essence de l’être

La personne n’est pas une chose, n’est pas une substance, n’est pas un objet. On (48) souligne ainsi ce que Husserl (NA: Cf. dans Logos, I, loc. Cit.) suggère, lorsqu’il exige pour l’unité de la personne une constitution essentiellement autre que pour les choses naturelles. Ce que Scheler dit de la personne, il le formule également à propos des actes : « Mais jamais un acte n’est aussi objet ; car il appartient à l’essence de l’être des actes de n’être vécus que dans l’accomplissement lui-même et d’être donnés (seulement) dans la réflexion » (NA: M. SCHELER, op. cit., p. 246). Les actes sont quelque chose de non-psychique. Il appartient à l’essence de la personne de n’exister que dans l’accomplissement des actes intentionnels, elle n’est donc essentiellement pas un objet. Toute objectivation psychique, donc toute saisie des actes comme quelque chose de psychique, est identique à une dépersonnalisation. La personne est toujours donnée comme ce qui accomplit des actes intentionnels qui sont liés par l’unité d’un sens. L’être psychique n’a donc rien à voir avec l’être-personne. Les actes sont accomplis, la personne est ce qui les accomplit. Mais quel est le sens ontologique de cet « accomplir », comment doit-on déterminer dans un sens ontologique positif le mode d’être de la personne ? En fait, l’interrogation critique ne peut en rester là. Car ce qui est en question, c’est l’être de l’homme tout entier, tel qu’on a coutume de le saisir comme unité à la fois corporelle, psychique et spirituelle. Le corps, l’âme, l’esprit, ces termes peuvent à nouveau désigner des domaines phénoménaux que l’on peut prendre pour thèmes séparés de recherches déterminées ; dans certaines limites, l’indétermination ontologique de ces domaines peut rester sans importance. Cependant, dans la question de l’être de l’homme, il est exclu d’obtenir celui-ci par la simple sommation des modes d’être – qui plus est encore en attente de détermination – du corps, de l’âme et de l’esprit. Même une tentative qui voudrait suivre une telle voie ontologique ne pourrait s’empêcher de présupposer une idée de l’être du tout. Ce qui cependant défigure et fourvoie la question fondamentale de l’être du Dasein, c’est l’orientation persistante sur l’anthropologie antico-chrétienne, dont même le personnalisme et la philosophie de la vie manquent d’apercevoir combien les fondements ontologiques en sont insuffisants. Cette anthropologie traditionnelle inclut : 1. La définition de l’homme : zoon logon echon interprétée comme : animal rationale, être vivant raisonnable. Mais le mode d’être du zoon est ici entendu au sens de l’être-sous-la-main et de la survenance. Quant au logos, il constitue un équipement de dignité supérieure, mais le mode d’être en demeure tout aussi obscur que celui de l’étant ainsi composé. 2. L’autre fil conducteur pour la détermination de l’être et de l’essence de l’homme est théologique : kai eipen ho theos : poesomen anthropon kat’ eikona hemeteran kai kath’ homoiosin (49), « faciamus hominem ad imaginem nostram et similitudinem » (NA: Genèse, I, 26.). C’est à partir de ce texte que l’anthropologie théologique chrétienne, reprenant en même temps à son compte la définition antique, élabore une interprétation de l’étant que nous appelons homme. Mais tout comme l’être de Dieu, de même, c’est avec les moyens de l’ontologie antique que l’être de l’ens finitum est interprété ontologiquement. Au cours des temps modernes, la définition chrétienne a été déthéologisée. Cependant l’idée de la « transcendance », selon laquelle l’homme est quelque chose qui tend à se dépasser soi-même, jette ses racines dans la dogmatique chrétienne, dont nul ne dira qu’elle se soit jamais fait un problème ontologique de l’être de l’homme. Cette idée de transcendance, d’après laquelle l’homme est plus qu’un être intelligent, a exercé son influence à travers diverses métamorphoses. On peut en illustrer la provenance par les citations suivantes : « His praeclaris dotibus excelluit prima hominis conditio, ut ratio, intelligentia, prudentia, judicium non modo ad terrenae vitae gubernationem suppeterent, sed