Dans l’aspiration, l’être-déjà-auprès… a la primauté. L’être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans… est modifié de manière correspondante. L’aspiration échéante manifeste le penchant du Dasein à « se laisser porter » par le monde où il est à chaque fois. Le penchant manifeste le caractère de l’être-exposé-à… L’être-en-avant-de-soi s’est perdu dans un « être-seulement-toujours-déjà-auprès… ». La « tendance » du penchant est de se laisser entraîner par ce à quoi le penchant aspire. Si le Dasein sombre pour ainsi dire dans un penchant, alors ce n’est pas simplement encore un penchant qui est sous-la-main, mais au contraire la pleine structure du souci qui est modifiée. Devenu aveugle, le Dasein met toutes les possibilités au service du penchant. EtreTemps41
L’expression « souci » désigne un phénomène ontologico-existential fondamental, qui néanmoins n’est pas simple en sa structure. La totalité ontologiquement élémentaire de la structure du souci ne peut pas plus être reconduite à un « élément originaire » ontique que l’être, à coup sûr, ne peut être « expliqué » à partir de l’étant. Finalement, il nous apparaîtra que l’idée de l’être en général est tout aussi peu « simple » que l’être du Dasein. La détermination du souci comme être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans… – comme être-auprès… montre nettement que ce phénomène est lui aussi en soi structurellement articulé. Or n’est-ce pas là l’indice phénoménal que la question ontologique doit être poussée encore plus loin pour dégager un phénomène encore plus originaire, qui porte ontologiquement l’unité et la totalité de la multiplicité structurelle du souci ? Mais avant que la recherche poursuive cette question, il est besoin d’une appropriation rétrospective et plus aiguë de ce qui a été jusqu’ici interprété, du point de vue de la question fondamental-ontologique du sens de l’être en général. Toutefois, nous devons auparavant montrer que ce qui en cette interprétation est ontologiquement « nouveau » est ontiquement tout à fait ancien. Bien loin de le plier à une idée imaginaire, l’explication de l’être du Dasein porte pour nous existentialement au concept ce qui a déjà été ouvert ontico-existentiellement. EtreTemps41
Cependant, il a été montré par notre analyse antérieure de la mondanéité [Weltlichkeit] et de l’étant intramondain que la découverte de l’étant intramondain se fonde dans l’ouverture du monde. Or l’ouverture est le mode fondamental du Dasein conformément auquel il est son Là. L’ouverture est constituée par l’affection, le comprendre et le parler, et elle concerne cooriginairement le monde, l’être-à et le Soi-même. La structure du souci comme être-déjà-en-avant-de-soi-dans-un-monde-comme-être-auprès-de-l’étant-intramondain abrite en soi l’ouverture du Dasein. C’est avec et par elle qu’il y a de l’être-découvert, et par conséquent [221] c’est seulement avec l’ouverture du Dasein que le phénomène le plus originaire de la vérité est atteint. Ce qui a été plus haut mis au jour à propos de la constitution existentiale du Là [NA: Cf. supra, p. [134] sq.] et par rapport à l’être quotidien [alltäglich] du Là [NA: Cf. supra, p. [166] sq.] ne concernait rien d’autre que le phénomène le plus originaire de la vérité. Pour autant que le Dasein est essentiellement son ouverture, qu’en tant qu’ouvert il ouvre et découvre, il est essentiellement « vrai ». Le Dasein est « dans la vérité ». Cet énoncé a un sens ontologique. Il ne veut pas dire que le Dasein, ontiquement, est toujours ou même seulement à chaque fois expert « en toute vérité », mais qu’à sa constitution existentiale appartient l’ouverture de son être le plus propre. EtreTemps44
La condition ontologico-existentiale requise pour que l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] soit déterminé par la « vérité » et la « non-vérité » réside dans la constitution d’être du Dasein que nous avons caractérisée comme projet jeté. Elle est un constituant de la structure du souci. EtreTemps44
Et c’est sous la conduite de cette idée que s’est accomplie l’analyse préparatoire de la [314] quotidienneté [Alltäglichkeit] prochaine jusqu’à la première délimitation conceptuelle du souci. Ce qui a rendu ce phénomène possible, c’était la saisie plus aiguë de l’existence et des rapports, à elle inhérents, à la facticité et à l’échéance. La délimitation de la structure du souci a fourni sa base à une première différenciation ontologique de l’existence et de la réalité [NA: Cf. supra, §43 [EtreTemps43]. p [200] sq.]. Ce qui nous conduit à cette thèse : la substance de l’homme est l’existence [NA: Cf. supra, p. [212] et [117].]. EtreTemps63
