question du sens de l’être

Mais ce n’est pas tout. Car sur la base des premiers essais grecs en vue de l’interprétation de l’être un dogme s’est élaboré, qui non seulement déclare superflue la question du sens de l’être, mais encore légitime expressément l’omission de la question. On dit : l’« être » est le concept le plus universel et le plus vide. En tant que tel, il répugne à toute tentative de définition. Du reste, ce concept le plus universel, donc indéfinissable, n’a même pas besoin de définition. Chacun l’utilise constamment en comprenant très bien ce qu’il entend par là. Du coup, ce qui, en son retrait, avait jeté et tenu dans l’inquiétude le philosopher antique est devenue une « évidence » (NT: Au sens de « ce qui va de soi ».) si aveuglante que quiconque persiste à s’en enquérir se voit reprocher une faute de méthode. EtreTemps1

Au seuil de cette recherche, nous ne pouvons élucider en détail tous les préjugés qui ne cessent d’entretenir l’indifférence à l’égard d’un questionner de l’être. Ils jettent leurs racines dans l’ontologie antique elle-même. Quant à celle-ci, elle ne saurait à son tour être interprétée (3) de manière satisfaisante – en ce qui concerne le sol où sont nés les concepts ontologiques fondamentaux ainsi que la légitimation adéquate de l’assignation des catégories et de leur énumération complète – qu’au fil conducteur de la question de l’être préalablement clarifiée et résolue. Par conséquent, nous ne discuterons ici les préjugés cités qu’autant qu’il est requis pour faire apercevoir la nécessité d’une répétition de la question du sens de l’être. Ils sont au nombre de trois : 1. L’« être » est le concept « le plus universel » : to on esti katholou malista panton (NA: ARISTOTE, Met., B 4, 1001 a 21.). « Illud quod primo cadit sub apprehensione est ens, cujus intellectus includitur in omnibus, quaecumque quis apprehendit » : « Une compréhension de l’être est toujours déjà comprise dans tout ce que l’on saisit de l’étant » (NA: THOMAS D’AQUIN, Summa theol., I-II, q. 94, a. 2.). Mais l’« universalité » de l’« être » n’est pas celle du genre. L’« être » ne délimite pas la région suprême de l’étant pour autant que celui-ci est articulé conceptuellement selon le genre et l’espèce : oute to on genos (NA: ARISTOTE, Met., B 3, 998 b 22.). L’« universalité » de l’être « transcende » toute universalité générique. Selon la terminologie de l’ontologie médiévale, l’être est un transcendens. L’unité de ce transcendantalement « universel », par opposition à la multiplicité des concepts génériques réals suprêmes, a déjà été reconnue par Aristote comme unité d’analogie. Par cette découverte, Aristote, en dépit de toute sa dépendance à l’égard de la problématique ontologique de Platon, a situé le problème de l’être sur une base fondamentalement nouvelle. Bien sûr, lui non plus n’a point éclairci l’obscurité de ces relations catégoriales. L’ontologie médiévale a discuté multiplement ce problème dans les écoles thomiste et scotiste, sans parvenir à une clarté fondamentale. Et lorsque finalement Hegel détermine l’« être » comme l’« immédiat indéterminé » et qu’il place cette détermination à la base de toutes les explications catégoriales ultérieures de sa Logique, il se maintient dans la même perspective que l’ontologie antique, à ceci près qu’il abandonne le problème, déjà posé par Aristote, de l’unité de l’être par rapport à la multiplicité des « catégories » réales. Lorsque l’on dit par conséquent, que l’ « être » est le concept le plus universel, cela ne peut pas vouloir dire qu’il est le plus clair, celui qui a le moins besoin d’élucidation supplémentaire. Bien plutôt le concept d’« être » est-il le plus obscur. (4) 2. Le concept d’« être » est indéfinissable. C’est ce que l’on concluait de son universalité (NA: Cf. PASCAL, Pensées et Opuscules, éd. L. Brunschvig, Paris, 1912, p. 169 : « On ne peut entreprendre de définir l’être sans tomber dans cette absurdité : car on ne peut définir un mot sans commencer par celui-ci, c’est, soit qu’on l’exprime ou qu’on le sous-entende. Donc pour définir l’être, il faudrait dire c’est, et ainsi employer le mot défini dans sa définition. »). À bon droit – si « definitio fit per genus proximum et differentiam specificam ». L’être ne peut en effet être conçu comme étant ; « enti non additur aliqua natura » ; l’être ne peut venir à la déterminité (Bestimmtheit) selon que de l’étant lui est attribué. L’être n’est ni dérivable définitionnellement de concepts supérieurs, ni exposable à l’aide de concepts inférieurs. Mais suit-il de là que l’« être » ne puisse plus poser de problème ? Nullement. Tout ce qu’il est permis d’en conclure, c’est ceci : l’« être » n’est pas quelque chose comme de l’étant. Par suite, le mode de détermination de l’étant justifié dans certaines limites – la « définition » de la logique traditionnelle, qui a elle-même ses fondations dans l’ontologie antique – n’est pas applicable à l’être. L’indéfinissabilité de l’être ne dispense point de la question de son sens, mais précisément elle l’exige. 3. L’« être » est le concept « évident ». Dans toute connaissance, dans tout énoncé, dans tout comportement par rapport à l’étant, dans tout comportement par rapport à soi-même, il est fait usage de l’« être », et l’expression est alors « sans plus » compréhensible. Chacun comprend : « le ciel est bleu », « je suis joyeux », etc. Seulement, cette intelligence moyenne ne démontre guère qu’une incompréhension. Ce qu’elle manifeste, c’est qu’il y a a priori, dans tout comportement, dans tout être par rapport à l’étant comme étant, une énigme. Que toujours déjà nous vivions dans une compréhension de l’être et qu’en même temps le sens de l’être soit enveloppé dans l’obscurité, voilà qui prouve la nécessité fondamentale de répéter la question du sens de l’« être ». EtreTemps1

