Dans quelle mesure, en caractérisant l’à-portée-de-la-main, avons-nous d’ores et déjà rencontré sa spatialité ? Il a été question de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Or cette expression ne désigne pas seulement l’étant qui à chaque fois fait encontre d’abord, avant d’autres étants, mais aussi et en même temps l’étant qui est « à proximité ». L’à-portée-de-la-main de l’usage quotidien (alltäglich) a le caractère de la proximité. Cette proximité de l’outil (Zeug), a y regarder de plus près, est déjà suggérée dans le terme même qui exprime son être : « être-à-portée-de-la-main ». L’étant « à main » a à chaque fois une proximité différente, qui n’est point fixée par la mesure de distances. Cette proximité se règle bien plutôt à partir d’une utilisation et d’un emploi qui ne la « prennent en compte » que de manière circon-specte. En même temps, la circon-spection de la préoccupation (Besorgen) fixe l’étant ainsi proche au point de vue de la direction où l’outil (Zeug) est à chaque fois accessible. La proximité orientée de l’outil (Zeug) signifie qu’il n’a pas seulement, quelque part sous-la-main, son emplacement dans l’espace, mais que, en tant qu’outil (Zeug), il est essentiellement « amené », « remisé », « mis en place », « disposé ». Ou bien l’étant a sa place, ou bien il « traîne » – ce dernier cas devant être fondamentalement distingué de la pure survenance en un quelconque point de l’espace. La place se détermine à chaque fois comme place de cet outil (Zeug) pour… – à partir de la totalité des places, orientées les unes vers les autres, du complexe d’outils à-portée-de-la-main sur le mode du monde ambiant. La place et la diversité des places ne sauraient être interprétées comme le « où » d’un quelconque être-sous-la-main des choses. La place est toujours le « là-bas » et le « là » déterminés de la destination (NT: Le mot allemand (Hingehören) ne connotant pas ici une « finalité », mais le fait d’« avoir sa place », d’« être à sa place ».) d’un outil (Zeug), laquelle destination correspond à chaque fois au (103) caractère d’outil (Zeug) de l’à-portée-de-la-main, c’est-à-dire à l’appartenance à une totalité d’outils qui lui est assignée par sa tournure (Bewandtnis). Toutefois, la destination emplaçable d’une totalité d’outils a pour condition de possibilité le « vers où » en général en lequel est assignée à un complexe d’outils la totalité de la place. Ce « vers où » de la destination outil (Zeug)itaire possible tenu d’avance sous le regard circon-spect de l’usage préoccupé, nous le nommons la contrée. EtreTemps22
Des contrées ne sont point d’abord formées par des choses ensemble sous-la-main, elles sont au contraire à chaque fois déjà à-portée-de-la-main aux places singulières. Les places sont elles-mêmes assignées à l’à-portée-de-la-main dans la circon-spection de la préoccupation (Besorgen), ou bien elles sont trouvées. De l’étant constamment à-portée-de-la-main, que l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) circon-spect prend d’emblée en compte, a dès lors sa place. Le « où » de son être-à-portée-de-la-main est mis en compte pour la préoccupation (Besorgen) et orienté sur le reste de l’à-portée-de-la-main. C’est ainsi que le soleil, dont la lumière et la chaleur sont quotidienne (alltäglich)ment en usage, a ses places privilégiées, découvertes de manière circon-specte, à partir de l’employabilité changeante de ce qu’il dispense : lever, midi, coucher, minuit. Les places de cet étant à-portée-de-la-main de façon tour à tour changeante et constante deviennent des « indications » spéciales des contrées qui se trouvent en elles. Ces contrées célestes, qui n’ont encore nul besoin de posséder un sens géographique, pré-donnent son « vers où » préalable à toute configuration particulière de contrées occupables par des places. La maison a son côté exposé au soleil et son côté ombragé; c’est « vers » eux que la répartition des « lieux » est (104) orientée, et, au sein de celle-ci, également l’« aménagement » à chaque fois conforme à leur caractère d’outils. Des églises et des tombeaux, par exemple, sont orientés d’après le lever et le coucher du soleil, ces contrées de la vie et de la mort à partir desquelles le Dasein lui-même est déterminé quant à ses possibilités les plus propres d’être dans le monde. La préoccupation (Besorgen) du Dasein, pour qui il y va en son être de cet être même, découvre d’emblée les contrées dont il retourne à chaque fois décisivement. La découverte préalable des contrées est co-déterminée par la tournure (Bewandtnis) à laquelle est libéré l’à-portée-de-la-main en tant qu’il fait en-contre. EtreTemps22
