Bien plus, cette anthropologie philosophique s’organise sur la base d’une thématique, celle du Souci (Sorge), qui, sans jamais s’épuiser dans une praxéologie, puise néanmoins dans des descriptions empruntées à l’ordre pratique la force subversive qui lui permet d’ébranler le primat de la connaissance par objet, et de dévoiler la structure de l’être-au-monde plus fondamentale que toute relation de sujet à objet. PRTR1 I 3
La référence métaphorique, je le rappelle, consiste en ceci que l’effacement de la référence descriptive — effacement qui, en première approximation, renvoie le langage à lui-même — se révèle être, en seconde approximation, la condition négative pour que soit libéré un pouvoir plus radical de référence à des aspects de notre être-au-monde qui ne peuvent être dits de manière directe. PRTR1 I 3
En fondant sa phénoménologie sur une ontologie du Dasein et de l’être-au-monde, Heidegger n’est-il pas en droit d’affirmer que la temporalité, telle qu’il la décrit, est « plus subjective » que tout sujet et « plus objective » que tout objet, dans la mesure où son ontologie se soustrait à la dichotomie du sujet et de l’objet ? Je ne le nie pas. PRTR1 I 3
Il en résulte que la question du temps, à laquelle est consacrée la deuxième section de la première partie seule publiée de l’Être et le Temps, ne peut venir, dans l’ordre de la thématique de cet ouvrage, qu’après celle de l’être-au-monde, qui révèle la constitution fondamentale de l’être-là. PRTR3 IV I
Les déterminations relatives au concept d’existence (d’existence mienne) et à la possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité contenue dans la notion d’être-mien « doivent être considérées et comprises a priori sur la base de la constitution d’être que nous avons désignée sous le titre d’être-au-monde. PRTR3 IV I
De fait, près de deux cents pages sont consacrées à l’être-au-monde, à la mondanéité du monde en général, comme s’il fallait d’abord se pénétrer du sens du monde ambiant, avant d’avoir le droit — avant d’être en droit — de se laisser confronter par les structures de « l’être-là… comme tel » : situation, compréhension, explicitation, discours. PRTR3 IV I
Il n’est pas sans importance que, dans cet ordre thématique suivi par l’Être et le Temps, la question de la spatialité de l’être-au-monde soit posée non seulement avant celle de la temporalité, mais comme un aspect de l’« ambiance », donc de la mondanéité comme telle. PRTR3 IV I
Ne faut-il pas en dire autant à l’encontre de l’aporie husserlienne de la conscience intime du temps ? Comment resterait-il la moindre trace d’antinomie entre la conscience intime du temps et le temps objectif, dans une analytique de l’être-là ? La structure de l’être-au-monde ne ruine-t-elle pas autant la problématique du sujet et de l’objet que celle de l’âme et de la nature ? De plus, l’ambition husserlienne de faire paraître le temps lui-même est battue en brèche, dès les premières pages de l’Être et le Temps, par l’affirmation de l’oubli de l’être. PRTR3 IV I
Or « la “fin” de l’être-au-monde est la mort : “Finir”, au sens de mourir, constitue la totalité de l’être-là » . PRTR3 IV I
En principe, le terme « existentiel » caractérise le choix concret d’une manière d’être-au-monde, l’engagement éthique assuré par des personnalités exceptionnelles, par des communautés, ecclésiales ou non, par des cultures entières. PRTR3 IV I
Heidegger se donne ainsi une série de délais avant d’aborder thématiquement la temporalité : d’abord celui du long traité « préliminaire » (toute la première section de l’Être et le Temps) consacré à l’analyse de l’être-au-monde et du « là » de l’être-là, et couronné par l’analyse du Souci ; ensuite celui du court traité (les deux premiers chapitres de la seconde section) qui, en fusionnant le thème de l’être-pour-la-mort et celui de la résolution dans la notion complexe de la résolution anticipante, assure le recouvrement de l’originaire par l’authentique. PRTR3 IV I
