Dasein
Mais si la question du sens de l’être ne commet aucun « cercle démonstratif », elle ne s’en caractérise pas moins par une « rétro-» et « pré-référence » du questionné (être) au questionner en tant que mode d’être d’un étant. Ce concernement essentiel du questionner par son questionné appartient au sens le plus propre de la question de l’être. Or cela signifie simplement que l’étant qui a le caractère du DASEIN est lui-même en rapport – et peut-être même en un rapport insigne – à la question de l’être. Or à travers ce rapport un étant déterminé ne se trouve-t-il pas déjà assigné en sa primauté d’être ? L’étant exemplaire qui doit fonctionner comme l’interrogé premier de la question de l’être n’est-il pas déjà prédonné ? Mais il s’en faut que les élucidations précédentes suffisent à manifester la primauté du DASEIN, ou à décider de sa fonction possible ou même nécessaire d’étant à interroger primairement. Au moins quelque chose comme une primauté du DASEIN s’est-elle annoncée à nous. (§2 [EtreTemps2])
Le DASEIN est un étant qui ne se borne pas à apparaître au sein de l’étant. Il possède bien plutôt le privilège ontique suivant : pour cet étant, il y va en son être de cet être. Par suite, il appartient à la constitution d’être du DASEIN d’avoir en son être un rapport d’être à cet être. Ce qui signifie derechef que le DASEIN se comprend d’une manière ou d’une autre et plus ou moins expressément en son être. À cet étant, il échoit ceci que, avec et par son être, cet être lui est ouvert à lui-même. La compréhension de l’être est elle-même une déterminité d’être du DASEIN. Le privilège ontique du DASEIN consiste en ce qu’il est ontologique. (§4 [EtreTemps4])
Nous appelons l’ensemble cohérent de ces structures l’existentialité. L’analytique de celle-ci a [13] le caractère d’un comprendre non pas existentiel, mais existential. La tâche d’une analytique existentiale du DASEIN est pré-dessinée, du point de vue de sa possibilité et de sa nécessité, dans la constitution ontique du DASEIN. (§4 [EtreTemps4])
La primauté ontico-ontologique du DASEIN est par conséquent cela même qui explique que sa constitution spécifique d’être – entendue au sens de la structure « catégoriale » appartenant au DASEIN – lui demeure recouverte. Le DASEIN est ontiquement « au plus près » de lui-même, ontologiquement au plus loin, sans être pour autant préontologiquement étranger à lui-même. (§5 [EtreTemps5])
L’analytique du DASEIN ainsi conçue demeure entièrement orientée sur la tâche directrice de l’élaboration de la question de l’être. C’est par là que se déterminent ses limites. Elle ne peut prétendre fournir une ontologie complète du DASEIN – laquelle bien entendu doit être construite si quelque chose comme une « anthropologie philosophique » doit un jour s’élever sur une base philosophiquement suffisante. L’interprétation qui suit apportera seulement quelques « éléments », certes non dénués d’importance, au projet d’une anthropologie possible, ou plutôt de sa fondamentation ontologique. Cependant, l’analyse du DASEIN est non seulement incomplète, mais encore et avant tout provisoire. Elle dégage seulement d’abord l’être de cet étant, sans interpréter son sens. C’est la libération de l’horizon pour l’interprétation la plus originelle de l’être qu’elle est bien plutôt destinée à préparer. Que celle-ci soit d’abord acquise, et alors l’analytique préparatoire du DASEIN exigera d’être répétée (NT: On ne confondra évidemment pas cette répétition générale avec celle, plus restreinte, de la section 1 par la section 2 dont va parler l’alinéa suivant) sur une base ontologique plus élevée et authentique. (§5 [EtreTemps5])
On l’a montré de manière sommaire : au DASEIN appartient à titre de constitution ontique un être préontologique. Le DASEIN est selon une guise telle que, étant, il comprend quelque chose comme l’être. Cette relation étant maintenue, il faut montrer que ce à partir de quoi le DASEIN en général comprend et explicite silencieusement quelque chose comme l’être est le temps. Celui-ci doit être mis en lumière et originairement conçu comme l’horizon de toute compréhension et explicitation de l’être. Et pour faire apercevoir cela, il est besoin d’une explication originelle du temps comme horizon de la compréhension de l’être à partir de la temporalité comme être du DASEIN qui comprend l’être. En même temps, la totalité de cette tâche inclut l’exigence de délimiter le concept du temps ainsi obtenu par rapport à la [18] compréhension vulgaire du temps telle qu’elle est devenue explicite dans l’interprétation déposée dans le concept traditionnel du temps, lequel se maintient d’Aristote jusqu’à Bergson et au-delà. Ce qui implique de montrer clairement que et comment ce concept du temps et la compréhension vulgaire du temps en général jaillissent de la temporalité. Ainsi son droit autonome sera-t-il restitué au concept vulgaire du temps – en opposition à la thèse de Bergson qui veut que le temps visé par là soit de l’espace. (§5 [EtreTemps5])
Toute recherche – à commencer par celle qui se meut dans l’orbe de la question centrale de l’être – est une possibilité ontique du DASEIN. L’être de celui-ci trouve son sens dans la temporalité. Celle-ci, toutefois, est en même temps la condition de possibilité de l’historialité en tant que mode d’être temporel du DASEIN lui-même, abstraction faite de la question de savoir si et comment il est un étant « dans le temps ». La détermination de l’historialité est antérieure à ce que l’on appelle histoire (procès de l’histoire mondiale). L’historialité désigne la constitution d’être du « provenir » du DASEIN comme tel, provenir sur [20] la base duquel seulement est possible quelque chose comme une « histoire du monde » et une appartenance historique à cette histoire. Le DASEIN est à chaque fois en son être factice, comme et « quel » il était déjà. Expressément ou non, il est son passé, et il ne l’est pas seulement en ce sens que son passé se glisserait pour ainsi dire « derrière » lui, qu’il posséderait du passé comme une qualité encore sous-la-main qui parfois manifesterait ses effets en lui. Le DASEIN « est » son passé sur le mode de son être, lequel, pour le dire grossièrement, « provient » à chaque fois à partir de son avenir. Dans toute guise d’être à lui propre, donc aussi dans la compréhension d’être qui lui appartient, le DASEIN est pris dans une interprétation traditionnelle du DASEIN, il a grandi en elle. C’est à partir d’elle qu’il se comprend d’abord, et même en un sens constamment. Cette compréhension ouvre les possibilités de son être et les règle. Son passé propre – autant dire toujours celui de sa « génération » – ne suit pas le DASEIN, il le précède au contraire toujours déjà. (§6 [EtreTemps6])
Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant – l’ontologie. Lors de notre éclaircissement des tâches de l’ontologie, nous est apparue la nécessité d’une ontologie-fondamentale ayant pour thème l’étant ontologico-ontiquement privilégié, le DASEIN, mais aussi pour intention de se convoquer devant le problème cardinal, à savoir la question du sens de l’être en général. Or la recherche même nous montrera que le sens méthodique de la description phénoménologique est l’explicitation. Le logos de la phénoménologie du DASEIN a le caractère de l’hermeneuein par lequel sont annoncés à la compréhension d’être qui appartient au DASEIN lui-même le sens authentique de l’être et les structures fondamentales de son propre être. La phénoménologie du DASEIN est herméneutique au sens originel du mot, d’après lequel il désigne le travail de l’explicitation. Cependant, dans la mesure où par la mise à découvert du sens de l’être et des structures fondamentales du DASEIN en général est ouvert l’horizon de toute recherche ontologique ultérieure sur l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN, cette herméneutique devient en même temps « herméneutique » au sens de l’élaboration des conditions de possibilité de toute recherche ontologique. Et pour autant, enfin, que le DASEIN a la primauté ontologique sur tout étant – en tant qu’il est dans la possibilité de l’existence -, l’herméneutique en tant qu’explicitation [38] de l’être du DASEIN reçoit un troisième sens spécifique, à savoir le sens, philosophiquement premier, d’une analytique de l’existentialité, de l’existence. Dans cette herméneutique, en tant qu’elle élabore ontologiquement l’historialité du DASEIN comme la condition ontique de possibilité de la recherche historique, s’enracine par conséquent ce qui n’est nommé que dérivativement « herméneutique » : la méthodologie des sciences historiques de l’esprit. (§7 [EtreTemps7])
L’être, en tant que thème fondamental de la philosophie, n’est pas un genre d’étant, et pourtant il concerne tout étant. Son « universalité » doit être cherchée plus haut. Être et structure d’être excèdent tout étant et toute déterminité étante possible d’un étant. L’être est le transcendens par excellence. La transcendance de l’être du DASEIN est une transcendance insigne, dans la mesure où en elle réside la possibilité et la nécessité de la plus radicale individuation. Toute mise à jour de l’être comme transcendens est connaissance transcendantale. La vérité phénoménologique (ouverture de l’être) est veritas transcendantalis. (§7 [EtreTemps7])
Et le DASEIN, derechef, est à chaque fois mien en telle ou telle guise déterminée d’être. Il s’est toujours déjà en quelque façon décidé en quelle guise le DASEIN est à chaque fois mien. L’étant pour lequel en son être il y va de cet être même se rapporte à son être comme à sa possibilité la plus propre. Le DASEIN est à chaque fois sa possibilité, il ne l’« a » pas sans plus de manière qualitative, comme quelque chose de sous-la-main. Et c’est parce que le DASEIN est à chaque fois essentiellement sa possibilité que cet étant peut se « choisir » lui-même en son être, se gagner, ou bien se perdre, ou ne se gagner jamais, ou se gagner seulement « en apparence ». S’être perdu ou ne s’être pas encore gagné, il ne le peut que pour autant que, en son essence, il est un DASEIN authentique possible, c’est-à-dire peut être à lui-même en propre. (§9 [EtreTemps9])
[43] Les deux modes d’être de l’authenticité et de l’inauthenticité – l’une et l’autre expressions étant choisies terminologiquement et au sens strict du terme – se fondent dans le fait que le DASEIN est en général déterminé par la mienneté. Cependant, l’inauthenticité du DASEIN ne signifie point par exemple un « moins »-être ou un degré d’être « plus bas ». Elle peut au contraire déterminer le DASEIN selon sa concrétion la plus pleine, dans sa capacité d’être occupé, stimulé, intéressé, réjoui. (§9 [EtreTemps9])Au cours de nos élucidations préparatoires (§9), nous avons déjà discerné un certain nombre de caractères d’être, qui doivent jeter sur la suite de notre recherche une lumière sûre, mais n’obtiendront en même temps leur concrétion structurale que de cette recherche même. [53] Le DASEIN est l’étant qui, se comprenant en son être, se rapporte à cet être [NT: Autre traduction possible de cette phrase ambiguë : « Le DASEIN est l’étant qui, en son être, se rapporte compréhensivement à cet être » (ainsi en substance, BW).]. Ainsi est indiqué le concept formel d’existence. Le DASEIN existe. Le DASEIN, en outre, est l’étant que je suis à chaque fois moi-même. Au DASEIN existant appartient la mienneté comme condition de possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité. Le DASEIN existe à chaque fois en l’un de ces modes, ou dans leur indifférence modale. (§12 [EtreTemps12])
L’« être-auprès » du monde en tant qu’existential ne peut en aucun cas signifier de chose survenantes. Un « être-à-côté » d’un étant nommé DASEIN et d’un autre étant nommé « monde », cela n’existe pas. D’ailleurs, nous avons coutume d’exprimer parfois l’être-ensemble de deux choses sous-la-main en disant : « La table est auprès de la porte », « la chaise touche le mur ». Mais de « contact », il ne saurait ici être question en toute rigueur, non seulement parce qu’un examen plus attentif finit toujours par constater l’existence d’un espace intermédiaire entre la chaise et le mur, mais plutôt parce que la chaise ne peut fondamentalement pas toucher le mur, quand bien même l’espace intermédiaire en question s’annulerait. Pour cela, en effet, il faudrait que le mur puisse faire encontre « à » la chaise. Un étant ne peut toucher un étant sous-la-main à l’intérieur du monde que s’il a nativement le mode d’être de l’être-à… – que si, avec son Da-sein, lui est déjà découvert quelque chose comme un monde à partir duquel de l’étant puisse se manifester dans le contact, pour ainsi devenir accessible en son être-sous-la-main. Deux étants qui sont sous-la-main à l’intérieur du monde et, qui plus est, sont en eux-mêmes sans-monde ne sauraient se « toucher », aucun des deux ne peut « être auprès de » l’autre. Notre ajout : « et qui de surcroît sont sans-monde » ne doit pas être omis, puisque même un étant qui n’est pas sans-monde – par exemple le DASEIN lui-même – est sous-la-main « dans » le monde, plus exactement peut être appréhendé avec un certain droit et dans certaines limites comme seulement sous-la-main. Ce qui exige de faire totalement abstraction de, ou ne pas apercevoir du tout la constitution existentiale de l’être-à… Néanmoins, il n’est pas question de confondre cette appréhension possible du « DASEIN » comme étant, ou n’étant plus que sous-la-main, avec certain mode d’« être-sous-la-main » propre au DASEIN. Ce mode, en effet, n’est plus accessible à qui fait abstraction des structures spécifiques du DASEIN, mais au contraire seulement à qui les comprend d’emblée. Le DASEIN [56] comprend son être le plus propre au sens d’un certain « être-sous-la-main factuel » (NA: Cf. infra, §29, p. [134-140]). Et pourtant la « factualité » du fait du DASEIN propre est ontologiquement sans commune mesure avec la survenance factuelle d’une espèce minérale. La factualité propre au fait du DASEIN, ce mode en lequel tout DASEIN est à chaque fois, nous l’appelons sa facticité. La structure compliquée de cette déterminité d’être ne peut elle-même être saisie comme problème qu’à la lumière d’une élaboration préalable des constituants existentiaux fondamentaux du DASEIN. Le concept de facticité inclut ceci : l’être-au-monde d’un étant « intramondain », mais d’un étant capable de se comprendre comme lié en son « destin » à l’être de l’étant qui lui fait encontre à l’intérieur de son propre monde. (§12 [EtreTemps12])
L’être-à…, on l’a dit, n’est point une « qualité » que le DASEIN possède à tel moment ou ne possède pas à tel autre, sans laquelle il pourrait être aussi bien qu’avec elle. L’homme n’« est » pas, en ayant encore et de surcroît un rapport d’être au « monde », que de temps en temps il exercerait. Le DASEIN n’est jamais « d’abord » un étant pour ainsi dire « libre-d’être-à… », qui aurait occasionnellement envie d’assumer une « relation » au monde. Assumer de telles relations au monde n’est possible que parce que le DASEIN est comme être-au-monde ce qu’il est. Cette constitution d’être ne prend pas naissance du simple fait qu’en dehors de l’être qui a le caractère du DASEIN est sous-la-main un autre type d’étant qui se rencontrerait avec lui. « Se rencontrer avec » le DASEIN, cet autre étant ne le peut que pour autant qu’il peut en général se montrer à partir de lui-même à l’intérieur d’un monde. (§12 [EtreTemps12])
