L’expression complexe « être-au-monde [In-der-Welt-sein] » indique en sa formation même que c’est un phénomène unitaire qui est visé par là. Cette donnée primaire doit être aperçue en son tout. L’indissolubilité en parcelles subsistantes n’exclut point une pluralité de moments structurels constitutifs de cette constitution. Le phénomène indiqué par cette expression autorise en fait une triple perspective. Il est permis, tout en maintenant d’emblée la totalité du phénomène, d’y dégager : 1. Le « au-monde » : par rapport à ce moment, s’impose la tâche de s’enquérir de la structure ontologique du « monde » et de déterminer l’idée de la mondanéité [Weltlichkeit] comme telle (chapitre III de la présente section). 2. L’étant qui est selon la guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. S’enquérir de lui, c’est s’enquérir de ce que nous interpellons dans la question « qui ? » Une mise en lumière phénoménologique doit permettre de déterminer qui est sur le mode de la quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre du Dasein (chapitre IV). 3. L’être-à… comme tel ; la constitution ontologique de l’inhérence doit être mise en évidence (chapitre V). Toute mise en relief de l’un de ces moments constitutifs ne peut aller sans celle des autres, autrement dit : sans un aperçu, à chaque fois, sur le tout du phénomène. Si cependant l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] est une constitution a priori nécessaire du Dasein, il s’en faut de beaucoup qu’elle suffise à déterminer pleinement son être [NT: Telle quelle, cette phrase intermédiaire demeure ici assez obscure ; elle anticipe sur le §28 [EtreTemps28], où elle recevra son explication.]. Avant d’engager l’analyse thématique particulière des trois phénomènes à l’instant distingués, il convient donc, afin de lui procurer une orientation, de caractériser le dernier moment constitutif cité. EtreTemps12
Que veut-il dire être à… ? Immédiatement, nous ajoutons à cette expression son complément : être « au-monde », et nous inclinons à comprendre cet être-à… comme un « être dans… » [NT: L’être-au-monde [In-der-Welt-sein], c’est en effet en allemand « das In-der-Welt-sein », c’est-à-dire littéralement l’être-dans-le-monde. H. distingue ici du sens verbal d’être dans (Sein in) le sens proprement ontologique d’être-à… (In-Sein).]. Ce dernier terme nomme le mode d’être d’un étant qui est « dans » un autre comme [54] l’eau « dans » le verre, le vêtement « dans » l’armoire. Par le mot in, nous comprenons d’abord le rapport de deux étants étendus « dans » l’espace du point de vue de leur lieu dans cet espace. Eau et verre, vêtement et armoire sont tous deux de la même façon « dans » l’espace, « en » un lieu. De plus, cette relation d’être peut être prolongée ; par exemple : le banc est dans la salle de cours, la salle dans l’Université, l’Université dans la ville, etc., bref, le banc est « dans l’espace mondial ». Ces divers étants dont on peut ainsi déterminer l’être-l’un-« dans »-l’autre ont tous le même et unique mode d’être de l’être-sous-la-main, en tant que choses survenant « à l’intérieur » du monde. L’être-sous-la-main « dans » un étant sous-la-main, l’être-ensemble-sous-la-main-avec quelque chose ayant le même mode d’être au sens d’un rapport déterminé de lieu, ce sont là des caractères que nous qualifiions de catégoriaux, qui appartiennent à l’étant n’ayant pas le mode d’être du Dasein. EtreTemps12
Le bavardage [Gerede], qui referme selon la guise qu’on a caractérisée, est le mode d’être de la compréhension déracinée du Dasein. Pourtant, il ne survient point comme un état sous-la-main d’un étant sous-la-main, mais il est lui-même existentialement déraciné selon la guise d’un déracinement constant. Ontologiquement : le Dasein qui se tient dans le bavardage [Gerede] est coupé, en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein], des rapports d’être primaires et originaires au monde, à l’être-Là-avec [Mitdasein], à l’être-à lui-même. Il se tient dans un suspens, et, en cette guise, il est pourtant toujours auprès du « monde », avec les autres et pour lui-même. Seul un étant dont l’ouverture est constituée par le bavardage [Gerede] affecté et compréhensif, autrement dit qui est en cette constitution ontologique son Là, le « au-monde », a la possibilité d’être d’un tel déracinement, lequel constitue moins un non-être du Dasein que sa « réalité » la plus quotidienne [alltäglich] et la plus tenace. EtreTemps35