en-vue-de

umwillen [SZ]

La tournure [Bewandtnis], tel est l’être de l’étant intramondain, l’être vers lequel il est à chaque fois déjà de prime abord libéré. Avec lui, en tant qu’étant, il retourne à chaque fois de ceci ou de cela. Cela, avoir une tournure [Bewandtnis], est la détermination ontologique de l’être de cet étant, et non pas un énoncé ontique à son sujet. Ce dont il retourne, voilà le pour-quoi de l’utilité et le à-quoi de l’employabilité. Avec le pour-quoi de l’utilité, il peut derechef retourner de… ; par exemple, avec cet étant à-portée-de-la-main que nous appelons, et pour cause, un marteau, ce dont il retourne, c’est de marteler ; avec ce martèlement, il retourne de consolider une maison ; avec cette consolidation, de se protéger des intempéries ; cette protection « est » en vue de l’abritement du Dasein, autrement dit en vue d’une possibilité de son être. De quoi retourne-t-il avec un étant à-portée-de-la-main, cela est à chaque fois prétracé à partir de la totalité de tournure [Bewandtnis]. La totalité de tournure [Bewandtnis] qui, par exemple, constitue en son être-à-portée-de-la-main l’étant à portée de la main dans un atelier, est « antérieure » à l’outil [Zeug] singulier ; de même, autre exemple, celle d’une ferme, avec l’ensemble de son matériel et de ses bâtiments. Mais la totalité de tournure [Bewandtnis] renvoie elle-même en dernière instance à un pour-quoi avec lequel il ne retourne plus de rien – autrement dit qui n’est plus un étant sur le mode d’être de l’à-portée-de-la-main à l’intérieur d’un monde, mais un étant dont l’être est déterminé comme être-au-monde [In-der-Welt-sein], à la constitution d’être duquel la mondanéité [Weltlichkeit] elle-même appartient. Ce pour-quoi primaire n’est plus un pour-cela comme « de » possible d’une tournure [Bewandtnis]. Le « pour-quoi » primaire est un en-vue-de-quoi. Mais le en-vue-de concerne toujours l’être du DASEIN, pour lequel en son être il y va toujours essentiellement de cet être. Nous n’avons pas encore à poursuivre plus avant la connexion indiquée, conduisant de la structure de la tournure [Bewandtnis] à l’être du Dasein en tant que en-vue-de-quoi authentique et unique. Préalablement, le « laisser-retourner » exige d’être suffisamment clarifié pour que nous portions le phénomène de la mondanéité [Weltlichkeit] à la déterminité [Bestimmtheit] requise pour pouvoir en général soulever les problèmes qui la concernent. EtreTemps18

Le comprendre – phénomène que nous aurons à analyser de plus près dans la suite (cf. §31 [EtreTemps31]) – tient les rapports indiqués dans une ouverture préalable. Dans le séjour familier au sein du monde ambiant, il se pro-pose ces rapports comme ce dans quoi son renvoyer se meut. Le comprendre se laisse lui-même renvoyer dans et par ces rapports. Le caractère de rapport de ces rapports du renvoyer, nous le saisissons comme signifier. Dans la familiarité avec ses rapports, le Dasein se « signifie » à lui-même, il se donne originairement son être et son pouvoir-être à comprendre du point de vue de son être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le en-vue-de signifie (NT: Le verbe signifier étant ici à prendre au sens actif) un pour…, celui-ci un pour-quoi, celui-ci encore un « de » du laisser-retourner, celui-ci enfin un « avec » de la tournure [Bewandtnis]. Ces rapports sont soudés entre eux en une totalité originaire – ils ne sont ce qu’ils sont que comme ce signifier où le Dasein se donne préalablement à lui-même son être-au-monde [In-der-Welt-sein] à comprendre. La totalité de rapports de ce signifier, nous la nommons la significativité [Bedeutsamkeit]. Elle est ce qui constitue la structure du monde – de ce où le Dasein comme tel est à chaque fois déjà. Le Dasein est, en sa familiarité avec la significativité [Bedeutsamkeit], la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant qui fait encontre dans un monde sur le mode d’être de la tournure [Bewandtnis] (être-à-portée-de-la-main) et peur ainsi s’annoncer en son être-en-soi. Le Dasein est, en tant que tel, toujours celui-ci ou celui-là ; avec son être est toujours déjà essentiellement découvert un contexte d’étant à-portée-de-la-main – le Dasein, pour autant qu’il est, s’est à chaque fois déjà assigné à un « monde » qui lui fasse encontre, à son être appartient essentiellement cette assignation. EtreTemps18