En tant qu’être-à é-loignant, le Dasein a en même temps le caractère de l’orientation. Tout approchement a déjà appréhendé d’avance une direction dans une contrée à partir de laquelle l’é-loigné s’approche de façon à devenir ainsi trouvable quant à sa place. La préoccupation (Besorgen) circon-specte est é-loignement (Entfernung) orientant. Dans cette préoccupation (Besorgen), c’est-à-dire dans l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) du Dasein lui-même, le besoin de « signes » est prédonné ; cet outil (Zeug) assume la fonction d’une indication explicite et aisée de directions. Il tient expressément ouvertes les contrées utilisées par la circon-spection – le vers-où de la destination, de l’accès, de l’apport. En tant qu’il est, le Dasein est orientant-éloignant, il a à chaque fois déjà sa contrée découverte. L’orientation aussi bien que l’é-loignement (Entfernung), en tant que modes d’être de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), sont d’emblée guidés par la circon-spection de la préoccupation (Besorgen). EtreTemps23
C’est ce que manifeste l’aigreur. Dans l’aigreur, le Dasein devient aveugle à lui-même, le monde ambiant de la préoccupation (Besorgen) se voile, la circon-spection de la préoccupation (Besorgen) se fourvoie. L’affection est si peu réfléchie qu’elle tombe justement sur le Dasein tandis qu’il est adonné et livré sans réfléchir au « monde » dont il se préoccupe. La tonalité assaille. Elle ne vient ni de l’« extérieur », ni de l’« intérieur », mais, en tant que guise de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), elle monte de celui-ci même. Or, avec cette détermination, nous sommes en mesure de dépasser une simple délimitation négative de l’affection par rapport à la saisie réflexive de (137) l’« intérieur » et d’accéder à un aperçu positif dans son caractère d’ouverture. La tonalité a à chaque fois déjà ouvert l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) en tant que totalité, et c’est elle qui permet pour la première fois de se tourner vers… L’être-intoné ne se rapporte pas de prime abord à du psychique, il n’est pas lui-même un état intérieur qui s’extérioriserait ensuite mystérieusement pour colorer les choses et les personnes. Et c’est en quoi se manifeste le second caractère d’essence de l’affection. Elle est un mode existential fondamental de l’ouverture cooriginaire du monde, de l’être-Là-avec (Mitdasein) et de l’existence, parce que celle-ci est elle-même essentiellement être-au-monde (In-der-Welt-sein). EtreTemps29
Le comprendre, en son caractère de projet, constitue existentialement ce que nous appelons la vue du Dasein. Cette vue existentialement coprésente à l’ouverture du Là, le Dasein l’est cooriginairement selon les guises fondamentales de son être qu’on a caractérisées, c’est-à-dire la circon-spection de la préoccupation (Besorgen), l’égard de la sollicitude (Fürsorge), et il l’est en tant que vue sur l’être même en-vue-de-quoi le Dasein est chaque fois comme il est (NT: La syntaxe de la phrase est délicate, mais le sens me paraît prescrire de construire ainsi : « le Dasein est la vue… en tant que vue sur l’être… » (la deuxième occurrence de « vue » fonctionnant comme attribut de la première) – autrement dit de ne pas coordonner, comme BW, « vue sur l’être » à « circon-spection » et « égard ». Bref : que ce soit selon la guise de la circon-spection ou de l’égard, le Dasein est vue, à savoir vue sur son être possible. ). La vue qui se rapporte primairement et en totalité à l’existence, nous l’appelons la translucidité. Nous choisissons ce terme pour désigner la « connaissance de soi » bien comprise, c’est-à-dire pour indiquer qu’il ne s’agit pas dans celle-ci d’une détection et d’une contemplation perceptives d’un point fixe du Soi-même, mais d’une saisie compréhensive de l’ouverture pleine de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) à travers ses moments constitutifs essentiels. L’existant ne « se » voit que pour autant qu’il est devenu pour soi cooriginairement translucide dans son être auprès du monde et dans l’être-avec (Mitsein) autrui comme moments constitutifs de son existence. EtreTemps31
Montrer que toute vue se fonde primairement dans le comprendre – la circon-spection de la préoccupation (Besorgen) est le comprendre comme entente – revient à enlever au pur intuitionner sa primauté, laquelle correspond noétiquement à la primauté ontologique traditionnelle du sous-la-main. « Intuition » et « pensée » sont déjà toutes deux des dérivés lointains du comprendre. Même la « vision des essences » phénoménologique se fonde dans le comprendre existential. Sur un tel mode de vision, il n’est possible de trancher qu’à condition que soient conquis les concepts explicites de l’être et de la structure d’être où seulement des phénomènes peuvent revêtir leur sens phénoménologique. EtreTemps31