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Original
« Les Grecs entendent dans ce mot le plus souvent deux choses : arche veut dire, d’une part, ce à partir de quoi quelque chose prend son essor et son commencement ; mais d’autre part ce qui, en tant qu’un tel essor et commencement, maintient son emprise par-delà cet autre qui sort de lui et ainsi le tient, donc le domine. Arche veut dire en même temps commencement et commandement » [GA9:317 / Questions II 190]
Le mot arche semble être entré dans le langage philosophique seulement avec Aristote. C’est lui qui joint expressément à la signification de commencement, plus ancienne, celle de commandement. Depuis Homère, le sens courant du verbe archein était : mener, venir en premier, ouvrir, par exemple une bataille ou un discours 1. L’arche désignait ce qui est au début, soit dans un ordre de succession temporelle, comme l’enfance, soit dans un ordre d’éléments de constitution, comme la farine est à la base de la pâte, ou les organes sont les parties élémentaires du corps. La seconde signification — commandement, pouvoir, domination — ne se rencontre pas chez Homère, mais bien dans Hérodote et Pindare. Aristote reprend ce sens 2. Mais l’innovation aristotélicienne consiste dans la jonction des deux sens, début et domination, en un même concept abstrait 3. Et jusqu’à la fin de l’Antiquité 4 arche reste un (115) terme technique pour désigner des éléments constitutifs, abstraits et irréductibles, dans l’être, le devenir et la connaissance. Le concept métaphysique d’arche exprime donc l’élément structurel abstrait des étants qui, dans leur analyse, est unhintergehbar, indépassable. C’est un concept lié de part en part à la métaphysique de la substance sensible et de sa «théorie»5.
Gros
Lancho
- Par exemple Iliade, XXII, 116; Odyssée, XXI, 4.[
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- Politique III, 13 ; 1284 b 2, où il parle des nations «à l’esprit exalté par le souvenir de leur ancienne puissance».[
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- Dans Métaphysique V, 1 ; 1012 b 34-1013 a 17, Aristote donne une liste des multiples acceptions du mot où se mélangent les deux sens comme dans une simple énumération lexicographique. Il définit l’arche comme ce à partir de quoi quelque chose est, ou devient, ou est connu. Le terme signale donc une source de l’être, du devenir et du connaître au-delà de laquelle il est inutile de vouloir enquêter : elle est ultime parce qu’elle commence et commande en même temps; parce que, comme le dit Pierre Aubenque, « le commencement n’est pas un simple début qui se supprimerait dans ce qui suit, mais au contraire n’en finit jamais de commencer, c’est-à-dire de régir ce dont il est le commencement toujours jaillissant », Le Problème de l’être chez Aristote, Paris, 1966, p. 193. Le concept d’arche est plus large que celui d’aitia : «toutes les aitiai sont des archai », Métaphysique V, 1 ; 1013 a 18, mais toutes les archai ne sont pas des causes (littéralement : toutes les archai ne sont pas « coupables » de quelque chose, l’aitia désignant «ce qui est coupable qu’un étant soit ce qu’il est» (GA9:315 / Questions II 188).[
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- Chez Plotin, par exemple, les hypostases sont des éléments constitutifs, archai, de l’univers, tout comme l’être crée et la liberté sont des éléments constitutifs de l’homme, Ennéade III, 3, 4, 1-7.[
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- Le theôreîn «amène devant la perception et l’exposition les archai et les aitiai de la chose présente» (GA7:53 / Essais et conférences, 58).[
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