Aussenwelt (SZ)
Sous le titre de « problème de la réalité » se pressent des questions différentes : 1. celle de savoir si l’étant prétendu « transcendant à la conscience (Gewissen) » est en général ; 2. celle de savoir si cette réalité du « monde extérieur » peut être suffisamment prouvée ; 3. celle de savoir dans quelle mesure cet étant, s’il est réel, est connaissable en son être-en-soi ; 4. celle de savoir, enfin, ce que le sens de cet étant, la réalité, signifie en général. Notre élucidation du problème (202) de la réalité traitera, dans la perspective de la question fondamental-ontologique, des trois aspects suivants : a) la réalité comme problème de l’être et de la démonstrabilité du « monde extérieur » ; b) la réalité comme problème ontologique ; c) la réalité et le souci.
a) La réalité comme problème de l’être et de la démontrabilité du « monde extérieur »
Dans la série des questions relatives à la réalité que l’on vient d’énumérer, la question ontologique, celle de savoir ce que la réalité signifie en général, est la question première. Néanmoins, aussi longtemps que faisaient défaut une problématique et une méthode ontologiques pures, cette question, à supposer qu’elle fût en général expressément posée, était condamnée à s’enchevêtrer avec l’élucidation du « problème du monde extérieur » ; car l’analyse de la réalité n’est possible que sur la base de l’accès adéquat au réel. Or depuis toujours, c’est la connaissance intuitive qui valait comme mode propre de saisie du réel. Cette connaissance « est » en tant que comportement de l’âme, de la conscience (Gewissen). Dans la mesure où à la réalité appartient le caractère de l’en-soi et de l’indépendance, la question du sens de la réalité se trouve donc associée à celle de la possible indépendance du réel « par rapport à la conscience (Gewissen) », ou de la possible transcendance de la conscience (Gewissen) vers la « sphère » du réel. (Mais) la possibilité d’une analyse ontologique satisfaisante de la réalité dépend de la mesure en laquelle ce par rapport à quoi il doit y avoir indépendance, ce qui doit être transcendé est lui-même clarifié quant à son être. C’est ainsi seulement que le mode d’être du transcender devient lui aussi saisissable. Et enfin le mode primaire d’accès au réel doit être assuré, au sens d’une décision de la question de savoir si le connaître peut en général assumer cette fonction.
Ces recherches préalables à une possible question ontologique de la réalité ont été conduites dans l’analytique existentiale précédente. D’après celle-ci, le connaître est un mode dérivé de l’accès au réel, qui n’est essentiellement accessible qu’en tant qu’étant intramondain. Tout accès à un tel étant est ontologiquement fondé dans la constitution fondamentale du Dasein, l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). Celui-ci a la constitution d’être encore plus originaire du souci (être-en-avant-de-soi — être-déjà-dans-un-monde — en tant qu’être-auprès de l’étant intramondain).
La question de savoir si en général un monde est et si son être peut être prouvé est, en tant que question que le Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) pose lui-même — et qui d’autre pourrait-il la poser ? — dépourvue de sens. De surcroît, elle demeure entachée d’une équivoque : car le monde en tant que « où » de l’être-à et le « monde » en tant qu’étant (203) intramondain, en tant qu’auprès-de-quoi de l’identification préoccupée y sont confondus, plus exactement ils n’y sont même pas distingués. Mais le monde est essentiellement ouvert avec l’être du Dasein, tandis que le « monde » est à chaque fois lui aussi déjà découvert avec l’ouverture du monde. D’ailleurs, il se peut justement que l’étant intramondain au sens du réel, du sans plus sous-la-main demeure encore recouvert. Cependant, même du réel n’est découvrable que sur la base d’un monde déjà ouvert, et c’est seulement sur cette base qu’il peut également rester encore retiré. On pose la question de la « réalité » du « monde extérieur » sans clarifier préalablement le phénomène du monde comme tel. Facticement, le « problème du monde extérieur » s’oriente constamment sur l’étant intramondain (les choses et les objets). Ainsi, ces élucidations se perdent dans une problématique ontologiquement presque impossible à démêler.
L’enchevêtrement des questions, la confusion de ce qui doit être prouvé avec ce qui est prouvé en effet et avec ce qui doit servir à le prouver se manifestent avec éclat dans la « réfutation de l’idéalisme » par Kant (NA: Cf. Kritik der reinen Vernunft, B 274 sq., ainsi que les compléments et améliorations apportés par la préface à cette seconde édition, B XXXIX, note ; et encore le chapitre « Des paralogismes de la raison pure », B 399 sq., surtout B 412.). Kant considère comme un « scandale de la philosophie et de la raison humaine universelle » (NA: Id., préface, note citée.) que fasse encore et toujours défaut une preuve de l’« existence des choses hors de nous » qui soit assez contraignante pour avoir raison de tout scepticisme. Il propose lui-même une telle preuve, qu’il présente comme une démonstration du théorème suivant : « La simple conscience (Gewissen), mais empiriquement déterminée de mon existence (Daseins) propre prouve l’existence des objets dans l’espace hors de moi » (NA: Id., B 275.). (EtreTemps43)