La question du sens de l’être doit être posée. Si elle est une, ou plutôt la question-fondamentale, alors un tel questionner requiert une transparence appropriée. Par suite, il nous faut brièvement élucider ce qui appartient en général à une question, afin de rendre visible à partir de là la question de l’être comme question insigne. EtreTemps2

Si la question de l’être doit être posée expressément et être accomplie dans une pleine transparence d’elle-même, alors une élaboration de cette question, d’après les élucidations antérieures, exige l’explication du mode de visée de l’être, du comprendre et du saisir conceptuel du sens, la préparation de la possibilité du choix correct de l’étant exemplaire, l’élaboration du mode authentique d’accès à cet étant. Or viser, comprendre et concevoir, choisir, accéder sont des comportements constitutifs du questionner, et ainsi eux-mêmes des modes d’être d’un étant déterminé, de l’étant que nous, qui questionnons, nous sommes à chaque fois nous-mêmes. Élaboration de la question de l’être veut donc dire : rendre transparent un étant – celui qui questionne – en son être. En tant que mode d’être d’un étant, le questionner de cette question est lui-même essentiellement déterminé par ce qui est en question en lui – par l’être. Cet étant que nous sommes toujours nous-mêmes et qui a entre autres la possibilité essentielle du questionner, nous le saisissons terminologiquement comme DASEIN. La position expresse et transparente de la question du sens de l’être exige une explication préalable adéquate d’un étant (le Dasein) au point de vue de son être. EtreTemps2

Mais si la question du sens de l’être ne commet aucun « cercle démonstratif », elle ne s’en caractérise pas moins par une « rétro-» et « pré-référence » du questionné (être) au questionner en tant que mode d’être d’un étant. Ce concernement essentiel du questionner par son questionné appartient au sens le plus propre de la question de l’être. Or cela signifie simplement que l’étant qui a le caractère du Dasein est lui-même en rapport – et peut-être même en un rapport insigne – à la question de l’être. Or à travers ce rapport un étant déterminé ne se trouve-t-il pas déjà assigné en sa primauté d’être ? L’étant exemplaire qui doit fonctionner comme l’interrogé premier de la question de l’être n’est-il pas déjà prédonné ? Mais il s’en faut que les élucidations précédentes suffisent à manifester la primauté du Dasein, ou à décider de sa fonction possible ou même nécessaire d’étant à interroger primairement. Au moins quelque chose comme une primauté du Dasein s’est-elle annoncée à nous. EtreTemps2