Tandis qu’il s’oriente vers l’étant et qu’il le saisit, le DASEIN ne sort point de sa sphère intérieure où il serait d’abord enfermé, mais, conformément à son mode d’être originel, il est toujours déjà « dehors », auprès d’un étant qui lui fait encontre dans le monde à chaque fois déjà découvert. Quant au séjour déterminant auprès de l’étant à connaître, il n’est pas davantage un abandon de la sphère intérieure : même en cet « être-dehors » auprès de l’objet, le DASEIN est « à l’intérieur », mais en ce sens précis que c’est lui-même, en tant qu’être-au-monde, qui connaît. Enfin, l’accueil du connu ne doit pas être compris comme un retour, après la sortie qui lui a permis de s’en saisir, du sujet, chargé de son butin, dans la « retraite » de la conscience ; au contraire, même en tant qu’il accueille, préserve et conserve, le DASEIN connaissant demeure, en tant que DASEIN, dehors. Le « simple » savoir d’une relation d’être de l’étant, la « pure » représentation de cette relation, le fait d’y « penser, sans plus » ne me placent pas moins auprès de l’étant, dehors dans le monde, que ne le fait une saisie originaire. Même l’oubli, où apparemment s’efface toute relation d’être à l’étant auparavant connu, doit être conçu comme une modification de l’être-à… originaire, et autant vaut de toute illusion et de toute erreur. (§13 [EtreTemps13])
Le monde n’est pas lui-même un étant intramondain, et pourtant il détermine cet étant à tel point qu’il ne peut faire encontre et, en tant qu’étant découvert, se montrer en son être que pour autant qu’il « y a » monde. Mais comment « y a-t-il » monde ? Si le DASEIN est constitué ontiquement par l’être-au-monde et si une compréhension d’être de son Soi-même appartient – si indéterminée soit-elle – tout aussi essentiellement à son être, n’a-t-il pas alors une compréhension du monde, une compréhension préontologique, laquelle se passe certes et peut se passer d’aperçus ontologiques explicites ? Est-ce que quelque chose comme le monde ne se manifeste pas à l’être-au-monde préoccupé en même temps que l’étant rencontré à l’intérieur du monde, c’est-à-dire que son intramondanéité ? Ce phénomène ne vient-il pas sous un regard préphénoménologique, et ne se tient-il pas toujours déjà sous un tel regard sans exiger une interprétation thématiquement ontologique ? Le DASEIN, au sein même de son identification préoccupée avec l’outil à-portée-de-la-main, n’a-t-il pas une possibilité d’être d’après laquelle, en même temps que l’étant intramondain dont il se préoccupe, la mondanéité même de cet étant luit (NT: « Luire » (aufleuchten) : ce mot, lui non plus, n’est pas métaphorique, comme le montrera son emploi ultérieur au sein du présent paragraphe, p. [75]) d’une certaine manière à ses yeux ? (§16 [EtreTemps16])
Être-au-monde signifie d’après notre interprétation antérieure : l’identification non thématique, circon-specte aux renvois constitutifs de l’être-à-portée-de-la-main de l’ensemble d’outils. La préoccupation est à chaque fois déjà ce qu’elle est sur la base d’une familiarité avec le monde. Dans cette familiarité, le DASEIN peut se perdre dans l’étant qui lui fait encontre à l’intérieur du monde et être capté par lui. Mais de quoi exactement le DASEIN est-il familier, et pourquoi la mondialité de l’intramondain peut-elle luire ? Comment doit-on comprendre plus précisément la totalité des renvois où la circon-spection se « meut », et où l’être-sous-la-main de l’étant pénètre dès qu’une brèche s’y ouvre ? (§16 [EtreTemps16])
Avec ce dans quoi il se comprend toujours déjà ainsi, le DASEIN est originairement familier. Cette familiarité avec le monde ne requiert pas nécessairement une transparence théorique des rapports qui constituent le monde comme monde. En revanche la possibilité d’une interprétation ontologico-existentiale expresse de ces rapports se fonde dans la familiarité avec le monde constitutive du DASEIN, laquelle de son côté co-constitue sa compréhension de l’être. Cette possibilité peut être explicitement saisie pour autant que le DASEIN s’est donné lui-même pour tâche une interprétation originaire de son être et des possibilités de celui-ci, ou même du sens de l’être en général. (§18 [EtreTemps18])
Le comprendre – phénomène que nous aurons à analyser de plus près dans la suite (cf. §31) – tient les rapports indiqués dans une ouverture préalable. Dans le séjour familier au sein du monde ambiant, il se pro-pose ces rapports comme ce dans quoi son renvoyer se meut. Le comprendre se laisse lui-même renvoyer dans et par ces rapports. Le caractère de rapport de ces rapports du renvoyer, nous le saisissons comme signifier. Dans la familiarité avec ses rapports, le DASEIN se « signifie » à lui-même, il se donne originairement son être et son pouvoir-être à comprendre du point de vue de son être-au-monde. Le en-vue-de signifie (NT: Le verbe signifier étant ici à prendre au sens actif) un pour…, celui-ci un pour-quoi, celui-ci encore un « de » du laisser-retourner, celui-ci enfin un « avec » de la tournure. Ces rapports sont soudés entre eux en une totalité originaire – ils ne sont ce qu’ils sont que comme ce signifier où le DASEIN se donne préalablement à lui-même son être-au-monde à comprendre. La totalité de rapports de ce signifier, nous la nommons la significativité. Elle est ce qui constitue la structure du monde – de ce où le DASEIN comme tel est à chaque fois déjà. Le DASEIN est, en sa familiarité avec la significativité, la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant qui fait encontre dans un monde sur le mode d’être de la tournure (être-à-portée-de-la-main) et peur ainsi s’annoncer en son être-en-soi. Le DASEIN est, en tant que tel, toujours celui-ci ou celui-là ; avec son être est toujours déjà essentiellement découvert un contexte d’étant à-portée-de-la-main – le DASEIN, pour autant qu’il est, s’est à chaque fois déjà assigné à un « monde » qui lui fasse encontre, à son être appartient essentiellement cette assignation. (§18 [EtreTemps18])
Mais la significativité elle-même, avec laquelle le DASEIN est à chaque fois déjà familier, abrite en elle la condition ontologique de possibilité permettant que le DASEIN compréhensif, en tant qu’il est également explicitatif, puisse ouvrir quelque chose comme des « significations » qui, de leur côté, fondent à nouveau l’être possible du mot et de la langue. (§18 [EtreTemps18])
L’être-à-portée-de-la-main préalable de chaque contrée possède, en un sens plus originaire encore que l’être de l’étant à-portée-de-la-main, le caractère de la familiarité sans imposition. Elle ne devient elle-même visible sur le mode de l’imposition que dans une découverte circon-specte de l’à-portée-de-la-main, et certes dans les modes déficients de la préoccupation. C’est souvent parce que quelque chose n’est pas trouvé à sa place que la contrée de la place devient expressément accessible comme telle pour la première fois. L’espace découvert dans l’être-au-monde circon-spect comme spatialité de la totalité d’outils appartient à chaque fois comme sa place à l’étant lui-même. Le simple espace demeure encore voilé. L’espace a éclaté en places. Toutefois, cette spatialité, du fait de la totalité mondiale de tournure propre à l’à-portée-de-la-main spatial, possède son unité propre. Le « monde ambiant » ne s’aménage pas dans un espace prédonné, mais sa mondanéité spécifique, en sa significativité, articule le complexe de tournure à chaque fois propre à une totalité de places assignées par la circon-spection. Le monde découvre à chaque fois la spatialité de l’espace qui lui appartient. Le laisser-faire-encontre de l’à-portée-de-la-main dans son espace du monde ambiant n’est jamais possible ontiquement que parce que le DASEIN est lui-même « spatial » du point de vue de son être-au-monde. (§22 [EtreTemps22])
