce qui n’empêche qu’il existe entre eux une « connexion ». Le avec-quoi bien compris de l’usage jette sur l’usage préoccupé lui-même une lumière. Inversement, le manquement de la structure phénoménale de l’avec-quoi de l’usage a pour conséquence une méconnaissance de la constitution existentiale de celui-ci. Certes, pour l’analyse de l’étant qui fait de prime abord encontre, cela représente un gain essentiel que de ne pas passer par-dessus le caractère spécifique d’outil de cet étant. Mais il est plus important encore de comprendre que l’usage préoccupé ne séjourne jamais auprès d’un outil isolé. L’utilisation, le maniement d’un outil déterminé demeure comme tel orienté sur un complexe d’outils. Supposons par exemple que nous cherchions un outil « égaré » : bien loin que la chose cherchée soit alors simplement ou primairement visée dans un « acte » isolé, c’est tout l’orbe du complexe d’outils qui est déjà pré-découvert. Tout « procéder », tout « s’emparer » ne se heurte pas de but en blanc à un outil prédonné isolément, mais il revient toujours du monde d’ouvrage à chaque fois déjà ouvert dans cet emparement vers un outil particulier. Or il résulte de là, pour l’analyse de l’usage, et plus précisément de son avec-quoi, une (353) consigne : celle d’orienter l’être existant auprès de l’étant dont il se préoccupe non pas justement sur un outil isolément à-portée-de-la-main, mais bien sur la totalité d’outils. Du reste, la méditation du caractère d’être privilégié de l’outil à-portée-de-la-main, la tournure 3, ne contraint pas moins à une telle appréhension de l’avec-quoi de l’usage. Ce terme de tournure est ici compris ontologiquement. L’expression : avec quelque chose, il retourne de quelque chose, ne veut pas constater ontiquement un fait, mais indiquer le mode d’être de l’à-portée-de-la-main. Le caractère de rapport de la tournure, du « avec…, de… » indique qu’un outil est ontologiquement impossible. Certes, il se peut qu’un unique outil soit à-portée-de-la-main et que les autres « fassent défaut ». Mais en cela justement s’annonce l’appartenance de cet étant à-portée-de-la-main à un autre. L’usage préoccupé ne peut en général laisser circon-spectivement de l’à-portée-de-la-main faire encontre que s’il comprend déjà quelque chose comme de la tournure, c’est-à-dire le retourner de quelque chose qu’il y a à chaque fois avec quelque chose. L’être circon-spect-découvrant-auprès-de… de la préoccupation est un laisser-retourner, autrement dit un projeter compréhensif de tournure. Si le laisser-retourner constitue la structure existentiale de la préoccupation, si cependant celle-ci, en tant qu’être-auprès… appartient à la constitution essentielle du souci, et si enfin celui-ci se fonde de son côté dans la temporalité, alors il faut que la condition existentiale de possibilité du laisser-retourner soit cherchée dans un mode de temporalisation de la temporalité. Dans le plus simple avoir-en-main d’un outil, le laisser-retourner est présent. Ce dont il retourne a le caractère du pour… ; c’est de ce point de vue que l’outil est employable ou employé. La compréhension du pour… c’est-à-dire du « de » de la tournure, a la structure temporelle du s’attendre à… C’est en étant attentive au pour…, et seulement ainsi, que la préoccupation peut en même temps revenir vers quelque chose dont il retourne. Le s’attendre au « de », inséparable du conserver de l’avec-quoi de la tournure, voilà ce qui possibilise, en son unité ekstatique, la présentification spécifiquement maniante de l’outil. Le s’attendre au pour… n’est ni la considération d’une « finalité », ni l’attente de l’achèvement imminent de l’ouvrage à produire. Il n’a absolument pas le caractère d’un saisir thématique, pas plus d’ailleurs que le conserver de ce avec quoi il retourne ne signifie un constater thématique. L’usage qui manie se rapporte tout aussi peu seulement au « de » qu’à (354) l’avec-quoi du laisser-retourner. Celui-ci se constitue bien plutôt dans l’unité du conserver qui s’attend, de telle sorte que le présentifier qui en résulte rend possible l’identification caractéristique de la préoccupation à son monde d’outils. Le s’occuper de… « authentique », totalement adonné à…, n’est ni seulement auprès de l’ouvrage, ni seulement auprès de l’outil de travail, ni auprès des deux « ensemble ». Le laisser-retourner fondé dans la temporalité a déjà fondé l’unité des rapports où la préoccupation se « meut » circon-spectivement. À la temporalité qui constitue le laisser-retourner, un oubli spécifique est essentiel. Pour pouvoir se mettre à l’oeuvre et manier « effectivement », c’est-à-dire se « perdre » dans le monde d’outils, le Soi-même doit nécessairement s’oublier. Mais dans la mesure où, dans l’unité de la temporalisation de la préoccupation, c’est à chaque fois un s’attendre qui est régissant, le pouvoir-être propre du Dasein préoccupé n’en est pas moins – comme nous le montrerons encore – mis lui aussi en souci. Le présentifier s’attendant-conservant constitue la