À l’intérieur du champ de recherches qui est actuellement le nôtre, l’essentiel est de maintenir de manière fondamentale les différences – que nous n’avons cessé de marquer – entre les diverses structures et dimensions de la problématique ontologique : 1. l’être de l’étant intramondain tel qu’il fait de prime abord encontre (être-à-portée-de-la-main) ; 2. l’être de l’’étant (être-sous-la-main) qui devient trouvable et déterminable dans une traversée spécifiquement découvrante de l’étant de prime abord rencontré ; 3. l’être de la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant intramondain en général – la mondanéité [Weltlichkeit] du monde. L’être nommé en dernier lieu est une détermination existentiale de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], c’est-à-dire du Dasein. Quant aux deux premiers concepts de l’être, ce sont des catégories, qui ne concernent que l’étant dont l’être n’est pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig]. – On peut certes saisir formellement le complexe de renvois qui constitue en tant que significativité [Bedeutsamkeit] la mondanéité [Weltlichkeit] au sens d’un système de relations. Mais il importe seulement d’observer que de telles formalisations nivellent les phénomènes jusqu’à en ruiner la teneur phénoménale authentique, surtout lorsqu’elles s’appliquent à des rapports aussi « simples » que ceux qu’abrite la significativité [Bedeutsamkeit]. En leur teneur phénoménale, ces « relations » et ces « relatifs » du pour…, du en-vue-de…, de l’avec… d’une tournure [Bewandtnis] répugnent à toute fonctionnalisation mathématique ; pas davantage ne sont-ils des notions, des fruits de la seule « pensée » : ils sont les rapports où la circon-spection préoccupée en tant que telle séjourne à chaque fois déjà. Ce « système de relation » comme constituant de la mondanéité [Weltlichkeit] volatilise si peu l’être de l’à-portée-de-la-main intramondain que c’est seulement sur la base de la mondanéité [Weltlichkeit] du monde que cet étant est découvrable en son « en soi substantiel ». Et de même c’est seulement si de l’étant intramondain peut en général faire encontre [begegnen] que s’ouvre la possibilité de rendre accessible dans le champ de cet étant le sans-plus-sous-la-main. Ce dernier type d’étant, sur la base de son être-sans-plus-sous-la-main, peut être déterminé mathématiquement en « concepts fonctionnels » du point de vue de ces « propriétés ». Mais des concepts fonctionnels de cette sorte ne sont en général ontologiquement possibles que par rapport à de l’étant dont l’être a le caractère de la pure substantialité : des concepts fonctionnels ne sont jamais possibles que comme concepts substantiels formalisés [NT: Allusion critique au livre d’E. Cassirer, Substanzbegriff und Funktionsbegriff, 1925, traduit en français en 1977 par P. Caussat sous le titre Substance et fonction.]. EtreTemps18

Mais, en vertu de la présente analyse, appartient également à l’être du Dasein, dont il y va pour lui en son être même, l’être-avec [Mitsein] autrui. Comme être-avec [Mitsein], le Dasein « est » donc essentiellement en-vue-d’autrui. Cet énoncé doit être compris comme énoncé d’essence. Même lorsque le Dasein factice ne se tourne pas vers d’autres, qu’il croit pouvoir se passer d’eux ou s’en passe effectivement, il est selon la guise de l’être-avec [Mitsein]. Dans l’être-avec [Mitsein] en tant que en-vue-des-autres existential, ceux-ci sont déjà ouverts en leur Dasein. Cette ouverture des autres, d’emblée constituée avec l’être-avec [Mitsein], contribue donc à la constitution de la significativité [Bedeutsamkeit], c’est-à-dire de la mondanéité [Weltlichkeit] où celle-ci est ancrée dans le en-vue-de existential. C’est pourquoi la mondanéité [Weltlichkeit] du monde ainsi constituée, où le Dasein est essentiellement à chaque fois déjà, laisse l’à-portée-de-la-main intramondain faire encontre [begegnen] de telle manière que, en même temps que lui en tant qu’objet de préoccupation [Besorgen] circon-specte, l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui fait encontre. La structure de la mondanéité [Weltlichkeit] du monde implique que les autres ne soient pas de prime abord sous-la-main comme des sujets flottant en l’air juxtaposés à d’autres choses, mais qu’ils se manifestent, en leur être spécifique au sein du monde ambiant, dans le monde à partir de ce qui est à-portée-de-la-main en celui-ci. EtreTemps26