Par é-loignement – le mot désignant un mode d’être du DASEIN considéré en son être-au-monde – nous n’entendons point quelque chose comme l’éloignement (proximité) ou même une distance, un écart. Ce terme d’é-loignement, nous l’employons dans un sens actif et transitif. Il désigne une constitution d’être du DASEIN, par rapport à laquelle le fait d’éloigner ou d’écarter quelque chose ne représente qu’une modalité déterminée, factice. É-loigner veut dire faire disparaître le lointain, c’est-à-dire l’être-éloigné, de quelque chose – approcher. Le DASEIN est essentiellement é-loignant, c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois, comme l’étant qu’il est, de l’étant venir à l’encontre dans la proximité. L’é-loignement découvre l’éloignement. Celui-ci, tout comme la distance, est une détermination catégoriale de l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN. L’é-loignement, au contraire, doit être établi comme existential. C’est seulement dans la mesure où de l’étant est en général découvert pour le DASEIN en son être-éloigné que deviennent accessibles dans l’étant intramondain lui-même des « éloignements » et des distances par rapport à autre chose. Sinon, deux points sont tout aussi peu éloignés l’un de l’autre que ne le sont en général deux choses, s’il est vrai qu’aucun de ces étants, de par son mode d’être, ne peut é-loigner. Tout au plus ont-ils une distance trouvable et mesurable dans l’é-loigner. (§23 [EtreTemps23])
Une orientation primaire, voire exclusive, sur des éloignements conçus comme distances mesurées recouvre la spatialité originaire de l’être-à. Ce qui est « prochain », ce n’est absolument pas ce qui est à la plus petite distance « de nous ». Le « prochain » consiste bien plutôt dans ce qui est é-loigné de la portée d’une atteinte, d’une saisie, d’un regard. [107] Comme le DASEIN est essentiellement spatial selon la guise de l’é-loignement, l’usage se tient toujours dans un « monde ambiant » à chaque fois é-loigné de lui à l’intérieur d’un certain espace de jeu – et c’est bien pourquoi nous entendons et voyons de prime abord en dépassant ce qui, selon la distance, est le « plus proche » de nous. Si la vue et l’ouïe portent au loin, ce n’est pas sur la base de leur « portée » naturelle, mais parce que le DASEIN en tant qu’é-loi-gnant se tient en eux de manière prépondérante. Pour celui qui, par exemple, porte des lunettes, qui pourtant sont si proches de lui par la distance qu’elle sont « sur son nez » [NT: C’est-à-dire : « sous son nez ».] , cet outil utilisé est plus éloigné, au sein du monde ambiant, qu’un tableau accroché au mur d’en face. Cet outil a si peu de proximité que souvent il passe même de prime abord absolument inaperçu. L’outil pour voir, et de même l’outil pour entendre, l’écouteur téléphonique par exemple, se caractérise par la non-imposition de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Ce qui vaut aussi, par exemple, de la rue – de l’outil pour aller. Tandis que nous marchons, la rue est touchée à chaque pas, apparemment elle est ce qu’il y a de plus proche et de plus réel dans l’à-portée-de-la-main, elle glisse pour ainsi dire le long de parties déterminées du corps, au long des semelles de nos souliers. Et pourtant, elle est bien plus éloignée que l’ami qui, durant cette marche, nous fait encontre à une « distance » de vingt pas. De la proximité et du lointain de l’à-portée-de-la-main de prime abord rencontré dans le monde ambiant, seule la préoccupation circon-specte décide. Ce auprès de quoi celle-ci séjourne d’entrée de jeu, c’est cela qui est le « plus proche » et qui règle les é-loignements. (§23 [EtreTemps23])
Le DASEIN, en son être-au-monde, se tient essentiellement dans un é-loigner. Cet é-loi-gnement – le lointain de l’à-portée-de-la-main vis-à-vis de lui-même – le DASEIN ne peut jamais le survoler. Certes l’« éloignement » d’un à-portée-de-la-main vis-à-vis du DASEIN peut lui-même devenir trouvable par lui en tant que distance lorsqu’il est déterminé par rapport à une chose considérée comme sous-la-main à la place que le DASEIN a auparavant occupée. Cet entre-deux de la distance, le DASEIN peut après coup le traverser, mais seulement à condition que la distance en question soit elle-même é-loignée. Son é-loignement, cependant, le DASEIN l’a alors si peu survolé qu’il l’a bien plutôt constamment emporté avec lui, et même l’emporte toujours puisqu’il est essentiellement é-loignement, autrement dit spatial. Le DASEIN ne peut pas circuler dans l’orbe de chacun de ses é-loignements, il ne peut jamais que les modifier. Le DASEIN est spatial selon la guise de la découverte circon-specte de l’espace, et cela de telle manière qu’il se comporte constamment de manière é-loignante vis-à-vis de l’étant qui lui fait ainsi spatialement encontre. (§23 [EtreTemps23])
En tant qu’être-à é-loignant, le DASEIN a en même temps le caractère de l’orientation. Tout approchement a déjà appréhendé d’avance une direction dans une contrée à partir de laquelle l’é-loigné s’approche de façon à devenir ainsi trouvable quant à sa place. La préoccupation circon-specte est é-loignement orientant. Dans cette préoccupation, c’est-à-dire dans l’être-au-monde du DASEIN lui-même, le besoin de « signes » est prédonné ; cet outil assume la fonction d’une indication explicite et aisée de directions. Il tient expressément ouvertes les contrées utilisées par la circon-spection – le vers-où de la destination, de l’accès, de l’apport. En tant qu’il est, le DASEIN est orientant-éloignant, il a à chaque fois déjà sa contrée découverte. L’orientation aussi bien que l’é-loignement, en tant que modes d’être de l’être-au-monde, sont d’emblée guidés par la circon-spection de la préoccupation. (§23 [EtreTemps23])
En tant qu’être-au-monde, le DASEIN a à chaque fois déjà découvert un « monde ». Cette découverte fondée dans la mondanéité du monde a été caractérisée comme libération de l’étant vers une totalité de tournure. Ce laisser-retourner qui libère s’accomplit sur le mode du se-renvoyer circon-spect, lequel se fonde dans une compréhension préalable de la significativité. Or, comme on l’a montré désormais, l’être-au-monde circon-spect est spatial, et c’est seulement parce que le DASEIN est spatial selon la guise de l’é-loignement et de l’orientation que l’à-portée-de-la-main intramondain peut faire encontre en sa spatialité. La libération d’une totalité de tournure est cooriginairement le laisser-retourner é-loignant-orientant d’une contrée, autrement dit la libération de la destination spatiale de l’à-portée-de-la-main. La significativité avec laquelle le DASEIN est familier comme être-à préoccupé implique conjointement l’ouverture essentielle de l’espace. (§24 [EtreTemps24])
Pas plus que l’espace n’est dans le sujet, pas plus le monde n’est dans l’espace. L’espace est bien plutôt « dans » le monde pour autant que l’être-au-monde constitutif du DASEIN a ouvert de l’espace. L’espace ne se trouve pas dans le sujet, et celui-ci ne considère pas davantage le monde « comme si » celui-ci était dans un espace – c’est au contraire le « sujet » ontologiquement bien compris, le DASEIN, qui est spatial, et c’est parce que le DASEIN est spatial de la manière qu’on a décrite que l’espace se montre comme a priori. Ce titre ne signifie pas quelque chose comme l’appartenance préalable à un sujet de prime abord encore sans monde qui pro-jetterait un espace. L’apriorité signifie ici : la primauté de l’encontre de l’espace (comme contrée) lors de chaque rencontre intramondaine de l’à-portée-de-la-main. (§24 [EtreTemps24])