familiarité conformément à laquelle le Dasein comme être-l’un-avec-l’autre s’y « reconnaît » dans le monde ambiant public. Nous comprenons existentialement le laisser-retourner comme un laisser-« être ». C’est sur sa base que l’à-portée-de-la-main peut faire encontre à la circon-spection comme l’étant qu’il est. Par suite, nous pouvons éclairer encore plus avant la temporalité de la préoccupation si nous prenons garde à ces modes du laisser-faire-encontre circon-spect qui ont été caractérisés auparavant 4 comme imposition, insistance et saturation. L’outil à-portée-de-la-main, considéré en son « en-soi véritable », ne fait justement pas encontre à un percevoir thématique de choses, mais dans la non-imposition de ce qui se laisse trouver dans l’« évidence » de son « objectivité ». Mais lorsque dans le tout de cet étant quelque chose s’impose alors apparaît du même coup la possibilité que la totalité d’outils s’impose comme telle. Comment le laisser-retourner doit-il être existentialement structuré pour pouvoir laisser faire encontre quelque chose qui s’impose ? La question ne vise plus maintenant des incitations factices infléchissant l’attention vers quelque chose de prédonné, mais le sens ontologique de cette possibilité d’inflexion comme telle. De l’inemployable – par exemple le refus déterminé opposé par un outil – ne peut s’imposer que dans et pour un usage concret. Même le « percevoir » et le « représenter » le (355) plus aigu et le plus persévérant de choses ne saurait jamais découvrir quelque chose comme l’endommagement de l’instrument. L’avoir-en-main doit pouvoir être perturbé pour que du non-maniable fasse encontre. Or qu’est-ce que cela signifie ontologiquement ? Le présentifier attentif-conservant est retenu, par ce qui se dégagera ensuite comme endommagement, dans son identification aux rapports de tournure. Le présentifier, qui est cooriginairement attentif au pour-quoi, est arrêté auprès de l’outil utilisé, et cela de telle façon que c’est maintenant seulement que le pour-quoi et le pour… font encontre expressément. Néanmoins, le présentifier lui-même peut à son tour rencontrer seulement un étant inapproprié pour…, dans la mesure où il se meut déjà dans un conserver attentif de ce avec quoi il retourne de quelque chose. Le présentifier est « arrêté », autrement dit : dans son unité avec le s’attendre conservant, il se place encore davantage en lui-même et constitue ainsi la « considération, l’examen » et l’élimination de la perturbation. Si l’usage préoccupé était simplement une séquence de « vécus » se déroulant « dans le temps », et même si ceux-ci étaient aussi intimement « associés » que l’on voudra, un laisser-faire-encontre de l’outil s’imposant comme inemployable demeurerait ontologiquement impossible. Quoi qu’il rende accessible comme « usable » en fait de complexes d’outils, le laisser-retourner doit comme tel se fonder dans l’unité ekstatique du présentifier attentif-conservant. Comment, maintenant, la « constatation » de ce qui manque, c’est-à-dire n’est pas à-portée-de-la-main (et non pas simplement à-portée-de-la-main comme non-maniable), est-elle possible ? Du non-à-portée-de-la-main est découvert circon-spectivement dans le regret. Celui-ci, ainsi que le « constat » fondé en lui du non-être-à-portée-de-la-main de quelque chose, a ses présuppositions existentiales propres. Le regretter n’est nullement un non-présentifier, mais un mode déficient du présent, au sens d’un non-présentifier d’un étant attendu ou toujours déjà disponible. Si le laisser-retourner circon-spect n’était pas « nativement » attentif à ce dont il se préoccupe et si le s’attendre ne se temporalisait pas en unité avec un présentifier, alors le Dasein ne pourrait jamais « trouver » que quelque chose fait défaut. Inversement, la possibilité de l’être-surpris par quelque chose se fonde en ceci que le présentifier attentif d’un à-portée-de-la-main est in-attentif à un autre à-portée-de-la-main se tenant avec le premier dans un contexte possible de tournure. C’est l’in-attention propre au présentifier perdu qui ouvre pour la première fois l’espace de jeu « horizontal » à l’intérieur duquel du surprenant peut assaillir le Dasein. Ce que l’usage préoccupé ne maîtrise pas en tant que produire, que procurer, mais aussi en tant que détourner, que tenir-éloigné, que protection contre…, cela se dévoile dans son insurmontabilité. La préoccupation s’en arrange. Toutefois, cet accommodement de… est un (356) mode propre du laisser-faire-encontre circon-spect. C’est sur la base de ce découvrir que la préoccupation peut trouver devant elle ce qui dérange, perturbe, empêche, menace, et en général résiste d’une manière ou d’une autre. La structure temporelle de l’accommodement réside dans une non-conservation attentive-présentifiante. Le présentifier attentif, par exemple, ne compte pas « sur » l’étant inapproprié, mais néanmoins disponible. Le ne-pas-compter-avec… est un mode du tenir-compte de ce à quoi l’on ne peut s’en tenir. Il n’est pas