Ricoeur (TR) – hermenêutica

C’est, en revanche, la tâche de l’herméneutique de reconstruire l’ensemble des opérations par lesquelles une œuvre s’enlève sur le fond opaque du vivre, de l’agir et du souffrir, pour être donnée par un auteur à un lecteur qui la reçoit et ainsi change son agir. PRTR1 I 3

Une herméneutique, en revanche, est soucieuse de reconstruire l’arc entier des opérations par lesquelles l’expérience pratique se donne des œuvres, des auteurs et des lecteurs. PRTR1 I 3

Dans la mesure enfin où le monde que le récit refigure est un monde temporel, la question se pose de savoir quel secours une herméneutique du temps raconté peut attendre de la phénoménologie du Temps. PRTR1 I 3

Si tel était le cas, le cercle herméneutique de la narrativité et de la temporalité se résoudrait dans le cercle vicieux de la mimèsis. PRTR1 I 3

Le cercle herméneutique du récit et du temps ne cesse ainsi de renaître du cercle que forment les stades de la mimèsis. PRTR1 I 3

Le postulat sous-jacent à cette reconnaissance de la fonction de refiguration de l’œuvre poétique en général est celui d’une herméneutique qui vise moins à restituer l’intention de l’auteur en arrière du texte qu’à expliciter le mouvement par lequel un texte déploie un monde en quelque sorte en avant de lui-même. PRTR1 I 3

Je me suis longuement expliqué ailleurs sur ce changement de front de l’herméneutique post-heideggerienne par rapport à l’herméneutique romantique. PRTR1 I 3

Si le caractère aporétique de toute phénoménologie pure du temps pouvait être argumenté de façon au moins plausible, le cercle herméneutique de la narrativité et de la temporalité serait élargi bien au-delà du cercle de la mimèsis, auquel a dû se borner la discussion dans la première partie de cet ouvrage, aussi longtemps que l’historiographie et la critique littéraire n’ont pas dit leur mot sur le temps historique et sur les jeux de la fiction avec le temps. PRTR1 I 3

Ce n’est qu’au terme de ce que je viens d’appeler une conversation triangulaire, dans laquelle la phénoménologie du temps aura joint sa voix à celles des deux précédentes disciplines, que le cercle herméneutique pourra être égalé au cercle d’une poétique de la narrativité (culminant elle-même dans le problème de la référence croisée évoquée plus haut) et d’une aporétique de la temporalité. PRTR1 I 3

On pourrait dès maintenant objecter à la thèse du caractère universellement aporétique de la phénoménologie pure du temps que l’herméneutique de Heidegger marque une rupture décisive avec la phénoménologie subjectiviste d’Augustin et de Husserl. PRTR1 I 3

L’analyse que je consacrerai à Heidegger rendra pleine justice à l’originalité dont peut se prévaloir une phénoménologie fondée dans une ontologie et qui se présente elle-même comme une herméneutique. PRTR1 I 3

Je tiens pour un acquis inappréciable de l’analyse heideggerienne d’avoir établi, avec les ressources d’une phénoménologie herméneutique, que l’expérience de la temporalité est susceptible de se déployer à plusieurs niveaux de radicalité, et qu’il appartient à l’analytique du Dasein de les parcourir, soit de haut en bas, selon l’ordre suivi dans l’Être et le Temps — du temps authentique et mortel vers le temps quotidien et public où tout arrive « dans » le temps —, soit de bas en haut comme dans les Grundprobleme der Phänomenologie. PRTR1 I 3

On peut douter en effet qu’il ait réussi à dériver le concept d’histoire familier aux historiens de métier, ainsi que la thématique générale des sciences humaines reçues de Dilthey, de l’historialité du Dasein, qui, pour la phénoménologie herméneutique, constitue le niveau médian dans la hiérarchie des degrés de temporalité. PRTR1 I 3

Tantôt ce sera la phénoménologie herméneutique du temps qui fournira la clé de la hiérarchisation du récit, tantôt ce seront les sciences du récit historique et du récit de fiction qui nous permettront de résoudre poétiquement — selon une expression déjà employée plus haut — les apories les plus intraitables spéculativement de la phénoménologie du temps. PRTR1 I 3

Mais la réflexion préliminaire que constitue la première partie de cet ouvrage nous a déjà conduit, d’une conception où le cercle herméneutique s’identifie à celui des stades de la mimèsis, à une conception qui inscrit cette dialectique dans le cercle plus vaste d’une poétique du récit et d’une aporétique du temps. PRTR1 I 3