En apparence, nos indications formelles au sujet des déterminités fondamentales du DASEIN (cf. §9) ont déjà fourni la réponse à la question de savoir qui cet étant (le DASEIN) est à chaque fois. Le DASEIN est un étant que je suis à chaque fois moi-même, son être est mien. Cette détermination indique une constitution ontologique, mais elle ne fait pas plus. Elle contient en même temps l’indication ontique – au demeurant grossière – selon laquelle c’est à chaque fois un Je qui est cet étant, et non pas autrui. La question qui ? puise sa réponse dans le Je lui-même, dans le « sujet », le « Soi-même ». Le qui est ce qui se maintient identique dans le changement des comportements et des vécus, et qui se rapporte alors à cette multiplicité. Ontologiquement, nous le comprenons comme ce qui est à fois, déjà et constamment sous-la-main dans et pour une région close – comme ce qui gît au fond en un sens éminent : subjectum. Celui-ci, en tant qu’il reste même dans une altérité multiple, a le caractère du Soi-même. On peut bien récuser l’idée de substance de l’âme, de la choséité de la conscience ou d’objectivité de la personne, il n’en reste pas moins que, du point de vue ontologique, l’on continue de poser quelque chose dont l’être conserve explicitement ou non le sens de l’être-sous-la-main. La substantialité, tel est le fil conducteur ontologique de la détermination de l’étant à partir duquel la question du qui ? reçoit réponse. Tacitement, le [115] DASEIN est d’emblée conçu comme sous-la-main ; à tout le moins l’indétermination de son être implique-t-elle toujours ce sens d’être. Et pourtant, l’être-sous-la-main est le mode d’être de l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN. (§25 [EtreTemps25])
De même que l’« évidence » antique de l’être-en-soi de l’étant intramondain engendre la conviction de l’« évidence » ontologique du sens de cet être et contribue à faire manquer le phénomène du monde, de même l’« évidence » ontique selon laquelle le DASEIN est à chaque fois mien contient en elle-même une possible séduction de la problématique ontologique la concernant. De prime abord le qui du DASEIN n’est pas seulement un problème ontologiquement, mais encore il demeure ontiquement recouvert. [117] Est-ce à dire cependant que la résolution analytico-existentiale de la question du qui ? soit absolument dépourvue de fil conducteur ? Nullement. Et du reste, entre les indications formelles données plus haut (§9 et 12) sur la constitution d’être du DASEIN, ce qui fonctionne comme tel n’est pas tant la détermination discutée à l’instant que celle selon laquelle l’« essence » du DASEIN se fonde dans son existence. Si le « Je » est une déterminité essentielle du DASEIN, alors il doit être interprété existentialement. La question qui ? ne peut recevoir de réponse que de la mise en lumière phénoménale d’un mode d’être déterminé du DASEIN. Si le DASEIN n’est à chaque fois son Soi-même qu’en existant, le « maintien » du Soi-même exige – tout de même que sa « perte d’autonomie » possible – un questionnement existential-ontologique ; telle est l’unique voie d’accès adéquate à sa problématique. (§25 [EtreTemps25])
Cependant, la caractérisation du faire-encontre des autres s’oriente à nouveau à chaque fois sur le DASEIN propre. Est-ce à dire qu’elle parte elle aussi d’un « Moi » privilégié et isolé, de telle manière qu’il faille ensuite chercher un passage conduisant de ce sujet isolé vers autrui ? Pour éviter ce contresens, il convient de préciser en quel sens nous parlons ici des « autres ». « Les autres », cela ne veut pas dire : tout le reste des hommes en-dehors de moi, dont le Moi se dissocierait – les autres sont bien plutôt ceux dont le plus souvent l’on ne se distingue pas soi-même, parmi lesquels l’on est soi-même aussi. Cet être-Là-aussi avec eux n’a pas le caractère ontologique d’un être-sous-la-main « ensemble » à l’intérieur d’un monde. L’« avec » est ici à la mesure du DASEIN, le « aussi » désigne une mêmeté d’être comme être-au-monde préoccupé de manière circon-specte. L’« avec » et le « aussi » doivent être compris existentialement, non pas catégorialement. Sur la base de ce caractère d’avec propre à l’être-au-monde, le monde est à chaque fois toujours déjà celui que je partage avec les autres. Le monde du DASEIN est monde commun. L’être-à est être-avec avec les autres. L’être-en-soi intramondain de ceux-ci est être-Là-avec. (§26 [EtreTemps26])
Mais, dira-t-on, l’expression « DASEIN » montre pourtant clairement que cet étant est « de prime abord » sans aucune relation à autrui, et que c’est après coup qu’il peut en plus être « avec » d’autres. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que nous utilisons le terme d’être-Là-avec pour désigner l’être auquel les autres qui sont libérés au sein du monde. Si cet être-Là-avec des autres n’est ouvert que de manière intramondaine à un DASEIN – et ainsi également pour ceux qui sont-Là-avec -, c’est seulement parce que le DASEIN est en lui-même essentiellement être-avec. L’énoncé phénoménologique : le DASEIN est essentiellement être-avec a un sens ontologico-existential. Cet énoncé ne prétend pas constater ontiquement que je ne suis pas facticement seul sous-la-main, et qu’au contraire surviennent d’autres étants de mon espèce. Si la proposition : l’être-au-monde du DASEIN est essentiellement constitué par l’être-avec, avait ce sens, l’être-avec ne serait pas une détermination existentiale caractérisant le DASEIN à partir de soi-même et selon son mode d’être, mais simplement une propriété s’imposant à chaque fois sur la base de la survenance d’autrui. L’être-avec détermine existentialement le DASEIN même lorsqu’un autre n’est ni sous-la-main ni perçu facticement. Même l’être-seul du DASEIN est être-avec dans le monde. L’autre ne peut manquer que dans et pour un être-avec. L’être-seul est un mode déficient de l’être-avec, sa possibilité est la preuve de celui-ci. D’autre part, l’être-seul factice n’est pas supprimé par le simple fait qu’un deuxième exemplaire « homme », voire même dix, surviennent « à côté » de moi. Même si ceux-ci, et plus encore, sont sous-la-main, le DASEIN peut être seul. L’être-avec et la facticité de l’être-l’un-avec-l’autre ne se fonde donc pas dans une survenance de plusieurs « sujets » [121] ensemble. Plus encore, même l’être-seul « parmi » beaucoup ne signifie pas, au sujet de l’être de ces « beaucoup », qu’ils soient alors simplement sous-la-main. Même pour l’être « parmi eux », ils sont là-avec ; leur être-Là-avec fait encontre selon le mode de l’indifférence et de l’étrangèreté. Le manque, le « départ » sont des modes de l’être-Là-avec, ils ne sont possibles que parce que le DASEIN comme être-avec laisse le DASEIN d’autrui faire encontre en son monde. L’être-avec est une déterminité du DASEIN à chaque fois propre ; l’être-Là-avec caractérise le DASEIN d’autrui pour autant que celui-ci est libéré pour un être-avec par le monde de celui-ci. Quant au DASEIN propre, ce n’est que pour autant qu’il a la structure d’essence de l’être-avec qu’il est lui-même être-Là-avec faisant encontre à d’autres. (§26 [EtreTemps26])
