Richir (1994) – morte em Husserl

(Richir1994)

Husserl commence par dire qu’en régime de réduction transcendantale, « la mort est l’élimination de l’ego transcendantal hors de l’auto-objectivation comme homme » (p. 390). Ce pourquoi personne ne peut l’éprouver en soi. Est-ce à dire que le lieu du transcendantal en soi, s’il a consistance, est « lieu de la mort » ? Efforçons-nous de reprendre les linéaments du texte dans leur tissu, qui va en se densifiant.

Le premier mouvement de Husserl est, tout compte fait, assez banal : la mort signifiant la mutation du Leib, du corps-de-chair, en Körper, en corps ou en cadavre (corpus), elle est au moins « sensible » comme une rupture de l’Einfühlung, dont par ailleurs la folie donne une autre variation possible. Tout cela étant, il n’empêche que « sans vie, sans être-Moi, le monde n’est pas, ni non plus la corporéité, la spatio-temporalité, etc. » (p. 393). Nous en revenons vite, par-là, à ce qui est le plus intéressant, à savoir la question transcendantale. Écrivant que « ma vue (Einsicht) apodictique disparaît dans le monde valant pour moi et moi en tant qu’homme, avec mon corps-de-chair », Husserl ajoute en marge : « La vie originaire (urtümlich) ne peut commencer et finir (aufhören). » (p. 394). Cette indication marginale repère probablement le texte suivant :

Mais comment en va-t-il avec la vie originaire et fluante, en laquelle a lieu la temporalisation et la mondanéisation ? Comme connaissant phénoménologisant, je connais cette temporalisation, cette auto-objectivation, dans toutes leurs structures, je reconnais donc aussi que pour ce flux originaire, d’autres flux (comme ceux des autres) surgissent, qui y sont intentionnellement impliqués, mais qui n’y sont pas eux-mêmes donnés en original, etc. Ce flux peut-il commencer et cesser ? Et ainsi tout autre [flux], les hommes qui commencent et cessent d’être dans le monde. Cela est irreprésentable. (Ibid.)

Pour se l’expliquer, et donc le comprendre, Husserl prend successivement les exemples du sommeil, de la fatigue, et du sommeil sans rêve. A l’objection selon laquelle l’absence de commencement et de fin du flux originaire signifierait l’absence de sommeil, Husserl répond tout d’abord que s’endormir est s’endormir dans le flux, et pareillement que s’éveiller est s’éveiller dans le flux (p. 395), sans que le passage de la veille au sommeil et du sommeil à la veille soit repérable par un instant d’évanouissement ou de surgissement, qui signifierait une rupture de la continuité du flux. Et pourtant, dans le sommeil se constitue un temps et un monde intermédiaires (Zwischenzeit, Zwischenwelt) qui interrompent bien l’état de veille. Mais Husserl prend l’exemple de la fatigue pour montrer que le sommeil est, comme nous dirions aujourd’hui en langage quasi freudien, un désinvestissement du monde et du temps, dont la fatigue, précisément, nous donne des états graduels et transitionnels (cf. p. 396-397). Et puis, même dans le sommeil, nous sommes encore, avec les rêves, dans une sorte de « quasi-monde ». Reste alors le cas-limite du sommeil sans rêve. Là, certes, « j’ai cessé d’être dans le monde — pour moi —, j’ai cessé de vivre une vie-de-monde, une vie psychique, de vivre dans le monde une vie d’auto-perception d’homme se sachant vivant dans le monde » (p. 398). Mais même dans cet état, explique Husserl, où la vie fluante s’est refermée contre toute excitation et toute aperception, la vie est pourtant toujours en flux dans cette fermeture même, comme me le montre mon éveil, lui-même continu en tant que présent vivant muni de protentions et de rétentions (cf. ibid.).

Mais qu’en est-il de la mort, où je sais — quand je le sais — que je ne m’éveillerai pas, endurant les souffrances physiques et morales du passage ? Est-elle un anéantissement absolu ? Ou bien, dans la mesure où « la mort est la sœur du sommeil », « la mort n’est-elle pas aussi, vue de l’intérieur, un laisser aller du monde » ? (p. 399) Ne peut-on pas non plus dire que dans ce cas, la vie fluante ne cesse pas, « bien que ce flux soit passé dans le mode du non-éveil, qui ne peut conduire à un réveil » ? (Ibid.) Certes, écrit Husserl, « l’homme ne peut pas être immortel », « l’homme meurt nécessairement » (ibid.). Mais, souligne-t-il en conclusion, la vie originaire transcendantale, la vie qui crée (schaffen) le monde en dernière instance et son Moi ultime, ne peut pas devenir à partir du néant (Nichts) et passer dans le néant, elle est « immortelle », parce que le mourir pour elle n’a pas de sens, etc. (Ibid.)

Il y a plus, dans ce texte étrange, que la représentation classique de la mort comme « sommeil éternel ». Car il y a en lui, à notre sens, deux choses. D’une part, l’inconcevabilité de la mort qui vient de la représentation du temps comme continuité en écoulement du présent vivant, c’est-à-dire de ce que nous concevons, quant à nous, comme une déformation cohérente de la temporalité et de la temporalisation proprement phénoménologiques par la pérennité an-historique sans origine de l’institution symbolique, et avant tout, de celle de la langue et du présent intemporel de la langue. D’autre part, les profondeurs transcendantales de la vie transcendantale, avec son historicité transcendantale, qui ne font cependant jamais que clignoter dans et par l’épochè, constituer l’historicité transcendantale par enrichissements de sens, eux-mêmes recodés aussitôt symboliquement en étant re-présentés comme successifs et cumulatifs : l’épochè ouvre en effet à l’éclipse corrélative du sujet psychologique (et de son monde), c’est-à-dire du sujet et du monde symboliquement institués. Il aura manqué à Husserl — mais peut-être pas à Fink, à la même époque, comme le montre déjà la VIe Méditation cartésienne —, de considérer que cette éclipse du Moi institué dans le clignotement du transcendantal est déjà une mort, certes une mort battant elle-même en éclipses, et en ce sens, une mort clignotant dans la vie même, mais tout au moins une mort symbolique au champ symbolique, où s’ébauche, dans la traversée de ses battements en éclipses, ce que nous nommons l’expérience phénoménologique du sublime.

Pour mettre, dans notre propos, un peu de l’ironie nécessaire quand il s’agit d’une chose aussi grave que la mort, il aura manqué à Husserl d’envisager ensemble deux figures de la mort : à côté de la mort misérable que, à l’encontre de tout ce qui est concevable, nous aurons tous à affronter, la mort dans la vie même, la mort symbolique au symbolique, et qui nous fait vivre, tout autant qu’elle fait vivre le symbolique qui meurt toujours définitivement (irréversiblement) de ne pas vouloir la connaître. Et ce que, pourtant, Husserl pressent peut-être ici comme un inaccessible et un irréductible, c’est qu’entre ces deux figures, il y a un lien obscur, dont c’est sans doute l’une des tâches de la phénoménologie, aujourd’hui, de l’expliciter. C’est l’ébauche d’une telle explicitation que nous voudrions, ici, tenter.

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