Au vrai, ces deux règles de lecture paraîtraient entièrement arbitraires, si la théorie des modes ne trouvait sa clé herméneutique dans la théorie des symboles, qui occupe les trois autres grands Essais de l’Anatomie de la critique. PRTR2 III 1

Le symbole ainsi compris fournit une clé herméneutique pour l’interprétation de la chaîne à la fois descendante et circulaire des modes fictionnels. PRTR2 III 1

La première phase, dite littérale, correspond au premier sens de l’herméneutique biblique. PRTR2 III 1

Avec la deuxième phase, appelée formelle, qui rappelle le sens allégorique de l’herméneutique biblique, le poème reçoit une structure de son imitation de la nature, sans rien perdre de sa qualité hypothétique ; de la nature, le symbole tire une imagerie qui met toute la littérature dans un rapport oblique, indirect, avec la nature, grâce à quoi elle peut non seulement plaire, mais instruire. PRTR2 III 1

Ce trait ne passe pas dans la narratologie structurale à laquelle Gérard Genette se rattache, et ne trouve un prolongement que dans une méditation relevant d’une herméneutique du monde du texte, telle que nous l’esquisserons dans le dernier chapitre de la troisième partie. PRTR2 III 3

Mais, pour une réflexion seconde, le soupçon nous vient que ce rapport de distanciation entre la voix narrative et le récit pourrait constituer la clé herméneutique du problème posé par le roman lui-même. PRTR2 III 4

D’où notre seconde hypothèse de lecture : afin de ne conférer aucun privilège exclusif ni à l’apprentissage des signes, qui retirerait à la révélation finale son rôle de clé herméneutique pour l’œuvre entière, ni à la révélation finale, qui dépouillerait de toute signification les milliers de pages qui la précèdent, et supprimerait le problème même du rapport entre la quête et la trouvaille, il faut se représenter le cycle de la Recherche à la manière d’une ellipse dont un des foyers est la recherche et le second la Visitation. PRTR2 III 4

Or, cette formulation n’est valable que si, au préalable, ne nous bornant pas aux enseignements tirés du livre XI des Confessions, nous tentons de vérifier la thèse de l’aporicité de principe de la phénoménologie du temps sur les deux exemples canoniques de la phénoménologie de la conscience intime du temps chez Husserl et de la phénoménologie herméneutique de la temporalité chez Heidegger. PRTR3 IV Conclusions

Cette reformulation ne se borne pas à un changement de vocabulaire, dans la mesure où elle marque la subordination de la dimension épistémologique de la référence à la dimension herméneutique de la refiguration. PRTR3 IV Conclusions

C’est à une herméneutique qu’il appartient d’interpréter le sens de cette visée ontologique, par laquelle l’historien, en se fondant sur des documents, cherche à atteindre ce qui fut mais n’est plus. PRTR3 IV Conclusions

A ce stade de la réflexion, le langage de la référence, encore conservé dans la Métaphore vive, sera définitivement dépassé : l’herméneutique du « réel » et de l’« irréel » sort du cadre assigné par la philosophie analytique à la question de la référence. PRTR3 IV Conclusions

Avec cette question, l’herméneutique appliquée à la visée ontologique de la conscience historique prendra sa plus grande ampleur. PRTR3 IV Conclusions

La phénoménologie herméneutique de Heidegger, en dépit de sa rupture en profondeur avec une phénoménologie de la conscience intime du temps, n’échappe pas non plus à la règle, mais ajoute ses propres difficultés à celles de ses deux illustres prédécesseurs. PRTR3 IV I

Si on ne laisse pas les œuvres ultérieures de Heidegger couvrir la voix de l’Être et le Temps, on se donne la chance d’apercevoir, au plan même de la phénoménologie herméneutique du temps, des tensions et des discordances qui ne sont pas nécessairement celles qui ont conduit à l’inachèvement de l’Être et le Temps, parce qu’elles ne concernent pas le rapport global de l’analytique existentiale à l’ontologie, mais le détail, méticuleux, extraordinairement articulé, de l’analytique même de l’être-là. PRTR3 IV I

Ces tensions et ces discordances, on le verra, rejoignent celles qui nous ont déjà embarrassé dans les deux chapitres précédents, les éclairent d’un jour nouveau et, peut-être, en révèlent la nature profonde, à la faveur précisément de la sorte de phénoménologie herméneutique pratiquée par l’Être et le Temps, et restituée, dans notre lecture, à l’indépendance que son auteur lui avait conférée. PRTR3 IV I

