Aufruf [SZ]
La conscience [Gewissen] donne « quelque chose » à comprendre, elle ouvre. De cette caractéristique formelle, un impératif résulte : le phénomène doit être repris dans l’ouverture du Dasein. Cette constitution fondamentale de l’étant que nous sommes à chaque fois nous-mêmes est elle-même constituée par l’affection, le comprendre, l’échéance et le parler. L’analyse plus pénétrante de la conscience [Gewissen] la dévoilera comme appel. L’appeler est un mode du parler. L’appel de la conscience [Gewissen] a le caractère de l’ad-vocation [An-ruf] du Dasein vers son pouvoir-être-Soi-même le plus propre, et cela selon la guise de la con-vocation [Aufruf] à son être-en-dette le plus propre. EtreTemps54
Mais comment devons-nous maintenant déterminer le parlé de ce parler ? Que crie donc la conscience [Gewissen] à celui qu’elle ad-voque ? En toute rigueur – rien ! L’appel n’énonce rien, il ne donne aucune information sur des événements du monde, il n’a rien à raconter. Encore moins aspire-t-il à ouvrir dans le Soi-même ad-voqué un « colloque avec soi-même ». Au Soi-même ad-voqué, rien n’est crié, mais il est con-voqué à lui-même, c’est-à-dire à son pouvoir-être le plus propre. L’appel, conformément à sa tendance propre, n’invite point le Soi-même ad-voqué à un « débat », mais, en tant que con-vocation [Aufruf] au pouvoir-être-Soi-même le plus propre, il est une pro-vocation (vocation vers « l’avant ») du Dasein à ses possibilités les plus propres. EtreTemps56
Il faut le maintenir : l’appel qui nous a servi à caractériser la conscience [Gewissen] est ad-vocation [An-ruf] du On-même en son Soi-même ; en tant que tel, il est la con-vocation [Aufruf] du Soi-même à son pouvoir-être-Soi-même, et, du même coup une pro-vocation du Dasein vers ses possibilités. EtreTemps56
L’appelant n’est « mondainement » déterminable par rien en son qui. Il est le Dasein en son étrang(èr)eté, il est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] originellement jeté en tant qu’hors-de-chez-lui, il est [277] le « que » nu dans le rien du monde. L’appelant est non-familier au On-même quotidien [alltäglich] – quelque chose comme une voix étrangère. Et qu’est-ce qui pourrait être plus étranger au On, perdu qu’il est dans la diversité du « monde » de sa préoccupation [Besorgen], que le Soi-même isolé sur soi dans l’étrang(èr)eté, jeté dans le rien ? « Ça » appelle, et pourtant cela ne donne rien à entendre à l’oreille préoccupée et curieuse qui puisse après coup être répété et publiquement commenté. Et en effet, que pourrait bien relater le Dasein à partir de l’étrang(èr)eté de son être jeté ? Que lui reste-t-il d’autre que le pouvoir-être de lui-même, dévoilé dans l’angoisse ? Comment pourrait-il appeler autrement qu’en une con-vocation [Aufruf] à ce pouvoir-être dont il y va uniquement pour lui ? EtreTemps57
Pour saisir phénoménalement ce qui est entendu dans la compréhension de l’ad-vocation [An-ruf], il convient d’en revenir une fois de plus à celle-ci. L’ad-voquer du On-même signifie une con-vocation [Aufruf] du Soi-même le plus propre à son pouvoir-être, et cela en tant que Dasein, c’est-à-dire en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé et être-avec [Mitsein] avec les autres. L’interprétation existentiale de ce à quoi l’appel con-voque ne peut donc, pour autant qu’elle se comprenne bien dans ses possibilités et ses tâches méthodiques, entreprendre de délimiter telle ou telle possibilité concrète singulière d’existence. Ce qui peut et demande à être fixé, ce n’est pas ce qui, à chaque fois et existentiellement, est « crié » dans chaque Dasein et vers celui-ci, mais ce qui appartient à la condition existentiale de possibilité du pouvoir-être à chaque fois factice-existentiel. EtreTemps58
Il semble ainsi que ce que le Dasein se donne à comprendre de cette manière représente bien une connaissance de lui-même, et que ce qui correspond à un tel appel soit une prise de connaissance en fait du « en-dette ». Mais si l’appel doit même avoir le caractère du con-voquer, cette explicitation de la conscience [Gewissen] ne conduit-elle pas à une perversion consommée de la fonction de la conscience [Gewissen] ? Con-voquer à l’être-en-dette, cela ne signifie-t-il pas une con-vocation [Aufruf] à la méchanceté ? EtreTemps58