Le Soi-même du Dasein quotidien [alltäglich] est le On [das Man]-même, que nous distinguons du Soi-même authentique, c’est-à-dire proprement saisi. En tant que On-même, chaque Dasein est dispersé dans le On [das Man], et il doit commencer par se retrouver. Cette dispersion caractérise le « sujet » de ce mode d’être que nous connaissons sous le nom d’identification préoccupée avec le monde de prime abord rencontré. Mais que le Dasein soit familier de lui-même comme On-même, cela signifie en même temps que le On [das Man] pré-dessine l’explicitation prochaine du monde et de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le On-même, en-vue-de quoi le Dasein est quotidienne [alltäglich]ment, articule le complexe de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit]. Le monde du Dasein libère l’étant qui fait encontre vers une totalité de tournure [Bewandtnis] qui est familière au On, et cela dans les limites qui sont fixées avec la médiocrité du On. De prime abord, le Dasein factice est dans le monde commun [Mitwelt] médiocrement découvert. De prime abord, « je » ne « suis » pas au sens du Soi-même propre, mais je suis les autres selon la guise du On. C’est à partir de celui-ci et comme celui-ci que, de prime abord, je suis « donné » à moi-même ». Le Dasein est de prime abord On et le plus souvent il demeure tel. Lorsque le Dasein découvre et s’approche proprement le monde, lorsqu’il s’ouvre à lui-même son être authentique, alors cette découverte du « monde » et cette ouverture du Dasein s’accomplit toujours en tant qu’évacuation des recouvrements et des obscurcissements, et que rupture des dissimulations par lesquelles le Dasein se verrouille l’accès à lui-même. EtreTemps27

Nos recherches antérieures ont en fait déjà rencontré ce comprendre originaire, même si elles ne l’ont pas encore fait expressément entrer dans leur thème. Le Dasein est en existant son Là, cela veut dire : le monde est « là », son DA-SEIN est l’être-à ; et, de même : celui-ci est « là », à savoir comme ce en-vue-de quoi le Dasein est. Dans l’en-vue-de-quoi, l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] existant est comme tel ouvert, et c’est cette ouverture qui a été nommée le comprendre [NA: Cf. supra, §18 [EtreTemps18], p. [85] sq.]. Dans le comprendre de l’en-vue-de-quoi, la significativité [Bedeutsamkeit] qui s’y fonde est conjointement ouverte. L’ouverture du comprendre concerne, en tant qu’ouverture de l’en-vue-de-quoi et de la significativité [Bedeutsamkeit], co-originairement l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] en sa plénitude. La significativité [Bedeutsamkeit] est ce vers quoi le monde est comme tel ouvert. En-vue-de-quoi et significativité [Bedeutsamkeit] sont ouverts dans le Dasein, cela veut dire : le Dasein est un étant pour lequel, en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein], il y va de celui-ci même. EtreTemps31