S’il reste vrai que « l’ontologie n’est possible que comme phénoménologie » , la phénoménologie elle-même n’est possible que comme herméneutique, pour autant que, sous le régime de l’oubli, la dissimulation est la condition première de toute entreprise de monstration dernière. PRTR3 IV I

Par-delà le dilemme de la visibilité et de l’invisibilité du temps s’ouvre le chemin d’une phénoménologie herméneutique où le voir cède le pas au comprendre, ou, selon une autre expression, à une interprétation découvrante, guidée par l’anticipation du sens de l’être que nous sommes, et vouée à dégager (freilegen) ce sens, c’est-à-dire à le libérer de l’oubli et de la dissimulation. PRTR3 IV I

Par travail de langage, j’entends, d’abord, l’effort pour articuler de manière appropriée la phénoménologie herméneutique que l’ontologie enrôle : l’emploi fréquent du terme structure en témoigne ; j’entends, en outre, la recherche des concepts primitifs capables de soutenir l’entreprise de structuration : l’Être et le Temps, à cet égard, représente un immense chantier où sont formés les existentiaux qui sont à l’être-là ce que les catégories sont aux autres étants. PRTR3 IV I

Si la phénoménologie herméneutique peut prétendre échapper à l’alternative entre une intuition directe, mais muette, du temps, et une présupposition indirecte, mais aveugle, c’est bien grâce à ce travail de langage qui fait la différence entre interpréter (auslegen, § 32) et comprendre : interpréter, en effet, c’est développer la compréhension, ex-pliciter la structure d’un phénomène en tant que (als) tel ou tel. PRTR3 IV I

Je voudrais dire en quelques pages la percée nouvelle que cette phénoménologie herméneutique opère dans la compréhension du temps, par rapport aux trouvailles dont il faut créditer Augustin et Husserl, quitte à avouer plus loin combien est plus élevé encore le prix à payer pour cette audacieuse interprétation. PRTR3 IV I

La toute première implication temporelle qu’elle déploie est en effet celle de l’être-en-avant-de-soi (das Sichvorweg), laquelle ne comporte aucune clôture, mais bien au contraire laisse toujours quelque chose en sursis, en suspens, et demeure constamment incomplète, en vertu même du caractère de pouvoir-être (Seinskônnen) de l’être-là : si la question de l’« être-intégral » détient cependant un privilège, c’est dans la mesure où la phénoménologie herméneutique du temps a pour enjeu l’unité articulée des trois moments de l’avenir, du passé, du présent. PRTR3 IV I

Ce dernier empiétement est inéluctable, dès lors que l’état dégradé et déchu des concepts disponibles pour une phénoménologie herméneutique reflète l’état d’oubli où se trouve la question de l’être, et requiert le travail de langage évoqué plus haut. PRTR3 IV I

Les commentateurs n’ont pas assez souligné, me semble-t-il, ce nœud de toute la phénoménologie herméneutique de l’Être et le Temps. PRTR3 IV I

Plus que le primat du futur : la réinscription du terme « futur », emprunté au langage quotidien, dans l’idiome approprié à la phénoménologie herméneutique. PRTR3 IV I

Ne tenons-nous pas pour évident que le passé est déterminé et le futur ouvert ? Mais cette asymétrie, séparée de son contexte herméneutique, ne permet pas d’entendre le rapport intrinsèque du passé au futur. PRTR3 IV I

Le temps dérivé ne s’annonce-t-il pas déjà dans le hors-de-soi de la temporalité originaire ? Je ne saurais mesurer ma dette à l’égard de l’ultime contribution de la phénoménologie herméneutique de Heidegger à la théorie du temps. PRTR3 IV I

Qui ne comprend pas « historial », au sens herméneutique, ne comprend pas « historique », au sens des sciences humaines. PRTR3 IV I

A quoi, dit Heidegger, il faut obstinément répliquer, avec toute la gravité de la phénoménologie herméneutique du Souci, que « l’historial de l’histoire est l’historial de l’être-au-monde » et que « avec l’existence de l’être-au-monde historial, le maniable et le donné sont dès toujours incorporés dans l’historial du monde » (ibid). PRTR3 IV I

La tâche de la phénoménologie herméneutique, en parlant de databilité plutôt que de date, consiste à réactiver le travail d’interprétation qui se dissimule et s’annule lui-même dans la représentation du temps comme système de dates. PRTR3 IV I

Si la phénoménologie herméneutique n’a rien à dire sur les aspects épistémologiques de l’histoire de la mesure du temps, elle s’intéresse en revanche à la direction que cette histoire a prise, en distendant les liens entre cette mesure et le procès de temporalisation dont l’être-là est le pivot. PRTR3 IV I

