pouvoir-être du Dasein

L’ouverture du Là dans le comprendre est elle-même une guise du pouvoir-être du Dasein. Dans l’être-projeté de son être vers le en-vue-de-quoi et, indissociablement, vers la significativité (Bedeutsamkeit) (monde), est incluse une ouverture de l’être en général. Dans le projeter vers des possibilités, la compréhension de l’être est déjà anticipée. L’être est compris dans le projet, non pas conçu ontologiquement. L’étant qui a le mode d’être du projet essentiel de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) a pour constituant de son être la compréhension d’être. Ce qui avait auparavant (NA: Cf. supra, §4, p. 117 sq.) été établi dogmatiquement reçoit maintenant sa mise en lumière à partir de la constitution de l’être où le Dasein comme comprendre est son Là. Un éclaircissement satisfaisant, et conforme aux limites de toute la présente recherche, du sens existential de cette compréhension d’être ne pourra être atteint que sur la base de l’interprétation temporale de l’être. EtreTemps31

Et pourtant, voir dans ce cercle un cercle vicieux et chercher les moyens de l’éviter, ou (153) même simplement l’« éprouver » comme une imperfection inévitable, cela signifie mécomprendre radicalement le comprendre. Ce dont il y va, ce n’est point d’ajuster le comprendre et l’explicitation à un idéal de connaissance qui n’est lui-même qu’une forme déchue du comprendre – celle qui préside à la tâche légitime de saisir le sous-la-main dans l’incompréhensibilité qui lui est essentielle. Le remplissement des conditions fondamentales d’un expliciter possible consiste bien plutôt à ne pas méconnaître celui-ci en ses conditions essentielles d’accomplissement. Ce qui est décisif, ce n’est pas de sortir du cercle, c’est de s’y engager convenablement. Ce cercle du comprendre n’est point un cercle où se meut un mode quelconque de connaissance, mais il est l’expression de la structure existentiale de préalable du Dasein lui-même. Rien ne justifie de ravaler le cercle au rang de cercle vicieux, serait-il même toléré comme tel. En lui s’abrite une possibilité positive du connaître le plus originaire, qui bien entendu n’est saisie comme il faut qu’à condition que l’explicitation ait compris que sa tâche première, constante et ultime reste non pas de se laisser pré-donner la pré-acquisition, la prévision et l’anti-cipation par des « intuitions » ou des concepts populaires, mais, en les élaborant, d’assurer toujours son thème scientifique à partir des choses mêmes. Parce que le comprendre, en son sens existential, est le pouvoir-être du Dasein lui-même, les présuppositions ontologiques de la connaissance historique excèdent fondamentalement l’idée de rigueur des sciences les plus exactes. La mathématique n’est pas plus rigoureuse que l’histoire, elle est seulement plus étroite quant à la sphère des fondements existentiaux dont elle relève. EtreTemps32

Si le comprendre doit être primairement conçu comme le pouvoir-être du Dasein, une analyse du comprendre et de l’expliciter propres au On devra nous apprendre quelles possibilités de son être le Dasein comme On a ouvertes et s’est appropriées. Ensuite, ces possibilités elles-mêmes manifesteront une tendance d’être essentielle de la quotidienneté (Alltäglichkeit). Quant à celle-ci, enfin, elle doit dévoiler, à supposer qu’elle soit ontologiquement expliquée de manière satisfaisante, un mode originaire d’être du Dasein, de telle manière qu’à partir de lui le phénomène cité de l’être-jeté puisse être mis en lumière en sa concrétion existentiale. EtreTemps34

Que veut dire « présupposer » ? Comprendre quelque chose comme le fondement de l’être d’un autre étant. Une telle compréhension de l’étant en ses connexions d’être n’est possible que sur la base de l’ouverture, c’est-à-dire de l’être-découvrant du Dasein. Présupposer de la « vérité » signifie alors la comprendre comme quelque chose en-vue-de quoi le Dasein est. Mais le Dasein – ceci est impliqué dans la constitution d’être comme souci – est à chaque fois en avant de soi. Il est l’étant pour lequel, en son être, il y va de son pouvoir-être le plus propre. À l’être et au pouvoir-être du Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) appartient essentiellement l’ouverture et le découvrir. Pour le Dasein, il y va de son pouvoir-être-au-monde (In-der-Welt-sein), et, conjointement, de la préoccupation (Besorgen) circon-specte découvrante de l’étant intramondain. Dans la constitution d’être du Dasein comme souci, dans l’être-en-avant-de-soi, est inclus le « présupposer » le plus originaire. C’est parce qu’à l’être du Dasein appartient une telle auto-présupposition que « nous » devons nécessairement aussi « nous » présupposer, en tant que déterminés par l’ouverture. Ce « présupposer » inhérent à l’être du Dasein ne se rapporte pas à de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), et qui est de surcroît, mais uniquement à lui-même. La vérité présupposée, ou le « il y a » par lequel son être doit être déterminé a le mode ou le sens d’être du Dasein lui-même. Si nous devons nécessairement « faire » la présupposition de la vérité, c’est parce qu’elle est déjà « faite » avec l’être du « nous ». EtreTemps44