L’unité des moments constitutifs du souci, c’est-à-dire de l’existentialité, de la facticité et de l’être-échu, a rendu possible la première délimitation ontologique de la totalité du tout structurel du Dasein. La structure du souci a été portée à la formule existentiale suivante : [317] être-déjà-en-avant-de-soi-dans (un monde) en tant qu’être-auprès (de l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde). La totalité de la structure du souci ne procède nullement d’un accouplement de ces deux éléments, et pourtant elle est articulée [NA: Cf. supra, §41 [EtreTemps41], p. [191] sq.]. Nous avons dû apprécier en quelle mesure ce résultat ontologique satisfaisait aux requêtes d’une interprétation originaire du Dasein [NA: Cf. supra, §45 [EtreTemps45], p. [231] sq.]. Et ce qu’a établi cette méditation, c’est que ni le Dasein en son tout ni son pouvoir-être authentique n’avait encore été pris pour thème. Néanmoins, notre tentative de saisir phénoménalement le Dasein total a semblé justement échouer sur la structure du souci. Le en-avant-de-soi se donnait à nous comme un ne-pas-encore. Le en-avant-de-soi caractérisé au sens d’un excédent, cependant, s’est dévoilé à la considération authentiquement existentiale comme être pour la fin que tout Dasein est dans le fond de son être. De même, nous avons montré que le souci, dans l’appel de la conscience [Gewissen], con-voque le Dasein à son pouvoir-être le plus propre. La compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] s’est manifestée – comprise originairement – comme résolution devançante, laquelle renferme en soi un pouvoir-être-tout authentique du Dasein. La structure du souci ne parle pas contre un être-tout possible, mais elle est la condition de possibilité d’un tel pouvoir-être existentiel. Au cours de l’analyse, il est apparu clairement que dans le phénomène du souci sont ancrés les phénomènes existentiaux de la mort, de la conscience [Gewissen] et de la dette. L’articulation de la totalité du tout structurel est devenue encore plus riche, et, du même coup, la question existentiale de l’unité de cette totalité encore plus urgente. EtreTemps64
Bien loin que le souci ait besoin d’être fondé dans un Soi-même, c’est l’existentialité comme constituant du souci qui livre la constitution ontologique du maintien du Soi-même du Dasein, à laquelle, conformément à la pleine teneur structurelle du souci, appartient l’être-échu factice dans l’absence de maintien du Soi-même. La structure du souci pleinement conçue inclut le phénomène de l’ipséité. La clarification de ce phénomène s’accomplira sous la forme d’une interprétation du sens de ce souci qui nous a servi à déterminer la totalité d’être du Dasein. EtreTemps64
Si la résolution constitue la modalité du souci authentique, et si elle n’est elle-même cependant possible que par la temporalité, alors il faut que le phénomène qui a été conquis du point de vue de la résolution ne représente lui-même qu’une modalité de la temporalité, laquelle en général possibilise le souci comme tel. La totalité d’être du Dasein comme souci signifie : être-déjà-en-avant-de-soi-dans (un monde) comme être-auprès-de (l’étant rencontré à l’intérieur du monde). En fixant pour la première fois cette structure articulée, nous soulignions qu’une telle articulation contraignait la question ontologique à pousser encore plus loin, jusqu’à la libération de l’unité de la totalité de la multiplicité structurelle [NA: Cf. supra, §41 [EtreTemps41], p. [196].]. L’unité originaire de la structure du souci réside dans la temporalité. EtreTemps65
Le en-avant-de-soi se fonde dans l’avenir. L’être-déjà-dans annonce en lui-même l’être-été. L’être-auprès… est rendu possible dans le présentifier. Néanmoins il nous est ici interdit, d’après ce qui vient d’être dit, de saisir le « avant » du « en-avant » et le « déjà » à partir de la compréhension vulgaire du temps. Le « en-avant » ne désigne pas un « devant » au sens du « maintenant-pas-encore… mais plus tard »; tout aussi peu le « déjà » signifie-t-il un « plus-maintenant… mais plus tôt ». Si les expressions « en-avant » et « déjà » avaient cette signification temporelle – que du reste elles peuvent aussi avoir -, parler de temporalité du souci reviendrait à dire qu’il est quelque chose qui est tout à la fois « plus tôt » et « plus tard », « pas encore » et « plus ». Le souci serait alors conçu comme un étant qui survient et se déroule « dans le temps ». L’être d’un étant avant le caractère du Dasein deviendrait un sous-la-main. Or si c’est là chose impossible, il faut que la signification temporelle des expressions citées soit autre. Le « avant » du « en-avant » indique l’avenir tel qu’il rend en général pour la première fois possible que le Dasein soit de telle manière qu’il y aille pour lui de son pouvoir-être. Le se-projeter, fondé dans l’avenir, vers le « en-vue-de soi-même » est un caractère d’essence de l’existentialité. Le