constitution d’être du Dasein

Le Dasein est un étant qui ne se borne pas à apparaître au sein de l’étant. Il possède bien plutôt le privilège ontique suivant : pour cet étant, il y va en son être de cet être. Par suite, il appartient à la constitution d’être du Dasein d’avoir en son être un rapport d’être à cet être. Ce qui signifie derechef que le Dasein se comprend d’une manière ou d’une autre et plus ou moins expressément en son être. À cet étant, il échoit ceci que, avec et par son être, cet être lui est ouvert à lui-même. La compréhension de l’être est elle-même une déterminité (Bestimmtheit) d’être du Dasein. Le privilège ontique du Dasein consiste en ce qu’il est ontologique. EtreTemps4

L’être-à… au contraire, désigne une constitution d’être du Dasein, c’est un existential. Ce qui revient à dire que l’expression ne saurait évoquer l’être-sous-la-main d’une chose corporelle (corps humain) « dans » un étant sous-la-main. L’être-à… nomme si peu une « inclusion » spatiale d’étants sous-la-main que le mot « in », à l’origine, ne signifie même pas une relation spatiale comme celle qu’on vient de citer (NA: Cf. Jakob GRIMM, Kleinere Schriften, t. VII, p. 247.); « in » provient de « innan », habiter, avoir séjour ; « an » signifie : je suis habitué à, familier de, j’ai coutume de… ; le mot a le sens de colo, c’est-à-dire habito et diligo. Cet étant auquel appartient l’être-à … en ce sens, nous le caractérisions comme l’étant que je suis à chaque fois moi-même. L’expression « bin » (« suis ») est patente du mot « bei » (« auprès de ») ; « ich bin » (je suis) signifie derechef j’habite, je séjourne auprès de – du monde tel qu’il m’est familier. Sein (être) en tant qu’infinitif du « ich bin » (je suis), c’est-à-dire compris comme existential, veut dire habiter auprès de…, être familier de… L’être-à… est donc l’expression existentiale formelle de l’être du Dasein en tant qu’il a la constitution essentielle de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). EtreTemps12

Par é-loignement (Entfernung) – le mot désignant un mode d’être du Dasein considéré en son être-au-monde (In-der-Welt-sein) – nous n’entendons point quelque chose comme l’éloignement (proximité) ou même une distance, un écart. Ce terme d’é-loignement (Entfernung), nous l’employons dans un sens actif et transitif. Il désigne une constitution d’être du Dasein, par rapport à laquelle le fait d’éloigner ou d’écarter quelque chose ne représente qu’une modalité déterminée, factice. É-loigner veut dire faire disparaître le lointain, c’est-à-dire l’être-éloigné, de quelque chose – approcher. Le Dasein est essentiellement é-loignant, c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois, comme l’étant qu’il est, de l’étant venir à l’encontre dans la proximité. L’é-loignement (Entfernung) découvre l’éloignement. Celui-ci, tout comme la distance, est une détermination catégoriale de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). L’é-loignement (Entfernung), au contraire, doit être établi comme existential. C’est seulement dans la mesure où de l’étant est en général découvert pour le Dasein en son être-éloigné que deviennent accessibles dans l’étant intramondain lui-même des « éloignements » et des distances par rapport à autre chose. Sinon, deux points sont tout aussi peu éloignés l’un de l’autre que ne le sont en général deux choses, s’il est vrai qu’aucun de ces étants, de par son mode d’être, ne peut é-loigner. Tout au plus ont-ils une distance trouvable et mesurable dans l’é-loigner. EtreTemps23