oublié, mais conservé de telle manière qu’il demeure justement à-portée-de-la-main en son inappropriement. Un tel étant appartient au fonds quotidien du monde ambiant facticement ouvert. C’est seulement dans la mesure où du résistant est découvert sur la base de la temporalité ekstatique de la préoccupation que le Dasein factice peut se comprendre en son abandon à un « monde » dont il ne devient jamais maître. Même lorsque la préoccupation demeure restreinte à l’urgence de ce qui s’impose quotidiennement à elle, elle n’est pourtant jamais un pur présentifier, mais jaillit d’un conserver attentif sur la base duquel – s’il n’est lui-même ce « fondement » – le Dasein existe en un monde. Par suite, le Dasein facticement existant s’y reconnaît toujours déjà d’une certaine manière dans un « monde » étranger. Le laisser-retourner de la préoccupation fondé par la temporalité est une compréhension encore tout à fait préontologique, non-thématique de la tournure et de l’être-à-portée-de-la-main. Dans quelle mesure finalement la temporalité fonde également la compréhension de ces déterminations d’être comme telles, cela sera montré dans la suite. Auparavant, il convient de mettre encore plus concrètement en évidence la temporalité de l’être-au-monde. Dans cette intention, nous suivrons la « formation » de la conduite théorique vis-à-vis du « monde » à partir de la préoccupation circon-specte pour l’à-portée-de-la-main. La découverte circon-specte, aussi bien que théorique, de l’étant intramondain est fondée sur l’être-au-monde. L’interprétation temporalo-existentiale de celle-là préparera donc la caractérisation temporelle de cette constitution fondamentale du Dasein. ++++b) Le sens temporel de la modification de la préoccupation circon-specte en découverte théorique du sous-la-main intramondain.
[b<-]Que nous nous interrogions dans le cours d'analyses ontologico-existentiales sur la « naissance » de la découverte théorique à partir de la préoccupation circon-specte, cela suffit (357) déjà à indiquer que ce ne sont pas ici l'histoire et l'évolution ontiques de la science, ses conditions factices et ses finalités prochaines qui seront prises pour thème. Nous interrogeant au contraire sur la genèse ontologique du comportement théorique, nous demandons : quelles sont les conditions inhérentes à la constitution d'être du Dasein et existentialement nécessaires qui permettent que le Dasein puisse exister selon la guise de la recherche scientifique ? Ce questionnement vise un concept existential de la science. De lui se distingue le concept « logique », qui comprend la science du point de vue de son résultat et la détermine comme une « connexion de dérivation de propositions vraies, c'est-à-dire valides ». Le concept existential comprend la science comme une guise de l'existence et, du même coup, comme un mode de l'être-au-monde, mode qui découvre, ou qui ouvre de l'étant, ou de l'être. Toutefois, l'interprétation existentiale exhaustive de la science ne peut être accomplie que si le sens de l'être et la « connexion » entre être et vérité 5 sont éclaircis à partir de la temporalité de l’existence. Les réflexions qui suivent préparent la compréhension de cette problématique centrale, à l’intérieur de laquelle seulement l’idée de la phénoménologie est elle aussi développée, en opposition à son préconcept, indiqué dans notre introduction 6. Conformément à l’étape jusqu’ici atteinte par notre recherche, une autre restriction s’impose à l’interprétation du comportement théorique. Tout ce que nous examinons, c’est le virage de la préoccupation circon-specte pour l’à-portée-de-la-main en recherche du sous-la-main trouvable à l’intérieur du monde, et cela avec l’intention directrice de percer jusqu’à la constitution temporelle de l’être-au-monde en général. Ce virage du maniement, de l’usage, etc. « pratiquement » circon-spect en investigation « théorique », il est d’abord tentant de le caractériser de la manière suivante : le pur a-visement de l’étant prend naissance lorsque la préoccupation s’abstient de tout maniement. Le facteur décisif de la « formation » du comportement théorique se trouverait ainsi dans la disparition de la praxis, et c’est même justement lorsque l’on pose la préoccupation « pratique » comme le mode d’être primaire et prédominant du Dasein factice que la « théorie » est considérée comme devant sa possibilité ontologique au défaut de la praxis, c’est-à-dire à une privation. Seulement, le suspens d’un maniement spécifique dans l’usage préoccupé ne laisse pas simplement derrière lui la circon-spection qui le guidait, à la manière (358) d’un résidu. Bien plutôt la préoccupation se déplace-t-elle proprement en une « pure circon-spection ». Cependant, l’attitude « théorique » n’est encore nullement atteinte par là, au contraire : le séjour qui s’interrompt avec le maniement peut revêtir le caractère d’une circon-spection plus aiguë, et c’est la « considération », l’examen du résultat atteint, en tant que coup d’oeil d’ensemble sur