La théorie du « jugement » qui s’oriente aujourd’hui de manière prépondérante sur le phénomène de la « validité » n’appelle pas ici de discussion détaillée. Qu’il nous suffise de souligner le caractère hautement problématique de ce phénomène de la « validité », qu’il est courant depuis Lotze de présenter comme un « phénomène originaire » irréductible. En fait, il ne doit de jouer un si grand rôle qu’à son obscurité ontologique, la « problématique » qui s’est développée autour de cette idole verbale n’étant guère plus claire. La validité, en effet, [156] désigne d’une part la « forme » d’effectivité qui revient à la teneur du jugement pour autant qu’elle subsiste immuable par opposition au processus « psychique », donc muable, de la judication. Si l’on considère l’état de la question de l’être tel qu’il a été caractérisé dans l’introduction à ce livre, on ne s’attendra guère à voir la « validité » en tant qu’« être idéal » briller d’une clarté ontologique particulière. D’autre part, la validité désigne en même temps la validité du sens judicatif valide de l’« objet » visé dans le jugement, et rejoint ainsi le sens de « validité objective » et d’objectivité en général. Enfin, ce sens qui « vaut » ainsi de l’étant et qui vaut en lui-même « intemporellement » « vaut » une fois encore au sens d’un valoir pour tout sujet jugeant rationnellement. La validité signifie donc maintenant le caractère obligatoire, l’« universalité ». Que l’on professe en plus une théorie « critique » de la connaissance, suivant laquelle le sujet ne « déborde » pas « véritablement » jusqu’à l’objet, et alors la validité prise au sens de validité d’objet, d’objectivité se trouvera fondée sur la réalité valide du sens vrai (!). Ces trois significations du « valoir » – manière d’être de l’idéal, objectivité, force obligatoire – ne sont pas seulement opaques en elles-mêmes, mais encore elles ne cessent d’aggraver mutuellement leur confusion. La prudence méthodique exige par conséquent de s’abstenir de prendre ce genre de concepts miroitants pour fil conducteur d’une interprétation. Bien loin de restreindre d’abord le concept de sens à la signification de « teneur du jugement », nous le comprenons comme le phénomène existential – plus haut caractérisé – où devient en général visible la structure formelle de l’étant ouvrable dans le comprendre et articulable dans l’explicitation. EtreTemps33
C’est le phénomène de l’angoisse qui sera pris pour base de l’analyse, à titre d’affection satisfaisant à de telles requêtes méthodiques. L’élaboration de cette affection fondamentale et la caractérisation ontologique de ce qui y est ouvert en tant que tel prendra son départ dans le phénomène de l’échéance et délimitera l’angoisse par rapport au phénomène voisin, plus haut analysé, de la peur. L’angoisse, en tant que possibilité d’être du Dasein, en même temps que le Dasein même qui est ouvert en elle, livre le sol phénoménal requis pour la saisie explicite de la totalité originaire d’être du Dasein. L’être du Dasein se dévoile comme souci. L’élaboration ontologique de ce phénomène existential fondamental exige de le délimiter par rapport à des phénomènes qui pourraient être de prime abord identifiés à lui. Des phénomènes de ce genre sont la volonté, le souhait, la tendance, la pulsion. Mais le souci ne saurait être dérivé d’eux, car eux-mêmes sont fondés en lui. EtreTemps39
[211] Aussi bien, la résistance n’est pas non plus expérimentée dans une pulsion ou une volonté « apparaissant » pour soi. L’une et l’autre se manifestent comme autant de modifications du souci. Seul un étant ayant ce mode d’être peut se heurter à du résistant en tant qu’intramondain. Lors donc que la réalité est déterminée par la résistivité, deux choses restent à considérer : d’une part, cette détermination n’atteint qu’un caractère de la réalité parmi d’autres ; ensuite, la résistivité présuppose nécessairement un monde déjà ouvert. La résistance caractérise le « monde extérieur » au sens de l’étant intramondain, mais jamais au sens de monde. La « conscience [Gewissen] de la réalité » est elle-même une guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. C’est à ce phénomène existential fondamental qu’est nécessairement ramenée toute « problématique du monde extérieur ». EtreTemps43Le phénomène existential de l’être-découvert, qui est fondé dans l’ouverture du Dasein, devient une propriété sous-la-main abritant de surcroît un caractère de relativité, et, en tant que tel, il est brisé en une relation sous-la-main. La vérité comme ouverture et comme être découvrant pour l’étant découvert est devenue vérité comme accord entre sous-la-main intramondains. Ainsi la secondarité du concept traditionnel de la vérité est-elle mise en évidence. EtreTemps44
Ainsi donc, la tentative de rendre accessible l’être-tout du Dasein de manière phénoménalement adéquate a échoué une fois de plus. Certes, et pourtant le résultat de ces considérations ne demeure point négatif. Car elles se sont développées conformément à une orientation – si grossière qu’elle fût – sur les phénomènes eux-mêmes. La mort a été indiquée comme phénomène existential. Du coup, la recherche a reçu une orientation purement existentiale sur le Dasein à chaque fois propre. Pour analyser la mort en tant que mourir, il ne subsiste donc qu’une possibilité : porter ce phénomène à un concept purement existential – ou renoncer à sa compréhension ontologique. EtreTemps47
Même s’il permettent, une fois saisis de manière suffisamment formelle, un large usage, les concepts – qui plus est, peu transparents – de privation et de défaut manifestent déjà leur insuffisance à interpréter ontologiquement le phénomène de la dette, et rien n’est plus impossible que d’approcher le phénomène existential de la dette en s’orientant sur l’idée du mal, du malum comme privatio boni, s’il est vrai que le bonum aussi bien que sa privatio tiennent leur commune origine ontologique de l’ontologie du sous-la-main, laquelle s’applique tout autant à l’idée de « valeur » « tirée » de celui-ci. EtreTemps58
Le pour-quoi de la résolution est ontologiquement pré-dessiné dans l’existentialité du Dasein en général comme pouvoir-être selon la guise de la sollicitude [Fürsorge] préoccupée. Mais en tant que souci, le Dasein est déterminé par la facticité et par l’échéance. Ouvert en son « Là », il se tient cooriginairement dans la vérité et la non-vérité [NA: Cf. supra, §44 [EtreTemps44], p. [222].]. Or autant vaut justement « à [299] proprement parler » de la résolution comme vérité authentique. Elle s’approprie authentiquement la non-vérité. Le Dasein est à chaque fois déjà, et par suite il est peut-être de nouveau dans l’ir-résolution. Ce dernier titre exprime seulement le phénomène qui a été auparavant interprété comme être-livré à l’explicitation régnante du On. Le Dasein en tant que On-même est « porté » par l’équivoque d’entendement de la publicité, où personne ne se résout, et qui pourtant a toujours déjà tranché. La résolution veut dire : se-laisser-con-voquer hors de la perte dans le On [das Man]. L’ir-résolution du On, néanmoins, demeure souveraine – à ceci près qu’elle ne peut plus entamer l’existence résolue. L’ir-résolution, en tant que contre-concept de la résolution comprise existentialement, ne désigne pas une propriété ontico-psychique, une charge d’inhibitions par exemple. Même la décision demeure assignée au On et à son monde. Comprendre cela appartient également à ce qu’elle ouvre, dans la mesure où la résolution est ce qui donne pour la première fois au Dasein sa translucidité authentique. Dans la résolution, il y va pour le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, lequel, en tant que jeté, ne peut se projeter que vers des possibilités factices déterminées. La décision ne se soustrait pas à l’« effectivité », mais découvre pour la première fois le possible factice, et cela en s’en emparant de la manière dont elle le peut en tant que pouvoir-être le plus propre dans le On [das Man]. La déterminité [Bestimmtheit] existentiale du Dasein résolu à chaque fois possible embrasse les moments constitutifs de ce phénomène existential – omis jusqu’ici – que nous appelons la situation. EtreTemps60