Dans un langage ontique, nous prenons parfois l’expression « comprendre quelque chose » au sens de : « s’entendre à quelque chose », c’est-à-dire « pouvoir y faire face », « savoir se tirer d’affaire ». Or ce qui est ainsi « pu » ou « su » dans le comprendre en tant qu’existential, ce n’est pas un « quelque chose », c’est l’être comme exister. Le comprendre inclut existentialement le mode d’être du Dasein comme pouvoir-être. Le Dasein n’est pas un sous-la-main qui posséderait de surcroît le don de pouvoir quelque chose, mais il est primairement possibilité. Le Dasein est à chaque fois ce qu’il peut être et la manière même dont il est sa possibilité. L’être-possible essentiel du Dasein concerne les guises – plus haut caractérisées – de la préoccupation [Besorgen] pour le « monde », de la sollicitude [Fürsorge] envers les autres, et, toujours déjà impliqué dans tout cela, le pouvoir-être pour lui-même, vers lui-même, en-vue-de lui-même. L’être-possible que le Dasein est à chaque fois existentialement se distingue aussi bien de la possibilité vide, logique que de la contingence d’un sous-la-main considéré selon que ceci ou cela peut lui « arriver ». En tant que catégorie modale de l’être-sous-la-main, la possibilité signifie ce qui n’est pas encore effectif et pas toujours nécessaire. Une telle possibilité caractérise le seulement possible. Ontologiquement, elle est inférieure à l’effectivité et à la nécessité. La possibilité comme existential, au contraire, est la déterminité [Bestimmtheit] [144] ontologique positive la plus originaire et ultime du Dasein. De prime abord, comme l’existentialité en général, elle ne peut qu’être préparée en tant que problème. Or justement, ce qui offre le sol phénoménal sur lequel il est en général possible de l’apercevoir, c’est le comprendre comme pouvoir-être ouvrant. EtreTemps31

Le Dasein existe facticement. Le questionnement porte sur l’unité ontologique de l’existentialité et de la facticité, ou sur l’appartenance essentielle de celle-ci à celle-là. Le Dasein, sur la base de l’affection qui lui appartient essentiellement, a un mode d’être où il est placé devant lui-même et où son être-jeté lui est ouvert. Mais l’être-jeté est le mode d’être d’un étant qui est à chaque fois lui-même ses possibilités, de telle manière qu’il se comprend dans et partir d’elles (se projette vers elles). L’être-au-monde [In-der-Welt-sein], auquel l’être auprès de l’à-portée-de-la-main appartient tout aussi originairement que l’être-avec [Mitsein] avec autrui, est à chaque fois en-vue-de lui-même. Mais le Soi-même est de prime abord et le plus souvent inauthentique – le On [das Man]-même. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] est toujours déjà échu. La quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre du Dasein peut par conséquent être déterminée comme l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] échéant-ouvert, jeté-projetant, pour lequel il y va, en son être auprès du « monde » et en l’être-avec [Mitsein] avec autrui, du pouvoir-être le plus propre lui-même. EtreTemps39

L’angoisse n’est pas seulement angoisse devant…, mais, en tant qu’affection, angoisse en-vue-de [NT: Angst um… Sur la préposition um, même remarque que supra, p. [141] et N.d.T.]… Ce en-vue-de, ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse n’est pas un mode d’être déterminé, une possibilité déterminée du Dasein. Car la menace, étant elle-même indéterminée, ne peut donc pas percer – en le menaçant – jusqu’à tel ou tel pouvoir-être facticement concret. Ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] lui-même. Dans l’angoisse, l’à-portée-de-la-main intramondain, et en général l’étant intramondain, sombre. Le « monde » ne peut plus rien offrir, et tout aussi peu l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui. L’angoisse ôte ainsi au Dasein la possibilité de se comprendre de manière échéante à partir du « monde » et de l’être-explicité public. Elle rejette le Dasein vers ce pour-quoi il s’angoisse, vers son pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] authentique. L’angoisse isole le Dasein vers son être-au-monde [In-der-Welt-sein] le plus propre, qui, en tant que compréhensif, se projette essentiellement vers des possibilités. Par [188] suite, avec le pour-quoi [en-vue-de-quoi] du s’angoisser, l’angoisse ouvre le Dasein comme être-possible, plus précisément comme ce qu’il ne peut être qu’à partir de lui-même, seul, dans l’isolement. EtreTemps40