Supposons que je pénètre dans une chambre familière, mais obscure, dont l’aménagement a été ainsi modifié pendant mon absence que tout ce qui était à droite se trouve désormais à gauche. Si je dois m’y orienter, le « simple sentiment de la différence » de mes deux côtés ne me sert alors absolument de rien tant que n’est pas saisi un objet déterminé, dont Kant dit d’ailleurs incidemment « que je me souviens de son emplacement ». Or qu’est-ce que cela signifie, sinon que je m’oriente nécessairement dans et depuis un être toujours déjà auprès d’un monde « familier ». Le complexe d’outils d’un monde doit déjà être prédonné au Dasein. Que je sois à chaque fois déjà dans un monde, cela n’est pas moins constitutif de la possibilité de l’orientation que le sentiment de la droite et de la gauche. Que cette constitution d’être du Dasein soit « évidente », cela ne justifie nullement de la diminuer en son rôle ontologiquement constitutif. Et du reste, Kant lui-même ne la néglige pas non plus, pas davantage que toute autre interprétation du Dasein. Cependant, qu’il soit fait un constant usage de cette constitution, cela ne dispense point, mais exige d’en donner une explication ontologique adéquate. L’interprétation psychologique selon laquelle le Moi a « en mémoire » quelque chose vise au fond la constitution existentiale de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). Comme Kant n’aperçoit pas cette structure, il méconnaît également la pleine complexion de la constitution d’une orientation possible. L’être-orienté vers la droite et la gauche se fonde dans l’orientation essentielle du Dasein en général, laquelle est quant à elle essentiellement (110) co-déterminée par l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). Du reste, la préoccupation (Besorgen) de Kant n’est pas d’interpréter thématiquement l’orientation : tout ce qu’il veut montrer, c’est que toute orientation a besoin d’un « principe subjectif ». Mais « subjectif » voudra dire alors : a priori. Néanmoins, l’a priori de l’être-orienté vers la droite et la gauche se fonde dans l’a priori « subjectif » de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), qui n’a rien à voir avec une déterminité (Bestimmtheit) d’emblée restreinte à un sujet sans monde. EtreTemps23

De même que l’« évidence » antique de l’être-en-soi de l’étant intramondain engendre la conviction de l’« évidence » ontologique du sens de cet être et contribue à faire manquer le phénomène du monde, de même l’« évidence » ontique selon laquelle le Dasein est à chaque fois mien contient en elle-même une possible séduction de la problématique ontologique la concernant. De prime abord le qui du Dasein n’est pas seulement un problème ontologiquement, mais encore il demeure ontiquement recouvert. (117) Est-ce à dire cependant que la résolution analytico-existentiale de la question du qui ? soit absolument dépourvue de fil conducteur ? Nullement. Et du reste, entre les indications formelles données plus haut (§9 (EtreTemps9) et 12) sur la constitution d’être du Dasein, ce qui fonctionne comme tel n’est pas tant la détermination discutée à l’instant que celle selon laquelle l’« essence » du Dasein se fonde dans son existence. Si le « Je » est une déterminité (Bestimmtheit) essentielle du Dasein, alors il doit être interprété existentialement. La question qui ? ne peut recevoir de réponse que de la mise en lumière phénoménale d’un mode d’être déterminé du Dasein. Si le Dasein n’est à chaque fois son Soi-même qu’en existant, le « maintien » du Soi-même exige – tout de même que sa « perte d’autonomie » possible – un questionnement existential-ontologique ; telle est l’unique voie d’accès adéquate à sa problématique. EtreTemps25

La « préoccupation (Besorgen) » pour la nourriture et le vêtement, les soins donnés au corps malade sont eux aussi sollicitude (Fürsorge). Toutefois, nous comprenons cette expression, comme c’était le cas pour notre usage terminologique de la « préoccupation (Besorgen) », comme un existential. La sollicitude (Fürsorge) sous la forme factice et sociale de l’« assistance », par exemple, se fonde dans la constitution d’être du Dasein comme être-avec (Mitsein). Son urgence factice est motivée par le fait que le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans les modes déficients de la sollicitude (Fürsorge). Être pour, contre, sans… les uns les autres, passer indifféremment les uns à côté des autres, ce sont là des guises possibles de la sollicitude (Fürsorge). Et précisément, les modes cités en dernier lieu de la déficience et de l’indifférence caractérisent l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich) et moyen. Ces modes d’être manifestent derechef le caractère de non-imposition et d’« évidence » qui échoit tout aussi bien à l’être-Là-avec (Mitdasein) quotidien (alltäglich) intramondain d’autrui qu’à l’être-à-portée-de-la-main de l’outil (Zeug) dont on se préoccupe chaque jour. Ces modes indifférents de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) peuvent aisément conduire l’interprétation ontologique à expliciter de prime abord cet être au sens du pur être-sous-la-main de plusieurs sujets. Apparemment, il ne s’agit que de variantes infimes de ce même mode d’être, et pourtant, entre la survenance ensemble « indifférente » de choses quelconques et l’indifférence propre à des étants qui sont l’un avec (122) l’autre, la différence est essentielle. EtreTemps26

