L’enchevêtrement des questions, la confusion de ce qui doit être prouvé avec ce qui est prouvé en effet et avec ce qui doit servir à le prouver se manifestent avec éclat dans la « réfutation de l’idéalisme » par Kant [NA: Cf. Kritik der reinen Vernunft, B 274 sq., ainsi que les compléments et améliorations apportés par la préface à cette seconde édition, B XXXIX, note ; et encore le chapitre « Des paralogismes de la raison pure », B 399 sq., surtout B 412.]. Kant considère comme un « scandale de la philosophie et de la raison humaine universelle » [NA: Id., préface, note citée.] que fasse encore et toujours défaut une preuve de l’« existence des choses hors de nous » qui soit assez contraignante pour avoir raison de tout scepticisme. Il propose lui-même une telle preuve, qu’il présente comme une démonstration du théorème suivant : « La simple conscience [Gewissen], mais empiriquement déterminée de mon existence (Daseins) propre prouve l’existence des objets dans l’espace hors de moi » [NA: Id., B 275.]. ETMartineau43
Nous devons nécessairement présupposer la vérité, elle doit nécessairement être en tant qu’ouverture du Dasein, tout comme celui-ci même doit nécessairement être en tant qu’à chaque fois mien et tel : cela appartient à l’être-jeté essentiel du Dasein dans le monde. Le Dasein a-t-il à chaque fois par lui-même librement décidé, pourra-t-il à chaque fois décider s’il veut ou non advenir au « Dasein » ? « En soi » il est impossible d’apercevoir pourquoi de l’étant doit être découvert, pourquoi de la vérité et du Dasein doit nécessairement être. La réfutation ordinaire du scepticisme, c’est-à-dire de la négation de l’être ou de la cognoscibilité de la « vérité » reste toujours à la moitié du chemin. Tout ce qu’elle montre dans une argumentation formelle, c’est que, si l’on juge, de la vérité est présupposée. Il y a là une manière d’indiquer qu’à l’énoncé de la « vérité » appartient, autrement dit que la mise au jour est en son sens d’être un découvrir. Seulement, reste alors non clarifiée la raison pour laquelle il doit nécessairement en aller ainsi, et où se trouve le fondement ontologique de cette connexion nécessaire d’être de l’énoncé et de la vérité. De même, le mode d’être de la vérité et le sens du présupposer et de son fondement ontologique dans le Dasein lui-même restent dans une totale obscurité. En outre, l’on méconnaît alors que même si personne ne juge, la [229] vérité n’en est pas moins déjà présupposée pour autant qu’en général le Dasein est. ETMartineau44
Pas plus que l’être de la « vérité » ne peut être « prouvé », pas plus un « sceptique » ne peut être réfuté. Du reste, le sceptique, s’il est facticement, selon la guise de la négation de la vérité, n’a pas non plus besoin d’être réfuté. Pour autant qu’il est et qu’il s’est compris dans cet être, il a éteint le Dasein, et avec lui la vérité, dans le désespoir du suicide. La vérité ne se laisse pas prouver dans sa nécessité, parce que le Dasein, le premier, ne saurait être pour luimême soumis à une preuve. Aussi peu il est montré qu’il y a des « vérités éternelles », tout aussi peu il est montré qu’il y ait jamais eu — contrairement à ce que croient au fond, en dépit de leur entreprise même, les réfutations du scepticisme — un « vrai » sceptique. Et pourtant, il y en a eu peut-être plus souvent que ne voudrait le croire l’ingénuité des tentatives formalo-dialectiques pour confondre le scepticisme. ETMartineau44