Avant d’entrer dans la polémique dirigée par l’interprétation existentiale de l’intra-temporalité contre la représentation vulgaire du temps, disons l’avance que la phénoménologie herméneutique de Heidegger a prise sur celle d’Augustin et de Husserl. PRTR3 IV I

Mais de nouvelles apories naissent de cette avance même de la phénoménologie herméneutique. PRTR3 IV I

Elles sont révélées par l’échec de la polémique contre le concept vulgaire de temps, échec qui, par choc en retour, aide à porter au jour le caractère aporétique de cette phénoménologie herméneutique, stade après stade, et dans son ensemble. PRTR3 IV I

Nous le savons, la phénoménologie ne peut être qu’une herméneutique, parce que le plus proche de nous est aussi le plus dissimulé. PRTR3 IV I

Si, comme je le crois, on ne peut constituer la temporalité humaine sur la base du concept de temps conçu comme suite de « maintenant », le trajet inverse de la temporalité et de l’être-là au temps cosmique n’est-il pas, d’après la discussion qui précède, tout aussi impraticable ? Dans toute l’analyse précédente, une hypothèse a été par Heidegger exclue à l’avance : que le processus tenu pour un phénomène de nivellement de la temporalité soit aussi, et simultanément, le dégagement d’un concept autonome de temps — le temps cosmique —, dont la phénoménologie herméneutique du temps ne vient jamais à bout et avec laquelle elle n’a jamais fini de s’expliquer. PRTR3 IV I

Il ressort de cette discussion que l’autonomie du temps du mouvement (pour rester dans un vocabulaire kantien autant qu’aristotélicien) constitue l’ultime aporie pour la phénoménologie du temps — une aporie que seule pouvait révéler dans toute sa radicalité la conversion herméneutique de la phénoménologie. PRTR3 IV I

A son tour, cette différence entre les deux formes extrêmes de l’échange frontalier entre les deux perspectives sur le temps rend attentif à des polarités, des tensions, voire des ruptures à l’intérieur même du domaine exploré par la phénoménologie herméneutique. PRTR3 IV I

C’est par un dernier surcroît de sens que se révèle ce temps du monde par lequel la phénoménologie herméneutique jouxte la science astronomique et physique. PRTR3 IV I

Première conséquence : si l’on met l’accent sur les deux extrêmes de cette promotion de sens, l’être-pour-la-mort et le temps du monde, on découvre une opposition polaire, paradoxalement dissimulée à travers le processus herméneutique dirigé contre toute dissimulation : d’un côté le temps mortel, de l’autre le temps cosmique. PRTR3 IV I

En s’ajoutant à la cassure, pour l’épistémologie, entre, d’une part, le temps phénoménologique et, d’autre part, le temps astronomique, physique et biologique, cette scission entre temps mortel, temps historique et temps cosmique atteste, de façon inattendue, la vocation plurielle, ou mieux pluralisante, de cette phénoménologie herméneutique. PRTR3 IV I

Cette attention portée aux apories qui travaillent la section de l’Être et le Temps sur la temporalité autorise à jeter un dernier regard sur la situation de l’historialité dans la phénoménologie herméneutique du temps. PRTR3 IV I

L’ampleur de cette fonction médiatrice est égale à celle du champ d’apories ouvert par la phénoménologie herméneutique du temps. PRTR3 IV I

Mais la position médiane de l’historial entre la temporalité et l’intra-temporalité fait plus directement problème lorsque l’on passe des conflits de frontière entre la phénoménologie et la cosmologie aux discordances internes à la phénoménologie herméneutique elle-même. PRTR3 IV I

Cette question relève d’une herméneutique de la conscience historique, c’est-à-dire d’une interprétation du rapport que le récit historique et le récit de fiction pris ensemble entretiennent avec l’appartenance de chacun de nous à l’histoire effective, à titre d’agent et de patient. PRTR3 IV II

Cette herméneutique, à la différence de la phénoménologie et de l’expérience personnelle du temps, a l’ambition d’articuler directement au niveau de l’histoire commune les trois grandes ek-stases du temps : le futur sous le signe de l’horizon d’attente, le passé sous le signe de la tradition, le présent sous le signe de l’intempestif. PRTR3 IV II

Toutefois, leur contribution à l’herméneutique de la conscience historique n’apparaît qu’au terme d’un travail réflexif qui ne relève déjà plus de l’épistémologie de la connaissance historique ; pour l’historien, ces connecteurs restent, comme on vient de le dire, de simples instruments de pensée ; l’historien en fait usage, sans s’interroger sur leurs conditions de possibilité, ou plutôt de signifiance. PRTR3 IV II

