Le comprendre, en son caractère de projet, constitue existentialement ce que nous appelons la vue du Dasein. Cette vue existentialement coprésente à l’ouverture du Là, le Dasein l’est cooriginairement selon les guises fondamentales de son être qu’on a caractérisées, c’est-à-dire la circon-spection de la préoccupation (Besorgen), l’égard de la sollicitude (Fürsorge), et il l’est en tant que vue sur l’être même en-vue-de-quoi le Dasein est chaque fois comme il est (NT: La syntaxe de la phrase est délicate, mais le sens me paraît prescrire de construire ainsi : « le Dasein est la vue… en tant que vue sur l’être… » (la deuxième occurrence de « vue » fonctionnant comme attribut de la première) – autrement dit de ne pas coordonner, comme BW, « vue sur l’être » à « circon-spection » et « égard ». Bref : que ce soit selon la guise de la circon-spection ou de l’égard, le Dasein est vue, à savoir vue sur son être possible. ). La vue qui se rapporte primairement et en totalité à l’existence, nous l’appelons la translucidité. Nous choisissons ce terme pour désigner la « connaissance de soi » bien comprise, c’est-à-dire pour indiquer qu’il ne s’agit pas dans celle-ci d’une détection et d’une contemplation perceptives d’un point fixe du Soi-même, mais d’une saisie compréhensive de l’ouverture pleine de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) à travers ses moments constitutifs essentiels. L’existant ne « se » voit que pour autant qu’il est devenu pour soi cooriginairement translucide dans son être auprès du monde et dans l’être-avec (Mitsein) autrui comme moments constitutifs de son existence. EtreTemps31
L’expression « vue » doit naturellement être préservée d’un contresens. Elle caractérise (147) l’être-éclairci comme quoi nous avions caractérisé l’ouverture du Là. Non seulement ce « voir » ne désigne pas la perception par les yeux du corps, mais encore il n’a rien à voir avec le pur accueil non-sensible d’un sous-la-main en son être-sous-la-main. Seule importe à la signification existentiale de la vue cette propriété spécifique du voir : il laisse faire encontre (begegnen) en lui-même à découvert l’étant qui lui est accessible. Ce que fait évidemment chaque « sens » à l’intérieur de son domaine natif de découverte. D’ailleurs, la tradition de la philosophie, depuis son début, est primairement orientée sur le « voir » comme mode d’accès à l’étant et à l’être. Afin de maintenir la connexion avec elle, on peut formaliser les concepts de vue et de voir de manière à les prendre comme des termes universels caractérisant tout accès – en tant qu’accès en général – à l’étant et à l’être. EtreTemps31
Au cours de l’analyse du comprendre et de l’ouverture du Là en général, nous avons fait référence au lumen naturale et nommé l’ouverture de l’être-à l’éclaircie où seulement quelque chose comme une vue devient possible. Quant à la vue elle-même, elle a été conçue, par rapport au mode fondamental de tout ouvrir existential, c’est-à-dire au comprendre, au sens de l’appropriation véritable de l’étant par rapport auquel le Dasein peut se comporter suivant ses possibilités essentielles d’être. EtreTemps36
L’analyse de la conscience (Gewissen) prend pour point de départ un caractère d’abord indifférent de ce phénomène : d’une façon ou d’une autre, il donne quelque chose à comprendre. La conscience (Gewissen) ouvre, et elle appartient pour cette raison à l’orbe des phénomènes existentiaux qui constituent l’être du Là comme ouverture (NA: Cf. supra, §§28 (EtreTemps28) sq., p. 130 sq.). Les structures les plus générales de l’affection, du comprendre, du parler et de l’échéance ont été exposées. Si nous insérons la conscience (Gewissen) dans ce contexte phénoménal, ce n’est pas pour nous livrer à une application schématique des structures alors conquises à un « cas » particulier d’ouverture du Dasein. Au contraire, non seulement l’interprétation de la conscience (Gewissen) conduira plus loin l’analyse antérieure de l’ouverture du Là, mais encore elle la saisira plus originairement par rapport à l’être authentique du Dasein. EtreTemps55
Désormais, ce qui est conquis avec la résolution, c’est la vérité la plus originaire, parce qu’authentique du Dasein. L’ouverture du Là ouvre cooriginairement l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) à chaque fois total, c’est-à-dire le monde, l’être-à et le Soi-même que cet étant est en tant que « Je suis ». Avec l’ouverture du monde, de l’étant intramondain est à chaque fois déjà découvert. L’être-découvert de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main se fonde dans l’ouverture du monde (NA: Cf. supra, §18 (EtreTemps18), p. 83 sq.) ; car la libération de toute totalité de tournure (Bewandtnis) de l’à-portée-de-la-main requiert une pré-compréhension de la significativité (Bedeutsamkeit). Comprenant celle-ci, le Dasein préoccupé s’assigne circon-spectivement à l’à-portée-de-la-main qui lui fait encontre. Le comprendre de la significativité (Bedeutsamkeit) comme ouverture de tout monde se fonde derechef dans le comprendre du en-vue-de-quoi auquel se rapporte toute découverte de la totalité de tournure (Bewandtnis). EtreTemps60
