temps public

Provisoirement, il nous fallait simplement comprendre comment le Dasein fondé dans la temporalité se préoccupe en existant du temps, et comment celui-ci, dans la préoccupation [Besorgen] explicitante, se publie pour l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. En quel sens le temps public ex-primé « est », et s’il peut en général être advoqué comme étant, ces questions, en revanche, demeuraient alors totalement indéterminées. Avant toute décision de la question de savoir si le temps public « n’est pourtant que subjectif », ou s’il est « objectivement effectif », ou encore ni l’un, ni l’autre, le caractère phénoménal du temps public doit tout d’abord être déterminé avec plus d’acuité. EtreTemps80

Parce que le Dasein, par essence, existe en tant que jeté de manière échéante, il explicite son temps, en s’en préoccupant, selon la guise d’un calcul du temps. En celui-ci se temporalise la [412] « véritable » publication du temps, de telle sorte qu’il faut dire que l’être-jeté du Dasein est le fondement permettant qu’« il y ait » publiquement du temps. Afin d’assurer à la monstration de l’origine du temps public à partir de la temporalité factice toute son intelligibilité possible, nous étions tenus de caractériser d’abord en général le temps explicité dans la temporalité de la préoccupation [Besorgen], ne serait-ce que pour mettre en évidence que l’essence de la préoccupation [Besorgen] du temps ne réside pas dans l’application de déterminations numériques lors de la datation. EtreTemps80

Le « temps public » se révèle être le temps « où » de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main intramondain fait encontre. Ce qui prescrit de nommer cet étant qui n’est pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig] de l’étant intratemporel. L’interprétation de l’intratemporalité procure un aperçu plus originaire dans l’essence du « temps public » et rend en même temps possible la délimitation de son « être ». EtreTemps80

Avant que nous ne tentions de caractériser en leur sens ontologico-existential les traits principaux de la formation du calcul du temps et de l’usage de l’horloge, il convient de caractériser d’abord de manière plus complète le temps tel qu’on se préoccupe de lui en le mesurant. Si c’est la mesure du temps, en effet, qui publie pour la première fois « proprement » le temps offert à la préoccupation [Besorgen], alors un examen de la manière dont ce qui est daté se montre en une telle datation « computative » doit nous rendre accessible le temps public en son originarité phénoménale. EtreTemps80

La datation du « alors » qui s’explicite dans le s’attendre préoccupé implique ceci lorsqu’il fait jour, il est temps de se mettre au travail du jour. Le temps explicité dans la préoccupation [Besorgen] est à chaque fois déjà compris comme temps de…, pour… Le « maintenant que ceci et cela » est à chaque fois comme tel approprié et inapproprié. Le « maintenant » – et ainsi tout mode du temps explicité – n’est pas seulement un « maintenant que… », mais, en tant que ce maintenant essentiellement datable, il est en même temps essentiellement déterminé par la structure de l’appropriement ou du non-appropriement. Le temps explicité a nativement le caractère du « temps pour… », ou du « ce n’est pas le temps pour… » Le présentifier s’attendant-conservant de la préoccupation [Besorgen] comprend le temps dans un rapport à un pour-quoi, qui, à son tour, est en dernière instance ancré dans un en-vue-de-quoi du pouvoir-être du Dasein. Avec ce rapport de pour…, le temps publié manifeste la structure où nous avions reconnu antérieurement [NA: Cf. supra, p. [83] sq., et §69 [EtreTemps69] c, p. [364] sq.] la significativité [Bedeutsamkeit]. Celle-ci constitue la mondanéité [Weltlichkeit] du monde. Le temps publié a, en tant que temps de…, essentiellement un caractère mondain, et c’est pourquoi nous nommons le temps qui se publie dans la temporalisation de la temporalité le temps du monde – non point certes parce qu’il serait sous-la-main comme étant intramondain (il ne peut jamais être tel), mais parce qu’il appartient au monde dans le sens que nous avons interprété ontologico-existentialement. Comment les rapports essentiels de la structure du monde, par exemple le « pour… », sont liés, sur la base de la constitution ekstatico-horizontale de la temporalité, avec le temps public, par exemple le « alors que… », c’est ce qui doit nous apparaître dans la suite. En tout état de cause, c’est maintenant seulement que le temps de la préoccupation [Besorgen] se laisse complètement caractériser en sa structure : il est datable, tendu, public, et il appartient, en tant qu’ainsi structuré, au monde lui-même. Tout « maintenant » ex-primé naturellement-quotidienne [alltäglich]ment, par exemple, a cette [415] structure, et, comme tel, il est compris – quoique non thématiquement et préconceptuellement – dans le se-laisser-le-temps préoccupé du Dasein. EtreTemps80

