con-voque

La conscience [Gewissen] con-voque le Soi-même du Dasein hors de la perte dans le On [das Man]. Le Soi-même ad-voqué demeure indéterminé et vide en son « quid ». Comme quoi le Dasein se comprend-il de prime abord et le plus souvent dans son explicitation à partir de ce dont il se préoccupe, cela, l’appel le passe. Et pourtant, le Soi-même n’en est pas moins univoquement, directement atteint. Non seulement l’ad-voqué est visé par l’appel « sans acception de personne », mais l’appelant lui-même se tient dans une indétermination frappante. Aux questions concernant le nom, l’état, la provenance, la considération, non seulement il refuse toute réponse, mais encore, bien qu’il ne se déguise nullement dans l’appel, il ne livre pas la moindre possibilité de le rendre familier à une compréhension du Dasein qui est orientée de façon « mondaine ». L’appelant de l’appel – ceci appartient à son caractère phénoménal – tient absolument éloignée de lui toute familiarité. Il est contraire à la modalité de son être de [275] se laisser attirer dans le champ d’une considération et d’une discussion. L’indéterminité [Bestimmtheit] et l’indéterminabilité spécifique de l’appelant n’est pas rien, mais un privilège positif. Elle annonce que l’appelant ne surgit que dans le con-voquer à…, qu’il ne veut être entendu, sans supplément de bavardage [Gerede], que comme tel. Dès lors, n’est-il pas conforme au phénomène que la question même de savoir qui est l’appelant demeure tue ? Certes, en ce qui concerne l’entendre existentiel de l’appel factice de la conscience [Gewissen], mais non pas cependant pour l’analyse existentiale de la facticité de l’appeler et de l’existentialité de l’entendre. EtreTemps57

Pour saisir phénoménalement ce qui est entendu dans la compréhension de l’ad-vocation [An-ruf], il convient d’en revenir une fois de plus à celle-ci. L’ad-voquer du On-même signifie une con-vocation [Aufruf] du Soi-même le plus propre à son pouvoir-être, et cela en tant que Dasein, c’est-à-dire en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé et être-avec [Mitsein] avec les autres. L’interprétation existentiale de ce à quoi l’appel con-voque ne peut donc, pour autant qu’elle se comprenne bien dans ses possibilités et ses tâches méthodiques, entreprendre de délimiter telle ou telle possibilité concrète singulière d’existence. Ce qui peut et demande à être fixé, ce n’est pas ce qui, à chaque fois et existentiellement, est « crié » dans chaque Dasein et vers celui-ci, mais ce qui appartient à la condition existentiale de possibilité du pouvoir-être à chaque fois factice-existentiel. EtreTemps58

La conscience [Gewissen] est l’appel du souci, venu de l’étrang(èr)eté de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], qui con-voque le Dasein à son pouvoir-être-en-dette le plus propre. Le comprendre correspondant de l’ad-vocation [An-ruf] est, ainsi qu’on l’a établi, le vouloir-avoir-conscience [Gewissen]. Il est exclu de mettre sans autre forme de procès l’une et l’autre de ces déterminations en harmonie avec l’explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen]. Bien plutôt semblent-elles y contredire directement. Nous qualifions l’explicitation de la conscience [Gewissen] de vulgaire, parce qu’elle s’en tient, en caractérisant le phénomène et en assignant sa « fonction », à ce que l’on connaît au titre de conscience [Gewissen], à la manière dont on la suit ou ne la suit pas. EtreTemps59

À partir de quoi l’absence d’une teneur « positive » de ce qui est « crié » se laisse-t-elle regretter ? Réponse : à partir de l’attente de l’indication – à chaque fois utilisable – de sûres possibilités disponibles et calculables d’« action ». Cette attente se fonde dans l’horizon d’explicitation de la préoccupation [Besorgen] d’entendement, horizon qui soumet l’exister du Dasein à l’idée d’une économie réglable. Mais la conscience [Gewissen] s’empresse de décevoir de telles attentes, qui, pour partie, ne sont pas moins au fondement de l’exigence d’une éthique matériale des valeurs opposée à une éthique « seulement » formelle. Et si l’appel de la conscience [Gewissen] ne donne point de telles consignes « pratiques », c’est uniquement parce qu’il con-voque le Dasein à l’existence, au pouvoir-être-Soi-même le plus propre. Du reste, si elle délivrait ces maximes attendues, univoquement calculables, la conscience [Gewissen] ne refuserait rien de moins à l’existence que – la possibilité d’agir. Cependant, que la conscience [Gewissen] ne puisse manifestement être « positive » de cette manière, ne signifie pas qu’elle « ne » fonctionne – de la même manière – « que négativement ». L’appel n’ouvre rien qui puisse être positif ou négatif pour la préoccupation [Besorgen], parce qu’il vise un être ontologiquement tout à fait autre, l’existence. Au sens existential, en revanche, l’appel bien compris livre « ce qu’il y a de plus positif », à savoir la possibilité la plus propre que le Dasein puisse se proposer, en tant que rappel pro-vocant à ce qui est à chaque fois le pouvoir-être-Soi-même factice. Entendre authentiquement l’appel, cela veut dire se transporter dans l’agir factice. Toutefois, nous ne pourrons conquérir une interprétation absolument satisfaisante de ce qui est crié dans l’appel que si nous dégageons la structure existentiale qui se trouve dans la compréhension où l’ad-vocation [An-ruf] est authentiquement entendue. EtreTemps59

