Mais s’il est vrai non seulement que la compréhension d’être appartient au Dasein, mais encore que celle-ci s’élabore ou se défait selon ce qui est à chaque fois le mode d’être du Dasein lui-même, celui-ci peut disposer d’un riche capital d’interprétations. La psychologie philosophique, l’anthropologie, l’éthique, la « politique », la poésie, la biographie et l’historiographie, autant de disciplines qui, sur des chemins divers et dans une mesure variable, se sont attachées aux comportements, aux pouvoirs, aux facultés, aux possibilités et aux destinées du Dasein. La question est seulement de savoir si ces interprétations furent conduites d’une manière aussi originaire, du point de vue existential, qu’elles l’avaient peut-être été du point de vue existentiel. Car l’un et l’autre aspects ne vont pas forcément ensemble, pas plus qu’ils ne s’excluent mutuellement. Une interprétation existentielle peut exiger une analytique existentiale, si tant est que la connaissance philosophique soit comprise dans sa possibilité et sa nécessité. C’est seulement si les structures fondamentales du Dasein sont elles-mêmes suffisamment élaborées selon une orientation explicite sur le problème de l’être que l’acquis antérieur de l’interprétation du Dasein pourra obtenir sa justification existentiale. EtreTemps5
Une analytique du Dasein doit donc demeurer la première requête dans la question de l’être. Seulement, c’est alors que le problème d’une conquête et d’une confirmation du mode directeur d’accès au Dasein devient précisément un problème brûlant. Négativement : il n’est pas question d’appliquer à cet étant, dans une construction dogmatique, une quelconque idée de l’être et de l’effectivité, si « évidente » soit-elle, et il est tout aussi peu question d’imposer au Dasein, sans précautions ontologiques, les « catégories » préesquissées par une telle idée. Bien plutôt le mode d’accès et d’explicitation doit-il être choisi de telle manière que cet étant puisse se montrer en lui-même à partir de lui-même. Or ce mode doit bel et bien montrer cet étant en ce qu’il est de prime abord et le plus souvent, dans sa quotidienneté [Alltäglichkeit] moyenne. Et sur la base de celle-ci, ce ne sont pas des structures arbitraires et fortuites qui doivent être dégagées, mais des structures essentielles, qui se maintiennent, à titre de déterminations de [17] son être, dans tout mode d’être du Dasein factice. C’est donc dans la perspective de la constitution fondamentale de la quotidienneté [Alltäglichkeit] du Dasein qu’il convient d’entreprendre la mise en relief préparatoire de l’être de cet étant. EtreTemps5
Cette historialité élémentaire du Dasein peut demeurer voilée à ses propres yeux. Mais elle peut aussi être d’une certaine manière découverte et faire l’objet d’une culture particulière. Le Dasein peut découvrir la tradition, la conserver, la poursuivre expressément. La découverte de la tradition, l’ouverture de ce qu’elle « transmet » et de la manière dont elle le transmet peut être prise pour tâche autonome. Le Dasein adopte ainsi le mode d’être du questionnement et de la recherche historiques. Toutefois l’histoire – plus exactement l’historicité – n’est possible en tant que mode d’être du Dasein questionnant que parce qu’il est déterminé au fond de son être par l’historialité. Si celle-ci demeure en retrait pour le Dasein et aussi longtemps qu’elle le demeure, c’est également la possibilité du questionnement et de la découverte historique de l’histoire qui lui est refusée. Le manque d’études historiques n’est pas une preuve contre l’historialité du Dasein, mais au contraire, en tant que mode déficient de cette constitution d’être, une preuve à l’appui de celle-ci. Une époque ne peut être anhistorique que pour autant qu’elle est « historiale ». EtreTemps6
L’interprétation du Dasein en sa quotidienneté [Alltäglichkeit] n’est pas pour autant identique à la description d’un degré primitif du Dasein tel que l’anthropologie peut nous en procurer empiriquement la connaissance. La quotidienneté [Alltäglichkeit] ne se confond pas avec la primitivité. La quotidienneté [Alltäglichkeit] est bien plutôt un mode d’être du Dasein même lorsque et justement lorsqu’il se [51] meut au sens d’une culture hautement développée et différenciée. D’autre part, le Dasein primitif possède lui aussi ses possibilités d’être non-quotidien [alltäglich], il a sa quotidienneté [Alltäglichkeit] spécifique. L’orientation de l’analyse du Dasein sur la « vie des peuples primitifs » peut certes avoir une signification méthodique positive dans la mesure où des « phénomènes primitifs » sont souvent moins recouverts et compliqués par une auto-interprétation déjà établie du Dasein en question. Le Dasein primitif parle souvent plus directement à partir d’une identification originelle aux « phénomènes » (au sens pré-phénoménologique du terme). Une conceptualité malhabile et grossière à notre point de vue peut être féconde pour un dégagement authentique des structures ontologiques des phénomènes. EtreTemps11
Que veut-il dire être à… ? Immédiatement, nous ajoutons à cette expression son complément : être « au-monde », et nous inclinons à comprendre cet être-à… comme un « être dans… » [NT: L’être-au-monde [In-der-Welt-sein], c’est en effet en allemand « das In-der-Welt-sein », c’est-à-dire littéralement l’être-dans-le-monde. H. distingue ici du sens verbal d’être dans (Sein in) le sens proprement ontologique d’être-à… (In-Sein).]. Ce dernier terme nomme le mode d’être d’un étant qui est « dans » un autre comme [54] l’eau « dans » le verre, le vêtement « dans » l’armoire. Par le mot in, nous comprenons d’abord le rapport de deux étants étendus « dans » l’espace du point de vue de leur lieu dans cet espace. Eau et verre, vêtement et armoire sont tous deux de la même façon « dans » l’espace, « en » un lieu. De plus, cette relation d’être peut être prolongée ; par exemple : le banc est dans la salle de cours, la salle dans l’Université, l’Université dans la ville, etc., bref, le banc est « dans l’espace mondial ». Ces divers étants dont on peut ainsi déterminer l’être-l’un-« dans »-l’autre ont tous le même et unique mode d’être de l’être-sous-la-main, en tant que choses survenant « à l’intérieur » du monde. L’être-sous-la-main « dans » un étant sous-la-main, l’être-ensemble-sous-la-main-avec quelque chose ayant le même mode d’être au sens d’un rapport déterminé de lieu, ce sont là des caractères que nous qualifiions de catégoriaux, qui appartiennent à l’étant n’ayant pas le mode d’être du Dasein. EtreTemps12
En adoptant un tel point de départ, on demeure aveugle à ce que la thématisation la plus provisoire du phénomène de la connaissance implique déjà tacitement : le connaître est un mode d’être du Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein], il a sa fondation ontique dans cette constitution d’être. À cette invocation de la donnée phénoménale selon laquelle le connaître est un mode d’être de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], on pourrait objecter que pareille interprétation du connaître revient à annuler le problème de la connaissance. Qu’est-ce qui peut bien en effet faire encore problème si l’on présuppose que le connaître est déjà auprès de ce monde que pourtant il ne doit atteindre que moyennant la transcendance du sujet ? Mais indépendamment du fait que cette dernière question procède manifestement d’un « point de vue » constructif, non légitimé phénoménalement, quelle instance décidera-t-elle donc de la question de savoir si et en quel sens doit exister un problème de la connaissance – quelle instance, sinon le phénomène du connaître lui-même et le mode d’être du connaissant ? EtreTemps13
