Beaucoup de choses, néanmoins, peuvent précéder le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le caractère de la précédence, en tant que tel, ne suffit point à caractériser la mort de façon privilégiée. Au contraire : cette interprétation, elle aussi, pourrait favoriser la supposition que la mort devrait être comprise au sens d’un événement imminent, venant à ma rencontre à l’intérieur du monde. Peuvent être imminents en ce sens, par exemple, un orage, la transformation de la maison, l’arrivée d’un ami, bref, un étant qui est sous-la-main, à-portée-de-la-main ou Là-avec. Mais la mort, en sa pré-cédence, ne présente nullement un être de cette sorte. EtreTemps50
La mort, elle, est une possibilité d’être que le Dasein a lui-même à chaque fois à assumer. Avec la mort, le Dasein se pré-cède lui-même en son pouvoir-être le plus propre. Dans cette possibilité, il y va pour le Dasein purement et simplement de son être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Sa mort est la possibilité du pouvoir-ne-plus-être-Là. Tandis qu’il se pré-cède comme cette possibilité de lui-même, le Dasein est complètement assigné à son pouvoir-être le plus propre. Par cette pré-cédence, tous les rapports à d’autres Dasein sont pour lui dissous. Cette possibilité la plus propre, absolue, est en même temps la possibilité extrême. En tant que pouvoir-être, le Dasein ne peut jamais dépasser la possibilité de la mort. La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du Dasein. Ainsi la mort se dévoile-t-elle comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable. Comme telle, elle est une pré-cédence [251] insigne. La possibilité existentiale de celle-ci se fonde dans le fait que le Dasein est essentiellement ouvert à lui-même, et cela selon la guise du en-avant-de-soi. Ce moment structurel du souci a dans l’être pour la mort sa concrétion la plus originaire. L’être pour la fin devient phénoménalement plus clair en tant qu’être pour la possibilité insigne du Dasein qui vient d’être caractérisée. EtreTemps50
Dans cette détermination « critique » de la certitude de la mort et de sa pré-cédence se manifeste d’abord de nouveau la méconnaissance – caractéristique de la quotidienneté [Alltäglichkeit] – du mode d’être du Dasein et de l’être pour la mort qui lui appartient. Que le décéder en tant qu’événement survenant ne soit « qu’ » empiriquement certain, cela ne décide rien sur la certitude de la mort. Il est possible que les cas de mort soient pour le Dasein une occasion factice de se rendre d’abord en général attentif à la mort. Cependant, tant qu’il demeure dans la certitude empirique qu’on a caractérisée, le Dasein est absolument incapable de devenir certain de la mort considérée en son mode d’« être ». Bien que le Dasein, dans la publicité du On, ne « parle » apparemment que de cette certitude « empirique » de la mort, il ne s’en tient pourtant pas, au fond, exclusivement et primairement aux cas de mort survenants. Esquivant sa mort, même l’être quotidien [alltäglich] pour la fin est pourtant autrement certain de la mort que lui-[258] même, dans une considération purement théorique, ne voudrait le croire. Cet « autrement » se voile le plus souvent aux yeux de la quotidienneté [Alltäglichkeit], qui n’ose pas s’y rendre translucide. Avec son affection quotidienne [alltäglich] plus haut caractérisée, à savoir la supériorité « anxieusement » préoccupée, apparemment sans angoisse vis-à-vis du « fait » certain de la mort, la quotidienneté [Alltäglichkeit] concède une certitude « plus haute » que la certitude seulement empirique. On sait la mort certaine, et pourtant l’on n’est pas proprement certain d’elle. La quotidienneté [Alltäglichkeit] échéante du Dasein connaît la certitude de la mort et esquive néanmoins l’être-certain. Mais cette esquive atteste phénoménalement par ce devant quoi elle recule que la mort doit être conçue comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine. EtreTemps52