Si l’être-Là-avec demeure existentialement constitutif de l’être-au-monde, il doit alors, tout comme l’usage circon-spect de l’à-portée-de-la-main intramondain, que nous caractérisions anticipativement comme préoccupation, être interprété à partir du phénomène du souci, par lequel l’être du DASEIN est en général déterminé (cf. le chapitre VI de cette section). Le caractère d’être de la préoccupation ne peut échoir à l’être-avec, quand bien même ce mode d’être est, comme la préoccupation, un être pour l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Cependant, l’étant « pour » (envers) lequel le DASEIN se comporte en tant qu’être-avec n’a pas le mode d’être de l’outil à-portée-de-la-main, il est lui-même DASEIN. Cet étant n’appelle pas la préoccupation, mais la sollicitude [NT: BW traduisaient « assistance ». Mais quoique ce mot Fürsorge soit en effet utilisé couramment en allemand quand on parle d’assistance publique ou sociale, on va voir qu’il n’a pas ici ce sens, étroitement « transitif ». De plus, souci et sollicitude, ayant même étymologie, reflètent mieux la parenté entre Sorge et Fürsorge. Cette parenté, malheureusement, le français ne nous permettait pas de l’exprimer aussi bien entre souci et préoccupation (Besorgen).]. (§26 [EtreTemps26])
Le monde ne libère pas seulement l’à-portée-de-la-main comme étant rencontré à l’intérieur du monde, mais aussi le DASEIN, les autres dans leur être-Là-avec. Mais cet étant libéré dans le monde ambiant est, conformément à son sens d’être le plus propre, un être-à dans le même monde où, faisant encontre à d’autres, il est Là avec… La mondanéité a été interprétée (§18) comme la totalité de renvois de la significativité. Dans la familiarité immédiatement compréhensive avec cette mondanéité, le DASEIN laisse de l’à-portée-de-la-main faire encontre comme découvert en sa tournure. Le complexe de renvois de la significativité trouve son point d’ancrage dans l’être du DASEIN pour son être le plus propre – être avec lequel il ne peut plus retourner de rien puisqu’il est bien plutôt l’être en-vue-de-quoi le DASEIN est lui-même comme il est [NT: Cf. supra, p. [84].]. (§26 [EtreTemps26])
Mais, en vertu de la présente analyse, appartient également à l’être du DASEIN, dont il y va pour lui en son être même, l’être-avec autrui. Comme être-avec, le DASEIN « est » donc essentiellement en-vue-d’autrui. Cet énoncé doit être compris comme énoncé d’essence. Même lorsque le DASEIN factice ne se tourne pas vers d’autres, qu’il croit pouvoir se passer d’eux ou s’en passe effectivement, il est selon la guise de l’être-avec. Dans l’être-avec en tant que en-vue-des-autres existential, ceux-ci sont déjà ouverts en leur DASEIN. Cette ouverture des autres, d’emblée constituée avec l’être-avec, contribue donc à la constitution de la significativité, c’est-à-dire de la mondanéité où celle-ci est ancrée dans le en-vue-de existential. C’est pourquoi la mondanéité du monde ainsi constituée, où le DASEIN est essentiellement à chaque fois déjà, laisse l’à-portée-de-la-main intramondain faire encontre de telle manière que, en même temps que lui en tant qu’objet de préoccupation circon-specte, l’être-Là-avec d’autrui fait encontre. La structure de la mondanéité du monde implique que les autres ne soient pas de prime abord sous-la-main comme des sujets flottant en l’air juxtaposés à d’autres choses, mais qu’ils se manifestent, en leur être spécifique au sein du monde ambiant, dans le monde à partir de ce qui est à-portée-de-la-main en celui-ci. (§26 [EtreTemps26])
L’ouverture de l’être-Là-avec d’autrui qui appartient à l’être-avec signifie ceci : la compréhension d’être un DASEIN inclut d’emblée, puisque l’être du DASEIN est être-avec, la compréhension d’autrui. Ce comprendre, tout comme le comprendre en général, n’est pas une connaissance acquise, née d’un acte cognitif, mais un mode d’être originairement existential qui rend tout d’abord possible l’acte de connaître et la connaissance. Le fait de se-connaître [124] mutuellement se fonde dans l’être-avec originairement compréhensif. Conformément au mode d’être prochain de l’être-au-monde qui est-avec, ce se-connaître se meut de prime abord dans le (re)connaître compréhensif de ce que le DASEIN trouve et dont il se préoccupe dans le monde ambiant avec les autres. C’est à partir de ce dont elle se préoccupe et avec sa compréhension que la préoccupation animée par la sollicitude est comprise, et ainsi, l’autre est de prime abord ouvert dans la sollicitude préoccupée. (§26 [EtreTemps26])
Néanmoins, que l’« Einfühlung » soit tout aussi peu que le connaître en général un phénomène originairement existential, cela ne signifie pas qu’elle ne soulève aucun problème. Son herméneutique spéciale aura à montrer comment les diverses possibilités d’être du DASEIN lui-même séduisent et dénaturent l’être-l’un-avec-l’autre et le se-connaître mutuel qui lui appartient, de telle sorte que toute « compréhension » authentique est empêchée et que le DASEIN cherche refuge auprès de substituts ; recours qui cependant suppose comme sa condition existentiale positive de possibilité une réelle compréhension d’autrui. L’analyse l’a montré : l’être-avec est un constituant existential de l’être-au-monde. L’être-Là-avec se manifeste comme une modalité d’être propre d’un étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Pour autant que le DASEIN est en général, il a le mode d’être de l’être-l’un-avec-l’autre. Celui-ci ne peut être conçu comme résultat sommatif de la survenance de plusieurs « sujets ». Trouver une pluralité de « sujets », cela même n’est possible que si les autres, tels qu’ils font de prime abord encontre en leur être-Là-avec, ne sont plus traités que comme « numéros ». Mais ce nombre ne peut être lui-même découvert que grâce à un être-l’un-avec-et pour-l’autre déterminé. Cet être-avec « sans égards » « compte » avec les autres, mais sans sérieusement « compter sur eux », ni même « avoir affaire à eux ». (§26 [EtreTemps26])
Chacun est l’autre et nul n’est lui-même. Le On qui répond à la question du qui du DASEIN est le personne auquel tout DASEIN, dans son être-les-uns-parmi-les-autres, s’est à chaque fois déjà livré. (§27 [EtreTemps27])
C’est dans les caractères d’être de l’être-les-uns-parmi-les-autres quotidien – distancement, médiocrité, nivellement, publicité, déchargement d’être et complaisance – que réside le « maintien » prochain du DASEIN. Ce maintien ne concerne pas l’être-sous-la-main persistant de quelque chose, mais le mode d’être du DASEIN comme être-avec. En étant selon les modes cités, le Soi-même du DASEIN propre et le Soi-même des autres ne s’est pas encore trouvé, ou s’est perdu. On est selon la guise de la dépendance et de l’inauthenticité. Cette guise d’être ne signifie pas plus une diminution de la facticité du DASEIN que le On en tant que personne n’est un rien. Tout au contraire, c’est dans ce mode d’être que le DASEIN est ens realissimum, si tant est que la « réalité » puisse désigner l’être qui est à la mesure du DASEIN. (§27 [EtreTemps27])
Le Soi-même du DASEIN quotidien est le On-même, que nous distinguons du Soi-même authentique, c’est-à-dire proprement saisi. En tant que On-même, chaque DASEIN est dispersé dans le On, et il doit commencer par se retrouver. Cette dispersion caractérise le « sujet » de ce mode d’être que nous connaissons sous le nom d’identification préoccupée avec le monde de prime abord rencontré. Mais que le DASEIN soit familier de lui-même comme On-même, cela signifie en même temps que le On pré-dessine l’explicitation prochaine du monde et de l’être-au-monde. Le On-même, en-vue-de quoi le DASEIN est quotidiennement, articule le complexe de renvois de la significativité. Le monde du DASEIN libère l’étant qui fait encontre vers une totalité de tournure qui est familière au On, et cela dans les limites qui sont fixées avec la médiocrité du On. De prime abord, le DASEIN factice est dans le monde commun médiocrement découvert. De prime abord, « je » ne « suis » pas au sens du Soi-même propre, mais je suis les autres selon la guise du On. C’est à partir de celui-ci et comme celui-ci que, de prime abord, je suis « donné » à moi-même ». Le DASEIN est de prime abord On et le plus souvent il demeure tel. Lorsque le DASEIN découvre et s’approche proprement le monde, lorsqu’il s’ouvre à lui-même son être authentique, alors cette découverte du « monde » et cette ouverture du DASEIN s’accomplit toujours en tant qu’évacuation des recouvrements et des obscurcissements, et que rupture des dissimulations par lesquelles le DASEIN se verrouille l’accès à lui-même. (§27 [EtreTemps27])