La réflexion transcendantale sur le temps calendaire se trouve ainsi enrôlée par notre herméneutique de la temporalité. PRTR3 IV II

Heidegger peut bien concéder que « la représentation vulgaire a son droit naturel » , la marque de la déchéance que lui imprime la phénoménologie herméneutique est indélébile. PRTR3 IV II

Ce même processus de recouvrement revient sous une autre forme et sous un autre nom dans la phénoménologie herméneutique de Heidegger, plus attentive il est vrai à la hiérarchisation intime des niveaux de temporalisation qu’à la continuité de l’unique flux temporel. PRTR3 IV II

Or, ni la phénoménologie husserlienne, ni l’herméneutique heideggerienne de l’être-là n’ont continué cette ligne de pensée. PRTR3 IV II

Aussi bien la phénoménologie herméneutique se distingue-t-elle de la phénoménologie intuitive de style husserlien en ceci que le plus proche reste toujours le plus dissimulé. PRTR3 IV II

La répétition occupe dans la phénoménologie herméneutique une position stratégique tout à fait comparable à celle qu’occupe la dialectique de l’intention/distension chez Augustin et celle du recouvrement chez Husserl. PRTR3 IV II

En nous éloignant du vocabulaire de la référence, nous adoptons celui de l’application, reçu de la tradition herméneutique et remis en honneur par H. PRTR3 IV II

De ce dernier, nous avons appris que l’application n’est pas un appendice contingent ajouté à la compréhension et à l’explication, mais une partie organique de tout projet herméneutique. PRTR3 IV II

Toutefois, l’herméneutique tissée dans le « Prologue » est si rhapsodique que les desseins de l’auteur en deviennent impénétrables et la responsabilité du lecteur écrasante. PRTR3 IV II

La théorie de la lecture, dès ce moment, aura cessé de relever de la rhétorique, pour basculer dans une phénoménologie ou une herméneutique. PRTR3 IV II

Iser, soit dans le sens d’une herméneutique de la réception publique de l’œuvre, dans l’Esthétique de la réception de H. PRTR3 IV II

Or, ce n’est pas seulement l’effet actuel, mais l’« histoire des effets » — pour reprendre une expression propre à l’herméneutique philosophique de Gadamer — qui doit être prise en compte, ce qui exige que soit restitué l’horizon d’attente de l’œuvre littéraire considérée, à savoir le système de références façonné par les traditions antérieures, concernant aussi bien le genre, la thématique, le degré d’opposition existant chez les premiers destinataires entre le langage poétique et le langage pratique quotidien (on reviendra plus loin sur cette importante opposition). PRTR3 IV II

Si l’Esthétique de la réception, dont nous venons de résumer les thèses, a pu rejoindre et compléter la phénoménologie de l’acte de lire, c’est à la faveur d’une expansion de son propos initial, qui était de rénover l’histoire littéraire, et de son inclusion dans un projet plus ambitieux, celui de constituer une herméneutique littéraire. PRTR3 IV II

A cette herméneutique est assignée la tâche d’égaler les deux autres herméneutiques régionales, théologique et juridique, sous l’égide d’une herméneutique philosophique parente de celle de Gadamer. PRTR3 IV II

Or l’herméneutique littéraire, de l’aveu de Jauss, reste le parent pauvre de l’herméneutique. PRTR3 IV II

Contrairement à une vue superficielle, la lecture ne doit pas être confinée dans le champ de l’application, même si celle-ci révèle la finalité du processus herméneutique, mais elle doit en parcourir les trois stades. PRTR3 IV II

Une herméneutique littéraire devra ainsi répondre à ces trois questions : en quel sens la démarche primaire de la compréhension est-elle habilitée à qualifier d’esthétique l’objet de l’herméneutique littéraire ? Qu’est-ce que l’exégèse réfléchissante ajoute à la compréhension ? Quel équivalent du prêche, en exégèse biblique, du verdict, en exégèse juridique, la littérature offre-t-elle au plan de l’application ? Dans cette structure triadique, c’est l’application qui oriente téléologiquement le procès entier, mais c’est la compréhension primaire qui règle le procès d’un stade à l’autre, en vertu de l’horizon d’attente qu’elle contient déjà PRTR3 IV II