quibus transcenderet usque ad Deum et aeternam felicitatem » (NA: CALVIN, Institutio, I, 15, §8 (EtreTemps8).; (NT: Cf. le Handbuch, p 457-458. « Par ces dons admirables, le premier état de l’homme fut rendu si excellent que sa raison, son intelligence, sa prudence, son jugement ne s’appliquaient point seulement à la conduite de la vie terrestre, mais encore l’élevaient jusqu’à Dieu et à la félicité éternelle. »)). « Denn dass der Mensch sin ufsehen hat uf Gott und sin wort, zeigt er klarlich an, dass er nach siner natur etwas Gott näher anerborn, etwas mee nachschlägt, etwas zuzugs zu jm hat, das alles on zwyfel darus flüsst, dass er nach der bildnus Gottes geschaffen ist » (NA: ZWINGLI, Von der Klarheit des Wortes Gottes, dans Deusche Schriften, t. I, p. 56.; (NA: Cf., sur cette référence, le Handbuch, p. 488-490. BW traduisaient ainsi la citation : « Mais par cela que l’homme regarde vers le haut, vers Dieu et son Verbe, il manifeste clairement qu’il est par sa nature né fort proche de Dieu, qu’il lui ressemble, qu’il a quelque rapport à lui, toutes choses qui sans doute viennent de ceci qu’il a été créé à l’image de Dieu. »)). EtreTemps10

Mais, dira-t-on, l’expression « Dasein » montre pourtant clairement que cet étant est « de prime abord » sans aucune relation à autrui, et que c’est après coup qu’il peut en plus être « avec » d’autres. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que nous utilisons le terme d’être-Là-avec (Mitdasein) pour désigner l’être auquel les autres qui sont libérés au sein du monde. Si cet être-Là-avec (Mitdasein) des autres n’est ouvert que de manière intramondaine à un Dasein – et ainsi également pour ceux qui sont-Là-avec -, c’est seulement parce que le Dasein est en lui-même essentiellement être-avec (Mitsein). L’énoncé phénoménologique : le Dasein est essentiellement être-avec (Mitsein) a un sens ontologico-existential. Cet énoncé ne prétend pas constater ontiquement que je ne suis pas facticement seul sous-la-main, et qu’au contraire surviennent d’autres étants de mon espèce. Si la proposition : l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) du Dasein est essentiellement constitué par l’être-avec (Mitsein), avait ce sens, l’être-avec (Mitsein) ne serait pas une détermination existentiale caractérisant le Dasein à partir de soi-même et selon son mode d’être, mais simplement une propriété s’imposant à chaque fois sur la base de la survenance d’autrui. L’être-avec (Mitsein) détermine existentialement le Dasein même lorsqu’un autre n’est ni sous-la-main ni perçu facticement. Même l’être-seul du Dasein est être-avec (Mitsein) dans le monde. L’autre ne peut manquer que dans et pour un être-avec (Mitsein). L’être-seul est un mode déficient de l’être-avec (Mitsein), sa possibilité est la preuve de celui-ci. D’autre part, l’être-seul factice n’est pas supprimé par le simple fait qu’un deuxième exemplaire « homme », voire même dix, surviennent « à côté » de moi. Même si ceux-ci, et plus encore, sont sous-la-main, le Dasein peut être seul. L’être-avec (Mitsein) et la facticité de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) ne se fonde donc pas dans une survenance de plusieurs « sujets » (121) ensemble. Plus encore, même l’être-seul « parmi » beaucoup ne signifie pas, au sujet de l’être de ces « beaucoup », qu’ils soient alors simplement sous-la-main. Même pour l’être « parmi eux », ils sont là-avec ; leur être-Là-avec (Mitdasein) fait encontre selon le mode de l’indifférence et de l’étrangèreté. Le manque, le « départ » sont des modes de l’être-Là-avec (Mitdasein), ils ne sont possibles que parce que le Dasein comme être-avec (Mitsein) laisse le Dasein d’autrui faire encontre (begegnen) en son monde. L’être-avec (Mitsein) est une déterminité (Bestimmtheit) du Dasein à chaque fois propre ; l’être-Là-avec (Mitdasein) caractérise le Dasein d’autrui pour autant que celui-ci est libéré pour un être-avec (Mitsein) par le monde de celui-ci. Quant au Dasein propre, ce n’est que pour autant qu’il a la structure d’essence de l’être-avec (Mitsein) qu’il est lui-même être-Là-avec (Mitdasein) faisant encontre à d’autres. EtreTemps26