Le Dasein est un étant pour lequel, en son être, il y va de cet être même. Le « aller de… » s’est clarifié dans la constitution d’être du comprendre comme être qui se projette vers le pouvoir-être le plus propre. C’est en-vue-de celui-ci que le Dasein est à chaque fois comme il est. Le Dasein, en son être, s’est à chaque fois déjà confronté avec une possibilité de lui-même. L’être-libre vers le pouvoir-être le plus propre et, du même coup, vers la possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité se manifeste dans l’angoisse en une concrétion originaire, élémentaire. Or l’être pour le pouvoir-être le plus propre veut dire ontologiquement : le Dasein est, en son être, à chaque fois déjà en avant de lui-même. Le Dasein est toujours déjà [192] « au-delà de soi », non pas en tant que comportement vis-à-vis d’un autre étant qu’il n’est pas, mais en tant qu’être pour le pouvoir-être qu’il est lui-même. Cette structure d’être du « y aller de… » essentiel, nous la saisissons comme l’être-en-avant-de-soi du Dasein. EtreTemps41

Mais cette structure concerne le tout de la constitution du Dasein. L’être-en-avant-de-soi ne signifie pas quelque chose comme une tendance isolée d’un « sujet » sans monde, elle caractérise l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Mais à celui-ci il appartient d’être remis à lui-même, d’être à chaque fois déjà jeté dans un monde. L’abandon du Dasein à lui-même se manifeste de manière originairement concrète dans l’angoisse. Saisi plus pleinement, l’être-en-avant-de-soi signifie donc : être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans-un-monde. Dès l’instant que cette structure essentiellement unitaire est phénoménalement aperçue, se clarifie également ce que notre analyse antérieure de la mondanéité [Weltlichkeit] avait dégagé, à savoir que le tout de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit] en laquelle se constitue la mondanéité [Weltlichkeit] est « fixé » en un en-vue-de. Cette solidarité du tout de renvois, des rapports multiples du pour… avec ce dont il y va pour le Dasein, son en-vue-de-quoi, n’a pas le sens d’une fusion d’un « monde » sous-la-main d’objets avec un sujet. Elle est bien plutôt l’expression phénoménale de la constitution originairement totale du Dasein, dont la totalité est désormais explicitement dégagée comme être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans… En d’autres termes : l’exister est toujours factice. L’existentialité est essentiellement déterminée par la facticité. EtreTemps41

Que veut dire « présupposer » ? Comprendre quelque chose comme le fondement de l’être d’un autre étant. Une telle compréhension de l’étant en ses connexions d’être n’est possible que sur la base de l’ouverture, c’est-à-dire de l’être-découvrant du Dasein. Présupposer de la « vérité » signifie alors la comprendre comme quelque chose en-vue-de quoi le Dasein est. Mais le Dasein – ceci est impliqué dans la constitution d’être comme souci – est à chaque fois en avant de soi. Il est l’étant pour lequel, en son être, il y va de son pouvoir-être le plus propre. À l’être et au pouvoir-être du Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] appartient essentiellement l’ouverture et le découvrir. Pour le Dasein, il y va de son pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein], et, conjointement, de la préoccupation [Besorgen] circon-specte découvrante de l’étant intramondain. Dans la constitution d’être du Dasein comme souci, dans l’être-en-avant-de-soi, est inclus le « présupposer » le plus originaire. C’est parce qu’à l’être du Dasein appartient une telle auto-présupposition que « nous » devons nécessairement aussi « nous » présupposer, en tant que déterminés par l’ouverture. Ce « présupposer » inhérent à l’être du Dasein ne se rapporte pas à de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig], et qui est de surcroît, mais uniquement à lui-même. La vérité présupposée, ou le « il y a » par lequel son être doit être déterminé a le mode ou le sens d’être du Dasein lui-même. Si nous devons nécessairement « faire » la présupposition de la vérité, c’est parce qu’elle est déjà « faite » avec l’être du « nous ». EtreTemps44

Le en-vue-de de toute mise à l’abri, de tout entretien, de tout progrès sont des possibilités prochaines et constantes du Dasein, vers lesquelles cet étant, pour lequel il y va de son être, s’est à chaque fois déjà projeté. Jeté dans son « Là », le Dasein est à chaque fois facticement assigné à un « monde » déterminé, à son « monde ». En même temps, les projets prochains factices sont guidés par la perte préoccupée dans le On [das Man]. Celle-ci peut être ad-voquée par le Dasein à chaque fois propre, l’ad-vocation [An-ruf] peut être comprise sur le mode de la résolution. EtreTemps60