Par suite, l’adjectif « mondain » qualifiera terminologiquement un mode d’être du Dasein, jamais un mode d’être de l’étant sous-la-main « dans » le monde. À celui-ci, nous réserverons les titres d’« appartenant au monde » ou « intramondain ». EtreTemps14
L’ouvrage produit ne renvoie pas seulement au pour… de son employabilité et à ce dont il est constitué : dans les conditions les plus simples de sa fabrication, il contient en même temps un renvoi à celui qui le portera et l’utilisera. L’ouvrage est taillé à sa mesure, il « est » [71] co-présent dans la naissance de l’ouvrage. Même dans la production en série, ce renvoi constitutif n’est nullement absent ; il est seulement indéterminé, il est dirigé vers n’importe qui, vers la moyenne. Dans l’ouvrage, par conséquent, ne vient pas seulement à notre rencontre de l’étant qui est à-portée-de-la-main, mais aussi de l’étant ayant le mode d’être du Dasein, pour qui le produit vient à-portée-de-la-main au sein de sa préoccupation [Besorgen] ; et du même coup fait encontre le monde où vivent les usagers – notre monde. L’ouvrage à chaque fois produit par la préoccupation [Besorgen] n’est pas seulement à-portée-de-la-main dans le monde domestique – celui de l’atelier, par exemple -, mais dans le monde public. Avec celui-ci est découverte et accessible à tous la nature du monde ambiant. Dans les voies, les routes, les points, les édifices, la nature est découverte d’une certaine manière grâce à la préoccupation [Besorgen]. Un quai de gare couvert témoigne du mauvais temps, les éclairages publics de l’obscurité, c’est-à-dire du change spécifique de la présence et de l’absence du jour – de la « position du soleil ». Dans les horloges, il est à chaque fois tenu compte d’une certaine constellation dans le système du monde. Lorsque nous regardons l’heure, nous faisons tacitement usage de la « position du soleil » d’après laquelle est établie la régulation astronomique officielle de la mesure du temps. Dans l’emploi de l’horloge, de cet étant tout d’abord à-portée-de-la-main sans s’imposer à l’attention, la nature du monde ambiant est conjointement à-portée-de-la-main. À chaque fois, la préoccupation [Besorgen] s’identifie à son monde d’ouvrage prochain, et il est essentiel à la fonction découvrante de cette identification que, suivant la modalité que celle-ci revêt à chaque fois, l’étant intramondain engagé dans le travail – c’est-à-dire dans les renvois qui le constituent – demeure découvrable selon divers degrés d’explicitation et conformément à la profondeur avec laquelle la circon-spection le pénètre. Le mode d’être de cet étant est l’être-à-portée-de-la-main. Celui-ci, toutefois, ne doit pas être compris comme un simple caractère d’appréhensibilité, comme si un « étant » rencontré de prime abord se chargeait après coup d’« aspects », ou comme si une matière du monde de prime abord sous-la-main recevait une « coloration subjective ». Une interprétation ainsi orientée perd de vue que, pour être exacte, il faudrait que l’étant fût d’abord entendu et découvert comme du pur sous-la-main qui, ensuite, devrait garder la primauté et le commandement au fur et à mesure que l’usage découvrirait et s’approprierait le « monde ». Mais pareille conception répugne déjà au sens ontologique du connaître qui, comme nous l’avons mis en évidence, est un mode fondé de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. C’est seulement en passant par l’étant à-portée-de-la-main dans l’usage et en le dépassant que le connaître peut aller jusqu’à dégager l’étant en tant que sans plus sous-la-main. L’être-à-portée-de-la-main est la détermination ontologico-catégoriale de l’étant tel qu’il est, « en soi ». Et pourtant, dira-t-on, de l’à-portée-de-la-main, il « n’y en a » que sur la base du sous-la-main. Mais s’ensuit-il – si l’on concède la thèse – que l’être-à-portée-de-la-main soit ontologiquement fondé dans l’être-sous-la-main ? EtreTemps15
L’avoir-toujours-déjà-laissé-retourner qui libère ainsi l’étant à sa tournure [Bewandtnis] est un parfait apriorique qui caractérise le mode d’être du Dasein lui-même. Le laisser-retourner compris ontologiquement est libération préalable de l’étant à son être-à-portée-de-la-main intérieur au monde ambiant. C’est à partir du « de » du laisser-retourner qu’est libéré le « avec » de la tournure [Bewandtnis]. À la préoccupation [Besorgen], il fait encontre comme cet à-portée-de-la-main. Pour autant que se montre à elle en général un étant, autrement dit pour autant que celui-ci est découvert en son être, il est à chaque fois déjà de l’à-portée-de-la-main dans le monde ambiant et non pas justement « de prime abord » seulement une « matière universelle » sous-la-main. EtreTemps18
En exposant le problème de la mondanéité [Weltlichkeit] (§14 [EtreTemps14]), nous avons insisté sur l’importance de la conquête d’un accès adéquat à ce phénomène. Notre élucidation critique du point de départ cartésien aura par conséquent à poser la question suivante : quel mode d’être du Dasein Descartes fixe-t-il comme la voie d’accès adéquate à l’étant à l’être duquel (extensio) il identifie l’être du « monde » ? Réponse : l’accès unique et authentique à cet étant est le connaître, l’intellectio, celle-ci étant prise au sens de la connaissance mathématico-physique. La connaissance mathématique vaut comme ce mode de saisie de l’étant qui peut toujours être assuré d’une possession certaine de l’étant saisi en elle. Ce qui a un mode d’être tel qu’il satisfasse à l’être qui est accessible dans la connaissance mathématique est au sens propre. Cet étant est ce qui est toujours ce qu’il est ; c’est pourquoi ce qui constitue l’être proprement dit [96] de l’étant expérimenté dans le monde est ce dont on peut montrer qu’il a le caractère de la demeurance constante – le remanens capax mutationum. N’est proprement que ce qui constamment subsiste. C’est la mathématique qui connaît un tel étant. Ce qui est accessible par elle dans l’étant constitue l’être de cet étant. Ainsi, c’est à partir d’une idée déterminée de l’être, celle qui est enveloppée dans le concept de substantialité, et à partir de l’idée d’une connaissance qui connaît ce qui est ainsi que son être est pour ainsi dire dicté au « monde ». Bien loin de se laisser prédonner par l’étant intramondain le mode d’être de cet étant, Descartes prescrit au contraire au monde son être « véritable » sur la base d’une idée de l’être (être = être-sous-la-main constant) qui n’est pas plus légitimée en son droit que dévoilée en son origine. Ce n’est donc pas primairement l’invocation d’une science spécialement appréciée pour des raisons contingentes, la mathématique, qui détermine l’ontologie du monde, mais bien plutôt l’orientation fondamentalement ontologique sur l’être comme être-sous-la-main constant, à la saisie duquel la connaissance mathématique satisfait en un sens privilégié. Ainsi Descartes accomplit-il philosophiquement et expressément le déplacement [NT: Littéralement : une « commutation » (Umschaltung), terme qui exprimerait aussi bien (il n’est cependant guère usuel) cet extraordinaire « changement dans la continuité » qui caractérise la position historiale unique de Descartes.] de l’influence de l’ontologie traditionnelle vers la physique mathématique moderne et ses fondements transcendantaux. EtreTemps21