[132] Dans quelle direction devons-nous alors tourner nos regards pour caractériser phénoménalement l’être-à comme tel ? Pour répondre à cette question, nous n’aurons qu’à nous rappeler la donnée fondamentale que nous avions confiée au regard phénoménologique lors de notre première indication du phénomène : l’être-à par opposition à l’intériorité sous-la-main d’un étant sous-la-main « dans » un autre ; l’être-à considéré non pas comme une propriété d’un sujet sous-la-main, produite ou même simplement suscitée par l’être-sous-la-main du « monde », mais bien plutôt comme un mode d’être essentiel de cet étant lui-même. Mais, dira-t-on, qu’est-ce d’autre qui se présente avec ce phénomène sinon le commercium sous-la-main entre un sujet sous-la-main et un objet sous-la-main ? En fait, pareille interprétation se rapprocherait peut-être davantage de la réalité phénoménale si elle disait : le DASEIN est l’être de cet « entre », ce qui n’empêche que l’orientation sur un tel « entre » menacerait quand même de nous égarer. En effet, cette orientation ne laisse pas de poser, de manière aussi indéterminée qu’inconsidérée, les deux étants entre lesquels cet entre-deux « est » comme tel. L’entre-deux est déjà conçu comme résultat de la convenientia de deux sous-la-main. Seulement, cette position préalable de ces termes fait toujours déjà éclater le phénomène et annule toute chance de le re-composer à partit de ses éclats. Non seulement le « ciment » fait défaut pour cela, mais encore le « schème » conformément auquel le réajointement en question doit s’accomplir a lui-même éclaté, ou, plus précisément, il n’a jamais été auparavant dévoilé. Ce qui est ontologiquement décisif, c’est donc d’empêcher d’emblée l’éclatement du phénomène, c’est-à-dire d’assurer sa réalité phénoménale positive. Or qu’il soit besoin à cet effet de tant de détours, cela atteste simplement que le mode traditionnel de traitement du « problème de la connaissance » a de bien des manières dénaturé ontologiquement, jusqu’à la rendre méconnaissable, une donnée qui allait ontiquement de soi. (§28 [EtreTemps28])L’expression ontiquement figurée de lumen naturale dans l’homme ne vise rien d’autre [133] que la structure ontologico-existentiale selon laquelle cet étant est de telle manière qu’il est son là. Il est « éclairé », autrement dit : il est en lui-même éclairci comme être-au-monde – non point par un autre étant, mais de telle manière qu’il est lui-même l’éclaircie. C’est seulement pour un étant ainsi existentialement éclairci que du sous-la-main devient accessible dans la lumière, retiré dans les ténèbres. Le DASEIN apporte nativement avec lui son Là ; privé de lui, non seulement il n’est pas facticement, mais encore il n’est absolument pas l’étant d’une telle essence. Le DASEIN est son ouverture. (§28 [EtreTemps28])
La constitution de cet être doit être dégagée. Mais dans la mesure où l’essence de cet étant est l’existence, la proposition existentiale : « le DASEIN est son ouverture » signifie en même temps : l’être dont il y va pour cet étant en son être consiste à être son « Là ». Conformément à l’élan propre de l’analyse, il est donc besoin, en plus de la caractérisation de la constitution primaire de l’être de l’ouverture, d’une interprétation du mode d’être où cet étant est quotidiennement son là. (§28 [EtreTemps28])
L’égalité d’âme sans trouble aussi bien que la mauvaise humeur contenue de la préoccupation quotidienne, le passage de l’une à l’autre et inversement, le glissement dans l’aigreur : ontologiquement, ces phénomènes ne sont pas rien, quand bien même ils sont pris pour ce qu’il y a de plus indifférent et de plus fugitif dans le DASEIN, et ainsi passent inaperçus. Que des tonalités puissent s’altérer et virer du tout au tout, cela indique simplement que le DASEIN est à chaque fois toujours déjà intoné. L’atonie, c’est-à-dire l’indifférence persistante, plate et terne, que rien n’autorise à confondre avec de l’aigreur, est si peu insignifiante que c’est en elle justement que le DASEIN devient à charge pour lui-même. L’être est devenu manifeste comme un poids. Pourquoi, on ne le sait pas. Et si le DASEIN ne peut pas savoir ces choses, c’est parce que les possibilités d’ouverture du connaître portent bien trop court par rapport à l’ouvrir originaire propre à ces tonalités mêmes où le DASEIN est transporté devant son être comme Là. Derechef, il se peut qu’une tonalité exaltée délivre de la charge manifeste de l’être ; mais justement, même cette possibilité de tonalité ouvre – fût-ce en délivrant de lui – le caractère de fardeau du DASEIN. La tonalité manifeste « où l’on en est et où l’on en viendra ». Dans cet « où », l’être-intoné transporte l’être en son « Là ». (§29 [EtreTemps29])
Dans l’être-intoné, le DASEIN est toujours déjà tonalement ouvert comme cet étant à qui le DASEIN a été remis en son être comme être [NT: als dem Sein, das… : « être » est ici encore au datif, mais, pour éviter le charabia de BW, je traduis quant au sens. De toute façon, lieu et objet de ladite remise sont identiques.] qu’il a à être en existant. Mais « ouvert » ne signifie pas connu comme tel, et c’est justement dans la quotidienneté la plus indifférente et la plus anodine que l’être du DASEIN peut percer dans la nudité de [cela] « qu’il est et a à être ». Ce pur « qu’il est » se montre, mais son « d’où » et son « vers où » restent dans l’obscurité. Que le DASEIN ne « cède » pas si quotidiennement à de telles tonalités, autrement dit qu’il ne [135] suive [NT: En l’occurrence : ne la prenne pas réflexivement en considération (nachgehen)] pas leur ouverture et ne se laisse pas transporter devant ce qu’elles ouvrent, cela n’est nullement une preuve contre l’état-de-fait phénoménal de l’ouverture tonale de l’être du Là en son « que », mais au contraire en sa faveur. La plupart du temps, le DASEIN esquive ontico-existentiellement l’être ouvert dans la tonalité ; mais ce que cela signifie ontologico-existentialement, c’est ceci : dans ce vers quoi une telle tonalité ne se tourne pas, le DASEIN est dévoilé dans son être-remis au Là. Dans l’esquive elle-même, le Là est en tant qu’ouvert. (§29 [EtreTemps29])
L’étant qui a le caractère du DASEIN est son Là selon une guise telle que, expressément ou non, il se trouve dans son être-jeté. Dans l’affection, le DASEIN est toujours déjà transporté devant lui-même, il s’est toujours déjà trouvé – non pas en se « trouvant » là-devant par la perception, mais en « se-trouvant » en une tonalité. En tant qu’étant remis à son être, il demeure également remis à ceci qu’il doit toujours déjà s’être trouvé – trouvé en une trouvaille qui ne résulte pas tant d’une quête directe que d’une fuite. Si la tonalité ouvre, ce n’est pas en tournant ses regards sur l’être-jeté, c’est en se tournant vers lui pour s’en détourner. La plupart du temps, elle ne se tourne pas vers le caractère de charge du DASEIN qui est manifesté en elle – et cela est encore plus vrai de la tonalité exaltée en tant que celle-ci en délivre. Ce détournement n’est jamais ce qu’il est que sur le mode de l’affection. (§29 [EtreTemps29])