L’ouverture du Là et les possibilités existentielles fondamentales du Dasein, authenticité et inauthenticité, sont fondées dans la temporalité. Mais l’ouverture concerne toujours cooriginairement l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) plein, l’être-à aussi bien que le monde. Par suite, à partir d’une orientation sur la constitution temporelle de l’ouverture, il doit être également possible de mettre en lumière la condition ontologique de possibilité permettant à l’étant qui existe comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) de pouvoir être. EtreTemps68
Nous avons déterminé l’être du Dasein comme souci. Le sens ontologique du souci est la temporalité. Que et comment celle-ci constitue l’ouverture du Là, cela a été montré. Dans (365) l’ouverture du Là, le monde est co-ouvert. L’unité de la significativité (Bedeutsamkeit), c’est-à-dire la constitution ontologique du monde, doit donc également se fonder dans la temporalité. La condition temporalo-existentiale de possibilité du monde consiste en ce que la temporalité comme unité ekstatique a quelque chose comme un horizon. Les ekstases ne sont pas simplement des échappées vers… Bien plutôt un « vers-où » de l’échappée appartient-il à l’ekstase. Ce vers-où de l’ekstase, nous l’appelons le schème horizontal. L’horizon ekstatique est différent dans chacune des trois ekstases. Le schème où le Dasein, authentiquement ou inauthentiquement, advient à soi de manière avenante est le en-vue-de lui-même. Le schème où le Dasein est ouvert à lui-même en tant que jeté au sein de l’affection, nous le saisissons comme le devant-quoi de l’être-jeté ou le à-quoi de l’abandon. Il caractérise la structure horizontale de l’être-été. Existant en-vue-de lui-même dans l’abandon à lui-même en tant que jeté, le Dasein, en tant qu’être auprès,.., est en même temps présentifiant. Le schème horizontal du présent est déterminé par le pour… EtreTemps69
Que la structure de la databilité appartienne essentiellement à ce qui est explicité avec le « maintenant », le « alors » (futur) et le « alors » (passé), cela devient une preuve élémentaire de la provenance de cet explicité à partir de la temporalité s’explicitant. Disant « maintenant », nous comprenons toujours déjà conjointement, même sans le dire, un « (lors)que ceci est cela ». Pourquoi donc ? Parce que le « maintenant » explicite un présentifier d’étant. Dans le « maintenant que… » se trouve le caractère ekstatique du présent. La databilité du « maintenant », du « alors » (futur) et du « alors » (passé) n’est que le reflet de la constitution ekstatique de la temporalité, et c’est pourquoi elle est essentielle au temps ex-primé lui-même. La structure de databilité du « maintenant », du « alors » (futur) et du « alors » (passé) est l’attestation que ceux-ci ont la temporalité pour souche, qu’ils sont eux-mêmes du temps. L’ex-pression explicitante du « maintenant », du « alors » (futur) et du « alors » (passé) est l’indication la plus originaire du temps. Et s’il est vrai que le Dasein, dans l’unité ekstatique de la temporalité qui est comprise non-thématiquement et, comme telle, in-connaissablement dans la databilité, est à chaque fois déjà ouvert à lui-même comme être-au-monde (In-der-Welt-sein), et que de l’étant intramondain, conjointement, est à chaque fois déjà découvert, alors le temps explicité a à chaque fois aussi déjà une datation à partir de l’étant qui fait encontre dans l’ouverture du Là : maintenant que… la porte bat : maintenant que… ce livre me fait défaut, etc. EtreTemps79
Si le Dasein facticement jeté peut « prendre » son temps ou le perdre, c’est uniquement parce qu’un « temps » est dévolu à lui en tant que temporalité ekstatiquement é-tendue, avec l’ouverture du Là fondée en celle-ci. EtreTemps79
Si nous comparons le Dasein « primitif », que nous avions pris pour base de l’analyse du comput « naturel » du temps, avec le Dasein « avancé », nous découvrons que pour ce dernier, le jour et la présence de la lumière solaire ne possèdent plus aucune fonction privilégiée, car ce Dasein a le « privilège » de transformer la nuit elle-même en jour. De la même façon, il n’est plus besoin, pour la constatation du temps, de jeter un regard exprès, immédiat, sur le soleil et sa position. La confection et l’usage d’outils de mesure indépendants permettent de lire directement le temps sur l’horloge proprement produite à cet effet. Le « quel temps est-il ? » devient « quelle heure est-il ? ». Cependant, bien que cela puisse demeurer recouvert à chaque lecture du temps, même l’usage de l’outil (Zeug)-horloge, étant donné que l’horloge entendue comme moyen d’un comput public du temps doit être réglée sur l’horloge « naturelle », se fonde dans la temporalité du Dasein, laquelle, avec l’ouverture du Là, est ce qui rend pour la première fois possible une datation du temps dont on se préoccupe. La compréhension de l’horloge naturelle, qui s’élabore au fur et à mesure du progrès de la découverte de la nature, fournit l’indication de nouvelles possibilités de mesure du temps, qui sont relativement indépendantes du jour et de toute observation expresse du ciel. EtreTemps80