La dureté est saisie comme résistance. Celle-ci, cependant, est comprise tout aussi peu que la dureté elle-même dans un sens phénoménal – comme quelque chose d’expérimenté en lui-même et de déterminable dans une telle expérience. Résister signifie pour Descartes autant que : ne pas bouger de sa place, c’est-à-dire ne subir aucun changement local. Résister, pour une chose, signifiera donc : soit demeurer en un lieu déterminé, relativement à une autre chose qui change de lieu ; soit changer de lieu à vitesse telle qu’elle puisse être « rejointe » par cette chose. Pareille interprétation de l’expérience de la dureté abolit le mode d’être de l’accueil sensible, et, avec lui, la possibilité de saisir en son être l’étant qui fait encontre en cet accueil. Le mode d’être d’un accueil de quelque chose, Descartes le transporte dans le seul mode d’être qu’il reconnaisse : l’accueil de quelque chose devient la juxtaposition déterminée de l’être-sous-la-main de deux res extensae sous-la-main, le rapport de mouvement de deux étants lui-même pensé sur le mode de l’extensio qui caractérise primairement l’être-sous-la-main de la chose corporelle. Sans doute, l’« accomplissement » possible d’un comportement touchant requiert-il une « proximité » particulière du touchable. Mais cela ne signifie nullement que le toucher et – par exemple – la dureté qui s’annonce à lui consistent, du point de vue ontologique, dans les vitesses respectives de deux choses corporelles. La dureté et la résistance ne sauraient se manifester tant que n’est pas présent un étant ayant le mode d’être du Dasein ou, au moins, d’un vivant. EtreTemps21
Par é-loignement [Entfernung] – le mot désignant un mode d’être du Dasein considéré en son être-au-monde [In-der-Welt-sein] – nous n’entendons point quelque chose comme l’éloignement (proximité) ou même une distance, un écart. Ce terme d’é-loignement [Entfernung], nous l’employons dans un sens actif et transitif. Il désigne une constitution d’être du Dasein, par rapport à laquelle le fait d’éloigner ou d’écarter quelque chose ne représente qu’une modalité déterminée, factice. É-loigner veut dire faire disparaître le lointain, c’est-à-dire l’être-éloigné, de quelque chose – approcher. Le Dasein est essentiellement é-loignant, c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois, comme l’étant qu’il est, de l’étant venir à l’encontre dans la proximité. L’é-loignement [Entfernung] découvre l’éloignement. Celui-ci, tout comme la distance, est une détermination catégoriale de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig]. L’é-loignement [Entfernung], au contraire, doit être établi comme existential. C’est seulement dans la mesure où de l’étant est en général découvert pour le Dasein en son être-éloigné que deviennent accessibles dans l’étant intramondain lui-même des « éloignements » et des distances par rapport à autre chose. Sinon, deux points sont tout aussi peu éloignés l’un de l’autre que ne le sont en général deux choses, s’il est vrai qu’aucun de ces étants, de par son mode d’être, ne peut é-loigner. Tout au plus ont-ils une distance trouvable et mesurable dans l’é-loigner. EtreTemps23
Notre « description » du monde ambiant prochain, par exemple du monde d’ouvrage de l’artisan, a montré [NT: Supra, §15 [EtreTemps15], p. [70-71].], que les autres à qui l’ouvrage est destiné « font encontre avec » l’outil [Zeug] [NT: C’est-à-dire l’ouvrage lui-même] qui est sur le métier. Dans le mode d’être de cet à-portée-de-la-main, c’est-à-dire dans sa tournure [Bewandtnis], est impliqué un renvoi essentiel à des porteurs possibles, « à la mesure desquels » il doit être taillé. Tout de même, dans le matériau employé, celui qui l’a produit ou « livré » fait [118] encontre comme quelqu’un qui « sert » bien ou mal. Par exemple, le champ le long duquel nous marchons « dehors » se montre comme appartenant à tel ou tel, comme ordinairement entretenu par lui ; le livre que nous utilisons a été acheté chez… ou offert par…, etc. Le bateau à l’ancre sur le rivage renvoie en son être-en-soi à un familier qui s’en sert pour ses excursions – mais même en tant que « bateau inconnu » il manifeste autrui. Ces autres qui nous font ainsi « encontre » dans le contexte d’outils à-portée-de-la-main, intérieur au monde ambiant ne sont point par exemple ajoutés par la pensée à une chose de prime abord sans plus sous-la-main, mais ces « choses » font encontre à partir du monde où elles sont à-portée-de-la-main pour les autres, lequel monde, d’emblée, est toujours aussi déjà le mien. Dans notre analyse antérieure, l’orbe de l’étant rencontré de manière intramondaine a d’abord été restreint à l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main ou à la nature sous-la-main, c’est-à-dire à un étant ne présentant pas le caractère du Dasein. Cette restriction n’était pas seulement nécessaire afin de simplifier l’explication mais avant tout parce que le mode d’être du Dasein des autres tel qu’il est rencontré de manière intramondaine se distingue de l’être-à-portée-de-la-main et de l’être-sous-la-main. Le monde du Dasein libère par conséquent de l’étant qui n’est pas seulement en général différent de l’outil [Zeug] et des choses, mais qui, de par son mode d’être propre, est lui-même en tant que DASEIN « dans » le monde – où il fait en même temps encontre de manière intramondaine – selon la guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Cet étant n’est ni-sous-la-main ni à-portée-de-la-main, mais comme est le Dasein même qui le libère – lui aussi est Là et Là-avec. Si l’on voulait identifier en général le monde avec l’étant intramondain, l’on serait forcé de dire que le « monde » est aussi Dasein. EtreTemps26
Certes, l’être pour autrui est ontologiquement différent de l’être pour des choses sous-la-main. L’« autre » étant a lui-même le mode d’être du Dasein. Dans l’être avec et pour les autres est donc contenu un rapport d’être de Dasein à Dasein. Seulement, prétend-on, ce rapport est déjà constitutif du Dasein à chaque fois propre, qui a de lui-même une compréhension d’être et se rapporte ainsi au Dasein. Le rapport d’être aux autres devient alors une projection « dans autre chose » de l’être propre pour soi-même. L’autre est un doublet du Soi-même. EtreTemps26
C’est dans les caractères d’être de l’être-les-uns-parmi-les-autres quotidien [alltäglich] – distancement [Abständigkeit], médiocrité, nivellement, publicité, déchargement d’être et complaisance – que réside le « maintien » prochain du Dasein. Ce maintien ne concerne pas l’être-sous-la-main persistant de quelque chose, mais le mode d’être du Dasein comme être-avec [Mitsein]. En étant selon les modes cités, le Soi-même du Dasein propre et le Soi-même des autres ne s’est pas encore trouvé, ou s’est perdu. On est selon la guise de la dépendance et de l’inauthenticité. Cette guise d’être ne signifie pas plus une diminution de la facticité du Dasein que le On [das Man] en tant que personne n’est un rien. Tout au contraire, c’est dans ce mode d’être que le Dasein est ens realissimum, si tant est que la « réalité » puisse désigner l’être qui est à la mesure du Dasein [Daseinsmässig]. EtreTemps27