La sollicitude (Fürsorge) apparaît ainsi comme une constitution d’être du Dasein qui, suivant ses possibilités diverses, est aussi bien solidaire de son être vis-à-vis du monde de la préoccupation (Besorgen) que de son être authentique vis-à-vis de lui-même. L’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) se fonde de prime abord, et même souvent exclusivement, dans ce qui fait l’objet d’une préoccupation (Besorgen) commune dans cet être. Un être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) provenant de ce que l’on fait la même chose se tient non seulement le plus souvent dans des limites extérieures, mais encore revêt le mode de la distance et de la réserve. L’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) de ceux qui sont attelés à la même affaire ne se nourrit souvent que de méfiance. Inversement, l’engagement commun pour la même chose est déterminé par le Dasein à chaque fois saisi de manière propre. C’est seulement cette solidarité authentique qui rend possible la « pragmaticité » vraie qui libère l’autre, sa liberté, vers (NT: Je construis : freigeben für, c’est-à-dire libérer à, ou plutôt : pour, au sens de : vers (cf. envers). Cet être-toujours-déjà-tourné-vers, donc cet être-envers-autrui est la dimension de la sollicitude (Fürsorge), du souci-envers. Dimension très différente, donc, de celle du « pour » caractéristique du rapport à l’outil (Zeug).) lui-même. EtreTemps26

Le parler est l’articulation significative de la compréhensivité affectée de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). Lui appartiennent, à titre des moments constitutifs : le ce-sur-quoi du parler (ce dont il est parlé), le parlé comme tel, la communication et l’annonce. Ce ne sont pas là des propriétés qui se laisseraient simplement collecter de manière empirique dans la langue, mais des (163) caractères existentiaux enracinés dans la constitution d’être du Dasein, qui seuls rendent ontologiquement possible quelque chose comme de la parole. Il se peut que, dans la configuration linguistique factice d’un parler déterminé, tel ou tel de ces moments fasse défaut ou passe inaperçu. Que souvent ils ne viennent pas « littéralement » à l’expression, cela est seulement le signe d’un type déterminé du parler qui, pour autant qu’il est, n’en doit pas moins d’être à chaque fois présent dans la totalité des structures qu’on a nommées. EtreTemps34

La présente interprétation de la parole s’assignait simplement pour tâche de mettre en évidence le « lieu » ontologique de ce phénomène à l’intérieur de la constitution d’être du Dasein, et, avant tout, de préparer l’analyse suivante qui, au fil conducteur (d’une détermination) du mode d’être fondamental du parler dans sa connexion avec d’autres phénomènes, tentera de porter ontologiquement la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein sous un regard plus originaire. EtreTemps34

Vis-à-vis du réalisme, l’idéalisme, si opposés et si peu tenables que soient les résultats auxquels il aboutit, jouit d’une primauté fondamentale, à condition du moins qu’il ne se mésinterprète pas lui-même comme idéalisme « psychologique ». En effet, en soulignant que l’être et la réalité ne sont que « dans la conscience (Gewissen) », l’idéalisme exprime une compréhension du fait que l’être ne peut être expliqué par de l’étant. Mais dans la mesure où il manque d’expliquer ce que cette compréhension d’être signifie elle-même ontologiquement, comment elle est possible et qu’elle appartient à la constitution d’être du Dasein, il bâtit l’interprétation de la réalité sur du sable. Que l’être ne soit pas explicable par de l’étant, que la réalité ne soit possible que dans la compréhension d’être, cela ne dispense en aucune manière de questionner l’être de la conscience (Gewissen), de la res cogitons elle-même. La thèse idéaliste implique en toute logique la tâche préalable et indispensable d’une analyse ontologique de la conscience (Gewissen) elle-même. C’est seulement parce que l’être est « dans la conscience (Gewissen) », c’est-à-dire compréhensible dans le Dasein, que le Dasein peut aussi comprendre et porter au concept (208) des caractères d’être comme l’indépendance, l’« en-soi », la réalité en général. C’est pour cela seulement que de l’étant « indépendant » peut être accessible à la circon-spection en tant qu’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. EtreTemps43