Sa possibilité la plus propre, absolue et indépassable, le Dasein ne se la procure cependant pas après coup et occasionnellement au cours de son être. Au contraire, si le Dasein existe, il est aussi et déjà jeté dans cette possibilité. Qu’il soit remis à sa mort, que celle-ci appartienne donc à l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), c’est là quelque chose dont le Dasein, de prime abord et le plus souvent, n’a nul savoir exprès, ni même théorique. L’être-jeté dans la mort se dévoile à lui plus originellement et instamment dans l’affection de l’angoisse (NA: Cf. supra, §40 (EtreTemps40), p. 184 sq.). L’angoisse de la mort est angoisse « devant » le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. Le devant-quoi de cette angoisse est l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) lui-même. Le pour-quoi (en-vue-de-quoi) de cette angoisse est le pouvoir-être du Dasein en tant que tel. Il est exclu de confondre l’angoisse de la mort avec une peur de décéder. Elle n’est nullement une tonalité « faible » quelconque et contingente de l’individu, mais, en tant qu’affection fondamentale du Dasein, l’ouverture révélant que le Dasein existe comme être jeté pour sa fin. Ainsi se précise le concept existential du mourir comme être jeté pour le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. La délimitation d’un tel mourir par rapport à une pure disparition, et aussi par rapport à un simple périr, et encore par rapport à un « vécu » du décéder, a gagné en acuité. EtreTemps50

Avec cette caractérisation du degré d’originarité des idées de « mauvaise » et de « bonne » conscience (Gewissen), il est déjà décidé du même coup de celle de la distinction entre une conscience (Gewissen) qui avertit prospectivement et une conscience (Gewissen) qui réprimande rétrospectivement. Sans doute, l’idée de conscience (Gewissen) admonitrice semble se rapprocher autant qu’il est possible de la con-vocation (Aufruf) à…, puisqu’elle partage avec celle-ci le caractère du signifier en avant… Et pourtant, cette concordance n’est qu’apparente. En effet, l’expérience d’une conscience (Gewissen) admonitrice ne veut à nouveau envisager la voix que comme orientée sur l’acte voulu, acte dont elle veut préserver. L’admonition, en tant qu’elle réfrène ce qui est voulu, n’est cependant possible que parce que l’appel qui « avertit » vise le pouvoir-être du Dasein, autrement dit le se-comprendre dans l’être-en-dette, contre lequel seulement le « voulu » peut se briser. La conscience (Gewissen) admonitrice a la fonction de la régulation momentanée de l’abstention de toute endettement. À nouveau, l’expérience de la conscience (Gewissen) admonitrice n’aperçoit la tendance appelante de la conscience (Gewissen) que dans la mesure où elle demeure accessible à l’entente du On. EtreTemps59

Même si la prédonation « violente » de possibilités de l’existence est méthodiquement requise, est-il possible de la soustraire à l’arbitraire ? Si l’analytique pose à son fondement, en tant que pouvoir-être existentiellement authentique, la résolution devançante à la possibilité de laquelle le Dasein con-voque lui-même, et con-voque même à partir du fond de son existence, cette possibilité est-elle donc quelconque ? La guise d’être conformément à laquelle le pouvoir-être du Dasein se rapporte à sa possibilité insigne, à la mort, est-elle fortuitement privilégiée ? L’être-au-monde (In-der-Welt-sein) a-t-il donc une instance plus haute de son pouvoir-être que sa mort ? EtreTemps63

Pour ramener sous le regard phénoménologique les phénomènes conquis dans l’analyse préparatoire, un renvoi aux stades parcourus par celle-ci sera ici suffisant. La délimitation du souci a résulté de l’analyse de l’ouverture qui constitue l’être du « Là ». La clarification de ce phénomène signifiait l’interprétation provisoire de la constitution fondamentale du Dasein, l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). C’est par la caractérisation de celui-ci que la recherche s’était engagée, afin d’assurer dès le départ, à l’encontre des pré-déterminations ontologiques inadéquates, quoique le plus souvent implicites, du Dasein, un horizon phénoménal suffisant. De prime abord, l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) a été caractérisé par rapport au phénomène du monde, ce qui n’empêche que l’explication est partie de la caractérisation ontico-ontologique de l’étant à-portée-de-la-main et sous-la-main « dans » le monde ambiant pour s’acheminer jusqu’au dégagement de l’intramondanéité (Weltlichkeit), afin de rendre visible en celle-ci le phénomène de la mondanéité (Weltlichkeit) en général. Cependant, la structure de la mondanéité (Weltlichkeit) – la significativité (Bedeutsamkeit) – s’est révélée solidaire de ce vers-quoi le comprendre appartenant essentiellement à l’ouverture se projette – du pouvoir-être du Dasein, en-vue-de-quoi il existe. EtreTemps67