Dans un langage ontique, nous prenons parfois l’expression « comprendre quelque chose » au sens de : « s’entendre à quelque chose », c’est-à-dire « pouvoir y faire face », « savoir se tirer d’affaire ». Or ce qui est ainsi « pu » ou « su » dans le comprendre en tant qu’existential, ce n’est pas un « quelque chose », c’est l’être comme exister. Le comprendre inclut existentialement le mode d’être du Dasein comme pouvoir-être. Le Dasein n’est pas un sous-la-main qui posséderait de surcroît le don de pouvoir quelque chose, mais il est primairement possibilité. Le Dasein est à chaque fois ce qu’il peut être et la manière même dont il est sa possibilité. L’être-possible essentiel du Dasein concerne les guises – plus haut caractérisées – de la préoccupation [Besorgen] pour le « monde », de la sollicitude [Fürsorge] envers les autres, et, toujours déjà impliqué dans tout cela, le pouvoir-être pour lui-même, vers lui-même, en-vue-de lui-même. L’être-possible que le Dasein est à chaque fois existentialement se distingue aussi bien de la possibilité vide, logique que de la contingence d’un sous-la-main considéré selon que ceci ou cela peut lui « arriver ». En tant que catégorie modale de l’être-sous-la-main, la possibilité signifie ce qui n’est pas encore effectif et pas toujours nécessaire. Une telle possibilité caractérise le seulement possible. Ontologiquement, elle est inférieure à l’effectivité et à la nécessité. La possibilité comme existential, au contraire, est la déterminité [Bestimmtheit] [144] ontologique positive la plus originaire et ultime du Dasein. De prime abord, comme l’existentialité en général, elle ne peut qu’être préparée en tant que problème. Or justement, ce qui offre le sol phénoménal sur lequel il est en général possible de l’apercevoir, c’est le comprendre comme pouvoir-être ouvrant. EtreTemps31
En outre, le caractère de projet du comprendre signifie que celui-ci ne saisit pas lui-même thématiquement ce vers quoi il projette – les possibilités. Une telle saisie ôte justement au projeté son caractère de possibilité, elle le ravale au rang d’une réalité donnée, visée, alors que le projet ne s’ob-jette, et ainsi ne fait être la possibilité comme possibilité qu’autant qu’il la jette. Le comprendre est, en tant que projeter, le mode d’être du Dasein où il est ses possibilités comme possibilités. EtreTemps31
[152] Si l’on maintient cette interprétation fondamentalement ontologico-existentiale du concept de « sens », alors il faut que tout étant qui n’a pas le mode d’être du Dasein soit conçu comme non-sensé, comme essentiellement exempt de sens. « Non-sensé », ce terme ne signifie pas ici une valorisation, il exprime une détermination ontologique. Et seul le non-sensé peut être à contre-sens (absurde). Le sous-la-main, en tant qu’il fait encontre dans le Dasein, peut pour ainsi dire courir sus à son être – ainsi par exemple d’événements naturels soudains et dévastateurs. EtreTemps32En fin de compte, la recherche philosophique doit se résoudre à demander une bonne fois quel mode d’être échoit à la parole. Est-elle un outil [Zeug] à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde, ou bien a-t-elle le mode d’être du Dasein – ou ni l’un, ni l’autre ? Quelle modalité l’être de la langue a-t-il pour que celle-ci puisse être « morte » ? Qu’est-ce que cela signifie ontologiquement que la croissance et la décomposition d’une langue ? Nous possédons une science de la langue, et pourtant l’être de l’étant qu’elle prend pour thème reste obscur ; plus encore : l’horizon d’un questionnement possible à son sujet est voilé. Est-ce l’effet du hasard si les significations, de prime abord et le plus souvent, sont « mondaines », si elles sont pré-dessinées par la significativité [Bedeutsamkeit] du monde, et même souvent plus spécialement « spatiales », ou bien ce « fait » possède-t-il, et pourquoi, une nécessité ontologico-existentiale ? La recherche philosophique devra ici renoncer à une « philosophie du langage » pour s’enquérir des « choses mêmes », et se mettre ainsi dans l’état d’une problématique conceptuellement clarifiée. EtreTemps34
Mais si la curiosité libérée se préoccupe de voir, ce n’est pas pour comprendre ce qui est vu, c’est-à-dire pour accéder à un être pour lui, mais seulement pour voir. Elle ne cherche le nouveau que pour sauter à nouveau de ce nouveau vers du nouveau. Ce dont il y va pour le souci d’un tel voir, ce n’est pas de saisir et d’être dans la vérité en sachant, mais de possibilités de s’abandonner au monde. Aussi la curiosité est-elle caractérisée par une incapacité spécifique de séjourner auprès du plus proche. Aussi bien ne recherche-t-elle pas non plus le loisir du séjour considératif, mais l’inquiétude et l’excitation que donne le toujours nouveau et le changement incessant d’objet rencontré. En son non-séjour, la curiosité se préoccupe de la constante possibilité de la distraction. La curiosité n’a rien à voir avec la contemplation admirative de l’étant, avec le thaumazein, ce qui lui importe n’est point d’être frappée d’incompréhension par la stupeur, mais elle se préoccupe d’un savoir simplement pour avoir su. Les deux moments constitutifs de la curiosité : l’incapacité de séjourner dans le monde de la préoccupation [Besorgen] et la distraction vers de nouvelles possibilités, fondent le troisième [173] caractère d’essence de ce phénomène, ce que nous appelons l’agitation. La curiosité est partout et nulle part. Ce mode de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] dévoile un nouveau mode d’être du Dasein quotidien [alltäglich], où celui-ci ne cesse de se déraciner. EtreTemps36
Ce titre, qui n’exprime aucune valorisation négative, doit signifier ceci : de prime abord et le plus souvent, le Dasein est auprès du « monde » dont il se préoccupe. Cette identification a le plus souvent le caractère de la perte dans la publicité du On. De prime abord, le Dasein est toujours déjà retombé de lui-même comme pouvoir-être-Soi-même authentique, et il est échu sur le « monde ». L’être-échu sur le « monde » désigne l’identification à l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] pour autant que celui-ci est conduit par le bavardage [Gerede], la curiosité et l’équivoque. Ce que nous appelions l’inauthenticité du Dasein (NA: §9 [EtreTemps9]) reçoit [176] maintenant de l’interprétation de l’échéance une détermination plus aiguë. Cependant inauthenticité et non-authenticité ne signifient nullement que le Dasein, en un tel mode d’être, perdrait en général son être. L’inauthenticité désigne si peu quelque chose comme un ne-plus-être-au-monde [In-der-Welt-sein] qu’elle constitue précisément un être-au-monde [In-der-Welt-sein] privilégié qui est complètement pris par le « monde » et par l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui dans le On [das Man]. Le ne-pas-être-lui-même fonctionne comme possibilité positive de l’étant qui s’identifie essentiellement au monde par sa préoccupation [Besorgen]. Ce non-être doit nécessairement être conçu comme le plus prochain mode d’être du Dasein, celui où il se tient le plus souvent. EtreTemps38