Une herméneutique littéraire devra ainsi répondre à ces trois questions : en quel sens la démarche primaire de la compréhension est-elle habilitée à qualifier d’esthétique l’objet de l’herméneutique littéraire ? Qu’est-ce que l’exégèse réfléchissante ajoute à la compréhension ? Quel équivalent du prêche, en exégèse biblique, du verdict, en exégèse juridique, la littérature offre-t-elle au plan de l’application ? Dans cette structure triadique, c’est l’application qui oriente téléologiquement le procès entier, mais c’est la compréhension primaire qui règle le procès d’un stade à l’autre, en vertu de l’horizon d’attente qu’elle contient déjà. PRTR3 IV II

L’herméneutique littéraire est ainsi à la fois orientée vers l’application et par la compréhension. PRTR3 IV II

Le primat donné à la compréhension explique qu’à la différence de l’herméneutique philosophique de Gadamer, l’herméneutique littéraire ne soit pas directement engendrée par la logique de la question et de la réponse : retrouver la question à laquelle le texte offre une réponse, reconstruire les attentats des premiers destinataires du texte, afin de restituer au texte son altérité primitive, ce sont là déjà des démarches de relecture, secondes par rapport à une compréhension primaire qui laisse le texte développer ses propres attentes. PRTR3 IV II

Ce primat assigné à la compréhension s’explique par le rapport tout à fait primitif entre connaissance et jouissance (Genuss), qui assure la qualité esthétique de l’herméneutique littéraire. PRTR3 IV II

La critique littéraire doit prendre son parti de ce préalable herméneutique de la partialité. PRTR3 IV II

Celle-ci naît de la question : quel horizon historique a conditionné la genèse et l’effet de l’œuvre, et limite en retour l’interprétation du lecteur actuel ? L’herméneutique littéraire délimite ainsi l’espace légitime des méthodes historico-philologiques, prédominantes à l’époque pré-structuraliste, puis détrônées à l’époque du structuralisme. PRTR3 IV II

La question simplement historicisante — que disait le texte ? — reste sous le contrôle de la question proprement herméneutique — que me dit le texte et que dis-je au texte ? Qu’advient-il de l’application dans ce schéma ? A première vue, l’application propre à l’herméneutique paraît ne produire aucun effet comparable au prêche dans l’herméneutique théologique ou au verdict dans l’herméneutique juridique : la reconnaissance de l’altérité du texte, dans la lecture savante, semble être le dernier mot de l’esthétique littéraire. PRTR3 IV II

On comprend cette hésitation : s’il est vrai que l’aisthèsis et la jouissance ne se bornent pas au niveau de la compréhension immédiate, mais traversent tous les stades de la « subtilité » herméneutique, on est tenté de tenir pour dernier critère de l’herméneutique littéraire la dimension esthétique, qu’accompagne le plaisir dans sa traversée des trois stades herméneutiques. PRTR3 IV II

La dialectique entre liberté et contrainte, interne au processus créateur, est ainsi transmise tout au long du processus herméneutique que Jauss caractérisait plus haut par la triade poièsis, aisthèsis, catharsis. PRTR3 IV II

Nous comprenons mieux maintenant en quel sens l’exode hors de l’hégélianisme peut être appelé un événement de pensée. Cet événement n’affecte pas l’histoire au sens de l’historiographie, mais la compréhension par elle-même de la conscience historique, son auto-compréhension. En ce sens, il s’inscrit dans l’herméneutique de la conscience historique. Cet événement est même à son tour un phénomène herméneutique. PRTR3 IV II

Dès lors, quittant l’hégélianisme, il faut oser dire que la considération pensante de l’histoire tentée par Hegel était elle-même un phénomène herméneutique, une opération interprétante, soumise à la même condition de finitude. PRTR3 IV II

Le choix de ces termes me paraît, très judicieux et particulièrement éclairant, eu égard à une herméneutique du temps historique. PRTR3 IV II

Nous nous garderons de laisser ce thème, d’une grande puissance heuristique, se refermer sur une apologie de la tradition, comme y incline la regrettable polémique qui a opposé la critique idéologique selon Habernas à la soi-disant herméneutique des traditions selon Gadamer. PRTR3 IV II

Une herméneutique plus attentive à la réception des idées se bornerait ici à rappeler que l’archéologie du savoir ne peut pas s’affranchir entièrement du contexte général où la continuité temporelle retrouve son droit, et donc ne peut manquer de s’articuler sur une histoire des idées au sens des histoires spéciales de Mandelbaum. PRTR3 IV II

Du point de vue formel où nous nous tenons encore, la notion de distance traversée s’oppose à la fois à celle du passé tenu pour simplement révolu, aboli, absous, et à celle de contemporanéité intégrale, qui fut l’idéal herméneutique de la philosophie romantique. PRTR3 IV II