Mais où se fonde ce nivellement du temps du monde et ce recouvrement de la temporalité ? Réponse : dans l’être du Dasein lui-même, que nous interprétions provisoirement comme souci [NA: Cf. supra, §41 [EtreTemps41], pp. [191] sq.]. Jeté-échéant, le Dasein est de prime abord et le plus souvent perdu dans ce dont il se préoccupe. Mais dans cette perte s’annonce la fuite recouvrante du Dasein devant son existence authentique, qui a été caractérisée comme résolution devançante. Dans la fuite préoccupée est impliquée la fuite devant la mort, c’est-à-dire un détournement du regard de la fin de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] [NA: Cf. supra, §51 [EtreTemps51], pp. [252] sq.]. Ce détournement du regard de… est en lui-même un mode de l’être ekstatiquement avenant pour la fin. La temporalité inauthentique du Dasein échéant-quotidien [alltäglich] doit nécessairement, en un tel détournement de la finitude [Endlichkeit], méconnaître l’avenance authentique et, avec elle, la temporalité en général. Et c’est même lorsque la compréhension vulgaire du Dasein est guidée par le On [das Man] que la « représentation » oublieuse de soi de « l’infinité » du temps public peut pour la première fois se consolider. Le On ne meurt jamais, parce qu’il ne peut pas mourir, dans la mesure où la mort est mienne et n’est [425] existentiellement comprise de manière authentique que dans la résolution devançante. Le On, qui ne meurt jamais et mé-comprend l’être pour la fin, n’offre pas moins à la fuite devant la mort une explicitation caractéristique. Jusqu’à la fin, « on a encore le temps ». Ici s’annonce un avoir-le-temps au sens du pouvoir de le perdre « d’abord encore cela, et ensuite… ; plus que cela, et ensuite… » Ici, cependant, ce n’est nullement la finitude [Endlichkeit] du temps qui est comprise : tout au contraire, la préoccupation [Besorgen] s’applique à capturer la plus grande part possible du temps qui vient encore et qui « continue ». Le temps, du point de vue public, est quelque chose que chacun prend et peut prendre. La suite nivelée des maintenant demeure totalement méconnaissable du point de vue de sa provenance à partir de la temporalité du Dasein singulier dans l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] quotidien [alltäglich]. Et du reste, comment cela affecterait-il le moins du monde « le temps » en son cours qu’un homme sous-la-main « dans le temps » vienne à ne plus exister ? Le temps suit son cours, tel qu’il « était » aussi déjà lorsqu’un homme est « entré dans la vie ». On ne connaît que le temps public, qui, nivelé, appartient à tous, autant dire à personne. EtreTemps81

Et pourtant, à travers tous ces nivellements et recouvrements, le temps originaire ne [426] laisse pas de se manifester même dans cette pure suite de maintenant qui passent. L’explicitation vulgaire détermine le flux temporel comme un l’un-après-l’autre irréversible. Or pourquoi le temps ne se laisse-t-il pas renverser ? En soi – et surtout si l’on prend exclusivement en vue le flux des maintenant -, il est exclu d’apercevoir pourquoi la séquence [Abfolge] des maintenant ne doit pas se re-dérouler en sens inverse. L’impossibilité du renversement a son fondement dans la provenance du temps public à partir de la temporalité, dont la temporalisation, primairement avenante, « va » ekstatiquement vers sa fin, et cela de telle sorte qu’elle est « déjà » à la fin. EtreTemps81