Lorsque nous avons pour la première fois renvoyé à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme constitution fondamentale du Dasein, puis caractérisé ses moments structurels constitutifs, nous n’avons pas poussé au-delà de l’analyse de la constitution d’être, jusqu’à la considération phénoménale du mode d’être de celle-ci. Sans doute les modes fondamentaux possibles de l’être-à, la préoccupation [Besorgen] et la sollicitude [Fürsorge], ont-ils été décrits. Toutefois la question du mode d’être quotidien [alltäglich] de ces guises d’être est demeurée inélucidée. De plus, il est apparu que l’être-à est tout autre chose qu’un simple face-à-face considératif ou actif [avec le monde], c’est-à-dire qu’un être-ensemble-sous-la-main d’un sujet et d’un objet. Et pourtant, l’apparence devait forcément subsister que l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] fonctionnât comme un cadre fixe à l’intérieur duquel se déroulent – sans affecter elle-même ontologiquement ce « cadre » – les possibles comportements du Dasein par rapport à son monde. Néanmoins, ce soi-disant « cadre » co-constitue lui-même le mode d’être du Dasein. Un mode existential de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] s’atteste dans le phénomène de l’échéance. EtreTemps38
Que l’étant qui a le mode d’être du Dasein ne puisse être conçu à partir de la réalité et de la substantialité, nous l’avons exprimé dans cette thèse : la substance de l’homme est l’existence. Toutefois, l’interprétation de l’existentialité comme souci et la délimitation de celle-ci par rapport à la réalité ne signifient pas que l’analytique existentiale est finie, mais ne font ressortir qu’avec plus d’acuité les enchevêtrements problématiques contenus dans la question de l’être et de ses modes possibles, et du sens de telles modifications : c’est seulement si la compréhension d’être est que de l’étant devient accessible comme étant ; c’est seulement si est un étant ayant le mode d’être du Dasein que la compréhension d’être est possible en tant qu’étant. EtreTemps43
Ce qui cependant est dernier dans l’ordre des connexions ontologico-existentiales de dérivation vaut du point de vue ontico-factice comme le terme premier et le plus proche. Mais ce fait, considéré en sa nécessité propre, se fonde à son tour sur le mode d’être du Dasein lui-même. Dans l’identification préoccupée, le Dasein se comprend à partir de l’étant rencontré à l’intérieur du monde. L’être-découvert appartenant au découvrir est de prime abord trouvé de manière intramondaine dans l’ex-primé. Mais ce n’est pas seulement la vérité qui fait alors encontre comme du sous-la-main, mais encore la compréhension d’être en général comprend de prime abord tout étant comme sous-la-main. La méditation ontologique immédiate sur la « vérité » de prime abord rencontrée ontiquement comprend le logos (énoncé) comme logos tinos (énoncé sur…, être-découvert de…), mais interprète le phénomène en tant que sous-la-main du point de vue de son être-sous-la-main possible. Mais comme celui-ci a été identifié au sens de l’être en général, la question de savoir si ce mode d’être de la vérité et sa structure de prime abord rencontrée sont originaires ou non ne peut même pas s’éveiller. La compréhension d’être du Dasein de prime abord régissante, et qui aujourd’hui encore n’a été ni FONDAMENTALEMENT ni EXPRESSÉMENT dépassée, recouvre elle-même le phénomène originaire de la vérité. EtreTemps44
Toute vérité, conformément à son mode d’être essentiel, par lequel elle est à mesure du Dasein, est relative à l’être de celui-ci. Cette relativité signifie-t-elle autant que : toute vérité est « subjective » ? Sûrement pas si l’on interprète « subjectif » au sens de « livré au bon gré du sujet ». Car le découvrir, en son sens le plus propre, soustrait l’énoncer à l’arbitraire « subjectif » et place le Dasein découvrant devant l’étant lui-même. Et c’est seulement parce que la « vérité » comme découvrir est un mode d’être du Dasein qu’elle peut être soustraite à son arbitraire. Même la « validité universelle » de la vérité est simplement enracinée dans le fait que le Dasein peut découvrir et libérer de l’étant en lui-même. C’est ainsi seulement que cet étant peut lier en lui-même tout énoncé possible, c’est-à-dire toute mise-au-jour de lui. La vérité bien comprise est-elle le moins du monde compromise par le fait qu’elle n’est ontiquement possible que dans le « sujet », et apparaît et disparaît avec l’être de ce sujet ? EtreTemps44
À la lumière du mode d’être existentialement conçu de la vérité, le sens de la présupposition de la vérité devient également compréhensible. Pourquoi devons-nous nécessairement présupposer qu’il y a de la vérité ? Que veut dire « présupposer » ? Que signifient ces mots : « devoir nécessairement », « nous » ? Et l’expression : « il y a de la vérité » ? « Nous » présupposons de la vérité parce que, étant sur le mode d’être du Dasein, « nous » sommes « dans la vérité ». Nous ne la présupposons pas comme quelque chose d’« extérieur » et « supérieur » à nous, par rapport à quoi nous nous comporterions, à côté d’autres « valeurs ». Ce n’est pas nous qui présupposons la « vérité », c’est elle qui en général rend ontologiquement possible que nous puissions être de telle manière que nous [228] « présupposions » quelque chose. La vérité possibilise la première quelque chose comme de la présupposition. EtreTemps44
Atteindre sa totalité dans la mort, pour le Dasein, c’est en même temps perdre l’être du Là. Le passage au ne-plus-être-Là ôte justement au Dasein la possibilité d’expérimenter ce passage et de le comprendre en tant qu’il l’expérimente. Cependant, quand bien même cela peut demeurer interdit à chaque Dasein par rapport à lui-même, la mort des autres ne s’en impose que plus fortement à lui. Un achèvement du Dasein devient alors « objectivement » accessible. Le Dasein peut, et cela d’autant plus qu’il est essentiellement être-avec [Mitsein] d’autres, obtenir une expérience de la mort. Cette donation « objective » de la mort doit alors nécessairement rendre également possible une délimitation ontologique de la totalité du Dasein. [238] Nous demandons : est-ce que cette solution obvie, puisée dans le mode d’être du Dasein comme être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein], qui consiste à choisir l’achèvement du Dasein d’autrui comme thème de remplacement pour l’analyse de la totalité du Dasein, peut conduire au but qu’on s’est proposé ? EtreTemps47
Le Dasein des autres, avec la totalité qu’il atteint dans la mort, est lui aussi un ne-plus-être-Là au sens d’un ne-plus-être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Mourir, cela ne signifie-t-il pas quitter le monde, perdre l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] ? Néanmoins, le ne-plus-être-au-monde [In-der-Welt-sein] du mort, si on le comprend de manière extrême, est un être au sens de l’être sans plus sous-la-main d’une chose corporelle qui fait encontre. Dans le mourir des autres peut être expérimenté le remarquable phénomène d’être qui se laisse déterminer comme virage d’un étant du mode d’être du Dasein (ou de la vie) au ne-plus-être-Là. La fin de l’étant comme Dasein est le commencement de cet étant comme sous-la-main. EtreTemps47