Mais dans la mesure où l’existence détermine le Dasein, l’analytique ontologique de cet étant a toujours déjà besoin d’une prise de perspective préalable sur l’existentialité. Or nous comprenons celle-ci comme la constitution d’être de l’étant qui existe. Mais dans l’idée d’une telle constitution d’être est déjà contenue l’idée d’être. Ainsi même la possibilité d’accomplissement de l’analytique du Dasein dépend de l’élaboration préalable de la question du sens de l’être en général. EtreTemps4

Si l’être doit être conçu à partir du temps et si les divers modes et dérivés de l’être deviennent en effet compréhensibles en leurs modifications et dérivations du point de vue du temps, alors c’est l’être lui-même – et non pas par exemple seulement de l’étant « intratemporel » – qui est rendu visible en son caractère « temporel ». Mais « temporel » ne peut plus alors signifier simplement « étant dans le temps ». Même l’« intemporel » et le « supratemporel » sont « temporels » en leur être, et cela à nouveau non pas seulement sur le mode d’une privation par rapport à de l’étant « temporel » au sens d’étant « dans le temps », (19) mais bien dans un sens positif, qui d’ailleurs reste à clarifier. Comme le mot « temporel » est attesté – au sens indiqué – par l’usage linguistique préphilosophique et philosophique, et comme ce mot, au cours des recherches qui suivent, sera à nouveau pris dans une autre signification, nous appellerons la déterminité (Bestimmtheit) de sens originaire de l’être et de ses caractères et modes à partir du temps sa déterminité (Bestimmtheit) temporale. La tâche fondamental-ontologique de l’interprétation de l’être comme tel inclut donc l’élaboration de l’être-temporal (Temporalität) de l’être. C’est dans l’exposition de la problématique de l’être-temporel qu’est pour la première fois donnée la réponse concrète à la question du sens de l’être. EtreTemps5

Si par ailleurs le Dasein a saisi la possibilité qui est en lui non seulement de se rendre transparente son existence, mais encore de questionner proprement le sens de l’existentialité, autrement dit et préalablement le sens de l’être, si, en un tel questionnement, son regard s’est ouvert pour l’historialité essentielle du Dasein, alors l’aperçu suivant ne peut pas ne pas s’imposer : le questionnement de l’être, tel qu’il a été déterminé du point de vue de sa nécessité ontico-ontologique, est lui-même caractérisé par l’historialité. L’élaboration de la question de l’être doit ainsi recueillir du sens d’être le plus propre du questionnement en tant (21) que questionnement historial l’assignation à se mettre en quête de sa propre histoire, c’est-à-dire à devenir historique, afin de se mettre par une appropriation positive du passé en pleine possession des possibilités les plus propres de questionnement. Conformément au mode d’accomplissement qui lui appartient, c’est-à-dire en tant qu’explication préalable du Dasein en sa temporalité et historialité, la question du sens de l’être est portée par elle-même à se comprendre comme historique. EtreTemps6