1. À la constitution d’être du Dasein appartient essentiellement l’ouverture en général. Elle embrasse le tout de la structure d’être qui est devenue explicite grâce au phénomène du souci. À celui-ci appartient non seulement l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), mais aussi l’être auprès de l’étant intramondain. Cooriginaire à l’être du Dasein et à son ouverture est l’être-découvert de l’étant intramondain. EtreTemps44

2. À la constitution d’être du Dasein appartient ensuite, et certes à titre de constitutif de son ouverture, l’être-jeté. En lui il se dévoile que le Dasein est toujours déjà, en tant que mien et que tel, dans un monde déterminé et auprès d’une sphère déterminée d’étant intramondain déterminé. L’ouverture est essentiellement factice. EtreTemps44

3. À la constitution d’être du Dasein appartient le projet : l’être ouvrant pour son pouvoir-être. Le Dasein peut, en tant que compréhensif, se comprendre à partir du « monde » et des autres ou à partir de son pouvoir-être le plus propre. Cette dernière possibilité signifie ceci : le Dasein s’ouvre à lui-même dans et comme son pouvoir-être le plus propre. Cette ouverture authentique manifeste le phénomène de la vérité la plus originaire dans le mode de l’authenticité. L’ouverture la plus originaire et aussi la plus authentique où puisse être le Dasein comme pouvoir-être est la vérité de l’existence. C’est seulement dans le contexte d’une analyse de l’authenticité du Dasein que cette vérité recevra sa déterminité (Bestimmtheit) ontologico-existentiale. EtreTemps44

4. À la constitution d’être du Dasein appartient l’échéance. De prime abord et le plus souvent, le Dasein est perdu dans son « monde ». Le comprendre, en tant que projet vers les (222) possibilités d’être, s’est déporté dans cette direction. L’identification au On signifie la souveraineté de l’être-explicité public. Le découvert, l’ouvert est soumis à la dissimulation et à la fermeture du bavardage (Gerede), de la curiosité et de l’équivoque. L’être pour l’étant n’est pas éteint, mais il est déraciné. L’étant n’est pas complètement retiré – il est précisément découvert, mais en même temps dissimulé ; il se montre – mais sur le mode de l’apparence. De même, ce qui avait été auparavant découvert sombre à nouveau dans la dissimulation et le retrait. Le Dasein, parce qu’il est essentiellement échéant, est, selon sa constitution d’être, dans la « non-vérité ». Ce dernier titre, tout comme l’expression d’« échéance », est ici utilisé ontologiquement. Toute « valorisation » ontiquement négative doit être tenue à l’écart de son usage analytico-existential. C’est à la facticité du Dasein qu’appartiennent la fermeture et le recouvrement. Le sens ontologico-existential plein de la proposition : « Le Dasein est dans la vérité » dit en même temps, et cooriginairement : « Le Dasein est dans la non-vérité. » Mais c’est seulement dans la mesure où le Dasein est ouvert qu’il est également fermé ; et ce n’est que pour autant qu’avec le Dasein est déjà à chaque fois découvert de l’étant intramondain que ce type d’étant est recouvert (retiré) et dissimulé dans sa possibilité d’encontre intramondaine. EtreTemps44

La condition ontologico-existentiale requise pour que l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) soit déterminé par la « vérité » et la « non-vérité » réside dans la constitution d’être du Dasein que nous avons caractérisée comme projet jeté. Elle est un constituant de la structure du souci. EtreTemps44

