Aux questions d’une biologie, d’une psychologie, d’une théodicée et d’une théologie de la mort, l’analyse existentiale est méthodiquement pré-ordonnée. Envisagés ontiquement, ses résultats manifestent la formalité et le vide spécifiques de toute caractéristique ontologique. Cependant, cela ne doit point nous rendre aveugles à la structure riche et complexe du phénomène. S’il est vrai que le Dasein en général n’est jamais accessible comme sous-la-main, puisque l’être-possible appartient de manière propre à son mode d’être, il faut d’autant moins s’attendre à pouvoir déchiffrer purement et simplement la structure de la mort, si tant est par ailleurs que la mort constitue une possibilité insigne du Dasein. EtreTemps49
La mort, elle, est une possibilité d’être que le Dasein a lui-même à chaque fois à assumer. Avec la mort, le Dasein se pré-cède lui-même en son pouvoir-être le plus propre. Dans cette possibilité, il y va pour le Dasein purement et simplement de son être-au-monde (In-der-Welt-sein). Sa mort est la possibilité du pouvoir-ne-plus-être-Là. Tandis qu’il se pré-cède comme cette possibilité de lui-même, le Dasein est complètement assigné à son pouvoir-être le plus propre. Par cette pré-cédence, tous les rapports à d’autres Dasein sont pour lui dissous. Cette possibilité la plus propre, absolue, est en même temps la possibilité extrême. En tant que pouvoir-être, le Dasein ne peut jamais dépasser la possibilité de la mort. La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du Dasein. Ainsi la mort se dévoile-t-elle comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable. Comme telle, elle est une pré-cédence (251) insigne. La possibilité existentiale de celle-ci se fonde dans le fait que le Dasein est essentiellement ouvert à lui-même, et cela selon la guise du en-avant-de-soi. Ce moment structurel du souci a dans l’être pour la mort sa concrétion la plus originaire. L’être pour la fin devient phénoménalement plus clair en tant qu’être pour la possibilité insigne du Dasein qui vient d’être caractérisée. EtreTemps50
Il convient tout d’abord de caractériser l’être pour la mort comme un être pour une (261) possibilité, à savoir pour une possibilité insigne du Dasein lui-même. Être pour une possibilité, c’est-à-dire pour un possible, peut signifier : être ouvert à (NT: Aussein, mot auparavant traduit (p. 195 et (210)) par « exposition » ; ici, c’est l’être-ouvert, au sens d’intérêt pour…) un possible sous la forme d’une préoccupation (Besorgen) pour sa réalisation. Dans le champ de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main, de telles possibilités font constamment encontre : l’accessible, le maîtrisable, le viable, etc. L’être-ouvert préoccupé à un possible a la tendance à anéantir la possibilité du possible en le rendant disponible. Cependant, la réalisation préoccupée d’un outil (Zeug) sous-la-main (en tant que produire, apprêter, remplacer, etc.) n’est jamais que relative, dans la mesure où même le réalisé, ou justement lui, a encore le caractère d’être de la tournure (Bewandtnis). Bien que réalisé, il reste en tant qu’effectif un possible pour…, caractérisé par un pour… La présente analyse doit simplement montrer comment l’être-ouvert préoccupé se rapporte au possible : non pas dans une considération thématico-théorique du possible comme possible, selon sa possibilité envisagée comme telle, mais de manière telle qu’elle s’écarte circon-spectivement du possible pour se tourner vers le possible-pour-quoi. EtreTemps53
La possibilité la plus propre, absolue, indépassable et certaine est indéterminée en sa certitude. Comment le devancement ouvre-t-il ce caractère de la possibilité insigne du Dasein ? Comment le comprendre devançant se projette-t-il vers un pouvoir-être certain qui est constamment possible, mais de telle manière que le quand où devient possible la pure et simple impossibilité de l’existence demeure constamment indéterminé ? Dans le devancement vers la mort indéterminément certaine, le Dasein s’ouvre à une menace jaillissant de son Là lui-même, constante. L’être pour la fin doit se tenir en elle, et il peut si peu l’aveugler qu’il doit au contraire nécessairement configurer l’indéterminité (Bestimmtheit) de la certitude. Comment l’ouvrir natif de cette menace constante est-il existentialement possible ? Tout comprendre est affecté. La tonalité transporte le Dasein devant l’être-jeté de son « qu’il-est-Là » (NA: Cf. supra, §29 (EtreTemps29), p. 134 sq.). Mais l’affection qui est en mesure de tenir ouverte la menace constante et pure et simple qui monte de l’être isolé le plus propre du Dasein, c’est l’angoisse (NA: Cf. supra, §40 (EtreTemps40), p. 184 sq.). C’est en elle que le Dasein se trouve devant le rien (266) de la possible impossibilité de son existence. L’angoisse s’angoisse pour le pouvoir-être de l’étant ainsi déterminé, et elle ouvre ainsi la possibilité extrême. Comme le devancement isole purement et simplement le Dasein et, dans cet isolement de lui-même, le fait devenir certain de la totalité de son pouvoir-être, à cette auto-compréhension du Dasein à partir de son fond appartient l’affection fondamentale de l’angoisse. L’être pour la mort est essentiellement angoisse. L’attestation univoque, quoique « seulement » indirecte en est donnée par l’être pour la mort qu’on a caractérisé, lorsqu’il pervertît l’angoisse en peur lâche et annonce, avec le surmontement de celle-ci, la lâcheté devant l’angoisse. EtreTemps53
Résolution veut dire : se-laisser-pro-voquer à l’être-en-dette le plus propre. L’être-en-dette appartient à l’être du Dasein lui-même, que nous avons primairement déterminé comme (306) pouvoir-être. Le Dasein « est » constamment en-dette, cela ne peut signifier que ceci : il se tient à chaque fois dans cet être en tant qu’exister authentique ou inauthentique. L’être-en-dette n’est pas seulement une propriété permanente d’un sous-la-main constant, mais la possibilité existentielle d’être authentiquement ou inauthentiquement en-dette. Le « en-dette » n’est jamais que dans un pouvoir-être factice déterminé. Par suite, l’être-en-dette, parce qu’il appartient à l’être du Dasein, doit être conçu comme pouvoir-être-en-dette. La résolution se projette vers ce pouvoir-être, c’est-à-dire se comprend en lui. Ce comprendre, par suite, se tient dans une possibilité originaire du Dasein, et il se tient authentiquement en elle si la résolution est originairement ce qu’elle tend à être. Or nous avons dévoilé l’être originaire du Dasein pour son pouvoir-être comme être pour la mort, c’est-à-dire pour la possibilité insigne du Dasein qui a été caractérisée. Le devancement ouvre cette possibilité comme possibilité. La résolution, par conséquent, ne devient un être originaire pour le pouvoir-être le plus propre du Dasein qu’en tant que devançante. Le « pouvoir » du pouvoir-être-en-dette, la résolution ne le comprend que si elle se « qualifie » comme être pour la mort. EtreTemps62