Surtout, ce renvoi au mourir d’autrui comme thème de substitution pour l’analyse ontologique de l’achèvement du Dasein et de sa totalité repose sur une présupposition où il est possible de mettre en évidence une méconnaissance complète du mode d’être du Dasein. Cette présupposition consiste dans l’opinion selon laquelle le Dasein pourrait être arbitrairement remplacé par autre chose, de telle manière que ce qui reste inexpérimentable dans le Dasein propre deviendrait accessible dans le Dasein étranger. Et pourtant, dira-t-on, cette présupposition est-elle vraiment si infondée ? EtreTemps47
Cependant, ce non-ensemble qui appartient à un tel mode de l’ensemble, ce faire-défaut [243] comme excédent ne saurait en aucun cas déterminer ontologiquement le ne-pas-encore qui appartient au Dasein en tant que mort possible. Car cet étant n’a absolument pas le mode d’être d’un à-portée-de-la-main intramondain. L’ensemble de l’étant que le Dasein est «en son cours » jusqu’à ce qu’il ait achevé « sa course » ne se constitue nullement moyennant le « concours » pièce à pièce d’un étant qui, à partir de lui-même, est déjà en quelque manière et quelque part à-portée-de-la-main. Le Dasein n’est pas seulement à partir du moment où son ne-pas-encore s’est rempli, et cela d’autant moins qu’alors il n’est justement plus. Le Dasein existe justement toujours à chaque fois déjà de telle manière que son ne-pas-encore lui appartient. Or n’y a-t-il pas un étant qui est comme il est, et auquel un ne-pas-encore peut appartenir sans que cet étant doive avoir le mode d’être du Dasein ? EtreTemps48
Le finir comme être pour la fin exige d’être éclairci ontologiquement à partir du mode d’être du Dasein. Et selon toute présomption, c’est aussi seulement à partir de la détermination existentiale du finir que peut devenir intelligible la possibilité d’un être existant du ne-pas-encore « antérieur » à la « fin ». Seule la clarification existentiale de l’être pour la fin peut fournir, enfin, la base suffisante pour délimiter le sens possible de l’expression « totalité du Dasein », si tant est que cette totalité doive être constituée par la mort comme « fin ». EtreTemps48
Être-certain d’un étant, cela veut dire : le tenir pour vrai en tant qu’il est vrai. Mais la vérité signifie l’être-découvert de l’étant. Or tout être-découvert se fonde ontologiquement dans la vérité la plus originaire, l’ouverture du Dasein [NA: Cf. supra, §44 [EtreTemps44], p. [212] sq., spécialement p. [219] sq.]. Le Dasein, en tant qu’étant ouvert-ouvrant et découvrant, est essentiellement « dans la vérité ». Or la certitude se fonde dans la vérité ou lui appartient cooriginairement. L’expression « certitude », tout comme le terme « vérité », a une double signification. Originairement, vérité veut dire autant qu’être-ouvrant, en tant que comportement du Dasein. La signification dérivée de celle-ci désigne l’être-découvert de l’étant. De manière correspondante, la certitude signifie originairement autant que l’être-certain comme mode d’être du Dasein. Suivant la signification dérivée, cependant, même l’étant dont le Dasein peut être certain est nommé « certain ». EtreTemps52
Dans cette détermination « critique » de la certitude de la mort et de sa pré-cédence se manifeste d’abord de nouveau la méconnaissance – caractéristique de la quotidienneté [Alltäglichkeit] – du mode d’être du Dasein et de l’être pour la mort qui lui appartient. Que le décéder en tant qu’événement survenant ne soit « qu’ » empiriquement certain, cela ne décide rien sur la certitude de la mort. Il est possible que les cas de mort soient pour le Dasein une occasion factice de se rendre d’abord en général attentif à la mort. Cependant, tant qu’il demeure dans la certitude empirique qu’on a caractérisée, le Dasein est absolument incapable de devenir certain de la mort considérée en son mode d’« être ». Bien que le Dasein, dans la publicité du On, ne « parle » apparemment que de cette certitude « empirique » de la mort, il ne s’en tient pourtant pas, au fond, exclusivement et primairement aux cas de mort survenants. Esquivant sa mort, même l’être quotidien [alltäglich] pour la fin est pourtant autrement certain de la mort que lui-[258] même, dans une considération purement théorique, ne voudrait le croire. Cet « autrement » se voile le plus souvent aux yeux de la quotidienneté [Alltäglichkeit], qui n’ose pas s’y rendre translucide. Avec son affection quotidienne [alltäglich] plus haut caractérisée, à savoir la supériorité « anxieusement » préoccupée, apparemment sans angoisse vis-à-vis du « fait » certain de la mort, la quotidienneté [Alltäglichkeit] concède une certitude « plus haute » que la certitude seulement empirique. On sait la mort certaine, et pourtant l’on n’est pas proprement certain d’elle. La quotidienneté [Alltäglichkeit] échéante du Dasein connaît la certitude de la mort et esquive néanmoins l’être-certain. Mais cette esquive atteste phénoménalement par ce devant quoi elle recule que la mort doit être conçue comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine. EtreTemps52
La délimitation de la structure existentiale de l’être pour la fin se tient au service de l’élaboration d’un mode d’être du Dasein où celui-ci peut être total en tant que Dasein. Que même le Dasein quotidien [alltäglich] soit à chaque fois déjà pour sa fin, autrement dit se confronte constamment, quoique « fugacement », avec sa mort, cela montre que cette fin qui conclut et détermine l’être-tout n’est nullement quelque chose où le Dasein ne ferait qu’arriver finalement lors de son décès [Ableben] [Ableben]. Dans le Dasein, en tant qu’étant pour sa mort, l’extrême ne-pas-encore de lui-même, par rapport auquel tous les autres sont en retrait, est toujours déjà engagé. C’est pourquoi l’inférence formelle qui conclurait du ne-pas-encore du Dasein – qui plus est, interprété de manière ontologiquement inadéquate comme excédent – à sa nontotalité est illégitime. Le phénomène du ne-pas-encore pensé à partir du en-avant-de-soi est si peu, comme la structure de souci en général, une instance contre un être-tout existant possible que c’est cet être-en-avant-de-soi qui rend tout d’abord possible un tel être pour la fin. Le problème de l’être-tout possible du Dasein que nous sommes à chaque fois nousmêmes ne demeure donc légitime que si le souci comme constitution fondamentale du Dasein est pensé en « connexion » avec la mort comme possibilité extrême de cet étant. EtreTemps52
Cela dit, en dépit des limitations qui viennent d’être assignées à cette recherche, sa portée ne doit être ni surestimée, ni soumise à des requêtes inadéquates et ainsi amoindrie. La conscience [Gewissen], en tant que phénomène du Dasein, n’est point un fait qui surviendrait et serait parfois sous-la-main. Elle n’« est » que selon le mode d’être du Dasein, et elle ne s’annonce jamais, à titre de fait, qu’avec et dans l’existence factice. L’exigence d’une « preuve empirique inductive » de la « factualité » de la conscience [Gewissen] et de la véracité de sa « voix » procède d’une perversion ontologique du phénomène, perversion à laquelle participe, du reste, toute critique supérieure qui prétendrait que la conscience [Gewissen] ne survient que de temps à autre, et lui dénierait ainsi le statut de « fait universellement constaté et constatable ». À de semblables preuves et contre-preuves, il n’est pas question de soumettre le fait de la conscience [Gewissen]. Cela n’est point un défaut, mais seulement l’indice de son hétérogénéité ontologique par rapport à tout étant sous-la-main dans le monde ambiant. EtreTemps54