Dès le début (§1), il a été montré que la question du sens de l’être non seulement n’est pas réglée, non seulement n’est pas posée de façon satisfaisante, mais encore que, malgré tout l’intérêt porté à la « métaphysique », elle est tombée dans l’oubli. L’ontologie grecque et son histoire qui, à travers diverses filiations et déviations, détermine aujourd’hui encore la (22) conceptualité de la philosophie, est la preuve que le Dasein comprend lui-même et l’être en général à partir du « monde », et que l’ontologie ainsi née bute sur la tradition qui la fait sombrer dans l’évidence et la ravale au rang d’un matériau qui n’attendrait plus que d’être retravaillé (ainsi en va-t-il pour Hegel). Cette ontologie grecque déracinée devient au Moyen Âge un capital doctrinal fixe. Mais cette systématique est tout autre chose que l’assemblage de fragments transmis en un édifice : même à l’intérieur des limites d’une reprise dogmatique des conceptions fondamentales des Grecs sur l’être, une telle systématisation n’en inclut pas moins bien des acquisitions encore incomprises. Sous cette empreinte scolastique, c’est encore pour l’essentiel l’ontologie grecque qui, via les Disputationes metaphysicae de Suarez, passe dans la « métaphysique » et la philosophie transcendantale des temps modernes et détermine les fondations et les buts de la Logique de Hegel. Mais comme au cours de cette histoire, ce sont des régions d’être déterminées et privilégiées qui sont prises en vue, et même qui guident primairement la problématique (l’ego cogito de Descartes, le Moi, la raison, l’esprit, la personne), ces régions, conformément à l’omission complète de la question de l’être, demeurent non questionnées quant à l’être et à la structure de leur être. Bien plutôt le fonds catégorial de l’ontologie traditionnelle, au prix des formalisations correspondantes et de restrictions purement négatives, est-il transposé à cet étant, à moins que la dialectique ne soit appelée à l’aide en vue d’une interprétation ontologique de la substantialité du sujet. EtreTemps6

C’est seulement avec l’accomplissement de la destruction de la tradition ontologique que la question de l’être trouve sa concrétion véritable. C’est en elle qu’elle obtient la preuve complète du caractère indispensable de la question du sens de l’être, et qu’elle met ainsi en évidence le sens de l’expression : « répétition » d’une question. EtreTemps6

Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant – l’ontologie. Lors de notre éclaircissement des tâches de l’ontologie, nous est apparue la nécessité d’une ontologie-fondamentale ayant pour thème l’étant ontologico-ontiquement privilégié, le Dasein, mais aussi pour intention de se convoquer devant le problème cardinal, à savoir la question du sens de l’être en général. Or la recherche même nous montrera que le sens méthodique de la description phénoménologique est l’explicitation. Le logos de la phénoménologie du Dasein a le caractère de l’hermeneuein par lequel sont annoncés à la compréhension d’être qui appartient au Dasein lui-même le sens authentique de l’être et les structures fondamentales de son propre être. La phénoménologie du Dasein est herméneutique au sens originel du mot, d’après lequel il désigne le travail de l’explicitation. Cependant, dans la mesure où par la mise à découvert du sens de l’être et des structures fondamentales du Dasein en général est ouvert l’horizon de toute recherche ontologique ultérieure sur l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), cette herméneutique devient en même temps « herméneutique » au sens de l’élaboration des conditions de possibilité de toute recherche ontologique. Et pour autant, enfin, que le Dasein a la primauté ontologique sur tout étant – en tant qu’il est dans la possibilité de l’existence -, l’herméneutique en tant qu’explicitation (38) de l’être du Dasein reçoit un troisième sens spécifique, à savoir le sens, philosophiquement premier, d’une analytique de l’existentialité, de l’existence. Dans cette herméneutique, en tant qu’elle élabore ontologiquement l’historialité du Dasein comme la condition ontique de possibilité de la recherche historique, s’enracine par conséquent ce qui n’est nommé que dérivativement « herméneutique » : la méthodologie des sciences historiques de l’esprit. EtreTemps7

La question du sens de l’être est la plus universelle et la plus vide ; toutefois, elle contient en même temps la possibilité d’être individuée de manière plus aiguë sur le Dasein singulier. L’obtention du concept fondamental d’« être » et l’esquisse de la conceptualité ontologique par lui exigée, ainsi que de ses modifications nécessaires, ont besoin d’un fil conducteur concret. L’universalité du concept d’être n’est pas contradictoire avec la « spécialité » de l’enquête, c’est-à-dire avec une percée jusqu’à lui qui emprunte le chemin d’une interprétation spéciale d’un étant déterminé, le Dasein, où doit être conquis l’horizon pour la compréhension et l’explicitation possible de l’être. Mais cet étant lui-même est en soi « historial », de telle sorte que l’éclairage ontologique le plus propre de cet étant devient nécessairement une interprétation « historique ». EtreTemps8