Assurément, l’interprétation la plus violente n’ira jamais jusqu’à charger la conscience [Gewissen] d’une telle signification provocante… Dès lors, que peut bien signifier encore une « con-vocation [Aufruf] » à l’être-en-dette ? EtreTemps58
Quadruple est l’objection que l’explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen] pourrait adresser à notre interprétation de la conscience [Gewissen] comme con-vocation [Aufruf] du souci à l’être-en-dette : 1. La conscience [Gewissen] a essentiellement une fonction critique. 2. La conscience [Gewissen] parle à chaque fois relativement à un acte déterminé, accompli ou voulu. 3. Sa « voix », d’après l’expérience, n’est jamais rapportée si radicalement à l’être du Dasein. 4. L’interprétation exposée ne tient aucun compte des formes fondamentales du phénomène, de la « mauvaise » et de la « bonne » conscience [Gewissen], de la conscience [Gewissen] qui « réprimande » et qui « avertit ». EtreTemps59
Commençons notre élucidation par la dernière des réserves citées. Dans toutes les explicitations de la conscience [Gewissen], c’est la « mauvaise » conscience [Gewissen] qui a la primauté. La conscience [Gewissen] est primairement « mauvaise ». Ce qui s’annonce ici, c’est que toute expérience de la conscience [Gewissen] commence par expérimenter quelque chose comme un « en-dette ». Mais comment, suivant cette idée de la mauvaise conscience [Gewissen], l’attestation de l’être-méchant est-elle comprise ? Le « vécu de conscience [Gewissen] » surgit après l’acte – ou l’omission – qui a été commis. La voix de la conscience [Gewissen] fait suite à l’exécution et elle renvoie à l’événement survenu par lequel le Dasein s’est chargé d’une dette. Si la conscience [Gewissen] annonce une « dette », alors elle ne peut accomplir cela en tant que con-vocation [Aufruf] à…, mais en tant que renvoi qui rappelle la dette contractée. EtreTemps59
Avec cette caractérisation du degré d’originarité des idées de « mauvaise » et de « bonne » conscience [Gewissen], il est déjà décidé du même coup de celle de la distinction entre une conscience [Gewissen] qui avertit prospectivement et une conscience [Gewissen] qui réprimande rétrospectivement. Sans doute, l’idée de conscience [Gewissen] admonitrice semble se rapprocher autant qu’il est possible de la con-vocation [Aufruf] à…, puisqu’elle partage avec celle-ci le caractère du signifier en avant… Et pourtant, cette concordance n’est qu’apparente. En effet, l’expérience d’une conscience [Gewissen] admonitrice ne veut à nouveau envisager la voix que comme orientée sur l’acte voulu, acte dont elle veut préserver. L’admonition, en tant qu’elle réfrène ce qui est voulu, n’est cependant possible que parce que l’appel qui « avertit » vise le pouvoir-être du Dasein, autrement dit le se-comprendre dans l’être-en-dette, contre lequel seulement le « voulu » peut se briser. La conscience [Gewissen] admonitrice a la fonction de la régulation momentanée de l’abstention de toute endettement. À nouveau, l’expérience de la conscience [Gewissen] admonitrice n’aperçoit la tendance appelante de la conscience [Gewissen] que dans la mesure où elle demeure accessible à l’entente du On. EtreTemps59
L’interprétation existentiale doit dégager une attestation, présente dans le Dasein lui-même, de son pouvoir-être le plus propre. La guise en laquelle la conscience [Gewissen] atteste n’est pas une annonce indifférente, mais une con-vocation [Aufruf] pro-vocante à l’être-en-dette. Ce qui est ainsi attesté est « saisi » dans l’entendre qui comprend sans déguisement l’appel au sens visé par celui-ci même. Seule la compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] en tant que mode d’être du Dasein livre la réalité phénoménale de ce qui est attesté dans l’appel de la conscience [Gewissen]. Ce comprendre authentique de l’appel, nous le caractérisions comme vouloir-avoir-conscience [Gewissen]. Ce laisser-agir-en-soi le Soi-même le plus propre à partir de lui-même en son être-en-dette représente phénoménalement le pouvoir-être authentique attesté dans le Dasein même. Or la structure existentiale de ce pouvoir-être, voilà ce qui désormais doit être libéré. Ainsi seulement pourrons-nous pénétrer jusqu’à la constitution fondamentale – ouverte dans le Dasein lui-même – de l’authenticité de son existence. EtreTemps60