Laissons de côté la question de savoir comment de telles exigences prennent naissance, et comment, sur la base de cette origine, leur caractère d’exigence et de loi doit être conçu. En tout état de cause, l’être-en-dette au dernier sens cité, en tant qu’entorse à une « exigence éthique », est un mode d’être du Dasein. Autant vaut aussi, bien sûr, de l’être-en-dette au sens de « se rendre passible d’une peine », au sens d’« avoir des dettes », et de toute « responsabilité dans… », puisqu’il s’agit également dans tous ces cas de conduites du Dasein. Si l’on conçoit le fait d’être « chargé d’une dette (faute) éthique » comme une « qualité » du Dasein, cela revient à ne pas dire grand chose ; au contraire, ce qui se manifeste par là, c’est seulement que cette caractérisation ne suffit point pour délimiter ontologiquement ce mode de « déterminité [Bestimmtheit] d’être » du Dasein par rapport aux conduites à l’instant citées. Tout aussi peu le [283] concept de dette (faute) éthique est-il ontologiquement clarifié lorsque sont devenues – et restées – régnantes des explicitations du phénomène qui incluent dans son concept l’idée de culpabilité, quand ce n’est celle d’endettement auprès…, ou même déterminent carrément ce concept à partir de telles idées. Car le « en-dette » s’en trouve derechef refoulé dans le domaine de la préoccupation [Besorgen] au sens d’une estimation conciliatrice de prétentions opposées. EtreTemps58
L’interprétation existentiale doit dégager une attestation, présente dans le Dasein lui-même, de son pouvoir-être le plus propre. La guise en laquelle la conscience [Gewissen] atteste n’est pas une annonce indifférente, mais une con-vocation [Aufruf] pro-vocante à l’être-en-dette. Ce qui est ainsi attesté est « saisi » dans l’entendre qui comprend sans déguisement l’appel au sens visé par celui-ci même. Seule la compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] en tant que mode d’être du Dasein livre la réalité phénoménale de ce qui est attesté dans l’appel de la conscience [Gewissen]. Ce comprendre authentique de l’appel, nous le caractérisions comme vouloir-avoir-conscience [Gewissen]. Ce laisser-agir-en-soi le Soi-même le plus propre à partir de lui-même en son être-en-dette représente phénoménalement le pouvoir-être authentique attesté dans le Dasein même. Or la structure existentiale de ce pouvoir-être, voilà ce qui désormais doit être libéré. Ainsi seulement pourrons-nous pénétrer jusqu’à la constitution fondamentale – ouverte dans le Dasein lui-même – de l’authenticité de son existence. EtreTemps60
Par suite, le mode d’être du Dasein requiert d’une interprétation ontologique qui s’est donné pour but l’originarité de la mise en lumière phénoménale qu’elle conquière l’être de cet étant contre sa propre tendance au recouvrement. Selon les prétentions, ou plus précisément selon la suffisance de l’« évidence » rassurée de l’explicitation quotidienne [alltäglich], l’analyse existentiale a donc constamment un caractère de violence, caractère qui, s’il marque de façon privilégiée l’ontologie du Dasein, ne s’en attache pas moins à toute interprétation dans la [312] mesure où la compréhension qui se configure en elle a la structure du projeter. Seulement, celui-ci n’exige-t-il pas un guidage et une régulation propre ? Où donc les projets ontologiques prendront-ils l’évidence de l’adéquation phénoménale de leur « données » ? L’interprétation ontologique projette un étant prédonné vers l’être qui lui est propre, afin de le porter au concept en sa structure. Mais où se trouvent les indicateurs de la direction du projet, pourtant nécessaires pour qu’elle atteigne en général l’être ? Où sont-ils, si l’étant qui devient thématique pour l’analytique existentiale va même jusqu’à retirer, dans sa guise d’être, l’être qui lui appartient ? Le traitement de ces questions devra d’abord se restreindre à la clarification – par elles exigée – de l’analytique du Dasein. EtreTemps63
Certes nous avions montré, dès notre analyse de la structure du comprendre en général, que ce qui est couramment blâmé sous le titre impropre de « cercle » appartient en réalité à l’essence et au privilège du comprendre lui-même [NA: Cf. supra, §32 [EtreTemps32], p. [152] sq.]. Néanmoins, la recherche se doit désormais, dans la perspective de la clarification de la situation herméneutique de la problématique fondamental-ontologique, d’en revenir explicitement à l’« argument du cercle » en effet, « l’objection du cercle » opposée à l’interprétation existentiale veut dire ceci : l’idée de l’existence et de l’être en général est « présupposée », et c’est « d’après » elle que le Dasein est interprété, afin d’obtenir par là l’idée de l’être. Seulement, que veut dire « présupposer » ? Est-ce qu’avec cette idée de l’existence une proposition de base est posée, à partir de laquelle nous déduirions, conformément aux règles formelles du raisonnement, d’autres propositions relatives à l’être du Dasein ? Ou bien ce pré-supposer n’a-t-il pas plutôt le caractère du projeter compréhensif, de telle sorte que l’interprétation qui configure ce [315] comprendre donne justement pour la première fois la parole à l’étant à expliciter lui-même, afin qu’il décide de lui-même s’il fournira, en tant que cet étant, la constitution d’être en direction de laquelle il fut ouvert, de manière formelle-indicative, dans le projet ? Un étant peut-il en général venir autrement à la parole quant à son être ? S’il est impossible d’« éviter », dans l’analytique existentiale, un « cercle » dans la preuve, c’est parce qu’elle ne prouve absolument pas d’après les règles de la « logique de la conséquence [Abfolge] ». Ce que l’entendement, s’imaginant ainsi satisfaire à la suprême rigueur de la recherche scientifique, souhaite éliminer en évitant le « cercle », n’est rien moins que la structure fondamentale du souci. Originairement constitué par celui-ci, le Dasein est à chaque fois déjà en-avant-de-soi-même. Étant, il s’est à chaque fois déjà projeté vers des possibilités déterminées de son existence, et, dans de tels projets existentiels, il a déjà co-projeté préontologiquement quelque chose comme l’existence et l’être. Est-il alors possible de refuser ce projeter essentiel au Dasein à la recherche qui, étant comme toute recherche elle-même un mode d’être du Dasein ouvrant, cherche à configurer et à porter au concept la compréhension d’être qui appartient à l’existence ? EtreTemps63