Le en-avant-de-soi se fonde dans l’avenir. L’être-déjà-dans annonce en lui-même l’être-été. L’être-auprès… est rendu possible dans le présentifier. Néanmoins il nous est ici interdit, d’après ce qui vient d’être dit, de saisir le « avant » du « en-avant » et le « déjà » à partir de la compréhension vulgaire du temps. Le « en-avant » ne désigne pas un « devant » au sens du « maintenant-pas-encore… mais plus tard »; tout aussi peu le « déjà » signifie-t-il un « plus-maintenant… mais plus tôt ». Si les expressions « en-avant » et « déjà » avaient cette signification temporelle – que du reste elles peuvent aussi avoir -, parler de temporalité du souci reviendrait à dire qu’il est quelque chose qui est tout à la fois « plus tôt » et « plus tard », « pas encore » et « plus ». Le souci serait alors conçu comme un étant qui survient et se déroule « dans le temps ». L’être d’un étant avant le caractère du Dasein deviendrait un sous-la-main. Or si c’est là chose impossible, il faut que la signification temporelle des expressions citées soit autre. Le « avant » du « en-avant » indique l’avenir tel qu’il rend en général pour la première fois possible que le Dasein soit de telle manière qu’il y aille pour lui de son pouvoir-être. Le se-projeter, fondé dans l’avenir, vers le « en-vue-de soi-même » est un caractère d’essence de l’existentialité. Le sens primaire de celle-ci est l’avenir. [328] De même, le « déjà » désigne le sens d’être temporel existential de l’étant qui, pour autant qu’il est, est à chaque fois déjà jeté. C’est seulement parce que le souci se fonde dans l’être-été que le Dasein peut exister comme l’étant jeté qu’il est. « Aussi longtemps que » le Dasein existe facticement, il n’est jamais passé, mais il est bel et bien toujours déjà été au sens du «je suis-été ». Et il ne peut être été qu’aussi longtemps qu’il est. Nous qualifions au contraire de passé un étant qui n’est plus sous-la-main. Par suite, le Dasein, tandis qu’il existe, ne peut jamais se constater comme un fait sous-la-main qui naît et passe « avec le temps » et qui est déjà partiellement passé. Le Dasein ne « se trouve » jamais que comme fait jeté. Dans l’affection, le Dasein est assailli par lui-même comme l’étant que, étant encore, il était déjà, c’est-à-dire qui est constamment été. Le sens existential primaire de la facticité réside dans l’être-été. Par les expressions « en-avant » et « déjà », notre formulation de la structure du souci indique le sens temporel de l’existentialité et de la facticité. EtreTemps65

L’interprétation temporelle de la quotidienneté [Alltäglichkeit] et de l’historialité fixe suffisamment le [333] regard sur le temps originaire pour mettre celui-ci même à découvert comme la condition de possibilité et de nécessité de l’expérience quotidienne [alltäglich] du temps. Le Dasein, en tant qu’étant pour lequel il y va de son être, s’emploie, expressément ou non, primairement pour lui-même. De prime abord et le plus souvent, le souci est préoccupation [Besorgen] circon-specte. S’employant en-vue-de lui-même, le Dasein se « consomme ». Se consommant, le Dasein use de lui-même, c’est-à-dire de son temps. Usant du temps, il compte avec lui. La préoccupation [Besorgen] circon-spectivement calculante découvre de prime abord le temps et conduit à la formation d’un comput du temps. Le compte avec le temps est constitutif de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. La découverte préoccupée de la circon-spection laisse, en comptant avec son temps, l’à-portée-de-la-main et le sous-la-main découvert faire encontre [begegnen] dans le temps. L’étant intramondain devient ainsi accessible comme « étant dans le temps ». La déterminité [Bestimmtheit] temporelle de l’étant intramondain, nous l’appelons l’intratemporalité. Le « temps » d’abord trouvé ontiquement en elle devient la base de la formation du concept vulgaire et traditionnel du temps. Cependant, le temps comme intratemporalité provient d’un mode essentiel de temporalisation de la temporalité originaire. Cette origine indique que le temps « où » le sous-la-main naît et passe est un phénomène temporel véritable et non pas l’extériorisation d’un « temps qualitatif » en espace, ainsi que veut nous le faire croire l’interprétation totalement indéterminée et insuffisante ontologiquement du temps par Bergson. EtreTemps66