Cette notion de fusion entre horizons conduit au thème qui est finalement l’enjeu de cette herméneutique de la conscience historique, à savoir la tension entre l’horizon du passé et celui du présent. PRTR3 IV II

Donner des traditions une appréciation positive n’est pourtant pas encore faire de la tradition un critère herméneutique de la vérité. PRTR3 IV II

Enfin, l’équivalence partielle entre une herméneutique des textes et une herméneutique du passé historique trouve un renfort dans le fait qu l’historiographie, en tant que connaissance par traces, dépend largement de textes qui donnent au passé un statut documentaire. PRTR3 IV II

Nous arrivons enfin au troisième sens du terme « tradition » dont nous avons délibérément ajourné l’examen : c’est celui qui a donné lieu à la confrontation entré l’herméneutique dite des traditions et la critique des idéologies. PRTR3 IV II

Ceci dit, la recherche est le partenaire obligé de la tradition, dans la mesure où celle-ci n’offre que des prétentions à la vérité : « Toute herméneutique historique, écrit Gadamer, doit commencer par abolir l’opposition abstraite entre tradition et science historique, entre le cours de l’histoire et le savoir de l’histoire » . PRTR3 IV II

Ce sont essentiellement les vicissitudes de la tradition — ou, pour mieux dire, des traditions rivales auxquelles nous appartenons dans une société et une culture pluralistes —, leurs crises internes, leurs interruptions, leurs réinterprétations dramatiques, leurs schismes, qui introduisent, dans la tradition même, en tant qu’instance de vérité, une « polarité entre familiarité et étrangeté ; c’est sur elle que se fonde la tâche de l’herméneutique » . PRTR3 IV II

Or, comment l’herméneutique remplirait-elle cette tâche, si elle n’usait pas de l’objectivité historiographique comme d’un crible à l’égard des traditions mortes ou de ce que nous tenons pour des déviations des traditions dans lesquelles nous nous reconnaissons nous-mêmes ? C’est bien ce passage par l’objectivation qui distingue l’herméneutique post-heideggerienne de l’herméneutique romantique, où « la compréhension était conçue comme la reproduction d’une production originelle » . PRTR3 IV II

Dès que l’herméneutique s’éloigne de son origine romantique, elle se met dans l’obligation d’intégrer le meilleur de l’attitude qu’elle réprouve. PRTR3 IV II

L’herméneutique peut rejeter le méthodologisme, comme position philosophique qui s’ignore en tant que philosophique : elle doit intégrer la « méthodique ». PRTR3 IV II

Car comment l’interprète se laisserait-il interpeller par « les choses mêmes », s’il n’usait pas, au moins sur un mode négatif, du « filtrage » opéré par la distance temporelle ? Il ne faut pas oublier que c’est le fait de la mécompréhension qui a donné naissance à l’herméneutique ; la question proprement critique de « la distinction à opérer entre les préjugés vrais qui guident la compréhension et les préjugés faux qui entraînent la mécompréhension » devient ainsi une question interne à l’herméneutique elle-même, Gadamer l’accorde bien volontiers : « La conscience formée à l’école herméneutique inclura par conséquent la conscience historiographique » . PRTR3 IV II

Ces deux remarques faites, nous pouvons enfin évoquer le débat entre critique des idéologies et herméneutique de la tradition, dans le seul dessein de mieux cerner la notion d’efficience de l’histoire, et son corrélat, notre être-affecté-par cette efficience. PRTR3 IV II

Or, quelle légitimité peut-elle procéder de ce qui paraît bien n’être qu’une condition empirique, à savoir la finitude inéluctable de toute compréhension ? Comment une nécessité — müssen — se convertirait-elle en un droit — sollen ? L’herméneutique de la tradition, semble-t-il, peut d’autant moins échapper à cette mise en question que sa notion même de préjugé l’appelle ; comme le terme l’indique, le préjugé se classe lui-même dans l’orbite du jugement ; il se fait ainsi plaideur devant le tribunal de la raison ; et, devant ce tribunal, il n’a d’autre ressource que de se soumettre à la loi du meilleur argument ; il ne saurait donc s’ériger en autorité propre sans se comporter en accusé qui récuse son juge, donc sans devenir son propre tribunal. PRTR3 IV II

Est-ce à dire que l’herméneutique de la tradition soit ici sans réplique ? Je ne le pense pas. PRTR3 IV II