le « chantier au repos ». L’abstention de l’usage de l’outil est si peu déjà « théorie » que la circon-spection séjournante, « considérative » demeure totalement attachée à l’outil offert à la préoccupation, à-portée-de-la-main. L’usage « pratique » a ses guises propres de séjour. Et de même qu’à la praxis revient sa vue (« théorie ») spécifique, de même la recherche théorique ne va pas sans une praxis à elle propre. La lecture des mesures en tant que résultat d’une expérimentation a souvent besoin d’un dispositif « technique » compliqué. L’observation au microscope est assignée à la production de « préparations ». Les fouilles archéologiques, préalables à l’interprétation de la « trouvaille », ne vont pas sans les plus grossières manipulations. Cependant, même l’élaboration « la plus abstraite » de certains problèmes, même la fixation du résultat acquis manie – par exemple – le crayon. Si « peu intéressants » et « évidents » que soient de tels éléments constitutifs de la recherche scientifique, ils ne sont pourtant rien moins qu’indifférents ontologiquement. On peut certes trouver circonstancié et superflu ce renvoi explicite au fait que le comportement scientifique comme guise de l’être-au-monde n’est pas seulement une « activité purement spirituelle » – qui ne verrait pourtant d’après cette trivialité que l’endroit où passe la frontière ontologique entre comportements « théorique » et « athéorique » n’est nullement manifeste ! On fera valoir que tout maniement, en science, ne se trouve jamais qu’au service de la considération pure, de la découverte et de l’ouverture investigatrices des « choses mêmes ». Le « voir », au sens le plus large du terme, règle tous les « dispositifs » et garde la primauté. « De quelque manière et par quelques moyens qu’une connaissance puisse se rapporter à des objets, celle par laquelle elle s’y rapporte immédiatement, et à laquelle tend toute pensée en tant que moyen (nous soulignons) est l’intuition » 7. L’idée d’intuitus guide toute interprétation de la connaissance depuis les débuts de la philosophie grecque jusqu’à nos jours, que cet intuitus soit facticement atteignable ou non. Conformément à la primauté du « voir », la mise en lumière de la genèse existentiale de la science devra prendre son point de départ dans une caractérisation de la circon-spection qui guide la préoccupation « pratique ». La circon-spection se meut dans les rapports de tournure du complexe à-portée-de-la-main (359) d’outils. Elle est elle-même à son tour soumise à la direction d’une vue-d’ensemble plus ou moins expresse sur la totalité d’outils de ce qui est à chaque fois monde d’outils, ainsi que du monde ambiant public qui appartient à celui-ci. La vue-d’ensemble n’est pas simplement un ramassage après coup de sous-la-main. L’essentiel de la vue-d’ensemble est le comprendre primaire de la totalité de tournure à l’intérieur de laquelle s’engage à chaque fois la préoccupation factice. La vue-d’ensemble qui éclaire la préoccupation reçoit sa « lumière » du pouvoir-être du Dasein, en-vue-de quoi la préoccupation existe comme souci. La circon-spection « d’ensemble » de la préoccupation rapproche, en toute utilisation et maniement, l’à-portée-de-la-main du Dasein, selon la guise d’une explicitation de ce qui est pris en vue. L’approchement spécifique, circon-spectivement explicitant de l’étant dont on se préoccupe, nous l’appelons la réflexion. Son schème spécifique est le « si…, alors… » : si ceci ou cela doit être – par exemple – produit, mis en usage, empêché, alors il est besoin de tels ou tels moyens, voies, circonstances, occasions. La réflexion circon-specte éclaire toute situation factice du Dasein dans le monde ambiant de sa préoccupation. Par suite, elle ne « constate » jamais simplement l’être-sous-la-main d’un étant, ou ses propriétés. La réflexion peut s’accomplir même sans que l’étant approché circon-spectivement en elle soit lui-même à-portée-de-la-main de manière saisissable et présent dans le champ de vue le plus proche. Le rapprochement du monde ambiant dans la réflexion circon-specte a le sens existential d’une présentification. Car la re-présentation n’est qu’un mode de celle-ci. En elle, la réflexion s’avise directement de l’étant nécessaire, mais non à-portée-de-la-main. La circon-spection re-présentante ne se rapporte pas à quelque chose comme des « simples représentations ». Cependant, la présentification circon-specte est un phénomène diversement fondé. D’abord, elle appartient à chaque fois à une unité ekstatique pleine de la temporalité. Elle se fonde dans un conserver du complexe d’outils en se préoccupant duquel le Dasein est attentif à une possibilité. Ce qui est déjà révélé dans le conserver attentif rapproche la présentification – ou la re-présentation – réfléchissante. Mais pour que la réflexion puisse se mouvoir dans le schème du « si…, alors… », il faut que la préoccupation comprenne déjà « en son ensemble » un complexe de tournure. Ce qui est advoqué avec le « si… » doit déjà