Saisi de manière originairement existentiale, le comprendre signifie : être-projetant pour un pouvoir-être en-vue-de quoi le Dasein existe à chaque fois. Le comprendre ouvre le pouvoir-être propre de telle manière que le Dasein, en comprenant, sait à chaque fois en quelque façon ce qu’il en est de lui-même, « où il en est ». Cependant ce « savoir » ne consiste pas à avoir découvert un fait, mais à se tenir dans une possibilité existentielle. Quant au non-savoir correspondant, il ne consiste pas dans le défaut du comprendre, mais doit être considéré comme un mode déficient de l’être-projeté du pouvoir-être. L’existence peut être digne de question. Pour que son « être-en-question » soit possible il est besoin d’une ouverture. À la base du se-comprendre projetant dans une possibilité existentielle se tient l’avenir en tant qu’advenir-à-soi à partir de la possibilité comme laquelle le Dasein existe à chaque fois. L’avenir rend ontologiquement possible un étant qui est de telle manière qu’il existe, en comprenant, dans son pouvoir-être. Le projeter, qui est en son fond a-venant, ne saisit pas primairement la possibilité projetée de manière thématique dans une visée, mais il se jette en elle comme possibilité. En comprenant, le Dasein est à chaque fois comme il peut être. Or c’est la résolution qui s’est révélée comme l’exister originaire et authentique. Bien sûr, de prime abord et le plus souvent, le Dasein demeure ir-résolu, autrement dit refermé en son pouvoir-être le plus propre, vers lequel il ne se porte à chaque fois que dans l’isolement. Ce qui implique ceci : la temporalité ne se temporalise pas constamment à partir de l’avenir authentique. Néanmoins cette in-constance ne signifie point que la temporalité manquerait parfois d’avenir, mais seulement que la temporalisation de celui-ci est muable. EtreTemps68

La circon-spection se meut dans les rapports de tournure [Bewandtnis] du complexe à-portée-de-la-main [359] d’outils. Elle est elle-même à son tour soumise à la direction d’une vue-d’ensemble plus ou moins expresse sur la totalité d’outils de ce qui est à chaque fois monde d’outils, ainsi que du monde ambiant public qui appartient à celui-ci. La vue-d’ensemble n’est pas simplement un ramassage après coup de sous-la-main. L’essentiel de la vue-d’ensemble est le comprendre primaire de la totalité de tournure [Bewandtnis] à l’intérieur de laquelle s’engage à chaque fois la préoccupation [Besorgen] factice. La vue-d’ensemble qui éclaire la préoccupation [Besorgen] reçoit sa « lumière » du pouvoir-être du Dasein, en-vue-de quoi la préoccupation [Besorgen] existe comme souci. La circon-spection « d’ensemble » de la préoccupation [Besorgen] rapproche, en toute utilisation et maniement, l’à-portée-de-la-main du Dasein, selon la guise d’une explicitation de ce qui est pris en vue. L’approchement spécifique, circon-spectivement explicitant de l’étant dont on se préoccupe, nous l’appelons la réflexion. Son schème spécifique est le « si…, alors… » : si ceci ou cela doit être – par exemple – produit, mis en usage, empêché, alors il est besoin de tels ou tels moyens, voies, circonstances, occasions. La réflexion circon-specte éclaire toute situation factice du Dasein dans le monde ambiant de sa préoccupation [Besorgen]. Par suite, elle ne « constate » jamais simplement l’être-sous-la-main d’un étant, ou ses propriétés. La réflexion peut s’accomplir même sans que l’étant approché circon-spectivement en elle soit lui-même à-portée-de-la-main de manière saisissable et présent dans le champ de vue le plus proche. Le rapprochement du monde ambiant dans la réflexion circon-specte a le sens existential d’une présentification. Car la re-présentation n’est qu’un mode de celle-ci. En elle, la réflexion s’avise directement de l’étant nécessaire, mais non à-portée-de-la-main. La circon-spection re-présentante ne se rapporte pas à quelque chose comme des « simples représentations ». EtreTemps69