Demandons-nous seulement de quelles armes la raison dispose dans cette compétition qui l’oppose à l’autorité de la tradition ? Ce sont d’abord les armes d’une critique des idéologies ; celle-ci commence par replacer le langage, sur lequel l’herméneutique semble se refermer, dans une constellation plus vaste, qui comporte aussi le travail et la domination ; sous le regard de la critique matérialiste qui s’ensuit, la pratique du langage se révèle être le siège de distortions systématiques qui résistent à l’action corrective qu’une philologie généralisée — ce que l’herméneutique paraît être en dernier ressort — applique à la simple mécompréhension inhérente à l’usage du langage, une fois séparée arbitrairement de sa condition sociale d’exercice. PRTR3 IV II

L’herméneutique doit donc renoncer à sa prétention universaliste pour rester créditée d’une légitimité régionale. PRTR3 IV II

C’est sur ce chemin du retour de la question du fondement à celui de l’efficience historique que l’herméneutique de la tradition se fait à nouveau entendre. PRTR3 IV II

C’est là le moment herméneutique de la critique. PRTR3 IV II

A cet égard, une herméneutique de l’histoire de l’efficience n’éclaire que la dialectique interne à l’espace d’expérience, abstraction faite des échanges entre les deux grandes modalités de la pensée de l’histoire. PRTR3 IV II

D’un côté, la dialectique du Même, de l’Autre, de l’Analogue reçoit une signification herméneutique nouvelle, d’être soumise à la pensée de l’efficience du passé. PRTR3 IV II

L’approche herméneutique, en revanche, commence par reconnaître cette extériorité du passé par rapport à toute tentative centrée sur une conscience constituante, qu’elle soit avouée, dissimulée ou méconnue. PRTR3 IV II

Finalement, cette inclusion de la dialectique du Même, de l’Autre et de l’Analogue dans l’herméneutique de l’histoire est ce qui préserve la notion de tradition de se laisser à nouveau capter par les charmes du romantisme. PRTR3 IV II

S’il le reste, c’est parce qu’il recèle une signification durable qu’une herméneutique du temps historique a la tâche de réactualiser dans des contextes toujours nouveaux. PRTR3 IV II

C’est avec Heidegger que l’aporie résultant de l’occultation mutuelle du temps phénoménologique et du temps cosmologique m’a paru atteindre son plus haut degré de virulence, en dépit du fait que la hiérarchie des niveaux de temporalisation portés au jour par la phénoménologie herméneutique de l’être-là accorde une place à l’intratemporalité, c’est-à-dire à l’être-dans-le-temps. PRTR3 IV Conclusions

En un mot, l’identité narrative est la résolution poétique du cercle herméneutique. PRTR3 IV Conclusions

Or nulle part il n’est dit pourquoi cette question est la principale que doive se poser une phénoménologie herméneutique du temps. PRTR3 IV Conclusions

Cette analyse paraît en effet soumise à deux impulsions contraires : selon la première, la phénoménologie herméneutique du Souci tend à se refermer sur un phénomène intime, non transférable d’un être-là à l’autre, qu’il faudrait appeler la mort propre, comme on dit le corps propre. PRTR3 IV Conclusions

En commençant délibérément par la notion d’horizon d’attente, nous avons en un sens fait droit au renversement de priorité opéré par Heidegger dans le cadre d’une phénoménologie herméneutique du Souci. PRTR3 IV Conclusions

C’est pourquoi l’axiome kantien, selon lequel des temps différents sont seulement des parties du même temps, ne reçoit aucune interprétation satisfaisante dans la phénoménologie herméneutique de la temporalité. PRTR3 IV Conclusions

Cette seconde requête a dominé toute notre analyse de la traditionalité ; si nous avons refusé de nous laisser enfermer dans l’alternative d’une herméneutique des traditions et d’une critique des idéologies, c’est précisément pour donner un appui concret à la critique elle-même ; sans mémoire, n’avons-nous cessé d’affirmer, point de principe-espérance. PRTR3 IV Conclusions

Parler en ces termes n’a rien de désobligeant : pour le type de discours qui se veut encore phénoménologique, comme l’est celui de l’Être et le Temps et des Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, la percée d’une analytique de l’être-là en direction de la compréhension de l’être en tant que tel peut bien être dite jouxter l’hermétisme, tant il est vrai que cette percée conduit la phénoménologie herméneutique aux limites de ses possibilités les plus propres. PRTR3 IV Conclusions

Car, prise en elle-même, la distinction entre l’être-temporal et la temporalité ne désigne plus un phénomène accessible à la phénoménologie herméneutique en tant que telle. PRTR3 IV Conclusions

 

Excertos de

Heidegger – Fenomenologia e Hermenêutica

Responsáveis: João e Murilo Cardoso de Castro

Twenty Twenty-Five

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