être compris comme ceci et cela. Pour cela, il n’est pas requis que la compréhension de l’outil s’exprime dans une prédication. Le schème « quelque chose comme quelque chose » est déjà pré-dessiné dans la structure du comprendre antéprédicatif. La structure de comme se fonde ontologiquement dans la temporalité du comprendre. C’est seulement dans la mesure où le (360) Dasein, attentif à une possibilité, c’est-à-dire ici à un pour-quoi, est revenu vers un pour-cela, c’est-à-dire conserve un à-portée-de-la-main, que le présentifier appartenant à ce conserver attentif peut à l’inverse, en partant de cet étant conservé, le rapprocher expressément dans sa référence au pour-quoi. La réflexion approchante doit se rendre adéquate, dans le schème de la présentification, au mode d’être de ce qui est à approcher. Le caractère de tournure de l’à-portée-de-la-main n’est rapproché – mais non pas d’abord découvert – par la réflexion que selon qu’elle fait voir circon-spectivement comme tel ce dont il retourne avec quelque chose. L’enracinement du présent dans l’avenir et l’être-été est la condition temporalo-existentiale de possibilité permettant à ce qui est projeté dans le comprendre de la compréhension circon-specte d’être rapproché dans un présentifier, mais cela de telle sorte que le présent doit alors se rendre adéquat à ce qui fait encontre dans l’horizon du conserver attentif, c’est-à-dire l’expliciter dans le schème de la structure de comme. Ainsi la réponse est-elle apportée à la question posée antérieurement, de savoir si la structure de comme se tient dans une connexion ontologico-existentiale avec le phénomène du projet 8. Tout comme le comprendre et l’expliciter en général, le « comme » se fonde dans l’unité ekstatico-horizontale de la temporalité. Lors de notre analyse fondamentale de l’être, qui sera conduite en liaison avec l’interprétation du « est » « exprimant » en tant que copule l’advocation de quelque chose comme quelque chose, nous devrons prendre à nouveaux frais le phénomène du « comme » pour thème et délimiter existentialement le concept de « schème ». Qu’est-ce que cette caractérisation temporelle de la réflexion circon-specte et de ses schèmes doit cependant apporter à la solution de notre question en cours, celle de la genèse du comportement théorique ? Sa contribution consiste simplement en ceci qu’elle précise la situation existentiale du virage de la préoccupation circon-specte en découverte théorique. L’analyse du virage lui-même peut désormais être tentée au fil conducteur d’une détermination élémentaire de la réflexion circon-specte et de ses possibles modifications. Dans l’usage circon-spect de l’instrument, nous pouvons dire : le marteau est trop lourd, ou trop léger. Même la phrase : le marteau est lourd, peut donner son expression à une réflexion préoccupée et signifier : il n’est pas léger, c’est-à-dire que sa prise en main exige de la force, qu’il rendra le maniement plus difficile. Seulement, la phrase peut aussi vouloir dire : (361) l’étant présent, que nous connaissons déjà circon-spectivement comme marteau, a un poids, c’est-à-dire la « propriété » de la gravité ; il exerce une pression sur son support ; que celui-ci soit éloigné, et il tombe. Le parler ainsi compris n’est plus parlé dans l’horizon du conserver attentif d’une totalité d’outils et de ses rapports de tournure. Le dit est puisé dans un regard sur ce qui appartient à un étant « doué de masse » en tant que tel. Ce qui est désormais pris en vue n’échoit plus au marteau comme instrument, mais comme chose-corps soumise à la loi de la pesanteur. Le parler circon-spect qui dit « trop lourd » ou « trop léger » n’a maintenant plus aucun « sens », c’est-à-dire que l’étant qui fait maintenant encontre n’offre plus rien en lui-même par rapport à quoi il pourrait être « trouvé » trop lourd ou trop léger. D’où cela provient-il que, dans le parler modifié, son ce-sur-quoi, le marteau lourd, se montre de manière autre ? Non pas de ce que nous prenons de la distance par rapport au marteau – mais pas non plus de ce que nous ferions seulement abstraction du caractère d’outil de cet étant : uniquement de ce que nous considérons « à neuf » l’à-portée-de-la-main, comme sous-la-main. La compréhension d’être qui guide l’usage préoccupé de l’étant intramondain a viré. Mais est-ce que se constitue déjà, du seul fait qu’au lieu de réfléchir circon-spectivement à de l’à-portée-de-la-main, nous l’« envisageons » comme du sous-la-main, un comportement scientifique ? D’autant que même de l’à-portée-de-la-main peut devenir le thème de la recherche et de la détermination scientifique, ainsi que par exemple dans l’étude d’un monde ambiant, du milieu dans le cadre d’une biographie historique : le complexe d’outils quotidiennement à-portée-de-la-main, sa formation historique, sa mise en valeur, son rôle factice dans le Dasein, tout cela est objet de la science économique. L’à-portée-de-la-main n’a pas besoin de perdre son caractère d’outil pour pouvoir devenir « objet » d’une science. La modification de la compréhension de l’être, du coup, ne semble pas nécessairement constitutive de la genèse du comportement théorique « vis-à-vis des choses ». Certes – si modification doit vouloir dire : changement du mode d’être, compris dans le comprendre, de l’étant présent. Pour fournir la première caractérisation de la genèse du comportement théorique à partir de la circon-spection, nous avons pris pour base une guise de la saisie théorique de l’étant intramondain, de la nature physique, où la modification de la compréhension d’être équivaut à un virage. Dans l’énoncé « physique » : « le marteau est lourd », il n’y a pas seulement omission du caractère d’outil de l’étant rencontré, mais, et conjointement, de ce qui appartient à tout outil à-portée-de-la-main : sa place. Celle-ci devient indifférente. Non que le (362) sous-la-main perde en général son « lieu ». La place devient un emplacement spatio-temporel, un « point du monde » qui ne se distingue d’aucun autre de manière privilégiée. Ce qui implique que la multiplicité – circonscrite par le monde ambiant – des places de l’outil à-portée-de-la-main n’est pas seulement modifiée en une pure multiplicité d’emplacements, mais que l’étant du monde ambiant est en général dé-limité. C’est le tout de l’être-sous-la-main qui devient thème. À la modification de la compréhension d’être appartient donc dans le cas présent une dé-limitation du monde ambiant. Mais en même temps, au fil conducteur de la compréhension désormais directrice de l’être au sens de l’être-sous-la-main, la dé-limitation devient une délimitation de la « région » du sous-la-main. Plus l’être de l’étant à scruter est adéquatement compris au sein de la compréhension directrice d’être, plus le tout de l’étant, du même coup, est articulé en ses déterminations fondamentales en tant que domaine réel d’une science, et d’autant plus sûre devient la perspective du questionner méthodique. L’exemple classique du développement historique d’une science, mais en même temps aussi de sa genèse ontologique, est la formation de la physique mathématique. Ce qui est décisif dans sa formation ne réside ni dans le prix plus élevé attaché à l’observation des « faits », ni dans l’« application » de la mathématique dans la détermination des processus naturels – mais dans le projet mathématique de la nature elle-même. Ce projet découvre préalablement un étant constamment sous-la-main (matière) et ouvre l’horizon requis pour la considération directrice de ses moments constitutifs quantitativement déterminables (mouvement, force, lieu et temps). C’est seulement « à la lumière » d’une nature ainsi projetée que quelque chose comme un « fait » peut être trouvé et pris pour base d’une tentative régulativement délimitée par le projet. La « fondation » de la « science des faits » n’est devenue possible que pour autant que les chercheurs ont compris qu’il n’y a fondamentalement pas de « simples faits ». Derechef, dans le projet mathématique de la nature, ce qui est primairement décisif n’est point le mathématique comme tel, mais le fait que ce projet ouvre un a priori. Aussi bien, le caractère paradigmatique de la science mathématique de la nature ne consiste-t-il pas non plus dans son exactitude spécifique et son caractère obligatoire pour « tous », mais dans le fait que l’étant thématique y est découvert comme de l’étant peut être seulement découvert : dans le projet préalable de sa constitution d’être. Avec l’élaboration conceptuelle fondamentale de la compréhension directrice d’être se déterminent les fils conducteurs des méthodes, la structure de la conceptualité, la possibilité spécifique de vérité et de certitude, le type de fondation et de preuve, le mode d’obligation et (363) le type de communication. Le tout de ces moments constitue le concept existential plein de la science. Le projet scientifique de l’étant qui fait à chaque fois déjà encontre d’une manière ou d’une autre fait comprendre son mode d’être expressément, et cela de telle sorte que du même coup deviennent manifestes les voies possibles conduisant à la pure découverte de l’étant intramondain. Le tout de ce projeter, auquel appartiennent l’articulation de la compréhension d’être, la délimitation – guidée par elle – du domaine réal et la pré-esquisse de la conceptualité adéquate à l’étant, nous le nommons la thématisation. Elle vise à une libération de l’étant rencontré à l’intérieur du monde permettant à celui-ci de s’« ob-jeter » à un pur découvrir, c’est-à-dire de devenir objet. La thématisation objective. Elle ne « pose » pas tout d’abord l’étant, mais le libère de telle manière qu’il devient « objectivement » interrogeable et déterminable. L’être objectivant auprès du sous-la-main intramondain a le caractère d’une présentification privilégiée 9. Celle-ci se distingue avant tout du présent de la circon-spection en ceci que la découverte de la science concernée est uniquement attentive à l’être-découvert du sous-la-main. Ce s’attendre