Les considérations précédentes aussi bien que l’emploi courant du mot « monde » témoignent avec éclat de sa plurivocité. Débrouiller cette multiplicité de sens peut être un bon moyen d’indiquer les divers phénomènes qui leur correspondent, ainsi que leurs connexions mutuelles : 1. « Monde » est employé comme concept ontique et signifie alors le tout de l’étant qui peut-être sous-la-main à l’intérieur du monde. 2. « Monde » fonctionne comme terme ontologique et signifie l’être de l’étant nommé sous 1. « Monde » peut alors très bien devenir le titre d’une région embrassant une multiplicité d’étants ; dans l’expression : le « monde » du mathématicien, par exemple, le [65] monde signifie la région des objets possibles de la mathématique. 3. « Monde » peut être encore une fois compris dans un sens ontique. Il ne désigne plus, à présent, l’étant que le Dasein n’est essentiellement pas et qui peut faire encontre [begegnen] de manière intramondaine, mais ce « où » un Dasein factice « vit » en tant que tel. Le monde a ici une signification existentielle préontologique, qui comporte à nouveau diverses possibilités, selon que le monde désigne le monde « public » du « nous » ou le monde ambiant « propre » et prochain (domestique). 4. « Monde », enfin, désigne le concept ontologico-existential de la mondanéité [Weltlichkeit]. La mondanéité [Weltlichkeit] est elle-même modifiable selon le tout structurel à chaque fois propre à des « mondes » particuliers, mais elle implique l’a priori de la mondanéité [Weltlichkeit] en général. Terminologiquement, nous prendrons ici le mot monde dans la troisième des significations citées. S’il est parfois employé selon la première de ces significations, celle-ci sera signalée à l’aide de guillemets. EtreTemps14
Laisser-retourner signifie ontiquement : laisser, à l’intérieur d’une préoccupation [Besorgen] factice, un étant à-portée-de-la-main être comme il est, et afin qu’il soit tel. Ce sens ontique du « laisser être », nous le saisissons de manière fondamentalement ontologique, et nous [85] interprétons ainsi le sens de la libération préalable de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde. Laisser préalablement « être » quelque chose, cela ne veut pas dire commencer par le porter et le produire à son être, mais découvrir à chaque fois déjà de l’« étant » en son être à-portée-de-la-main et le laisser ainsi faire encontre [begegnen] comme l’étant de cet être. Ce laisser-retourner « apriorique » est la condition de possibilité requise pour que de l’à-portée-de-la-main fasse encontre, de telle manière que le Dasein, dans l’usage ontique de l’étant ainsi rencontré, puisse le laisser retourner de… au sens ontique. Le laisser-retourner compris ontologiquement, en revanche, concerne la libération de tout étant à-portée-de-la-main comme tel, soit qu’il retourne ontiquement de lui, soit qu’il soit plutôt un étant dont il ne retourne justement pas ontiquement – dont nous nous préoccupons de prime abord et le plus souvent, mais que nous ne laissons pas « être » comme étant découvert, en ce sens que nous le travaillons, l’améliorons ou le brisons. EtreTemps18
Ainsi les bases ontologiques de la détermination du « monde » comme res extensa sont devenues claires : elles consistent dans l’idée non seulement non-clarifiée, mais encore déclarée non-clarifiable en son sens d’être, de la substantialité, exposée moyennant le détour par la propriété substantielle prééminente de chaque substance. D’autre part, la détermination de la substance par un étant substantiel nous livre également la raison de l’équivoque du terme. C’est la substantialité qui est visée, et pourtant elle est conquise à partir d’une constitution étante de la substance. L’ontique étant substitué à l’ontologique, l’expression substantia fonctionne tantôt au sens ontologique, tantôt au sens ontique, mais le plus souvent dans un sens ontico-ontologique confus. Mais ce qui s’abrite derrière cette imperceptible différence de signification, c’est l’impuissance à maîtriser le problème fondamental de l’être. Son élaboration exige de se mettre convenablement « sur la trace » des équivoques ; qui fait cette tentative ne « s’occupe » pas « de simples significations verbales », mais doit se risquer, [95] pour clarifier de telles « nuances », dans la problématique la plus originaire des « choses mêmes ». EtreTemps20
Les moments constitutifs du phénomène plein de la peur peuvent varier. De là résultent des possibilités d’être diverses de l’avoir-peur. À la structure d’encontre du menaçant appartient le faire-approche au sein de la proximité. Tandis qu’un menaçant s’engage lui-même soudainement en son « certes pas encore, et pourtant à tout instant » dans l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé, la peur devient de l’effroi. Dans le menaçant, il faut par conséquent distinguer : le faire-approche prochain du menaçant et le mode d’encontre de l’approchement lui-même, la soudaineté. Le devant-quoi de l’effroi est de prime abord quelque chose de bien connu et de familier. Si en revanche le menaçant a le caractère de l’absolument non-familier, la peur devient horreur. Et lorsqu’enfin un menaçant fait encontre selon le caractère de l’horrible et a en même temps le caractère d’encontre de l’effrayant, la soudaineté, la peur devient épouvante. Nous connaissons encore d’autres modifications de la peur sous les noms de timidité, de réserve, d’anxiété, de surprise. En tant que possibilités du se-trouver (affection), toutes ces modifications renvoient au fait que le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] est « intimidé ». Mais cette « intimidation » fondamentale doit être comprise non dans le sens ontique d’une disposition factice, « rare », mais comme une possibilité existentiale de l’affection essentielle du Dasein en général, qui naturellement n’en est pas la possibilité unique. EtreTemps30