sens primaire de celle-ci est l’avenir. [328] De même, le « déjà » désigne le sens d’être temporel existential de l’étant qui, pour autant qu’il est, est à chaque fois déjà jeté. C’est seulement parce que le souci se fonde dans l’être-été que le Dasein peut exister comme l’étant jeté qu’il est. « Aussi longtemps que » le Dasein existe facticement, il n’est jamais passé, mais il est bel et bien toujours déjà été au sens du «je suis-été ». Et il ne peut être été qu’aussi longtemps qu’il est. Nous qualifions au contraire de passé un étant qui n’est plus sous-la-main. Par suite, le Dasein, tandis qu’il existe, ne peut jamais se constater comme un fait sous-la-main qui naît et passe « avec le temps » et qui est déjà partiellement passé. Le Dasein ne « se trouve » jamais que comme fait jeté. Dans l’affection, le Dasein est assailli par lui-même comme l’étant que, étant encore, il était déjà, c’est-à-dire qui est constamment été. Le sens existential primaire de la facticité réside dans l’être-été. Par les expressions « en-avant » et « déjà », notre formulation de la structure du souci indique le sens temporel de l’existentialité et de la facticité. EtreTemps65
La temporalité rend donc possible l’unité de l’existence, de la facticité et de l’échéance, et elle constitue ainsi originairement la totalité de la structure du souci. Les moments du souci ne sont nullement mis bout à bout, tout aussi peu que la temporalité elle-même se compose, « au fil du temps », de l’avenir, de l’être-été et du présent. La temporalité n’« est » absolument pas un étant. Elle n’est pas, mais se temporalise. Pourquoi cependant nous ne pouvons nous dispenser de dire : « La temporalité “est” – le sens du souci », « la temporalité “est” – déterminée de telle ou telle façon », cela ne peut être rendu intelligible qu’à partir de l’idée de l’être et du « est » en général une fois clarifiée. La temporalité temporalise, à savoir des guises possibles d’elle-même. Celles-ci possibilisent la multiplicité des modes d’être du Dasein, et avant tout la possibilité fondamentale de l’existence authentique et inauthentique. EtreTemps65
Nous résumerons l’analyse antérieure de la temporalité originaire dans les thèses suivantes : le temps est originairement comme temporalisation de la temporalité en tant que laquelle il possibilise la constitution de la structure du souci. La temporalité est essentiellement ekstatique. La temporalité se temporalise originairement à partir de l’avenir. Le temps originaire est fini. EtreTemps65
La structure ontologique de l’étant que je suis à chaque fois moi-même trouve son centre dans l’autonomie de l’existence. Comme le Soi-même ne peut être conçu ni comme substance, ni comme sujet, mais se fonde dans l’existence, l’analyse du Soi-même inauthentique, du On, est restée entièrement remise à l’interprétation préparatoire du Dasein [NA: Cf. §§25 [EtreTemps25] sq., p. [113] sq.]. Or maintenant que l’ipséité a été expressément reprise dans la structure du souci, donc de la temporalité, l’interprétation temporelle du maintien ou de l’absence de maintien du Soi-même obtient un poids propre. Elle requiert une exposition thématique séparée. Toutefois, elle n’apporte pas seulement la bonne garantie contre les paralogismes et les questions ontologiquement inadéquates concernant l’être du Moi en général, mais en même temps, conformément à sa fonction centrale, elle procure un aperçu plus originaire dans la structure de temporalisation de la temporalité. Celle-ci se dévoile comme l’historialité du Dasein. La proposition : le Dasein est historial, se confirme comme énoncé ontologico-existential fondamental. Elle est sans commune mesure avec la constatation simplement ontique du fait que le Dasein survient dans une « histoire du monde ». Néanmoins, l’historialité du Dasein est le fondement d’un comprendre historique possible, lequel à son tour implique la possibilité d’une configuration proprement assumée de l’histoire comme science. EtreTemps66
Le comprendre se fonde primairement dans l’avenir (devancement du s’attendre à…). [350] L’affection se fonde primairement dans l’être-été (répétition ou oubli). L’échéance est avant tout temporellement enracinée dans le présent (présentification ou instant). Néanmoins, le comprendre est à chaque fois présent « étant-été » ; néanmoins, l’affection se temporalise comme avenir « présentifiant » ; néanmoins le présent « ré-sulte » de, ou est tenu par un avenir étant-été. Bref, la temporalité se temporalise dans chaque ekstase de manière totale, c’est-à-dire que c’est dans l’unité ekstatique de la temporalisation à chaque fois pleine de la temporalité que se fonde la totalité du tout structurel de l’existence, de la facticité et de l’échéance, autrement dit l’unité de la structure du souci. EtreTemps68