à l’être-découvert se fonde existentiellement en une résolution du Dasein par laquelle il se projette vers le pouvoir-être dans la « vérité ». Ce projet est possible parce que l’être-dans-la-vérité constitue une détermination d’existence du Dasein. Nous n’avons pas à poursuivre ici plus avant l’origine de la science à partir de l’existence authentique. Tout ce qu’il convient actuellement de comprendre, c’est que, et comment la thématisation de l’étant intramondain a pour présupposition la constitution fondamentale du Dasein, l’être-au-monde. Pour que devienne possible la thématisation du sous-la-main, le projet scientifique de la nature, le Dasein doit nécessairement transcender l’étant thématisé. La transcendance ne consiste pas dans l’objectivation, c’est celle-ci qui présuppose celle-là. Mais si la (364) thématisation du sous-la-main intramondain est un virage de la préoccupation circon-spectivement découvrante, alors il faut qu’une transcendance du Dasein se trouve déjà au fondement de l’être « pratique » auprès de l’à-portée-de-la-main. Si en outre la thématisation modifie et articule la compréhension d’être, alors l’étant thématisant, le Dasein doit déjà, pour autant qu’il existe, comprendre quelque chose comme de l’être. Le comprendre de l’être peut rester neutre, être-à-portée-de-la-main et être-sous-la-main sont alors encore indistincts, et ils sont encore moins conçus ontologiquement. Mais pour que le Dasein puisse avoir l’usage d’un complexe d’outils, il doit comprendre, bien que non thématiquement, quelque chose comme la tournure : il faut qu’un monde lui soit ouvert. Le monde est ouvert avec l’existence factice du Dasein, si tant est que cet étant existe essentiellement comme être-au-monde. Et si enfin l’être du Dasein se fonde dans la temporalité, alors il faut que ce soit celle-ci qui possibilise l’être-au-monde et ainsi la transcendance du Dasein, laquelle, de son côté, supporte l’être préoccupé – théorique ou pratique – auprès de l’étant intramondain. ++++c) Le problème temporel de la transcendance du monde.
[c<-]Le comprendre, inclus dans la préoccupation circon-specte, d'une totalité de tournure se fonde en un comprendre préalable des rapports du pour..., du pour-quoi, du pour-cela, du en-vue-de... Le complexe de ces rapports a été dégagé plus haut comme significativité 10. L’unité de celle-ci constitue ce que nous appelons le monde. La question s’élève donc de savoir comment quelque chose comme le monde est ontologiquement possible en son unité avec le Dasein, et en quelle guise le monde doit être pour que le Dasein puisse exister comme être-au-monde. Le Dasein existe en-vue-d’un pouvoir-être de lui-même. Existant, il est jeté, et, en tant que jeté, il est remis à de l’étant dont il a besoin pour pouvoir être comme il est, à savoir en-vue-de lui-même. Pour autant que le Dasein existe facticement, il se comprend dans la connexion du en-vue-de lui-même avec ce qui lui est à chaque fois un pour… Ce dans quoi le Dasein existant se comprend est « là » avec son existence factice. Le « où » de la compréhension primaire d’être a le mode d’être du Dasein. Celui-ci, existant, est son monde. Nous avons déterminé l’être du Dasein comme souci. Le sens ontologique du souci est la temporalité. Que et comment celle-ci constitue l’ouverture du Là, cela a été montré. Dans (365) l’ouverture du Là, le monde est co-ouvert. L’unité de la significativité, c’est-à-dire la constitution ontologique du monde, doit donc également se fonder dans la temporalité. La condition temporalo-existentiale de possibilité du monde consiste en ce que la temporalité comme unité ekstatique a quelque chose comme un horizon. Les ekstases ne sont pas simplement des échappées vers… Bien plutôt un « vers-où » de l’échappée appartient-il à l’ekstase. Ce vers-où de l’ekstase, nous l’appelons le schème horizontal. L’horizon ekstatique est différent dans chacune des trois ekstases. Le schème où le Dasein, authentiquement ou inauthentiquement, advient à soi de manière avenante est le en-vue-de lui-même. Le schème où le Dasein est ouvert à lui-même en tant que jeté au sein de l’affection, nous le saisissons comme le devant-quoi de l’être-jeté ou le à-quoi de l’abandon. Il caractérise la structure horizontale de l’être-été. Existant en-vue-de lui-même dans l’abandon à lui-même en tant que jeté, le Dasein, en tant qu’être auprès,.., est en même temps présentifiant. Le schème horizontal du présent est déterminé par le pour… L’unité des schèmes horizontaux de l’avenir, de l’être-été et du présent se fonde dans l’unité ekstatique de la temporalité. L’horizon de la temporalité totale détermine ce vers-quoi l’étant facticement existant est essentiellement ouvert. Avec le Da-sein factice est à chaque fois projeté dans l’horizon de l’avenir un pouvoir-être, ouvert dans l’horizon de l’être-été l’« être-déjà » et découvert dans l’horizon du présent de l’étant offert à la préoccupation. L’unité horizontale des schèmes des ekstases possibilise la connexion originaire