La résolution transporte l’être du Là dans l’existence de sa situation. Mais d’autre part, elle délimite la structure existentiale du pouvoir-être authentique attesté dans la conscience [Gewissen], du vouloir-avoir-conscience [Gewissen]. En celui-ci, nous avons reconnu la compréhension adéquate de l’ad-vocation [An-ruf]. Il devient donc tout à fait clair à partir de là que l’appel de la conscience [Gewissen], lorsqu’il con-voque au pouvoir-être, ne représente pas [au Dasein] un idéal d’existence vide, mais le pro-voque à la situation. Cette positivité existentiale de l’appel bien compris de la conscience [Gewissen] permet en même temps d’apercevoir en quelle mesure la restriction de la tendance de l’appel à des endettements contractés ou potentiels méconnaît le caractère d’ouverture de la conscience [Gewissen] et ne nous procure qu’en apparence la compréhension concrète de sa voix. L’interprétation existentiale de la compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] en tant que résolution dévoile la conscience [Gewissen] comme ce mode d’être, renfermé dans le fondement du Dasein, où il se rend lui-même possible-en attestant son pouvoir-être le plus propre – son existence factice. EtreTemps60

Même si la prédonation « violente » de possibilités de l’existence est méthodiquement requise, est-il possible de la soustraire à l’arbitraire ? Si l’analytique pose à son fondement, en tant que pouvoir-être existentiellement authentique, la résolution devançante à la possibilité de laquelle le Dasein con-voque lui-même, et con-voque même à partir du fond de son existence, cette possibilité est-elle donc quelconque ? La guise d’être conformément à laquelle le pouvoir-être du Dasein se rapporte à sa possibilité insigne, à la mort, est-elle fortuitement privilégiée ? L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] a-t-il donc une instance plus haute de son pouvoir-être que sa mort ? EtreTemps63

L’unité des moments constitutifs du souci, c’est-à-dire de l’existentialité, de la facticité et de l’être-échu, a rendu possible la première délimitation ontologique de la totalité du tout structurel du Dasein. La structure du souci a été portée à la formule existentiale suivante : [317] être-déjà-en-avant-de-soi-dans (un monde) en tant qu’être-auprès (de l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde). La totalité de la structure du souci ne procède nullement d’un accouplement de ces deux éléments, et pourtant elle est articulée [NA: Cf. supra, §41 [EtreTemps41], p. [191] sq.]. Nous avons dû apprécier en quelle mesure ce résultat ontologique satisfaisait aux requêtes d’une interprétation originaire du Dasein [NA: Cf. supra, §45 [EtreTemps45], p. [231] sq.]. Et ce qu’a établi cette méditation, c’est que ni le Dasein en son tout ni son pouvoir-être authentique n’avait encore été pris pour thème. Néanmoins, notre tentative de saisir phénoménalement le Dasein total a semblé justement échouer sur la structure du souci. Le en-avant-de-soi se donnait à nous comme un ne-pas-encore. Le en-avant-de-soi caractérisé au sens d’un excédent, cependant, s’est dévoilé à la considération authentiquement existentiale comme être pour la fin que tout Dasein est dans le fond de son être. De même, nous avons montré que le souci, dans l’appel de la conscience [Gewissen], con-voque le Dasein à son pouvoir-être le plus propre. La compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] s’est manifestée – comprise originairement – comme résolution devançante, laquelle renferme en soi un pouvoir-être-tout authentique du Dasein. La structure du souci ne parle pas contre un être-tout possible, mais elle est la condition de possibilité d’un tel pouvoir-être existentiel. Au cours de l’analyse, il est apparu clairement que dans le phénomène du souci sont ancrés les phénomènes existentiaux de la mort, de la conscience [Gewissen] et de la dette. L’articulation de la totalité du tout structurel est devenue encore plus riche, et, du même coup, la question existentiale de l’unité de cette totalité encore plus urgente. EtreTemps64