Le comprendre, inclus dans la préoccupation [Besorgen] circon-specte, d’une totalité de tournure [Bewandtnis] se fonde en un comprendre préalable des rapports du pour…, du pour-quoi, du pour-cela, du en-vue-de… Le complexe de ces rapports a été dégagé plus haut comme significativité [Bedeutsamkeit] [NA: Cf. supra, §18 [EtreTemps18], p. [87] sq.]. L’unité de celle-ci constitue ce que nous appelons le monde. La question s’élève donc de savoir comment quelque chose comme le monde est ontologiquement possible en son unité avec le Dasein, et en quelle guise le monde doit être pour que le Dasein puisse exister comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps69

Le Dasein existe en-vue-d’un pouvoir-être de lui-même. Existant, il est jeté, et, en tant que jeté, il est remis à de l’étant dont il a besoin pour pouvoir être comme il est, à savoir en-vue-de lui-même. Pour autant que le Dasein existe facticement, il se comprend dans la connexion du en-vue-de lui-même avec ce qui lui est à chaque fois un pour… Ce dans quoi le Dasein existant se comprend est « là » avec son existence factice. Le « où » de la compréhension primaire d’être a le mode d’être du Dasein. Celui-ci, existant, est son monde. EtreTemps69

Nous avons déterminé l’être du Dasein comme souci. Le sens ontologique du souci est la temporalité. Que et comment celle-ci constitue l’ouverture du Là, cela a été montré. Dans [365] l’ouverture du Là, le monde est co-ouvert. L’unité de la significativité [Bedeutsamkeit], c’est-à-dire la constitution ontologique du monde, doit donc également se fonder dans la temporalité. La condition temporalo-existentiale de possibilité du monde consiste en ce que la temporalité comme unité ekstatique a quelque chose comme un horizon. Les ekstases ne sont pas simplement des échappées vers… Bien plutôt un « vers-où » de l’échappée appartient-il à l’ekstase. Ce vers-où de l’ekstase, nous l’appelons le schème horizontal. L’horizon ekstatique est différent dans chacune des trois ekstases. Le schème où le Dasein, authentiquement ou inauthentiquement, advient à soi de manière avenante est le en-vue-de lui-même. Le schème où le Dasein est ouvert à lui-même en tant que jeté au sein de l’affection, nous le saisissons comme le devant-quoi de l’être-jeté ou le à-quoi de l’abandon. Il caractérise la structure horizontale de l’être-été. Existant en-vue-de lui-même dans l’abandon à lui-même en tant que jeté, le Dasein, en tant qu’être auprès,.., est en même temps présentifiant. Le schème horizontal du présent est déterminé par le pour… EtreTemps69

L’unité des schèmes horizontaux de l’avenir, de l’être-été et du présent se fonde dans l’unité ekstatique de la temporalité. L’horizon de la temporalité totale détermine ce vers-quoi l’étant facticement existant est essentiellement ouvert. Avec le Da-sein factice est à chaque fois projeté dans l’horizon de l’avenir un pouvoir-être, ouvert dans l’horizon de l’être-été l’« être-déjà » et découvert dans l’horizon du présent de l’étant offert à la préoccupation [Besorgen]. L’unité horizontale des schèmes des ekstases possibilise la connexion originaire des rapports de pour… avec le en-vue-de… Ce qui implique ceci : sur la base de la constitution horizontale de l’unité ekstatique de la temporalité, appartient à l’étant qui est à chaque fois son Là quelque chose comme un monde ouvert. EtreTemps69

L’être du Dasein est le souci. Cet étant existe en tant qu’étant jeté qui échoit. Abandonné au « monde » découvert avec son Là factice, assigné à lui dans la préoccupation [Besorgen], le Dasein s’attend à son pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] de telle manière qu’« il compte » avec et sur ce avec quoi, en-vue-de ce pouvoir-être, il retourne de façon finalement privilégiée. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] quotidien [alltäglich] circon-spect a besoin de la possibilité de vue, c’est-à-dire de la clarté, pour pouvoir entrer dans un usage préoccupé de l’à-portée-de-la-main à l’intérieur du sous-la-main. Avec l’ouverture factice de son monde, la nature est découverte pour le Dasein. Dans son être-jeté, il est livré au change du jour et de la nuit. Celui-là offre par sa clarté la vue possible, celle-ci l’ôte. EtreTemps80