Que veut dire « présupposer » ? Comprendre quelque chose comme le fondement de l’être d’un autre étant. Une telle compréhension de l’étant en ses connexions d’être n’est possible que sur la base de l’ouverture, c’est-à-dire de l’être-découvrant du Dasein. Présupposer de la « vérité » signifie alors la comprendre comme quelque chose en-vue-de quoi le Dasein est. Mais le Dasein – ceci est impliqué dans la constitution d’être comme souci – est à chaque fois en avant de soi. Il est l’étant pour lequel, en son être, il y va de son pouvoir-être le plus propre. À l’être et au pouvoir-être du Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) appartient essentiellement l’ouverture et le découvrir. Pour le Dasein, il y va de son pouvoir-être-au-monde (In-der-Welt-sein), et, conjointement, de la préoccupation (Besorgen) circon-specte découvrante de l’étant intramondain. Dans la constitution d’être du Dasein comme souci, dans l’être-en-avant-de-soi, est inclus le « présupposer » le plus originaire. C’est parce qu’à l’être du Dasein appartient une telle auto-présupposition que « nous » devons nécessairement aussi « nous » présupposer, en tant que déterminés par l’ouverture. Ce « présupposer » inhérent à l’être du Dasein ne se rapporte pas à de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), et qui est de surcroît, mais uniquement à lui-même. La vérité présupposée, ou le « il y a » par lequel son être doit être déterminé a le mode ou le sens d’être du Dasein lui-même. Si nous devons nécessairement « faire » la présupposition de la vérité, c’est parce qu’elle est déjà « faite » avec l’être du « nous ». EtreTemps44

Les idées d’un « moi pur » et de « conscience (Gewissen) en général » contiennent si peu l’a priori de la subjectivité « effective » qu’elles manquent au contraire, ou même n’aperçoivent pas du tout les caractères ontologiques de la facticité et de la constitution d’être du Dasein. La récusation d’une « conscience (Gewissen) en général » ne signifie pas la négation de l’a priori, pas plus d’ailleurs que la position d’un sujet idéalisé ne garantit l’a priori intrinsèque du Dasein. EtreTemps44

L’insuffisance de la situation herméneutique dont procédait l’analyse antérieure du Dasein doit être surmontée. Dans la perspective de la pré-acquisition du Dasein total qui doit (236) nécessairement être conquise, il s’impose de demander si cet étant en tant qu’existant peut en général devenir accessible en son être-tout. Or divers arguments de poids, fondés sur la constitution d’être du Dasein lui-même, semblent établir l’impossibilité de la pré-donation ainsi exigée. EtreTemps46

La tentative d’atteindre, à partir d’une clarification du ne-pas-encore et via la caractérisation du finir, une compréhension de la totalité qui est à la mesure du Dasein (Daseinsmässig) ne (246) nous a pas conduit au but. Tout ce qu’elle a montré négativement, c’est ceci : le ne-pas-encore que le Dasein est à chaque fois répugne à être interprété comme excédent. La fin pour laquelle le Dasein est en existant n’est déterminée que de manière inadéquate par un être-à-la-fin. Mais en même temps, la réflexion a été conduite à montrer plus clairement que sa propre démarche devait être inversée. La caractérisation positive des phénomènes litigieux (ne-pas-être-encore, finir, totalité) ne peut réussir qu’au prix d’une orientation univoque sur la constitution d’être du Dasein. Mais cette univocité est négativement garantie contre les déviations par l’aperçu pris sur l’appartenance régionale des structures de la fin et de la totalité, qui sont ontologiquement contraires au Dasein. EtreTemps48

Est recherché un pouvoir-être authentique du Dasein, qui soit attesté par celui-ci même en sa possibilité existentielle. Préalablement, il faut donc que cette attestation même se laisse découvrir. Si elle doit « donner à comprendre » le Dasein à lui-même dans son existence authentique possible, c’est dans l’être du Dasein qu’elle aura sa racine. Par suite, la mise en lumière phénoménologique d’une telle attestation inclut en soi la mise en évidence de son origine à partir de la constitution d’être du Dasein. EtreTemps54

Nous demandons donc : notre analyse antérieure de la constitution d’être du Dasein nous montre-t-elle un chemin sur lequel rendre ontologiquement intelligible le mode d’être de l’appelant et, avec lui, celui de l’appeler ? Que l’appel ne soit pas expressément accompli par moi, mais au contraire que « ça » appelle, cela n’autorise pas encore à chercher l’appelant dans un étant qui ne serait pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). Or le Dasein existe bel et bien toujours facticement. Il n’est pas un se-projeter flottant en l’air, mais, déterminé par l’être-jeté comme le fait de l’étant qu’il est, il a à chaque fois été – et il demeure constamment – remis à l’existence. Cependant, la facticité du Dasein se distingue essentiellement de la factualité d’un sous-la-main. Le Dasein existant ne vient pas à la rencontre de lui-même comme d’un sous-la-main intramondain. D’autre part, l’être-jeté ne s’attache pas non plus au Dasein comme un caractère inaccessible et sans conséquence (Abfolge) pour son existence. En tant que jeté, le Dasein est jeté dans l’existence. Il existe comme un étant qui a à être comment il est et peut être. EtreTemps57