C’est ce qui suffit déjà à montrer combien l’affection est éloignée de quelque chose comme la trouvaille d’un état psychique. Elle présente si peu le caractère d’une saisie se re-tournant rétrospectivement [sur soi] que toute réflexion immanente ne peut au contraire « trouver » des « vécus » que parce que le DASEIN est déjà ouvert en son affection. La « simple tonalité » ouvre le Là plus originairement – mais, corrélativement, elle le referme aussi encore plus obstinément que toute non-perception. (§29 [EtreTemps29])
L’affection est un mode existential fondamental où le DASEIN est son Là. Elle ne caractérise pas seulement ontologiquement le DASEIN, mais en même temps elle présente, en raison de l’ouvrir qui lui est propre, une signification méthodique fondamentale pour l’analytique existentiale. Car celle-ci, comme toute interprétation ontologique en général, ne peut pour ainsi dire ausculter en son être que de l’étant auparavant ouvert. Elle s’en tiendra donc aux possibilités insignes et décisives d’ouverture du DASEIN, afin de recueillir d’elles la [140] révélation de cet étant. L’interprétation phénoménologique doit nécessairement donner au DASEIN lui-même la possibilité de l’ouvrir originaire, et le laisser pour ainsi dire s’expliciter lui-même. Cet ouvrir, elle ne fait que l’accompagner, afin de porter existentialement au concept la teneur phénoménale de ce qui est ouvert. (§29 [EtreTemps29])
Ce pour-quoi [en-vue-de-quoi] (NT: Pour-quoi, en effet, c’est ici Worum, c’est-à-dire le « pour » qui se rapporte au DASEIN lui-même, non pas Wozu, le pour-quoi constituant l’être de l’outil ou du rapport à l’outil. Le français ne peut ici recourir à deux prépositions différentes, mais les contextes, heureusement, interdisent la confusion.) la peur a peur, c’est l’étant même qui a peur : le DASEIN. Seul un étant pour lequel en son être il y va de cet être même peut prendre-peur. L’avoir-peur ouvre cet étant dans sa précarité, dans son abandon à lui-même. La peur dévoile toujours, même si c’est avec une netteté variable, le DASEIN en l’être de son Là. Que nous puissions avoir peur pour notre maison et nos biens, cela ne constitue point une instance contre la détermination donnée à l’instant du pour-quoi de la peur. Car le DASEIN en tant qu’être-au-monde est à chaque fois être-auprès préoccupé. De prime abord et le plus souvent, le DASEIN est à partir de ce dont il se préoccupe. La mise en péril de celui-ci est menace sur l’être-auprès. La peur ouvre le plus souvent le DASEIN selon une guise privative. Elle égare et fait « perdre la tête ». La peur referme l’être-à mis en péril lors même qu’elle le fait voir, de telle sorte que le DASEIN, lorsque la peur a reculé, doit commencer par se retrouver. (§30 [EtreTemps30])
Nos recherches antérieures ont en fait déjà rencontré ce comprendre originaire, même si elles ne l’ont pas encore fait expressément entrer dans leur thème. Le DASEIN est en existant son Là, cela veut dire : le monde est « là », son DA-SEIN est l’être-à ; et, de même : celui-ci est « là », à savoir comme ce en-vue-de quoi le DASEIN est. Dans l’en-vue-de-quoi, l’être-au-monde existant est comme tel ouvert, et c’est cette ouverture qui a été nommée le comprendre [NA: Cf. supra, §18, p. [85] sq.]. Dans le comprendre de l’en-vue-de-quoi, la significativité qui s’y fonde est conjointement ouverte. L’ouverture du comprendre concerne, en tant qu’ouverture de l’en-vue-de-quoi et de la significativité, co-originairement l’être-au-monde en sa plénitude. La significativité est ce vers quoi le monde est comme tel ouvert. En-vue-de-quoi et significativité sont ouverts dans le DASEIN, cela veut dire : le DASEIN est un étant pour lequel, en tant qu’être-au-monde, il y va de celui-ci même. (§31 [EtreTemps31])
Dans un langage ontique, nous prenons parfois l’expression « comprendre quelque chose » au sens de : « s’entendre à quelque chose », c’est-à-dire « pouvoir y faire face », « savoir se tirer d’affaire ». Or ce qui est ainsi « pu » ou « su » dans le comprendre en tant qu’existential, ce n’est pas un « quelque chose », c’est l’être comme exister. Le comprendre inclut existentialement le mode d’être du DASEIN comme pouvoir-être. Le DASEIN n’est pas un sous-la-main qui posséderait de surcroît le don de pouvoir quelque chose, mais il est primairement possibilité. Le DASEIN est à chaque fois ce qu’il peut être et la manière même dont il est sa possibilité. L’être-possible essentiel du DASEIN concerne les guises – plus haut caractérisées – de la préoccupation pour le « monde », de la sollicitude envers les autres, et, toujours déjà impliqué dans tout cela, le pouvoir-être pour lui-même, vers lui-même, en-vue-de lui-même. L’être-possible que le DASEIN est à chaque fois existentialement se distingue aussi bien de la possibilité vide, logique que de la contingence d’un sous-la-main considéré selon que ceci ou cela peut lui « arriver ». En tant que catégorie modale de l’être-sous-la-main, la possibilité signifie ce qui n’est pas encore effectif et pas toujours nécessaire. Une telle possibilité caractérise le seulement possible. Ontologiquement, elle est inférieure à l’effectivité et à la nécessité. La possibilité comme existential, au contraire, est la déterminité [144] ontologique positive la plus originaire et ultime du DASEIN. De prime abord, comme l’existentialité en général, elle ne peut qu’être préparée en tant que problème. Or justement, ce qui offre le sol phénoménal sur lequel il est en général possible de l’apercevoir, c’est le comprendre comme pouvoir-être ouvrant. (§31 [EtreTemps31])
La possibilité comme existential ne signifie pas le pouvoir-être flottant au sens de l’« indifférence de l’arbitre » (libertas indifferentiae). En tant qu’essentiellement affecté, le DASEIN s’est à chaque fois déjà engagé dans des possibilités déterminées, en tant que le pouvoir-être qu’il est, il en a laissé passer, constamment il se déprend de possibilités de son être, il les prend et s’y mé-prend. Or cela signifie : le DASEIN est un être-possible remis à lui-même, une possibilité de part en part jetée. Le DASEIN est la possibilité de l’être-libre pour le pouvoir-être le plus propre. L’être-possible lui est à lui-même transparent selon diverses guises et divers degrés possibles. (§31 [EtreTemps31])
Le comprendre est l’être d’un pouvoir-être qui n’est jamais en « reste » à titre de pas-encore-sous-la-main, mais qui, n’étant au contraire essentiellement jamais sous-la-main, « est » selon l’être du DASEIN au sens de l’existence. Le DASEIN est en une guise telle qu’il s’est – ou ne s’est pas – à chaque fois entendu à être ainsi ou ainsi. En tant qu’il comprend ainsi, il « sait » à quoi s’en tenir, où il en est avec lui-même, c’est-à-dire avec son pouvoir-être. Ce « savoir » n’est pas d’abord né d’une auto-perception immanente, mais il appartient à l’être du Là, qui est essentiellement comprendre. Et c’est seulement parce que le DASEIN, en comprenant, est son Là qu’il peut se fourvoyer et se méconnaître. Et dans la mesure où le comprendre est affecté et, comme tel, existentialement livré à l’être-jeté, le DASEIN s’est à chaque fois déjà fourvoyé et méconnu. Dans son pouvoir-être, il est donc remis à la possibilité de se re-trouver dans ses possibilités. (§31 [EtreTemps31])
En tant qu’ouvrir, le comprendre concerne toujours la constitution fondamentale totale de l’être-au-monde. En tant que pouvoir-être, l’être-à est à chaque fois pouvoir-être-au-monde. Celui-ci n’est pas seulement ou