Le chapitre IV consacré à cette « interprétation temporelle » des traits de l’être-au-monde peut ainsi être placé sous le même signe de l’attestation d’authenticité que le chapitre II consacré à l’anticipation résolue. PRTR3 IV I
Mais la difficulté paraît seulement reportée plus loin : car, pour le monde, que signifie ne plus être ? N’est-il pas dit que « le monde est seulement sur le mode de l’être-là existant, qui est de fait en tant qu’être-au-monde » ? Autrement dit : comment conjuguer au passé l’être-au-monde ? La réponse de Heidegger laisse perplexe : selon lui, le paradoxe ne frappe que les étants qui tombent sous la catégorie du donné (vorhanden) et du maniable (zuhanden) et dont on ne comprend pas comment ils peuvent être « passés », c’est-à-dire révolus et encore présents. PRTR3 IV I
Toute caractérisation historique procède exclusivement selon la temporalisation de l’être-là, sous la réserve que l’accent soit mis sur le côté monde de l’être-au-monde et que la rencontre de l’outillage lui soit incorporée. PRTR3 IV I
Cet enrichissement, on le verra, est redevable aux emprunts que fait l’analyse de la temporalité — pourtant marquée jusqu’à l’excès par sa référence au trait le plus intime de l’existence, à savoir la mortalité propre — aux analyses de la première section de l’Être et le Temps, où l’accent était mis sur le pôle monde de l’être-au-monde. PRTR3 IV I
A quoi, dit Heidegger, il faut obstinément répliquer, avec toute la gravité de la phénoménologie herméneutique du Souci, que « l’historial de l’histoire est l’historial de l’être-au-monde » et que « avec l’existence de l’être-au-monde historial, le maniable et le donné sont dès toujours incorporés dans l’historial du monde » (ibid). PRTR3 IV I
Que l’historicisation des outillages les rende autonomes, l’énigme de la passéité et du passé s’en épaissit, faute d’un appui dans l’historialité de l’être-au-monde, qui inclut celle des outillages. PRTR3 IV I
C’est tout un côté de la structure de l’être-au-monde qui ainsi se rappelle à une analyse que la priorité accordée à l’être-pour-la-mort risquait de faire basculer du côté de l’intériorité. PRTR3 IV I
Nous le risquons d’autant plus que le mouvement de bascule, qui ramène l’accent sur le « monde » de l’être-au-monde, fait prévaloir le poids des choses de notre Souci sur l’être-en-Souci. PRTR3 IV I
Le premier oubli est celui de la condition d’être-jeté, en tant que structure de l’être-au-monde. PRTR3 IV I
Ainsi, le lien éntre le temps scientifique et le temps de la préoccupation se fait-il toujours plus ténu et plus dissimulé, jusqu’à ce que s’affirme l’autonomie apparemment complète de la mesure du temps par rapport à la structure fondamentale de l’être-au-monde, constitutive du Souci. PRTR3 IV I
On ne comprend pas comment ni pourquoi l’historialité des choses de notre Souci s’affranchirait de celle du Souci lui-même, si le pôle monde de notre être-au-monde ne développait pas un temps lui-même polairement opposé au temps de notre Souci, et si la rivalité entre ces deux perspectives sur le temps, enracinées l’une dans la mondanité du monde, l’autre dans le « là » de notre manière d’être-au-monde, n’engendrait pas l’aporie ultime de la question du temps pour la pensée. PRTR3 IV I
Pris en ce sens dérivé, mais originel, le temps paraît bien être cœxtensif à l’être-au-monde, comme l’atteste l’expression même de temps-mondain. PRTR3 IV Conclusions
Or cette ultime transition, qui est aussi une déchéance, est rendue possible par l’extrapolation des traits temporels du Souci à l’ensemble de l’être-au-monde, grâce à quoi il peut être parlé du caractère « historial-mondain » des étants autres que l’être-là. PRTR3 IV Conclusions