des rapports de pour… avec le en-vue-de… Ce qui implique ceci : sur la base de la constitution horizontale de l’unité ekstatique de la temporalité, appartient à l’étant qui est à chaque fois son Là quelque chose comme un monde ouvert. De même que le présent jaillit, dans l’unité de la temporalisation de la temporalité, de l’avenir et de l’être-été, de même se temporalise, cooriginairement avec les horizons de l’avenir et de l’être-été, celui d’un présent. Tandis que le Dasein se temporalise est aussi un monde. Se temporalisant, quant à son être, comme temporalité, le Dasein est essentiellement, sur la base de la constitution ekstatico-horizontale de celle-ci, « dans un monde ». Le monde n’est ni sous-la-main, ni à-portée-de-la-main, mais il se temporalise dans la temporalité. Il « est là » avec le hors-de-soi des ekstases. Si nul DASEIN n’existe, nul monde n’est pas non plus « Là ». L’être préoccupé factice auprès de l’à-portée-de-la-main, la thématisation du sous-la-main et la découverte objectivante de cet étant présupposent déjà le monde, autrement dit, elles sont possibles seulement en tant que guises de l’être-au-monde. Se fondant dans l’unité (366) horizontale de la temporalité ekstatique, le monde est transcendant. Il doit déjà être ekstatiquement ouvert pour qu’à partir de lui de l’étant intramondain puisse faire encontre. Ekstatiquement, la temporalité se tient déjà dans les horizons de ses ekstases, et, en temporalisant, elle revient vers l’étant qui fait encontre dans le Là. Avec l’existence factice du Dasein, fait déjà aussi encontre de l’étant intramondain. Qu’un étant de cette sorte soit découvert avec le Là propre de l’existence, cela ne dépend pas du gré du Dasein. Tout ce qui – bien que toujours dans les limites de son être-jeté – est l’affaire de sa liberté, c’est ce qu’il découvre et ouvre à chaque fois, et dans quelle direction, et dans quelle mesure, et comment. Par suite, les rapports de significativité qui déterminent la structure du monde ne sont point un réseau de formes qui serait surajouté à un matériau par un sujet sans monde. Bien plutôt le Dasein factice, se comprenant ekstatiquement, lui et son monde, dans l’unité du Là, revient-il de ces horizons vers l’étant qui fait encontre en eux. Le revenir compréhensif vers… est le sens existential du laisser-faire-encontre présentifiant de l’étant qui – et pour cette raison – est nommé intramondain. Le monde est pour ainsi dire « plus loin dehors » qu’un objet ne peut jamais l’être. Le « problème de la transcendance » ne peut être réduit à la question : comment un sujet sort-il vers un objet ? – la totalité des objets étant alors identifiée à l’idée de monde. Ce qu’il faut demander, c’est : qu’est-ce qui rend ontologiquement possible que de l’étant puisse faire encontre à l’intérieur du monde et être objectivé en tant que tel ? Le retour vers la transcendance du monde fondée ekstatico-horizontalement, voilà ce qui apporte la réponse. Si le « sujet » est conçu ontologiquement en tant que Dasein existant dont l’être se fonde dans la temporalité, alors il faut dire : le monde est « subjectif ». Seulement, ce monde « subjectif » est alors plus « objectif », en tant que temporalo-transcendant, que tout « objet » possible. » Grâce à la reconduction de l’être-au-monde à l’unité ekstatico-horizontale de la temporalité a été rendue intelligible la possibilité ontologico-existentiale de cette constitution fondamentale du Dasein. En même temps, il apparaît que l’élaboration concrète de la structure du monde en général et de ses possibles modifications ne peut être entreprise que si l’ontologie de l’étant intramondain possible est orientée de façon suffisamment sûre sur une idée clarifiée de l’être en général. Mais l’interprétation possible de cette idée requiert préalablement le dégagement de la temporalité du Dasein, au service duquel se trouve notre caractérisation actuelle de l’être-au-monde.- Cf. supra, §15 (art22), p. 66 sq.[↩]
- Cf. supra, §12 (art19), p. 56 sq.[↩]
- Cf. supra, §18 (art25), p. 83 sq.[↩]
- Cf. supra, §16 (art23), p. 72 sq.[↩]
- Cf. supra, §44 (art54), p. 212 sq.[↩]
- Cf. supra, §7 (art7), p. 27 sq.[↩]
- KANT, Kr. der reinen Vernunft, B 33.[↩]
- Cf. supra, §32 (art39), p. 151.[↩]
- La thèse selon laquelle toute connaissance tend à l’« intuition » a le sens temporel suivant : tout connaître est présentifier. Toute science, ou même toute connaissance philosophique tend-elle à un présentifier ? La question doit demeurer encore indécise. – HUSSERL utilise l’expression « présentifier » pour caractériser la perception sensible : cf. Recherches logiques, 1ère éd., 1901, t. II, p. 588 et 620. Une telle détermination « temporelle » du phénomène ne pouvait pas ne pas s’imposer à l’analyse intentionnelle de la perception et de l’intuition. Que et comment l’intentionnalité de la « conscience » se fonde sinon à son tour dans la temporalité ekstatique du Dasein, c’est ce que montrera notre prochaine section.[↩]
- Cf. supra, §18 (art25), p. 87 sq.[↩]