La circon-spection se meut dans les rapports de tournure (Bewandtnis) du complexe à-portée-de-la-main (359) d’outils. Elle est elle-même à son tour soumise à la direction d’une vue-d’ensemble plus ou moins expresse sur la totalité d’outils de ce qui est à chaque fois monde d’outils, ainsi que du monde ambiant public qui appartient à celui-ci. La vue-d’ensemble n’est pas simplement un ramassage après coup de sous-la-main. L’essentiel de la vue-d’ensemble est le comprendre primaire de la totalité de tournure (Bewandtnis) à l’intérieur de laquelle s’engage à chaque fois la préoccupation (Besorgen) factice. La vue-d’ensemble qui éclaire la préoccupation (Besorgen) reçoit sa « lumière » du pouvoir-être du Dasein, en-vue-de quoi la préoccupation (Besorgen) existe comme souci. La circon-spection « d’ensemble » de la préoccupation (Besorgen) rapproche, en toute utilisation et maniement, l’à-portée-de-la-main du Dasein, selon la guise d’une explicitation de ce qui est pris en vue. L’approchement spécifique, circon-spectivement explicitant de l’étant dont on se préoccupe, nous l’appelons la réflexion. Son schème spécifique est le « si…, alors… » : si ceci ou cela doit être – par exemple – produit, mis en usage, empêché, alors il est besoin de tels ou tels moyens, voies, circonstances, occasions. La réflexion circon-specte éclaire toute situation factice du Dasein dans le monde ambiant de sa préoccupation (Besorgen). Par suite, elle ne « constate » jamais simplement l’être-sous-la-main d’un étant, ou ses propriétés. La réflexion peut s’accomplir même sans que l’étant approché circon-spectivement en elle soit lui-même à-portée-de-la-main de manière saisissable et présent dans le champ de vue le plus proche. Le rapprochement du monde ambiant dans la réflexion circon-specte a le sens existential d’une présentification. Car la re-présentation n’est qu’un mode de celle-ci. En elle, la réflexion s’avise directement de l’étant nécessaire, mais non à-portée-de-la-main. La circon-spection re-présentante ne se rapporte pas à quelque chose comme des « simples représentations ». EtreTemps69

La datation du « alors » qui s’explicite dans le s’attendre préoccupé implique ceci lorsqu’il fait jour, il est temps de se mettre au travail du jour. Le temps explicité dans la préoccupation (Besorgen) est à chaque fois déjà compris comme temps de…, pour… Le « maintenant que ceci et cela » est à chaque fois comme tel approprié et inapproprié. Le « maintenant » – et ainsi tout mode du temps explicité – n’est pas seulement un « maintenant que… », mais, en tant que ce maintenant essentiellement datable, il est en même temps essentiellement déterminé par la structure de l’appropriement ou du non-appropriement. Le temps explicité a nativement le caractère du « temps pour… », ou du « ce n’est pas le temps pour… » Le présentifier s’attendant-conservant de la préoccupation (Besorgen) comprend le temps dans un rapport à un pour-quoi, qui, à son tour, est en dernière instance ancré dans un en-vue-de-quoi du pouvoir-être du Dasein. Avec ce rapport de pour…, le temps publié manifeste la structure où nous avions reconnu antérieurement (NA: Cf. supra, p. 83 sq., et §69 (EtreTemps69) c, p. 364 sq.) la significativité (Bedeutsamkeit). Celle-ci constitue la mondanéité (Weltlichkeit) du monde. Le temps publié a, en tant que temps de…, essentiellement un caractère mondain, et c’est pourquoi nous nommons le temps qui se publie dans la temporalisation de la temporalité le temps du monde – non point certes parce qu’il serait sous-la-main comme étant intramondain (il ne peut jamais être tel), mais parce qu’il appartient au monde dans le sens que nous avons interprété ontologico-existentialement. Comment les rapports essentiels de la structure du monde, par exemple le « pour… », sont liés, sur la base de la constitution ekstatico-horizontale de la temporalité, avec le temps public, par exemple le « alors que… », c’est ce qui doit nous apparaître dans la suite. En tout état de cause, c’est maintenant seulement que le temps de la préoccupation (Besorgen) se laisse complètement caractériser en sa structure : il est datable, tendu, public, et il appartient, en tant qu’ainsi structuré, au monde lui-même. Tout « maintenant » ex-primé naturellement-quotidienne (alltäglich)ment, par exemple, a cette (415) structure, et, comme tel, il est compris – quoique non thématiquement et préconceptuellement – dans le se-laisser-le-temps préoccupé du Dasein. EtreTemps80