recouvrement

Verdecktheit
encobrimento
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Mais par rapport à quoi le concept formel de phénomène doit-il être dé-formalisé en concept phénoménologique, et comment celui-ci se distingue-t-il du concept vulgaire ? Qu’est-ce donc que la phénoménologie doit « faire voir » ? Qu’est-ce qui doit, en un sens insigne, être appelé phénomène ? Qu’est-ce qui, de par son essence est nécessairement le thème d’une mise en lumière expresse ? Manifestement ce qui, de prime abord et le plus souvent, ne se montre justement pas, ce qui, par rapport à ce qui se montre de prime abord et le plus souvent, est en retrait, mais qui en même temps appartient essentiellement, en lui procurant sens et fondement, à ce qui se montre de prime abord et le plus souvent.

Mais ce qui en un sens privilégié demeure retiré, ou bien retombe dans le recouvrement, ou bien ne se montre que de manière « dissimulée », ce n’est point tel ou tel étant, mais, ainsi que l’ont montré nos considérations initiales, l’être de l’étant. Il peut être recouvert au point d’être oublié, au point que la question qui s’enquiert de lui et de son sens soit tue. Ce qui par conséquent requiert, en un sens insigne et à partir de sa réalité la plus propre, de devenir phénomène, c’est cela dont la phénoménologie s’est thématiquement « emparée » comme de son objet.

La phénoménologie est le mode d’accès à et le mode légitimant de détermination de ce qui doit devenir le thème de l’ontologie. L’ontologie n’est possible que comme phénoménologie. Le concept phénoménologique de phénomène désigne, au titre de ce qui se montre, l’être de l’étant, son sens, ses modifications et dérivés. Et le se-montrer n’est pas quelconque, ni même quelque chose comme l’apparaître. L’être de l’étant peut moins que jamais être quelque chose « derrière quoi » se tiendrait encore quelque chose « qui n’apparaît pas ».

« Derrière » les phénomènes de la phénoménologie il n’y a essentiellement rien d’autre, mais ce qui doit devenir phénomène peut très bien être en retrait. Et c’est précisément parce que les phénomènes, de prime abord et le plus souvent, ne sont pas donnés qu’il est besoin de phénoménologie. L’être-recouvert est le concept complémentaire du « phénomène ».

La modalité de recouvrement possible des phénomènes est à chaque fois différente. Un phénomène peut d’abord être recouvert en ce sens qu’il est encore en général non-découvert. De sa nature, il n’y a alors ni connaissance ni inconnaissance. Un phénomène peut ensuite être obstrué. Cela implique qu’il a auparavant été une fois découvert, mais a succombé à nouveau au recouvrement. Celui-ci peut devenir total, ou bien, comme c’est la règle, ce qui a été auparavant découvert est encore visible, bien que seulement en tant qu’apparence. Mais autant d’apparence, autant d’« être ». Ce recouvrement comme « dissimulation » est le plus courant et le plus périlleux, parce que les possibilités d’illusion et de fourvoiement sont ici particulièrement tenaces. Les structures d’être disponibles, mais voilées en leur solidité [NT: dans leur rapport à un sol], ainsi que les concepts leur correspondant peuvent à la rigueur revendiquer leur droit à l’intérieur d’un « système » : sur la base de leur insertion en un système, elles se donnent comme quelque chose qui n’a pas besoin de justification supplémentaire, qui est « clair » et peut donc servir de point de départ au progrès d’une déduction.