Bien que l’appel n’offre rien à la connaissance, il n’est pourtant pas seulement critique, mais positif, il ouvre le pouvoir-être le plus originaire du Dasein en tant qu’être-en-dette. La conscience (Gewissen), par suite, se manifeste comme une attestation appartenant à l’être du Dasein, où elle appelle celui-ci même devant son pouvoir-être le plus propre. Est-il possible de déterminer existentialement de façon plus concrète le pouvoir-être authentique ainsi attesté ? Au préalable s’élève cette question : le dégagement – que nous avons accompli – d’un pouvoir-être attesté dans le Dasein lui-même peut-il revendiquer une évidence suffisante, tant que n’a pas disparu l’étonnement de voir la conscience (Gewissen) interprétée ici unilatéralement par rapport à la constitution du Dasein, et précipitamment omises toutes les données qui sont familières à l’explicitation vulgaire de la conscience (Gewissen) ? Dans notre interprétation antérieure du phénomène de la conscience (Gewissen), celui-ci se laisse-t-il en général encore reconnaître comme il est (289) « effectivement » ? Ne nous sommes-nous pas bornés à déduire, avec une franchise excessive, une idée de la conscience (Gewissen) de la constitution d’être du Dasein ? EtreTemps58

Résolu, le Dasein assume authentiquement dans son existence le fait qu’il est le rien nul de sa nullité (Nichtigkeit). Nous avons conçu existentialement la mort comme la possibilité – plus haut caractérisée – de l’impossibilité de l’existence, c’est-à-dire comme pure et simple nullité (Nichtigkeit) du Dasein. La mort n’est pas surajoutée au Dasein lors de sa « fin », mais, en tant que souci, le Dasein est le fondement jeté (c’est-à-dire nul) de sa mort. La nullité (Nichtigkeit) qui transit originairement l’être du Dasein se dévoile à lui-même dans l’être pour la mort authentique. C’est le devancement qui rend pour la première fois l’être-en-dette manifeste à partir du fondement de l’être total du Dasein. Le souci abrite cooriginairement en soi la mort et la dette. La résolution devançante comprend pour la première fois le pouvoir-être-en-dette authentiquement et totalement, c’est-à-dire originairement (NA: L’être-en-dette appartenant originairement à la constitution d’être du Dasein doit être soigneusement distingué du status corruptionis au sens théologique. Certes, la théologie peut trouver dans l’être-en-dette existentialement déterminé une condition ontologique de sa possibilité factice. Cependant, la dette contenue dans l’idée de ce status est un endettement factice absolument spécifique. Il a son attestation propre, qui demeure fondamentalement fermée à toute expérience philosophique. L’analyse existentiale de l’être-en-dette ne prouve rien, ni pour, ni contre la possibilité du péché. En toute rigueur, on ne peut même pas dire que l’ontologie du Dasein laisse par elle-même cette possibilité en général ouverte, dans la mesure où, en tant que questionner philosophique, elle ne « sait » fondamentalement rien du péché.). EtreTemps62

Le phénomène libéré de la temporalité n’exige pas seulement d’être confirmé de manière plus large en sa puissance constitutive, mais encore c’est ainsi seulement qu’il peut venir sous le regard quant aux possibilités fondamentales de la temporalisation. Cette mise en évidence de la possibilité de la constitution d’être du Dasein sur la base de la temporalité, nous l’appellerons brièvement – quoique aussi provisoirement – l’interprétation « temporelle ». EtreTemps66

