sens

Sinn
sentido

[…] L’étant intramondain en général est projeté vers le monde, c’est-à-dire vers un tout de significativité [Bedeutsamkeit], dans les rapports de renvoi de laquelle la préoccupation [Besorgen] comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] s’est d’entrée de jeu fixée. Lorsque de l’étant intramondain est découvert avec l’être du Dasein, autrement dit lorsqu’il est venu à compréhension, nous disons qu’il a du sens. Cependant, ce qui est compris, ce n’est pas en toute rigueur le sens, mais l’étant — ou l’être. Le sens est ce en quoi la compréhensibilité de quelque chose se tient. Ce qui est articulable dans l’ouvrir compréhensif, nous l’appelons le sens. Le concept de sens embrasse la structure formelle de ce qui appartient nécessairement à ce que l’explicitation compréhensive articule. Le sens est le vers-quoi, tel que structuré par la pré-acquisition, la pré-vision [Vor-sicht] et l’anti-cipation, du projet à partir duquel quelque chose devient compréhensible comme quelque chose. Dans la mesure où comprendre et explicitation forment la constitution existentiale de l’être du Là, le sens doit être conçu comme la structure formelle-existentiale de l’ouverture qui appartient au comprendre. Le sens est un existential du Dasein, non pas une propriété qui s’attache à l’étant, est « derrière » lui ou flotte quelque part comme « règne intermédiaire ». De sens, le Dasein n’en « a »„ que pour autant que l’ouverture de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] est « remplissable » par l’étant découvrable en elle. Seul le Dasein, par suite, peut être sensé ou in-sensé. Ce qui veut dire que son être propre et l’étant ouvert avec lui peut être approprié dans la compréhension ou rester interdit à l’in-compréhension.
Si l’on maintient cette interprétation fondamentalement ontologico-existentiale du concept de « sens », alors il faut que tout étant qui n’a pas le mode d’être du Dasein soit conçu comme non-sensé, comme essentiellement exempt de sens. « Non-sensé », ce terme ne signifie pas ici une valorisation, il exprime une détermination ontologique. Et seul le non sensé peut être à contre-sens (absurde). Le sous-la-main, en tant qu’il fait encontre dans le Dasein, peut pour ainsi dire courir sus à son être — ainsi par exemple d’événements naturels soudains et dévastateurs.
De même, lorsque nous nous enquérons du sens de l’être, cette recherche n’a rien d’abstrus, elle ne forge pas quelque chose qui se tiendrait derrière l’être, mais elle le questionne lui-même, pour autant qu’il se tient engagé dans la compréhensivité du Dasein. Le sens de l’être ne peut jamais être mis en opposition à l’étant ou à l’être comme « fond » portant de l’étant, car le « fond » n’est lui-même accessible que comme sens, celui-ci serait-il même l’abîme de l’absence de sens. [EtreTemps 151]

Qu’est-ce qui est ontologiquement cherché sous le nom de sens du souci ? Que signifie [324] sens ? La recherche a déjà rencontré ce phénomène dans le cadre de l’analyse du comprendre et de l’explicitation [NA: Cf. supra, § 32, p. [148] sq. notamment p. [151] sq.]. D’après cette analyse, le sens est ce où se tient la compréhensibilité de quelque chose, sans que cette chose vienne elle-même expressément et thématiquement au regard. Le sens signifie le vers-où du projet primaire à partir duquel quelque chose peut être conçu comme ce qu’il est en sa possibilité. Le projeter ouvre des possibilités, autrement dit quelque chose qui rend possible.
Libérer le vers-où d’un projet signifie ouvrir ce qui rend possible le projeté. Cette libération exige méthodiquement d’accompagner le projet qui est sous-jacent — le plus souvent implicitement — à une explicitation de telle manière que ce qui est projeté dans le projet devienne ouvert et saisissable en son vers-quoi. Dégager le sens du souci, cela signifiera donc : accompagner le projet qui est à la base de, et qui guide l’interprétation existentiale originaire du Dasein, de telle manière que le vers-quoi de son projeté devienne visible. Le projeté est l’être du Dasein, à savoir en tant qu’ouvert en ce qui le constitue comme pouvoir-être-tout authentique. Le vers-quoi de ce projeté, de l’être ouvert ainsi constitué, est ce qui possibilise cette constitution même de l’être comme souci. Avec la question du sens du souci, il est donc demandé ceci : qu’est-ce qui possibilise la totalité du tout structurel articulé du souci en l’unité de son articulation déployée ?
Le sens, entendu rigoureusement, signifie le vers-quoi du projet primaire de la compréhension de l’être. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] ouvert pour lui-même comprend, cooriginairement à l’être de l’étant qu’il est lui-même, l’être de l’étant découvert à l’intérieur du monde, même si c’est encore de manière non thématique et sans différenciation de ses modes primaires, qui sont l’existence et la réalité. Toute expérience ontique de l’étant, le calcul circon-spect de l’à-portée-de-la-main aussi bien que le connaître positivement scientifique du sous-la-main, se fondent dans des projets à chaque fois plus ou moins transparents de l’être de l’étant considéré. Mais ces projets abritent en eux un vers-quoi, dont le comprendre de l’être se nourrit pour ainsi dire.
Lorsque nous disons : l’étant « a du sens », cela signifie : il est devenu accessible dans son être, lequel n’a « à proprement parler » de sens que projeté vers son vers-quoi. Si l’étant « a » du sens, c’est seulement parce que, d’emblée ouvert en tant qu’être, il devient compréhensible dans le projet de l’être, c’est-à-dire à partir du vers-quoi de celui-ci. C’est le [325] projet primaire du comprendre de l’être qui « donne » le sens. La question du sens de l’être d’un étant fait du vers-quoi du comprendre d’être sous-jacent à tout être de l’étant son thème propre. [EtreTemps65]