L’interrogé primaire dans la question du sens de l’être est l’étant qui a le caractère du Dasein. L’analytique existentiale préparatoire du Dasein a elle-même besoin, conformément à sa spécificité, d’être préalablement esquissée et délimitée par rapport à des recherches apparemment équivalentes (chapitre 1). Puis, compte tenu du point de départ fixé à cette recherche, il convient de libérer dans le Dasein une structure-fondamentale : l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) (chapitre II). Cet « a priori » de l’interprétation du Dasein n’est point une déterminité (Bestimmtheit) composite, mais une structure originellement et constamment totale. Toutefois, elle procure des points de vue divers sur les moments qui la constituent. Tout en maintenant le regard constamment fixé sur la totalité à chaque fois première de cette structure, il faut discerner phénoménalement ces moments. Aussi l’analyse prendra-t-elle successivement pour objet : le monde en sa mondanéité (Weltlichkeit) (chapitre III), l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) comme être-avec (Mitsein) et être-soi-même (chapitre IV), l’être-à… comme tel (chapitre V). Sur la base de l’analyse de cette structure fondamentale, une indication provisoire de l’être du Dasein deviendra possible. Son sens existential est le souci (chapitre VI). EtreTemps8

L’analytique du Dasein, en poussant jusqu’au phénomène du souci, est destinée à préparer la problématique fondamental-ontologique, la question du sens de l’être en général. Il convient donc, à partir des résultats acquis, d’infléchir expressément le regard dans cette direction, autrement dit de dépasser la tâche particulière d’une anthropologie apriorique existentiale. Or pour cela, les phénomènes qui se tiennent dans la connexion la plus étroite avec la question directrice de l’être doivent être pris en vue rétrospectivement et saisis de manière encore plus pénétrante. Ces phénomènes, ce sont d’une part les guises de l’être qui ont été expliquées : l’être-à-portée-de-la-main, l’être-sous-la-main, qui déterminent l’étant intramondain qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). Or comme la problématique ontologique, depuis toujours, a compris primairement l’être au sens de l’être-sous-la-main (« réalité », effectivité du monde) tout en laissant l’être du Dasein ontologiquement indéterminé, il est besoin d’une élucidation de la connexion ontologique entre souci, mondanéité (Weltlichkeit), être-à-portée-de-la-main et être-sous-la-main (réalité). Ce qui nous conduira à une détermination plus aiguë du concept de réalité dans le cadre d’une discussion des problématiques gnoséologiques orientées sur cette idée, à savoir celle du réalisme et de l’idéalisme. EtreTemps39

La question du sens de l’être ne devient en général possible que si est quelque chose comme la compréhension de l’être. Au mode d’être de l’étant que nous appelons Dasein appartient la compréhension de l’être. Plus l’explication de cet étant parvenait à s’accomplir adéquatement et originairement, et plus le cours ultérieur de l’élaboration du problème fondamental-ontologique était assuré d’atteindre le but. EtreTemps43

C’est pourquoi non seulement l’analytique du Dasein, mais encore l’élaboration de la question du sens de l’être en général doit être détachée de cette orientation unilatérale sur l’être au sens de réalité. Une chose doit être avant tout montrée : la réalité n’est pas seulement un mode d’être parmi d’autres, mais elle se tient ontologiquement dans une certaine connexion de dérivation avec le Dasein, le monde et l’être-à-portée-de-la-main. Cette monstration exige une élucidation fondamentale du problème de la réalité, de ses conditions et de ses limites. EtreTemps43

La réponse à la question du sens de l’être fait encore défaut. En quelle mesure l’analyse fondamentale du Dasein jusqu’ici accomplie a-t-elle contribué à préparer l’élaboration de cette question ? La libération du phénomène du souci a permis de clarifier la constitution d’être de l’étant à l’être duquel appartient quelque chose comme la compréhension de l’être. Ainsi, l’être du Dasein a été en même temps délimité par rapport à des modes d’être (être-à-portée-de-la-main, être-sous-la-main, réalité) qui caractérisent l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). Enfin le comprendre lui-même a été précisé, ce qui a permis en même temps de garantir la transparence méthodique du procédé compréhensif-explicitatif de l’interprétation de l’être. EtreTemps44