Cependant, l’« objection du cercle » n’en provient pas moins elle-même d’un mode d’être du Dasein. L’entente propre à l’identification préoccupée au On demeure quelque chose comme un projeter, et même un projeter ontologique – nécessairement déconcertant, puisqu’il se dresse « fondamentalement » contre lui. Qu’il soit « théorique » ou « pratique », tout ce dont l’entendement [NT: C’est-à-dire, ici : l’entente propre du On.] se préoccupe, c’est de l’étant que la circon-spection peut dominer du regard. La caractéristique insigne de l’entendement consiste en ce qu’il croit n’expérimenter que l’étant « factuel », et pouvoir ainsi se dérober à un comprendre de l’être. Il méconnaît que de l’étant ne peut être « factuellement » expérimenté que lorsque son être est déjà compris, quoique non pas encore conçu. L’entendement mécomprend le comprendre, et c’est pourquoi il est forcé de faire passer pour « violence » ce qui se tient au-delà de la portée de sa compréhension, ainsi que le dépassement y conduisant. EtreTemps63
La caractérisation de la « connexion » entre souci et ipséité n’avait pas seulement pour but la clarification du problème particulier de l’égoité, mais devait servir d’ultime préparation à la saisie phénoménale de la totalité du tout structurel du Dasein. Il est besoin de la discipline immuable du questionnement existential si nous voulons empêcher que le mode d’être du Dasein ne se pervertisse finalement, pour le regard ontologique, en un mode, fût-il tout à fait indifférent, de l’être-sous-la-main. Le Dasein devient « essentiel » dans l’existence authentique, laquelle se constitue comme résolution devançante. Ce mode de l’authenticité du souci contient le maintien de Soi-même et la totalité originaires du Dasein. C’est en un regard non dispersé, existentialement compréhensif sur elle que doit s’accomplir la libération du sens ontologique de l’être du Dasein. EtreTemps65
Comment obtenir l’orientation du regard requise par l’analyse de la temporalité de la préoccupation [Besorgen] ? Nous avons appelé l’être préoccupé auprès du « monde » l’usage dans et avec le monde ambiant [NA: Cf. supra, §15 [EtreTemps15], p. [66] sq.]. Comme phénomènes exemplaires de l’être auprès…, nous avions choisi l’utilisation, le maniement, la production de l’à-portée-de-la-main et leurs modes déficients et indifférents, autrement dit l’être auprès de ce qui appartient au besoin quotidien [alltäglich] [NA: Cf. supra, §12 [EtreTemps12], p. [56] sq.]. Même l’existence authentique du Dasein se tient en une telle préoccupation [Besorgen] – et cela même lorsque celle-ci lui demeure « indifférente ». Ce n’est point l’à-portée-de-la-main dont le Dasein se préoccupe qui cause la préoccupation [Besorgen], de telle manière que celle-ci ne prendrait naissance que sous l’influence de l’étant intramondain. Il n’est pas plus possible d’expliquer ontiquement l’être-auprès de l’à-portée-de-la-main à partir de celui-ci que de dériver inversement celui-ci à partir de celui-là. Toutefois, la préoccupation [Besorgen] en tant que mode d’être du Dasein et l’étant dont il se préoccupe en tant qu’à-portée-de-la-main intramondain ne sont pas non plus simplement ensemble sous-la-main, ce qui n’empêche qu’il existe entre eux une « connexion ». Le avec-quoi bien compris de l’usage jette sur l’usage préoccupé lui-même une lumière. Inversement, le manquement de la structure phénoménale de l’avec-quoi de l’usage a pour conséquence [Abfolge] une méconnaissance de la constitution existentiale de celui-ci. Certes, pour l’analyse de l’étant qui fait de prime abord encontre, cela représente un gain essentiel que de ne pas passer par-dessus le caractère spécifique d’outil [Zeug] de cet étant. Mais il est plus important encore de comprendre que l’usage préoccupé ne séjourne jamais auprès d’un outil [Zeug] isolé. L’utilisation, le maniement d’un outil [Zeug] déterminé demeure comme tel orienté sur un complexe d’outils. Supposons par exemple que nous cherchions un outil [Zeug] « égaré » : bien loin que la chose cherchée soit alors simplement ou primairement visée dans un « acte » isolé, c’est tout l’orbe du complexe d’outils qui est déjà pré-découvert. Tout « procéder », tout « s’emparer » ne se heurte pas de but en blanc à un outil [Zeug] prédonné isolément, mais il revient toujours du monde d’ouvrage à chaque fois déjà ouvert dans cet emparement vers un outil [Zeug] particulier. EtreTemps69
Le Dasein existe en-vue-d’un pouvoir-être de lui-même. Existant, il est jeté, et, en tant que jeté, il est remis à de l’étant dont il a besoin pour pouvoir être comme il est, à savoir en-vue-de lui-même. Pour autant que le Dasein existe facticement, il se comprend dans la connexion du en-vue-de lui-même avec ce qui lui est à chaque fois un pour… Ce dans quoi le Dasein existant se comprend est « là » avec son existence factice. Le « où » de la compréhension primaire d’être a le mode d’être du Dasein. Celui-ci, existant, est son monde. EtreTemps69
C’est seulement sur la base de la temporalité ekstatico-horizontale qu’est possible l’irruption du Dasein dans l’espace. Le monde n’est pas sous-la-main dans l’espace ; celui-ci, néanmoins, ne se laisse découvrir qu’à l’intérieur d’un monde. La temporalité ekstatique de la spatialité propre au Dasein rend précisément compréhensible l’indépendance de l’espace par rapport au temps, mais aussi, inversement, la « dépendance » du Dasein vis-à-vis de l’espace, qui se manifeste dans ce phénomène bien connu que l’auto-explicitation du Dasein et le fonds de significations de la langue est en général largement régi par des « représentation spatiales ». Cette primauté du spatial dans l’articulation des significations et des concepts n’a pas son fondement dans une puissance spécifique de l’espace, mais dans le mode d’être du Dasein. Essentiellement échéante, la temporalité se perd dans le présentifier et elle ne se comprend pas seulement circon-spectivement à partir de l’à-portée-de-la-main pour la préoccupation [Besorgen], mais elle emprunte à ce que le présentifier y rencontre constamment comme présent, c’est-à-dire aux relations spatiales, les fils conducteurs pour l’articulation de ce qui est compris et explicité dans le comprendre en général. EtreTemps70
Que l’enquête historique, comme toute science, soit à chaque fois et facticement « dépendante », en tant que mode d’être du Dasein, de la « conception du monde dominante », il n’est pas besoin d’y insister. Néanmoins, par-delà ce fait, il est nécessaire de s’enquérir de la possibilité ontologique de l’origine des sciences à partir de la constitution d’être du Dasein. Or cette origine est encore fort peu claire. Dans le cadre présent, l’analyse ne se doit que de dégager sommairement l’origine existentiale de l’enquête historique, autant qu’il est requis pour que vienne encore plus clairement en lumière l’historialité du Dasein et son enracinement dans la temporalité. EtreTemps76
Mais pour autant que l’être du Dasein est historial, c’est-à-dire qu’il est ouvert, sur le fondement de la temporalité ekstatico-horizontale, en son être-été, la thématisation du « passé » accomplissable dans l’existence a la voie libre. Et parce que le Dasein – et le Dasein seul – est originairement historial, il faut que ce que la thématisation historique propose comme objet possible à la recherche possède le mode d’être du Dasein ayant-été-Là. Avec le Dasein factice comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] est à chaque fois aussi l’histoire du monde. Que le Dasein ne soit plus Là, et le monde, lui aussi, est ayant-été-Là, et à cela ne contrevient [394] point le fait que l’à-portée-de-la-main auparavant intramondain ne passe pas encore, et, en tant que non-passé du monde qui a été Là, est « historiquement » trouvable pour un présent. EtreTemps76