Mais le recouvrement lui-même, qu’il soit saisi au sens du retrait, de l’obstruction ou de la dissimulation, comporte encore une double possibilité. Il y a des recouvrements fortuits et il y en a de nécessaires, c’est-à-dire de fondés dans le mode de subsistance du découvert. Tout concept ou proposition phénoménologique puisée originairement est soumise, en tant qu’énoncé communiqué, à la possibilité de la dénaturation. Elle est simplement propagée dans une compréhension vide, elle perd sa solidité et devient une thèse flottant en l’air. La possibilité que se durcisse ou qu’échappe ce qui avait été à l’origine « capturé » fait partie du travail concret de la phénoménologie elle-même. Et la difficulté de cette recherche consiste précisément à la rendre, en un sens positif, critique à l’égard d’elle-même. [EtreTemps 35/47]


Mais d’où cette détermination d’essence, et elle justement, vient-elle à l’oeuvre ? Nous posons ici la question de l’origine de l’oeuvre d’art, et cela désormais en prenant notre point de départ dans l’oeuvre elle-même. Or selon son pré-concept, plus haut élucidé, l’origine est ce fond qui rend possible et nécessaire l’essence de l’oeuvre. Ce fondement est manifestement autre chose que ce qui est en lui. Aussi convient-il de nous mettre d’abord en quête de cet autre, de ce à quoi l’oeuvre comme oeuvre appartient. Nous demandons donc : Qu’est-ce qui, dans l’oeuvre elle-même, mais en même temps par-delà elle, est en oeuvre ? Tenons-nous le temple, la statue, la tragédie présents. L’oeuvre est tandis que, installant le monde et pro-duisant la terre, elle dispute leur litige. Dans le litige, monde et terre se dis-socient, mais non sans désormais s’as-socier résolument l’un à l’autre. Le monde ouvert cherche à captiver la terre dans un ajointement mondain ; la terre attire en retour le monde en soi et l’entraîne vers son fond obscur. Dans cet disjonction conjoignante du litige s’ouvre un ouvert. Nous l’appelons le Là. Il est l’espace de jeu éclairci où, pour la première fois, s’engage et apparaît l’étant singulier en tant qu’ainsi ou ainsi manifeste. Cet être-ouvert du Là est l’essence de la vérité. Les Grecs la nommèrent a-lètheia (hors-retrait). C’est là seulement où l’être-ouvert du Là se produit que la terre peut se presser, en tant que celle qui se referme, vers un ouvert ; c’est là seulement où l’être-ouvert du Là – la vérité – advient que le monde peut être ouvert comme l’in-jonction signifiante de ce qui est enjoint. Mais lorsque l’étant apparaît comme tel, alors et aussitôt ce qui était jusqu’ici bien connu se révèle n’être que surface, apparence, confusion. Inséparables du devenir-manifeste de l’étant, le recouvrement et la dissimulation viennent au jour, c’est-à-dire qu’apparaît la non-vérité. Elle co-appartient constamment à la vérité comme la vallée à la montagne. Mais, tout aussi immédiatement, se dégage avec le non-retiré cela même qui se referme, ce retiré que tout être-ouvert tire à chaque fois vers l’ouvert comme sa limite. C’est seulement si nous parvenons à apercevoir tout cela ensemble : le hors-retrait de ce qui est à chaque fois justement ouvert, le recouvrement et la dissimulation, ce qui se referme et ce qui se retire absolument, que nous saisissons les rapports essentiels de ce qui appartient à un être ouvert, c’est-à-dire à l’essence de la vérité (Hw. 39-44). OOA1935: II

Mais pourquoi faut-il que soit un tel provenir de la vérité, pourquoi faut-il que soit l’art en tant que poésie ? Réponse : parce que l’essence de la vérité comme hors-retrait inclut le re-trait. Celui-ci est aussi bien recouvrement (non-vérité) que, aussi, simple fermeture et, avec elle, limite de l’être-ouvert comme tel. À la vérité appartient le re-fermement, c’est-à-dire la terre. Celle-ci se refuse à tout assaut dissolvant. En elle, tout être-ouvert trouve sa borne. Mais cette borne, loin d’être extérieure à lui, est précisément ce qui borde l’être-ouvert, qui s’engage en lui, qui le porte et qui le lie ; c’est-à-dire que la vérité est essentiellement terrestre. OOA1935: II