Que nous nous interrogions dans le cours d’analyses ontologico-existentiales sur la « naissance » de la découverte théorique à partir de la préoccupation (Besorgen) circon-specte, cela suffit (357) déjà à indiquer que ce ne sont pas ici l’histoire et l’évolution ontiques de la science, ses conditions factices et ses finalités prochaines qui seront prises pour thème. Nous interrogeant au contraire sur la genèse ontologique du comportement théorique, nous demandons : quelles sont les conditions inhérentes à la constitution d’être du Dasein et existentialement nécessaires qui permettent que le Dasein puisse exister selon la guise de la recherche scientifique ? Ce questionnement vise un concept existential de la science. De lui se distingue le concept « logique », qui comprend la science du point de vue de son résultat et la détermine comme une « connexion de dérivation de propositions vraies, c’est-à-dire valides ». Le concept existential comprend la science comme une guise de l’existence et, du même coup, comme un mode de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), mode qui découvre, ou qui ouvre de l’étant, ou de l’être. Toutefois, l’interprétation existentiale exhaustive de la science ne peut être accomplie que si le sens de l’être et la « connexion » entre être et vérité (NA: Cf. supra, §44 (EtreTemps44), p. 212 sq.) sont éclaircis à partir de la temporalité de l’existence. Les réflexions qui suivent préparent la compréhension de cette problématique centrale, à l’intérieur de laquelle seulement l’idée de la phénoménologie est elle aussi développée, en opposition à son préconcept, indiqué dans notre introduction (NA: Cf. supra, §7 (EtreTemps7), p. 27 sq.). EtreTemps69

Tous les efforts de l’analytique existentiale sont tournés vers cet unique but : trouver une possibilité de réponse à la question du sens de l’être en général. L’élaboration de cette question requiert une délimitation du phénomène où devient accessible quelque chose comme l’être – la compréhension de l’être. Or celle-ci appartient à la constitution d’être du Dasein. C’est seulement si cet étant a tout d’abord été interprété de manière suffisamment originaire que la compréhension d’être incluse dans sa constitution d’être peut elle-même être conçue, et, sur cette base, être posée la question de l’être compris en elle et des « présupposés » de ce comprendre. EtreTemps72

Que l’enquête historique, comme toute science, soit à chaque fois et facticement « dépendante », en tant que mode d’être du Dasein, de la « conception du monde dominante », il n’est pas besoin d’y insister. Néanmoins, par-delà ce fait, il est nécessaire de s’enquérir de la possibilité ontologique de l’origine des sciences à partir de la constitution d’être du Dasein. Or cette origine est encore fort peu claire. Dans le cadre présent, l’analyse ne se doit que de dégager sommairement l’origine existentiale de l’enquête historique, autant qu’il est requis pour que vienne encore plus clairement en lumière l’historialité du Dasein et son enracinement dans la temporalité. EtreTemps76

La tâche des méditations jusqu’ici poursuivies était d’interpréter ontologico-existentialement à partir de son fondement le tout originaire du Dasein factice envisagé quant aux possibilités de l’exister authentique et inauthentique. Or c’est la temporalité qui s’est manifestée comme ce fondement, et ainsi comme le sens d’être du souci. Par suite, ce que l’analytique existentiale préparatoire du Dasein avait établi avant le dégagement de la temporalité est désormais repris dans la structure originaire de la totalité d’être du Dasein, la temporalité. Des possibilités de temporalisation du temps originaire que nous avons analysées, les structures auparavant seulement « mises en évidence » ont reçu leur « justification ». Néanmoins, le dégagement de la constitution d’être du Dasein demeure seulement un chemin. Le but est l’élaboration de la question de l’être en général. L’analytique thématique de l’existence, de son côté, a tout d’abord besoin de la lumière provenant de l’idée préalablement clarifiée de l’être en général. Et cela est particulièrement vrai si le principe exprimé dans notre introduction est maintenu comme mesure de toute recherche philosophique : la philosophie est ontologie phénoménologique universelle, partant de l’herméneutique du Dasein, qui, en tant qu’analytique de l’existence, a fixé le terme du fil conducteur de tout questionner philosophique là où il jaillit et vers où il rejaillit (NA: Cf. supra, §7 (EtreTemps7), p. 38.). Bien entendu, cette thèse ne doit pas non plus être prise comme un dogme, mais comme la formulation d’un problème fondamental encore « enveloppé » : l’ontologie se laisse-t-elle ontologiquement fonder, ou bien est-il besoin pour cela d’un fondement ontique, et quel étant doit-il assumer la fonction de la fondation ? EtreTemps83