Est cherchée la réponse à la question du sens de l’être en général, et avant tout la possibilité d’une élaboration radicale de cette question fondamentale de toute ontologie. Or libérer l’horizon où quelque chose comme l’être en général devient compréhensible, cela équivaut à éclaircir la possibilité de la compréhension de l’être en général, laquelle appartient elle-même à la constitution de l’étant que nous appelons Dasein (NA: Cf. supra, §6, p. 19 sq., §21 (EtreTemps21), p. 95 sq. et §43 (EtreTemps43) p. 201.). Néanmoins, la compréhension de l’être ne peut être éclaircie radicalement en tant que moment essentiel d’être du Dasein que si l’étant à l’être duquel elle appartient est en lui-même interprété originairement quant à son être. EtreTemps45

Avec l’élaboration de la résolution comme un se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette le plus propre, notre recherche est devenue capable de délimiter le sens ontologique de ce pouvoir-être-tout authentique du Dasein dont elle était en quête. Désormais, l’authenticité du Dasein n’est ni un titre vide, ni une idée fictive. Néanmoins, l’être pour la mort authentique que nous avons existentialement déduit en le manifestant comme pouvoir-être-tout authentique demeure encore un projet purement existential, auquel l’attestation propre du Dasein fait défaut. C’est seulement si celle-ci est trouvée que la recherche peut satisfaire à la tâche exigée par sa problématique, d’une mise en lumière d’un pouvoir-être-tout du Dasein existentialement confirmé et clarifié ; comme c’est seulement si cet étant est devenu phénoménalement accessible en son authenticité et totalité que la question du sens de l’être de cet étant à l’existence duquel appartient la compréhension de l’être en général aura atteint un sol ferme. EtreTemps60

Lorsque nous disons : l’étant « a du sens », cela signifie : il est devenu accessible dans son être, lequel n’a « à proprement parler » de sens que projeté vers son vers-quoi. Si l’étant « a » du sens, c’est seulement parce que, d’emblée ouvert en tant qu’être, il devient compréhensible dans le projet de l’être, c’est-à-dire à partir du vers-quoi de celui-ci. C’est le (325) projet primaire du comprendre de l’être qui « donne » le sens. La question du sens de l’être d’un étant fait du vers-quoi du comprendre d’être sous-jacent à tout être de l’étant son thème propre. EtreTemps65

Tous les efforts de l’analytique existentiale sont tournés vers cet unique but : trouver une possibilité de réponse à la question du sens de l’être en général. L’élaboration de cette question requiert une délimitation du phénomène où devient accessible quelque chose comme l’être – la compréhension de l’être. Or celle-ci appartient à la constitution d’être du Dasein. C’est seulement si cet étant a tout d’abord été interprété de manière suffisamment originaire que la compréhension d’être incluse dans sa constitution d’être peut elle-même être conçue, et, sur cette base, être posée la question de l’être compris en elle et des « présupposés » de ce comprendre. EtreTemps72

Ce qui parait aussi éclairant que la différence séparant l’être du Dasein existant de l’être de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig) (la réalité, par exemple) n’est pourtant que le (437) départ de la problématique ontologique, et non point quelque chose où la philosophie pourrait trouver son apaisement. Que l’ontologie antique travaille avec des « concepts de choses » et que le péril subsiste de « réifier la conscience (Gewissen) », on le sait depuis longtemps. Mais que signifie réification ? D’où provient-elle ? Pourquoi l’être est-il justement « de prime abord » « conçu » à partir du sous-la-main et non pas à partir de l’à-portée-de-la-main, qui pourtant se trouve encore davantage à proximité ? Pourquoi cette réification assure-t-elle constamment de nouveau sa souveraineté ? Comment l’être de la « conscience (Gewissen) » est-il positivement structuré pour que la réification lui demeure inadéquate ? La « différence » entre « conscience (Gewissen) » et « chose » suffit-elle en général à un déploiement originaire de la problématique ontologique ? Les réponses à ces questions sont-elles obvies ? Et la réponse peut-elle même être seulement cherchée tant que la question du sens de l’être en général demeure non posée et non clarifiée ? EtreTemps83